Femmes de pouvoir au Japon

En juin 2024, les élections locales à Tôkyô voient s’affronter les candidats au poste de gouverneur de la métropole. En tête des sondages deux femmes se font face, Koike Yuriko et Saitô Renhô. Ce duel féminin est assez rare au Japon où la politique reste globalement plus masculine que chez les voisins coréens, taïwanais ou chinois. Le Japon a une image éminement machiste mais cette situation récente ne doit pas masquer l’existence de véritables femmes de pouvoir qui ont parfois régné sur une partie ou tout l’archipel.

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On laissera de côté les femmes empereurs et le pouvoir des différentes impératrices consortes ou douairières. Leur cas est, comme toujours en ce qui concerne l’institution impériale, particulier et nous nous concentrerons principalement sur les familles guerrières du début de l’époque Heian jusqu’à la fin de l’époque Edo au travers de quelques portraits. On n’évoquera les femmes guerrières (onna-bugeisha) que de manière indirecte car, même si elles ont existé, elles n’ont pas toujours assumé l’autorité. 

En illustration de couverture, Komatsuhime, épouse de Sanada Nobuyuki, interdit à son beau-père devenu son ennemi l’entrée de son château.

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目次

Des femmes shôgun?

Hôjô Masako, la mère des guerriers

Midaidokoro

Blason (Mon) de la famille Minamoto

Masako s’impose aisément comme la plus importante femme de pouvoir du Japon ancien, un fait qu’il lui est reconnu par son surnom de femme shôgun. Les circonstances de son époque en firent pratiquement la mère du bakufu (shogunat) de Kamakura. Elle venait de la famille Hôjô, des guerriers de la péninsule d’Izu vaguement apparentés aux Taira qui gouvernaient alors depuis Kyôto. Ils avaient reçu pour mission de garder un oeil sur Minamoto no Yoritomo, le descendant du clan rival des Taira qui avait été éxilé à Izu après la défaite et la mort de son père en 1160. Masako épousa Yoritomo dans ce qui semble avoir été un mariage d’amour vers 1178. Cette union était certainement loin de servir son père Hôjô Tokimasa qui tenta de la forcer dans un mariage plus raisonnable, la conduisant à fuir de nuit pour trouver refuge dans un sanctuaire jusqu’à ce qu’elle donne naissance à son premier enfant, une fille nommée Ô-hime.

Blason (Mon) de la famille Hôjô

A ce moment de son existence, Masako n’est encore que la Midaidokoro des Minamoto, un titre donné à l’épouse principale d’un seigneur chargée d’administrer sa maison, une mission qui se complexifia progressivement à mesure que Yoritomo gagna en puissance. Installée dans le fief des Minamoto à Kamakura, elle assista de loin aux évènements de la guerre du Gempei entre 1180 et 1185. Durant cette guerre, Yoritomo parvint progressivement à s’assurer le contrôle du Kantô (bataille de Fujigawa, 1181) avant de pousser son armée vers l’Ouest et Kyôto. Aidé par sa demi-frère Yoshitsune mais aussi son beau-père Tokimasa, il parvint à chasser les Taira en 1184 pour finalement les détruire à la bataille de Dan-no-Ura en 1185. A cette date l’empereur retiré Go-Shirakawa avait déjà reconnu au seigneur de Kamakura (Kamakura-dono) le droit d’administrer en son nom les provinces pour y assurer la levée des impôts et la sécurité. Cette autorité fut ensuite formalisée par l’attribution du titre de Seii Taishôgun en 1192. Progressivement le clan Minamoto en vint à assumer les missions complexes d’un gouvernement.

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Pendant ce temps Masako avait donné naissance à son premier fils en 1182 (le futur Yoriie) et développa une intense jalousie envers les maîtresses de Yoritomo. Durant l’essentiel de l’histoire japonaise le mariage était une institution mais il était reconnu qu’un aristocrate ou un guerrier pouvait entretenir des concubines et des maîtresses librement en reconnaissant les enfants nés de ces liaisons. La période Heian avait été particulièrement ouverte sur ces questions et les samurais du Kantô eux-mêmes n’y voyaient rien à redire. La jalousie de Masako passait alors comme une anomalie, un signe d’un dérangement mais surtout d’une ambition.

Portrait, probablement d’époque, de Minamoto no Yoritomo, premier shôgun de Kamakura

Même si la primogéniture était théoriquement la règle (le fils aîné succéde au père), dans les faits un père pouvait favoriser un de ses enfants né d’une concubine. Mère d’un garçon jeune qui pouvait ne pas survivre à l’enfance, Masako devait assurer son monopole de la couche seigneuriale afin de renforcer sa place et celle de ses enfants. Elle se montra vindicative et fit pourchasser les malheureuses que son époux ne parvint pas à lui dissimuler, Elle provoqua parfois des ruptures politiques entre les Yoritomo et les Hôjô. C’est ainsi qu’en 1182, en pleine guerre, Hôjô Tokimasa se retira sur ses domaines avec ses guerriers suite à une nouvelle dispute entre sa fille et son seigneur. C’est là qu’il faut trouver la raison de l’attitude de Yoritomo, au-delà des plaisanteries sur le shogun ayant peur de sa femme.

Masako ne représentait pas qu’elle même, sa place aux côtés du shôgun assurait la place de sa propre famille. Hôjô Tokimasa et Hôjô Yoshitoki (le frère de Masako) étaient des piliers du régime naissant et Yoritomo ne pouvait se passer de leur appui militaire et politique. L’avenir du clan Hôjô dépendait de la capacité de Masako à assurer sa place. C’est pour renforcer cette place que la propre soeur de Masako épousa un autre demi-frère de Yoritomo, Amano Zenjô. Peut-être par calcul ou par sentiment, Yoritomo attribua cependant la mission d’éduquer son fils au clan Hiki dont était issu sa propre nourrice (tsubone) alors que la tradition aurait voulu qu’il soit recueilli par sa famille maternelle et éduqué par Tokimasa.

Représentation romancée de la rencontre entre le jeune Yoritomo et Masako. Cette estampe d’époque Edo illustre aussi la grande production de fictions historiques brodant sur les époque passées et inventant au passage anecdotes et rebondissement. On en tire la légende du rêve volé par Masako. Sa soeur aurait fait un rêve lui promettant le pouvoir. Masako réinterpréta le rêve comme un funeste présage et offrit de racheter le rêve contre un kimono rouge, obtenant pour elle la promesse d’un grand mariage.

La personnalité de Masako est parfois difficile à discerner du fait d’ajouts littéraires postérieurs qui brodèrent et aggravèrent ses caractéristiques. Si le Heike Monogatari parle peu d’elle du fait de son rôle secondaire, les autres sources de l’époque, comme l’Azuma Kagami, développent son caractère jaloux mais aussi la sincerité de ses sentiments envers Yoritomo et ses enfants. Elle plaida en 1184 pour sauver Kiso Yoshitaka, le promis de sa fille Ôhime, lorsque Yoritomo ordonna son exécution. Elle échoua mais obtint la tête de l’exécuteur, obligeant le seigneur de Kamakura de se dédire. Elle resta au chevet de sa fille dépressive durant des années. Lorsque la compagne de Yoshitsune, Shizuka Gozen, fur envoyée à Kamakura, elle parvint à faire plier son mari pour l’épargner en échange de ses danses. Elle confia alors comprendre les sentiments amoureux de la jeune Shizuka, sentiments qu’elle avait connu à une époque. Elle échoua cependant à sauver le garçon nouveau-né de celle-ci, jugé comme un risque politique trop grand.  

Ama-midai

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Cold case : la mort mystérieuse du premier shôgun Minamoto no Yoritomo est un personnage incontournable de l'histoire du Japon. Il a non seulement instauré pour plus d'un siècle le pouvoir de sa dynastie sur le Japon mais, en devenant le premier shôgun, il inaugura l'âge des samurais, le musha no yô. Avec cet âge il créa un nouveau système de gouvernement qui perdura pendant plus de six siècles jusqu'à la restauration Meiji. Les livres d'histoire nous racontent qu'il décéda en février 1199 d'une chute de cheval mais en y regardant de plus près les raisons de la mort du premier shôgun apparaissent comme beaucoup plus troubles, voire suspectes.

Minamoto no Yoritomo décéda en 1199, probablement d’une chute de cheval, conformement à la tradition japonaise son épouse entra dans les ordres et de devint nonne, ama. Cela ne veut pas dire qu’elle quittait le monde séculier. En tant que mère de Minamoto no Yoriie, qui était jeune et sans épouse officielle, elle restait la figure dominante de la maison shogunale sous le titre d’ama-midai. Son père et son frère assurant le gouvernement des guerriers même au travers d’un conseil de 13 membres. 

Minamoto no Yoriie, 2e shôgun de Kamakura, ne fut jamais réellement nommé à ce poste par l’empereur, son « règne » fut beaucoup trop court et tourmenté pour cela. Il n’en reste pas moins inclus dans la liste des chefs du clan Minamoto.

Le jeune Yoriie semble cependant avoir voulu s’appuyer sur les Hiki au détriment des Hôjô menant à une courte lutte de pouvoir en 1203 qui mena à sa déposition et à son assassinat discret à Shuzenji l’année suivante. Dans l’attaque de la demeure du clan Hiki, le jeune fils de Yoriie et petit-fils de Masako, âgé alors de 5 ans, fut tué dans l’incendie. Deux enfants, Kûgyô et Yoshiko, furent cependant sauvés. Le coupable traditionnellement désigné pour ce méfait est le propre grand-père de Yoriie, Hôjô Tokimasa. Dans ces évènements, Masako, reléguée aux affaires domestiques fut au mieux ignorante de ce qui se tramait, au pire complice. On commence à retrouver là les éléments d’une lecture critique de son rôle qui va s’intensifier à mesure que son rôle va croître.

Représentation d’Hôjô Yoshitoki consultant les gokenins dans un rouleau illustré narrant les évènements de la guerre de Jôkyû. (Jôkyô Emaki, collection privée, source : Asahi TV)

Le frère du défunt, Sanetomo, devint le nouveau shôgun, assurant de nouveau le rôle des Hôjô et de Masako. Le meurtre de Yoriie fut peut-être une des raisons qui possèrent Masako à s’appuyer sur son frère Yoshitoki pour écarter Tokimasa qui fut renvoyé sur ses terres en 1205. A partir de ce moment le frère et la soeur formèrent un duo associé au pouvoir entre la sphère familiale au sens large (Masako) et la sphère extérieure de la vassalité des Minamoto (Yoshitoki, en tant que régent, shikken, de son neveu). Tout deux poussèrent à une centralisation croissante du gouvernement des guerriers à Kamakura et plus spécialement entre les mains des Hôjô, surpassant les différents conseils et les gokenins (vassaux directs) de Sanetomo qui ne fut jamais qu’un homme de paille.

Minamoto no Sanetomo, 3e shôgun de Kamakura, était plus un lettré imprégné de culture de cour qu’un chef de clan guerrier, cela contribua à l’isoler de ses vassaux et favorisa son oncle le régent.

Au-delà de la politique de Yoshitoki, Masako semble s’être donné comme priorité la perénnité et la stabilité des clans Minamoto et Hôjô. Dans la décennie 1210-1220, sa grande affaire fut le mariage de Sanetomo avec une épouse prise au sein de la cour impériale pour former une alliance entre Kyôto et Kamakura. Cela avait déjà été l’objectif de Yoritomo lorsqu’il avait tenté de marier Ôhime avec un prince impérial, sans succès. Elle rencontrait face à elle la résistance de l’empereur retiré Go-Toba, fondamentalement hostile au gouvernement des guerriers. Sanetomo, détaché des affaires politiques et poète resta desespérement sans enfants, reposant la questions de sa succession et de la place des Hôjô. Le pouvoir de Masako ne durerait que jusqu’à la fin du règne de son fils, pas au delà.

Masako repensa ses projets familiaux pour persuader l’empereur de donner l’un de ses fils en adoption à Sanetomo et en faire le prochain shôgun. De cette manière, le nouveau shôgun resterait théoriquement dans la lignée de Sanetomo et des Hôjô tout en ayant le prestige de sa naissance impériale, suffisante pour repousser les candidatures superflues comme celles du jeune Kûgyô ou même des fils de sa propre soeur. Elle se rendit elle-même à Kyôto pour plaider sa cause, geste qui fut interprété comme un aveu de faiblesse et de fébrilité par Go-Toba qui commenca ses préparatifs de révolte. La question successorale devint une crise lorsque Kûgyô, nommé chef du sanctuaire d’Hachiman à Kamakura, assassina, en 1219, son oncle Sanetomo dans un guet-apens. Hôjô Yoshitoki, qui contrôlait Kamakura en réalité, fit arrêter et exécuter le deuxième petit-fils de Masako mais le bakufu se retrouvait sans héritier de sang Minamoto.

Ama-shôgun

Masako (en haut à gauche) dans une illustration d’époque Edo de l’Azuma Kagami. Nous avons ici l’image traditionnelle de Masako, la nonne retirée mais exerçant son influence sur la demeure shogunale. (source : archives nationales)

Face à la crise de succession, Masako obtint cette fois-ci l’adoption rétroactive de Kûjô Yoritsune, un enfant de 2 ans issu du clan aristocratique Fujiwara qui lui était favorable. Elle s’institua gardienne de l’enfant, devenant une dernière fois une mère et une source d’autorité. Pour renforcer ce lien fictif, Yoritsune fut marié avec Take no Gozen, Yoshiko, la seule petite-fille survivante de Masako. Yoritsune était cependant trop jeune pour gouverner, prolongeant le pouvoir de régence de Yoshitoki désormais en pleine lumière. Masako est dès lors surnommée l’ama-shôgun, la nonne-shôgun, exerçant le pouvoir directement en tant que gardienne de l’héritier.

C’est là que se trouve le grand moment qui fait de Masako la reine-mère des guerriers. La crise chez les Minamoto et l’absence de shôgun en titre déclenchèrent la guerre de Jôkyû dès 1221 durant laquelle l’empereur retiré Go-Toba leva une armée dans le but de renverser la tyrannie des Hôjô. Yoshitoki, animal politique impitoyable s’était aliéné les sympathies de ses pairs à Kamakura, le laissant sans alliés. L’Azuma Kagami et d’autres sources postérieures se plaisent à détailler l’intervention personnelle de Masako tançant les guerriers de Kamakura pour leur lâcheté, rappelant les bienfaits et les dettes envers le clan shogunal, se présentant comme la seule dépositaire de l’héritage de Yoritomo. Les gokenins avaient juré service à Yoritomo et ses successeurs en tant que personnes mais c’est à l’institution du bakufu, son oeuvre, que Masako réattacha cette fidélité. Elle apparaît dès lors comme la dépositaire d’un loyalisme nouveau envers le shogunat lui donne la stature d’une femme d’Etat.

Bataille entre les forces shogunales et les partisans de l’empereur Go-Toba lors de la guerre de Jôkyû (Jôkyô Emaki, collection privée, source : Asahi TV)

Sous les ordres d’Hôjô Yasutoki, son neveu, les guerriers de Kamakura remportèrent la victoire contre Go-Toba et la cour impériale fut soumise pour plus d’un siècle à l’autorité de Kamakura et des Hôjô. Yoshitoki décéda en 1224 et Masako prit brièvement les rênes du pouvoir pour éliminer la conspiration d’Iga et assurer la transition de la régence en faveur de son neveu Yasutoki et la cérémonie de passage à l’âge adulte de Yoritsune. Elle décéda en 1226 en tant que matriarche de Kamakura. Il est intéressant de noter que dans certaines sources comme le Kamakura Nendaiki, elle est apparaît notée comme un shôgun de plein droit entre 1219 et 1225, période durant laquelle il n’y eu pas de shôgun en titre.

Même si elle se démarque par l’ampleur de son action, Hôjô Masako n’est cependant pas une exception dans les maisons guerrières. Durant l’époque Kamakura qui s’ouvre les successions chez les guerriers étaient régies par une division équitable des propriétés familiales, généralement dispersées, cette division incluait aussi les filles. Le clan maintenait son unité autour d’une branche aînée de la famille, Honke, qui disposait d’une autorité sur les autres branches et pouvaient les mobiliser en cas de besoin. Les femmes pouvaient assumer la direction de ces branches selon les situations mais pouvaient aussi obtenir des postes à responsabilité dans le bakufu. Le contrôle des provinces se faisait en partie par des intendants de domaines nommés par Kamakura, ces jitô venaient de familles vassales locales (gokenins) et nous avons des cas de femmes jitô nommées par le régent Hôjô.

Hôjô Masako jouée par Iwashita Shima en 1979 dans le Taiga Drama Kusa Moeru offre une représentation contemporaine populaire. Masako est représentée ici en cavalière et en chasseuse, loin de l’image traditionnelle de la nonne-shôgun mais plus proche de l’image de femme de pouvoir forte.

Les sources de l’époque comme l’Azuma Kagami ou le Gukanshô du prêtre Jien vantent ses qualités, la comparant aux impératrices chinoises et japonaises du passé et cette bonne opinion perdura jusqu’à l’époque Edo. Son rôle apparait dans les limites de son rôle en tant que matriarche de clan guerrier : gestion de la maison guerrière, arrangements matrimoniaux et adoptions. Tant que son mari puis son père et son frère furent capables de maintenir leur autorité elle garda une position secondaire bien qu’en étant la source de l’autorité de ses parents. Durant la dernière partie de sa vie elle assuma cependant la position inédite de gouvernante de facto du Japon avec des paravents masculins particulièrement transparents. C’est la raison de l’admiration qu’on lui a porté mais aussi des critiques, nombreuses à l’époque Edo. Masako enfreignait les rôles définis par l’ordre confucéen, c’est la raison pour laquelle la littérature de cette époque accentue particulièrement sur ses défauts et crimes supposés : jalousie, domination de son mari, complicité de meurtre de son fils et d’éviction de son père. A l’époque Meiji elle est critiquée pour avoir encouragé et mené une guerre contre l’empereur légitime, ce qui fut une première dans l’histoire japonaise puisque jusque là seules les rivalités entre samurais ensanglantaient le Japon, laissant à l’empereur sa dignité. Dans ce sens elle est à rapprocher de figures de l’histoire de France comme Catherine de Médicis ou Blanche de Castille.  

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Hino Tomiko, l’anti-Masako

La dynastie Ashikaga

Ashikaga Takauji, fondateur du bakufu de Muromachi

Hôjô Masako reste malgré tout considérée comme un modèle, à la différence d’autres épouses shogunales comme Hino Tomiko. Tomiko fut l’épouse du shôgun Ashikaga Yoshimasa au XVe siècle. A cette époque le bakufu de Kamakura et les Hôjô avaient été renversés depuis longtemps par les Ashikaga qui s’étaient ensuite imposés face à une cour impériale hostile durant la longue guerre civile du Nambokuchô. Depuis près de 60 ans et le règne d’Ashikaga Yoshimitsu, le bakufu de Muromachi avait joui de la prospérité et de la stabilité remise cependant en question par un gouvernement de plus en plus entre les mains de factions seigneuriales opposées dirigées par des clans de vassaux importants : Yamana, Hosokawa etc. Ces rivalités avaient mené à l’assassinat en 1441 d’Ashikaga Yoshinori, le propre père de Yoshimasa et le Japon se retrouvait dans un contexte d’affaiblissement progressif de l’autorité centrale et de guerres féodales locales permanentes.

Ashikaga Yoshimasa, 8e shôgun de Muromachi, fut un souverain sans intérêt pour le pouvoir mais un protecteur des arts. Dans sa villa connue aujourd’hui comme le pavillon d’argent, il élabora la brillante culture d’Higashiyama qui devint la base du développement des arts jusqu’au début de l’époque Edo.

Hino Tomiko vient d’un de ces clans du premier cercle, elle était la cousine de son époux par une de ses tantes, mariée à 16 ans dans une alliance politique. Le but était bien sûr d’exercer l’influence sur le bakufu grâce à la naissance d’un héritier, Yoshimasa lui-même était un personnage peu intéressé par le gouvernement laissant volontiers ses devoirs à ses favoris. Le problème fut que Tomiko ne parvint pas à donner naissance à cet héritier indispensable, ses enfants nouveaux-nés ne survécurent jamais, minant le pouvoir de sa famille sur le shôgun. A la manière de Masako elle y répondit en faisant éliminer les maîtresses de son mari, sur accusation de sorcellerie, faisant le vide sur les éventuelles mères d’héritiers rivaux.

Hino Tomiko ne nous est pas connue par des portraits d’époque comme on peut en trouver pour les hommes. Il existe tout au plus cette statut la représentant déjà devenue nonne à la fin de sa vie. Il ne s’agit pas forcément d’un portrait de son vivant avec des traits précis.

La tension autour de la succession mena à deux évolutions parallèles. D’un côté, l’influence chancelante des Hino mena Tomiko à assumer un contrôle plus fort et inquiet sur les affaires, se melant directement des questions politiques du bakufu en imposant ses décisions au faible Yoshimasa. Parallèlement l’absence d’héritier encourageait les clans rivaux à préparer leurs propres plans alternatifs et à critiquer ouvertement Tomiko pour son infertilité, son autoritarisme et la mainmise de son clan sur le gouvernement.

Guerre de succession

En 1465, Yoshimasa, qui ne rêvait que de se retirer, s’inclina face aux pressions du clan Hosokawa et rappela son frère Yoshimi pour en faire son héritier. C’est pratiquement à ce moment que Tomiko engendra un enfant qui naquit l’année suivante, le futur Ashikaga Yoshihisa. La coïncidence de calendrier était visible et le bruit courrut rapidement que l’enfant n’était pas celui de Yoshimasa. De femme autoritaire elle devint suspecte de trahison et d’infidélité, une liste de crimes qui ne fit que s’allonger pour ses opposants.

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Ashikaga Yoshihisa, le déclin d’une dynastie Le 11 décembre 1465 naquit Ashikaga Yoshihisa qui devint ensuite le 9e shogun Ashikaga. Durant toute l’histoire du Japon une naissance a rarement été autant attendue, ni eu autant de conséquences, que celle du jeune Yoshihisa. Le jeune espoir de la nation, sauveur potentiel de sa maison dut faire face à une époque en pleine transformation.

Il y avait deux héritiers désormais : les Hosokawa soutenaient Yoshimi tandis que les Hino et les Yamana appuyaient l’enfant Yoshihisa. La dispute de succession, entremélée de disputes féodales entre différents clans dégénéra en guerre civile (avec des renversements d’alliance extravagants). A partir de 1476, la guerre d’Ônin ensanglanta le Japon mais plus particulièrement Kyôto où les factions s’opposèrent dans des combats de rue et des assauts urbains pendant plus d’un an, ruinant durablement la capitale. Le palais shogunal fut incendié et Tomiko, comme Masako avant elle, prit le rôle de chef de faction en guerre. Le rôle guerrier étant dévolu à sa famille et ses alliés elle eu pour rôle de garder le shôgun sous sa coupe et de financer l’effort de guerre.

Scène d’époque Meiji représentant l’Ôninki Ôgassen, la grande guerre d’Ônin. Le récit des combats en est horriblement complexe, fait de razzias, de guerres locales, d’alliances renversées. Une succession de combats dispersés tellement fastidieuse qu’à ma connaissance personne n’a souhaité se lancer dans un récit détaillé du conflit.

Elle mena une politique agressive, accaparant les produits des taxes et péages, jouant sur le taux de change du riz et acceptant les pots-de-vin. Ses pratiques permirent au bakufu de fonctionner et de poursuivre la guerre mais elle devint universellement destestée par le peuple qui voyait en elle une accapatrice mais aussi par les guerriers qui méprisaient les manipulations d’argent très en dessous de leur condition. La guerre d’Ônin s’acheva, plus par épuisement des factions que par réelle victoire, mais les guerres locales se poursuivirent dans les provinces où l’autorité du shôgun devenait de plus en plus théorique.

L’entrée dans le Sengoku Jidai

Tomiko avait de son côté affermi son autorité en laissant Yoshimasa prendre son repos si peu mérité et en hissant son fils à la tête du shogunat. Le jeune shôgun était un adolescent actif et pour renforcer son autorité il fut emmené sur tous les champs de bataille pour être présenté comme un véritable maître des guerriers. C’est là qu’il mourrut de maladie à 23 ans en 1489, sans héritier. Pour ne pas réallumer les cendres de la guerre d’Ônin, Yoshimasa fut poussé à redevenir shôgun mais il s’éteignit à son tour en 1490. Du point de vue des Hino, c’était le pire résultat possible, sans mari et sans fils, l’autorité de Tomiko disparaissait purement et simplement, il ne restait plus qu’à négocier un ralliement.

Le pavillon d’argent, le Ginkakuji, fut l’oeuvre d’Ashikaga Yoshimasa pour sa villa où Hino Tomiko résida aussi. l’élegance du lieu, situé en périphérie de Kyôto, contraste avec l’image d’une ville à feu et à sang durant la guerre d’Ônin.

Le fils de Yoshimi, Yoshitane, était par bonheur le fils de la soeur de Tomiko (par un mariage conclu à la fin de la guerre d’Ônin), elle appuya sa candidature « de réconciliation ». Yoshimi, voyant Tomiko rester dans une position de pouvoir, se révolta et incendia la résidence de la douairière, faisant saisir toutes ses terres mais il décéda à son tour en 1491. Yoshitane, le nouveau shôgun, s’appuyant sur les indestructibles Hosokawa, se révolta à son tour contre Tomiko pour venger son père. Yoshitane tenta ensuite de se défaire des Hosokawa, ce qui mena à un renversement d’alliance : Tomiko et les Hosokawa chassant Yoshitane de Kyôto et le remplaçant par un cousin, Ashikaga Yoshizumi en 1493. Plus d’une décennie plus tard, Yoshitane fit son retour en 1508, chassant les Hosokawa avec l’aide des Oûchi mais perdant finalement le pouvoir une dernière fois. L’autorité centrale avait alors pratiquement disparue, ballotée sous la protection des uns ou des autres. Dans les provinces certains daimyôs saississaient des provinces entières pour en faire des principautés autonomes, faisant entrer le Japon dans l’ère des provinces en guerre, le Sengoku Jidai.

Ashikaga Yoshitane fut le premier shôgun sans pouvoir de Muromachi, après son règne les Ashikaga ne furent plus que des symboles entre les mains de seigneurs de la guerre ambitieux capables de récupérer le prestige shogunal à leur profit.

Tomiko quant à elle décéda en 1496 dans cette situation chaotique. Elle est le miroir négatif de Masako. Acharnée à protéger son clan et sa famille comme l’avait fait sa prédecesseure, elle fut brocardée et dépeinte comme une créature vile, avide et cruelle. Cette opinion peut se justifier dans le sens où elle contribua directement à provoquer la guerre d’Ônin qui fut la plus destructrice de toute l’histoire du Japon ancien. Une bonne partie de ce portrait négatif provient cependant d’une propagande véhiculée par ses adversaires mais aussi par son recours à la manipulation monétaire, une faute de goût certaine aux yeux des confucéens et des guerriers. Dans une époque où la circulation monétaire et les échanges étaient plus importants qu’à l’époque de Masako, Tomiko utilisa toutes les armes à sa disposition, de manière efficace si on juge selon des critères contemporains, mais en violation avec son rôle et les principes de sa classe.

Femmes de pouvoir dans un monde en guerre, le Sengoku Jidai

Le Sengoku Jidai est par définition une période d’instabilité, les familles de daimyôs y apparaissent, prospèrent et disparaissent à une rythme soutenu pendant plus d’un siècle. Les plus anciennes familles comme les Hosokawa déclinèrent au profit de leurs subalternes et les batailles conduisirent des générations successives d’une même famille à une mort prématurée. Le domaine seigneurial dépendant en grande partie du charisme et de l’autorité du daimyô, le recours à la famille proche était inévitable et les épouses tinrent une place domestique mais aussi publique unique dans l’histoire du Japon. Elles furent souvent des régentes assurant la continuité dans la lignée de Masako mais on voit aussi apparaître des femmes prendre directement la tête de leur famille en tant que daimyôs, diriger leurs vassaux et combattre.

Les régentes : Jukei-ni

Le blason (mon) du clan Imagawa

Dans la tradition d’Hôjô Masako ces épouses, mères et grands-mères de seigneurs féodaux assumèrent dans leur clan une autorité plus étendue que ce que leur rôle domestiques prévoyait. Cette influence « dérrière le trône » se justifiait le plus souvent par la continuité politique et morale avec un patriarche respecté et époux défunt de la douairière. Son autorité, toujours sous le titre de midaidokoro, était indirecte mais réelle. A la différence de Masako ou de Tomiko on voit cependant certaines de ces régentes adopter des initiatives politiques allant au-delà des questions traditionnelles d’alliances matrimoniales et de succession. Hôjô Masako ne légiféra jamais sur les affaires des guerriers, de même que Tomiko dont les manipulations financières pouvaient rentrer dans la gestion de la maison shogunale. Le meilleur exemple de ce cas de régente régnante se trouverait chez le clan Imagawa dans la deuxième moitié du XVIe siècle.

Les Imagawa sont généralement connus pour avoir été les vaincus de la bataille d’Okehazama contre Oda Nobunaga en 1560 mais cela fait oublier qu’ils ont d’abord été une puissance de leur temps. Ils gouvernaient la province de Suruga (actuelle Shizuoka) mais avaient su s’étendre sur les provinces voisines de Tôtômi et de Mikawa où ils avaient vassalisé les Matsudaira (futurs shôguns Tokugawa). Ils contrôlaient le chemin du Tôkaidô, un des principaux axes du pays d’où ils tiraient des péages et les ressources de leurs trois provinces. Leurs adversaires étaient les Takeda au Nord, les Hôjô à l’Est et les Oda à l’Ouest mais par leurs ancêtres ils descendaient du clan Minamoto et pouvaient prétendre à la charge de shôgun. Le clan était dirigé au début du XVIe siècle par Imagawa Ujichika.

Cette carte réalisée par Parallelpain (reddit) indique l’étendue du domaine des Imagawa et leurs revenus calculés en koku de riz (sur la base d’archives de l’époque Meiji donc probablement supérieur à la réalité de l’époque) comparé aux revenus des Oda (en orange). Kai et Shinano appartenait aux Takeda, Mino aux Saitô et Izu aux Hôjô.

Ujichika fut marié en 1505 à une fille de la noblesse impériale, les Nakamikado. L’alliance d’une famille noble et d’une famille guerrière était suffisamment rare pour être notée et indiquait des ambitions des Imagawa sur Kyôto où ils auraient besoin d’alliés et de relais s’ils devaient un jour y prendre le pouvoir. Nous ne connaissons pas son nom véritable, elle ne nous est connue que son nom religieux pris lors de veuvage, Jukei-ni. Ujichika était un réformateur énergique qui avait entrepris de rationnaliser son domaine : établissement de routes, de marchés, recensement des habitants, nouvelle organisation hiérarchique des guerriers dans une structure plus formelle. Il représente un des premiers exemples de daimyôs se souciant de former une administration locale ordonnée avec des lois locales. Il promulgua le Imagawa Kana Mokuroku, qui fut un des premiers traités de coutumes et de lois à l’attention des guerriers pour réguler leurs actions et leur morale. Cet effort d’organisation correspond probablement au besoin d’organiser trois provinces et rendre plus efficace la gestion des ressources, globalement inférieures à celles de leurs voisins.

Comme beaucoup de femmes de son époque, Jukei-ni n’est connue que par des portraits tardifs, le plus souvent la représentant dans son état de nonne.

En tant que maîtresse de la maison Imagawa, Jukei-ni fut souvent en charge d’appliquer ces réformes au sein de la vassalité et de rendre des jugements au nom d’Ujichika parti à la guerre. En tant que noble, elle imprima aussi sa marque sur le clan en important des pratiques, des modes de Kyôto ainsi qu’un vernis culturel qui devint une caractéristique des Imagawa. Impliquée dans son rôle, c’est elle qui négocia une grande alliance matrimoniale tripartite, le Kôsôsun, entre les Imagawa, Takeda et Hôjô, créant ainsi une paix durable dans le Kantô par des mariages croisés.

A la mort d’Ujichika en 1526, son fils Ujiteru était un adolescent de 14 ans, officiellement majeur mais inexpérimenté. Jukei-ni se nomma sa régente et gouverna à sa place, elle avait alors déjà pris son nom religieux, entrée dans les ordres comme toute bonne veuve de son temps, elle est désignée sous le même terme que Masako, ama-midai mais elle fut parfois qualifiée d’Onna-daimyô (femme seigneur). Elle représenta le véritable pouvoir politique chez les Imagawa pendant 40 ans au travers d’Ujiteru puis de son deuxième fils Yoshimoto et enfin son petit-fils Ujizane. Elle publiait ses décisions et lois sur son propre sceau, parfois sans consultation du seigneur en titre. Concentrée sur le gouvernement civil et à la diplomatie elle laissa la guerre à ses enfants.

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Devenir shogun : portrait de Tokugawa Ieyasu en 5 batailles La plus simple notice biographique vous dirait que Tokugawa Ieyasu est un des personnages clés de l’histoire japonaise, premier shogun d’Edo, Pour beaucoup, même aujourd’hui, Tokugawa Ieyasu assume l’image d’un grand-père de la nation dont les réussites et les vertus seraient à imiter. C’est aussi un homme ayant une très longue vie puisque né en 1543 il s’éteint à 73 ans en 1616.

Elle accueillit probablement elle-même le futur Tokugawa Ieyasu lorsqu’il était otage des Imagawa à Sunpu et le maria avec une fille de vassal pour l’attacher à sa maison. Tokugawa Ieyasu reçut une éducation chez les Imagawa et l’exemple de Jukei-ni l’influença forcément. Au temps de son règne il appliqua de nombreuses règles inspirées du Imagawa Kana Mokuroku dans ses propres territoires. Mais elle assista aussi au déclin de son clan. En 1560, la mort Imagawa Yoshimoto à Okehazama provoqua une crise profonde chez les Imagawa. Affaiblis par les trahisons, ils devinrent la proie de troubles et des appétits extérieurs. Lorsque Jukei-ni décéda en 1568, les Imagawa étaient sur la défensive et sa mort marqua le début de la curée. Privée de leur tête pensante et première diplomate qui avait gouverné pendant presque un demi-siècle, les Imagawa se retrouvèrent dépourvus face à l’imprévu.

Estampe d’époque Meiji représentant la mort d’Imagawa Yoshimoto (en violet à gauche) lors de la bataille d’Okehazama. Malgré la propagande des Oda le représentant comme un efféminé influencé par les nobles de Kyôto, il resta un guerrier jusqu’à la fin et se défendit avant de succomber.

Tokugawa Ieyasu, libéré et restauré dans ses domaines, allié de Nobunaga, avait pactisé avec Takeda Shingen et les deux armées attaquèrent de manière coordonnées. Imagawa Ujizane n’eut d’autre choix que la soumission. Ses terres furent partagées entre ses vainqueurs en 1569. Jukei-ni est l’exemple le plus complet de régente puissante mais elle ne fut certainement pas la seule, elle ne transgressa en rien les règles sociales du Sengoku Jidai. Son rôle s’étendit cependant plus loin que la sphère domestique puisque ses attributions débordèrent sur la diplomatie et la politique interne du clan. Le Sengoku Jidai, période de chaos et d’innovation était singulièrement souple sur les infractions aux rôles sociaux si cela se justifiait par la survie du clan. Il y eu ainsi des femmes seigneur régnantes en leur nom propre.

Seigneures de la guerre : Ikeda Sen et Tachibana Ginchiyo

Princesse guerrière

Blason (Mon) de la famille Ikeda de Mino.

Ikeda Sen était la fille d’Ikeda Tsuneoki, un des principaux vassaux d’Oda Nobunaga. Elle venait donc d’une famille puissante et riche, elle disposait encore de son père et de plusieurs frères en âge de combattre, elle n’était pas dans une situation où elle avait besoin de prendre les armes. Elle reçut pourtant une formation aux armes, principalement à la naginata qui était l’arme de prédilection des femmes car elle permettait d’éviter un corps à corps où la différence musculaire serait un risque. De manière plus étonnante elle devint une experte du tir à l’arquebuse, une arme de prix que l’on ne mettait pas entre toutes les mains. Il faut se rendre à l’évidence, Ikeda Sen aimait probablement se battre et son père, Ikeda Tsuneoki, lui donna une éducation correspondante. De manière générale, si la participation des femmes aux batailles reste mal documentée, leur rôle en tant que châtellaine commandant la défense d’une place au nom de leur mari ou de leur parent fait partie des attributions de leur rôle de femme de famille guerrière. Sen ne se contenta cependant pas de rester au château.

Ikeda Tsuneoki, dérrière lui se trouve una bannière personnelle représentant un sabre avec la poignée en forme de vajra, un instrument rituel du bouddhisme.

A cette époque les filles de clans de samurais n’avaient pas le choix à propos de leur mariage, il s’agissait d’une affaire d’alliance trop importante. Le choix du premier mari de Sen était logique pour l’époque (un vassal fidèle et important des Oda) mais il semble avoir bien correspondu à son caractère. Elle épousa le jeune Mori Nagayoshi qui avait la réputation d’être un combattant acharné au sang chaud. On ne sait rien de leur vie privée mais Nagayoshi ne semble pas avoir empêché sa femme de combattre. En 1582, à la mort d’Oda Nobunaga, Ikeda Tsuneoki participa à la bataille de Yamazaki pour tuer son meurtrier, Sen semble avoir été présente durant la bataille à la tête d’une troupe d’arquebusiers des Ikeda. Par la suite les Ikeda s’allièrent avec Toyotomi Hideyoshi et devinrent encore plus importants. C’est vers cette époque qu’on mentionne que sa fille se vit confier un groupe de 200 femmes-arquebusiers sous le commandement de Tsuneoki, elle participa dès lors aux batailles au service d’Hideyoshi.

Elle fut présente notamment lors de la bataille de Komaki contre les Tokugawa, c’est lors de cette bataille qu’Ikeda Tsuneoki et Mori Nagayoshi furent tués. Le clan Ikeda passa à son frère et Ikeda Sen, devenue veuve, semble s’être émancipée de l’autorité de celui-ci. On sait  d’après le Tôdaiki de l’époque Edo qu’elle fut récompensée par Toyotomi Hideyoshi par des terres d’une valeur équivalente à 10 000 koku, techniquement cela en faisait une daimyô même si elle n’est jamais mentionnée comme telle. Ikeda Sen fut un des rares exemples de femme seigneur régnante et combattante. Son fief lui appartenait en propre ce qui extrêmement inhabituel pour l’époque et va au-delà des exemples vus jusque ici.

Le paravent de Sekigahara, commandé par Ii Naomasa représente la bataille et identifie les diiférentes armées seigneuriales (les Ii en rouge), les Ikeda y étaient aussi présents mais malgré une réputation d’exactitude le paravent laisse plusieurs acteurs dans l’ombre. Les indices indiquent la présence très probable de Sen lors de la bataille mais on la cherchera en vain sur le panneau (Musée du château d’Hikone)

Elle se remaria plus tard avec un vassal des Toyotomi du nom de Nakamura Kazuuji avec qui elle eu un fils. Après la mort d’Hideyoshi les Ikeda et Sen elle-même passèrent du côté des Tokugawa et se battirent lors la bataille de Sekighara en 1600. Sen, à environ 40 ans, fut probablement présente lors de la bataille avec ses arquebusières. Les Ikeda en furent récompensés par le domaine d’Himeji où ils firent construire le célèbre château du héron blanc, devenant ainsi une des familles les plus riches du pays. Ils étaient même qualifiés de « shôgun de l’Ouest » tant Himeji occupait une place stratégique importante. Le fils d’ikeda Sen, Kazutada, fut promu comme seigneur du domaine de Yonago (Tottori). Avec la paix et la majorité de son fils, Sen semble s’être retirée pour devenir une nonne bouddhiste. On suppose qu’elle mourut autour de 1640 à 80 ans. Son cas nous suggère que les sources d’époque se montrèrent discrètes sur le pouvoir de certaines femmes de l’époque Sengoku.

Photographie de la statue d’Ikeda Sen conservée au temple Yotokuin. Là encore la seule représentation que nous avons d’une femme de pouvoir ne la représente qu’une fois âgée et retirée. Il n’y a pas d’autres représentations d’Ikeda en tant que combattante.

Attachée à son foyer

Blason (Mon) de la famille Tachibana dans le Kyûshû (à ne pas confondre avec le clan de la noblesse de cour du même nom)/

L’exemple d’Ikeda Sen peut être rapproché de celui de sa contemporaine, Tachibana Ginchiyo dans le Kyûshû. Les Tachibana étaient un clan vassal des puissants Ôtomo de Bungo avec leur siège dans le château du même nom. Ginchiyo fut cheffe de son clan entre 1575 et 1581. Nous avons un problème sur ces dates puisqu’elle est sensée être née en 1569 mais aussi avoir eu 16 ans en 1575. Gardant cet âge en tête elle fut placée à la tête du clan sur l’insistance de son père Tachibana Dôsetsu, impressionné par ses compétences dans le domaine des lettres et des armes. Il n’était pas rare que les filles de guerriers de cette époque reçoivent une éducation si elle devaient gérer les domaines de leurs époux, un entraînement au maniement des armes, même réduit, était nécessaire ne serait que par auto-défense. Bien que conseillée par son père, on ne peut pas nier qu’elle gouverna réellement son domaine, signant les documents conservés de son sceau et prenant des décisions sur le sort de ses vassaux. Elle recruta des femmes de ses vassaux et d’ailleurs pour former sa prorpre garde, ici aussi spécialisée dans les arquebuses.

Ces arquebuses lui servirent en 1585 lorsque le domaine de Tachibana fut envahi par les Shimazu de Satsuma dans ce qui allait être le prologue de la campagne du Kyûshû. Son père y trouva la mort mais peu après l’intervention de Toyotomi Hideyoshi mena à la soumission des Shimazu en 1587. Ginchiyo n’était cependant déjà plus à la tête du clan Tachibana. Malgré sa volonté que sa fille dirige le clan il semble que leurs vassaux aient été hostiles à l’idée et Dôsetsu fut contraint de rechercher un mari pour sa fille afin d’assumer le rôle de chef militaire, si possible partenaire de sa fille. Takahashi Muneshige, un homme de forte stature fut choisi et se maria avec Ginchiyo qui lui abandonna la conduite du clan.

Ce portrait est attribué à Ginchiyo, elle est représentée en dame de son temps : cheveux détachés tombant sur les épaules, kimonos amples sur plusieurs couches à la manière de la cour impériale. Collection du temple Ryoseiji daté de 1601 et donc contemporain de Ginchiyo.

Pour les actions valeureuses de Muneshige, le clan Tachibana fut récompensé par un nouveau domaine à Yanagawa à échanger contre le domaine des Tachibana. Muneshige devenait un daimyô à part entière indépendant de ses suzerains Ôtomo mais Ginchiyo refusa fermement d’abandonner ses terres traditionnelles. Elle obtint de Toyotomo Hideyoshi de conserver son château et de rester y vivre, se séparant de facto de son époux. Muneshige poursuivit sa carrière militaire jusqu’à sa mort en 1643, sans jamais vivre avec Ginchiyo, ses successeurs ne sont pas des enfants de celle-ci. Même séparés ils n’étaient pas divorcés, en l’absence de Muneshige lors de ses nombreuses campagnes, Ginchiyo assumait la garde du domaine de Yanagawa et de son propre château, conservant un position de commandement auprès des vassaux des Tachibana. Le divorce véritable intervint à une date imprécise avant la mort d’Hideyoshi, quand Ginchiyo entra dans les ordres pour se faire nonne.

En faisant des recherches sur Ginchiyo vous trouverez sans doute cette armure. Elle n’est pas authentique, ce n’est pas même une réplique puisque ses auteurs se contentent d’imaginer ce à quoi aurait pu ressembler une armure féminine du Sengoku Jidai. Nous ne disposons pas d’armures féminines clairement identifiées (étaient-elles seulement différentes de celles de homme?)

Les anecdotes abondent sur le caractère fort de Ginchiyo. Après 1592, alors qu’Hideyoshi résidait au château de Nagoya (près de Fukuoka), il l’invita dans le but d’en faire sa maîtresse mais changea d’avis en la voyant arriver en armes avec sa garde d’amazones. Quelques années plus tard, après la mort d’Hideyoshi, elle montra sa fidélité envers les Toyotomi en défendant Yanagawa face aux armées de Kuroda Kanbei et de Katô Kiyomasa durant la campagne de Sekigahara. Elle était alors officiellement une nonne et ce sont ses consoeurs qu’elle arma pour défendre les terres de son ex-mari. Les troupes de Kiyomasa, lui-même général très compétent furent harcelées par les tactiques de guérilla des nonnes de Ginchiyo. Après la fin du conflit, les Tachibana ne furent pas punis mais perdirent leurs domaines. Ginchiyo reçut même l’estime de Kiyomasa avec qui elle échangea des lettres et qui veilla à son bien être matériel après la confiscation de ses terres.

Katô Kiyomasa avait été un favori de Toyotomo Hideyoshi et le commandant militaire de la campagne en Corée où il lutta avec Tachibana Muneshige. Connu pour sa sobriété et son autorité il rendit un hommage certain à Ginchiyo après avoir lutté contre elle en 1600.

Ginchiyo décéda en 1602 après avoir mener une vie de daimyô combattant mais elle n’était pas techniquement un daimyô ou même à la tête de son clan. C’est une difficulté pour juger le poids de ces femmes de pouvoir du Sengoku Jidai. La multitude des situations défie parfois les classifications. Par exemple, Dame Otsuya, tante de Nobunaga, est parfois considérée comme une femme-daimyô, étant responsable de la défense du château d’Iwamura et bien qu’autonome, elle n’assuma jamais réellement le commandement de son clan, répondant surtout aux nécessités de son temps, si besoin en commandant les guerriers. Cela n’empêcha pas Nobunaga de la faire crucifier avec son fils en 1575 pour sa trahison, contrainte, en faveur des Takeda.

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Un femme daimyô? Ii Naotora

Le blason (mon) de la famille Ii (il existe un blason alternatif mais il s’agit en fait du kanji ii (井) signifiant le puit.

Naotora est un cas à part puisqu’elle est considérée comme un daimyô de plein droit avec l’adoption d’un nom masculin. Selon le récit le plus popularisé, Jirô Hôshi provenait d’un clan mineur, les Ii (ii) de la province de Tôtômi vassaux des Imagawa. Le père de Jirô Hoshi, Naomori, n’ayant pas de fils il prévoyait de nommer comme successeur son neveu Naochika qui aurait dû se marier avec Jirô Hôshi. Naochika était cependant mal vu par Imagawa Yoshimoto qui lui ordonna de se suicider. Le jeune héritier dut s’enfuir, laissant le clan Ii sans héritier.

En 1560, la mort d’Imagawa Yoshimoto à la bataille d’Okehazama entraîna aussi la mort de Ii Naomori mais rendit possible le retour de jeune Naochika. Ce dernier prévoyant de se révolter contre les Imagawa, il fut rapidement dénoncé et assassiné. Le clan Ii se retrouvait de nouveau sous la botte des Imagawa et la direction du clan revint à Naohira, le grand-père de Jirô Hôshi tandis qui durant toute cette période celle-ci vivait en tant que nonne bouddhiste. Naohira fut plus tard empoisonné en 1563 par un rival voisin.

A ce moment la famille Ii n’existait pratiquement plus, il ne restait alors qu’un seul membre mâle de la famille, l’enfant nouveau-né laissé par Naochika. C’est ainsi que Jirô Hôshi fut rappelée de ses ordres et qu’on lui attribua un nom masculin de Naotora par lequel on la connaît. Il faut cependant être entièrement honnête et reconnaître que ce beau récit est essentiellement reconstitué à partir d’une histoire du clan Ii de l’époque Edo. Les historiens contemporains se divisent sur l’existence réelle d’une fille de Naomori et la succession en sa faveur. De nombreux historiens japonais apportent des preuves indiquant que « Naotora » serait en fait un vassal des Imagawa placé comme chef du clan Ii avec ou sans le concours de Jirô Hôshi (nous disposons d’une lettre signée par les deux). L’état du débat actuel tend à imaginer un seigneur masculin issu du clan Sekiguchi héritier du nom accompagnant ou non une femme cheffe de clan mais la question est loin d’être close. La théorie d’une Naotora femme reste cependant la plus diffusée et c’est celle qui peuple la plupart des sources disponibles en ligne.

Onna Joshû Naotora, 2017 Naotora telle que popularisée et désormais implantée dans l’imaginaire japonais. La fiction littéraire supplante la vérité historique depuis déjà l’époque Edo et ne change pas aujourd’hui. Cette Naotora est représentée dans une posture masculine, cheveux coupés courts, un style qui ne repose sur rien de ce que nous connaissons sur les femmes de l’époque.

C’est donc avec quelques doutes qu’il faut croire qu’une femme appelée Naotora resta à la tête de sa famille durant 19 ans. Elle est sensée avoir rompu avec les Imagawa et s’être ralliée aux Tokugawa. Les bonnes relations de Naotora avec Tokugawa Ieyasu assurèrent à sa famille une confiance croissante et la sécurité. En 1574, le fils de Naochika devint officiellement adulte (13 ans) sous le nom de Ii Naomasa. Le clan Ii avait désormais de nouveau un guerrier capable de mener ses troupes et mettre en avant le nom familial. L’essentiel du récit des exploits et des revers subis par Naotora proviennent malheureusement de sources littéraires contemporaines faisant la part belle à la fiction.

Naotora elle-même serait décédée sur ses terres en 1582. Réelle ou pas, les Ii étaient alors devenus des vassaux de confiance. Ieyasu fit de Naomasa son gendre en lui faisant épouser sa fille adoptive en 1584, il devint par la suite l’un des quatre généraux principaux de Ieyasu. Lors de la bataille décisive de Sekigahara en 1600, Naomasa eut un rôle fondamental mais fut mortellement blessé. Ses prouesses militaires firent que le clan Ii continua à prospérer sous le nouveau shogunat d’Edo en tant que seigneurs du domaine d’Hikone qui conserve les traces d’une Naotora.

Ii Naosmasa fut mortellement blessé à Sekigahara en 1600 mais reste le héros fondateur du clan en tant que famille de pouvoir à l’époque Edo. A-t-il été élevé par Ii Naotora?

Le Sengoku Jidai regorge aussi d’exemples d’épouses de daimyôs assumant directement une partie de la gestion du domaine, de la vassalité ou conseillant leur mari. On peut citer l’exemple de Nene / Kôdai-in, l’épouse de Toyotomi Hideyoshi qui fut pratiquement le véritable artisan de la construction du clan Hashiba/Toyotomi en réunissant, éduquant, récompensant certains hommes qui devinrent les piliers du clan Toyotomi. comme beaucoup de femmes de seigneurs, assuma de vastes pouvoirs sur la maison seigneuriale et, dans le cas des Toyotomi, sur leur vaste vassalité. Après la mort d’Hideyoshi elle conserva une importante influence morale au point d’être courtisée par Tokugawa Ieyasu pour obtenir son approbation. Elle s’effaça cependant des affaires politiques en refusant d’assumer la direction de facto du clan en faveur du successeur mineur d’Hideyoshi au profit de la mère de l’héritier. Femme puissante, elle n’assuma donc pas le pouvoir elle-même. Elle est donnée en exemple de la Ryôsai Kenbô (bonne épouse et mère avisée) au point d’être surnommée Hikari no Tenshi (« ange de lumière »). Son exemple peut être reproduit localement auprès d’autres clans importants où les femmes furent des partenaires actives de leurs époux : Maeda Matsu, Hosokawa Gracia, Ô-Ichi (épouse de Shibata Katsuie, soeur de Nobunaga) tout en restant dans les limites de leur rôle.

Nene / Kôdai-in représentée comme nonne après la mort d’Hideyoshi. Elle resta un personnage respecté même après la destruction du clan qu’elle avait contribué à bâtir.

Femmes de pouvoir dans un monde en paix, l’époque Edo

Le retour à l’ordre

Tokugawa Ieyasu

L’établissement du bakufu Tokugawa en 1602 s’accompagna, comme dans beaucoup d’autres domaines, d’une remise en ordre de la société. Cette remise en ordre passait avant tout par le retour à une société où les rôles définis par le confucianisme seraient de nouveau respectés. Parmi ces rôles, celui de la femme était défini par la subordination au père et au mari, bonne épouse et mère avisée économe et soucieuse de l’éducation. Ce modèle ramenait l’action des femmes dans la sphère strictement domestique. Tokugawa Ieyasu lui-même n’avait rien contre les femmes de pouvoir, il fut un soutien de Ii Naotora, respecta Jukei-ni et collabora avec Kôdai-in de leur vivant, mais il concevait leur rôle en tant que régentes et protectrices de leurs clans dans des circonstances exceptionnelles. Dans d’autres cas moins clairs il fut moins tolérant.

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Après la bataille de Sekigahara en 1600 et la défaite d’Ishida Mitsunari, le clan Toyotomi se retrouva restreint à Osaka par Ieyasu. Durant les 15 années suivantes la direction du clan passa alors entre les mains de la dame du château de Yodo, O-Chacha. Cette nièce de Nobunaga (fille d’O-Ichi) et concubine d’Hideyoshi était la mère de son héritier, Hideyori. En tant que mère de l’héritier, elle disposait de l’autorité de la même manière que Masako avant elle, cette maternité lui permit de supplanter Kôdai-in qui, de toute manière, consciente de sa situation, s’était retirée des affaires. Elle ne gouvernait cependant pas seule à la manière des femmes-daimyôs vues plus haut. Elle se servait de l’aide de ses proches, Oda par le sang, elle était conseillée par son oncle Nagamasu (frère de Nobunaga) et son cousin Nobukatsu (fils du même). Elle était aussi assistée par son frère de lait Ono Harunaga. Ensemble ils dirigeaient le château et le clan Toyotomi. Cette direction ne s’accompagnait cependant pas d’une action gouvernementale, Ieyasu s’était accaparé cette partie de l’autorité sur le pays.

Yodo-dono, la mère d’Hideyori

Sa position dominante chez les Toyotomi en fit la rivale directe de Tokugawa Ieyasu. Il est possible que les sources de l’époque Edo aient exagéré son influence politique pour présenter les Toyotomi comme un clan dominé par les femmes et même efféminé. Ieyasu craignait la majorité d’Hideyori, jeune et encore populaire chez de nombreux nostalgiques de son père. Cette opposition culmina avec les deux sièges du château d’Osaka en 1614-1615 et finalement le suicide d’O-Chacha et Hideyori au moment de la chute du château. Bien que restée dans un rôle qui était légitime selon son statut, le personnage de Chacha fut noirci durant l’époque Edo pour en faire un personnage comparable à Hino Tomiko en terme de malfaisance.

La chute du château d’Osaka en 1615

A l’époque Edo, la littérature et les récits historiques se plurent à broder sur son caractère autoritaire et son mode de vie luxueux. Si elle ne gouverna pas seule, elle exerça une réelle influence sur son fils au point de se montrer trop protectrice, empêchant Hideyori de prendre sa place sur le champ de bataille là où il aurait pu galvaniser ses vassaux. Son caractère protecteur envers son fils fut critiqué comme le frein l’ayant empêché de s’affirmer en tant que guerrier et ayant mené à sa fin. De manière plus classique, elle fut criminalisée en faisant peser sur elle le soupçon d’adultère. Elle aurait conçu Hideyori avec un autre, peut-être son frère de lait. Hideyoshi était déjà âgé à la naissance de son fils et physiquement chétif alors qu’Hideyori se révéla puissament bâti mais cela pourrait venir de son grand-père maternel, Azai Nagamasa qui était lui aussi fort.

De manière générale la décennie 1600-1610 marqua la transition entre le Sengoku et Edo et fut marqué par les derniers feux d’une culture moins rigide et plus innovatrice pour les arts dans laquelle les femmes comme Izumo no Okuni eurent leur rôle.

Cette damnation postérieure de sa mémoire correspond évidemment à une propagande pour justifier la destruction des Toyotomi mais aussi à un mouvement général réévaluant de manière négative l’action des femmes dans les clans de guerriers épargnant celles qui avaient âgi en tant que régentes dans les limites de leur rôle traditionnel. Sans jamais effacer totalement les femmes fortes de leurs familles, les clans de l’époque Edo eurent tendance à ne pas les mettre en avant et à laisser leur mémoire sombrer dans l’obscurité. C’est dans la culture populaire d’Edo, avec ses pièces kabuki et ses publications littéraires, que les guerrières et les femmes de pouvoir, trouvèrent un écho. Largement noyées dans un flot d’anecdotes et de légendes inventées pour le besoin d’un récit, elle devinrent des figures fictives mais attractives souvent éloignées du modèle souhaité par le shogunat. Cette production fut ensuite souvent mise de côté à l’époque Meiji qui approfondit encore le rigorisme des Tokugawa en le doublant d’une morale européenne (entendez victorienne). Un bon nombre des exemples développés ici ne furent réellement redécouverts que durant la seconde moitié du XXe siècle par les historiens et les auteurs contemporains de fiction.

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Le bakufu lui-même, dont la succession avait été minutieusement organisée par Ieyasu, ne rencontra jamais la nécessité d’une régente ou d’une châtellaine durant les deux siècles et demi de l’époque Edo. Cela ne signifie cependant pas que les femmes d’Edo n’eurent pas l’occasion d’assumer une partie du pouvoir.

Kasuga no Tsubone, l’éminence grise

Tokugawa Iemitsu, 3e shôgun d’Edo est considéré comme le véritable fondateur de l’époque Edo en tant que gouvernement stable après la période de transition de Ieyasu et Hidatada.

Ieyasu avait eu plusieurs épouses mais aucune ne lui survécut. Son fils Hidetada était marié de manière assez harmonieuse avec O-Eyo, la soeur d’O-Chacha. Leur propre fils Iemitsu eu un mariage arrangé avec la noblesse de Kyôto, son épouse n’eu jamais de réelle influence. Aucune de ces dames du clan n’assuma réellement un poids notable dans les affaires, se bornant à leur sphère privée. La femme de pouvoir la plus connue de la période n’est pas une Tokugawa, Kasuga no Tsubone était la nourrice (Tsubone signifie plutôt « mère nourricière ») de Tokugawa Iemitsu.

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Depuis l’époque Kamakura les nourrices exerçaient une influence importante sur les hommes qu’elles avaient nourries. Minamoto no Yoritomo avait favorisé le clan Hiki dont était issu sa nourrice. Plus tard à l’époque Muromachi, les mères-nourricières conservaient souvent une influence morale et parfois politique. Aucune d’entre elles n’arriva à la cheville de Kasuga.

De son vrai nom Saitô O-Fuku, elle était la fille de Saitô Toshimitsu, bras droit d’Akechi Mitsuhide et petit-fils de Saitô Dôsan, la vipère de Mino. Elle provenait d’un lignage de daimyôs connus pour leur caractère retors mais pratiquement éradiqués pour leur implication dans la mort d’Oda Nobunaga en 1582. Eduquée par des nobles de Kyôto, elle fut mariée à Inaba Masanari qui s’était illustré auprès des Tokugawa. C’est apparemment de sa propre initiative qu’elle divorça de son mari pour proposer sa candidature comme nourrice du jeune Takechiyo, né en 1604. De bon lignage, mariée à un vassal fidèle, éduquée dans les codes de la cour impériale, elle représenta la meilleure candidate et fut acceptée (même si elle fut parfois accusée à l’époque Meiji d’avoir été une maîtresse de Ieyasu pour justifier son recrutement).

Kasuga no Tsubone telle que représentée dans un portrait de 1650, peu après son décès. L’existence d’un portrait en propre à la manière d’un daimyô, indique déjà l’étendue de son importance et la connaissance de celle-ci dans l’opinion de l’époque.

Elle éduqua elle-même le futur héritier du clan Tokugawa en lui apportant les mérites de son éducation aristocratique. Le lien entre Kasuga et Iemitsu fut réellement un lien maternel fort faisant que Kasuga put toujours compter sur l’appui du shôgun sur toutes les questions. Son éducation fut aussi politique en prenant soin d’attacher à Iemitsu d’autres jeunes héritiers de clans de vassaux afin de former autour de lui un groupe de relations qui deviendraient par la suite ses conseillers. Iemitsu dut entrer en compétition avec son frère Tadanaga, le préféré de leur vraie mère, et Kasuga fait partie des acteurs qui lui permirent de l’emporter. Elle alla jusqu’à pétitionner directement Ieyasu peu avant sa mort pour confirmer l’ordre de succession en faveur de Iemitsu et elle ne manqua jamais une occasion de pointer les ressemblances avec le vieux patriarche. Tadanaga fut finalement contraint au suicide et Iemitsu devint shôgun.

Le gouvernement shôgunal reposait sur Iemitsu lui-même et un conseil d’anciens composé des principales familles vassales, les rôjû. Cette administration guerrière rigide ne laissa pas de place aux femmes mais Kasuga no Tsubone fut placée à la tête de l’Ooku, le sérail shogunal où vivait l’épouse et les concubines de Iemitsu. Autrement dit elle était en charge de la partie intérieure du château d’Edo dont elle contrôlait tous les accès, les aspects pratiques et la position de chacun. D’un point de vue hiérarchique elle était l’égale des rôjû.

Plan d’époque Edo du palais Honmaru au coeur du château d’Edo (on peut voir la base du donjon détruit en gris à droite). La partie jaune correspond aux pièces publiques et aux appartements masculins. L’Ôoku est représenté en rose, isolé du reste du palais par des accès restreints. L’endroit occupé par le palais est aujourd’hui une étendue de gazon au sein des jardins d’Higashi-gyoen à Tôkyô.

Ce fut elle qui peupla le Ôoku en nouvelles concubines sélectionnées pour produire l’héritier tant désiré, allant jusqu’à « défroquer » des abbesses bouddhistes comme Eiko-in. Ayant réussi à placer son fils Inaba Masakatsu et son petit-fils adopté Hotta Masamori parmi les membres des rôjû, elle exerça indirectement une grande influence sur les politiques shogunales. Son autorité reposait sur la faveur du shogun mais aussi sur ce réseau étendu de parents et de protégés. Son rôle dérrière le pouvoir masculin en fait une sorte d’éminence grise du début de l’époque Edo. Son poids réel sur les décisions politiques est difficile à cerner, les théories les plus variées courent jusqu’à lui attribuer un rôle dans la fermeture du Japon par Iemitsu, le Sakoku. Elle eu cependant un véritable effet sur les évènements nationaux.

En 1629, Tokugawa Iemitsu tomba gravement malade et Kasuga fit le voyage de pèlerinage jusqu’au sanctuaire d’Ise ppur prier. Elle ne s’y arrêta pas, continuant jusqu’à Kyôto pour demander audience à l’empereur. Son rang était trop bas pour prétendre à une entrevue mais par un artifice elle se fit adopter formellement par une famille noble (celle qui l’avait recueillie enfant). Devenue noble, elle put rencontrer l’empereur Go-Mizunoo qui lui attribua le titre de « Kasuga no Tsubone » et un rang dans la hiérarchie de la cour. L’artifice était cependant grossier et le sentiment d’avoir été forcé par une arriviste soutenue par le shogunat mena l’empereur à abdiquer en protestation. Le fait est que Iemitsu et l’empereur ne s’entendaient pas, depuis 1627 ils s’opposaient sur des questions de préséance et Go-Mizunoo se révélait être un partenaire têtu. L’abidcation de l’empereur porta sur le trône l’impératrice Meishô, fille de l’impératrice Tokugawa Masako, la soeur de Iemitsu. Avec sa nièce sur le trône, Iemitsu exerça un contrôle accru sur la cour impériale et élimina un contre pouvoir éventuellement génant.

Tokugawa Masako ne devint pas une simple concubine impériale mais bien l’impératrice consorte en titre du fait de la pression de son père sur l’empereur Go-Yôzei. Le but était bien de voir la naissance d’un héritier à moitié Tokugawa, si possible d’un garçon. Le plan ne réussit qu’à moitié, l’impératrice Meishô était à moitié Tokugawa mais elle ne pouvait pas transmettre le trône à un fils. Après son règne le trône repassa à une lignée purement issue de la noblesse et le bakufu n’eut plus jamais l’occasion de renouveler l’expérience. Les deux courts ne fusionnèrent jamais.

Lorsqu’elle décéda en 1643 à 64 ans, Kasuga laissa l’Ôoku organisé et stable selon des règles qui perdurèrent ensuite jusqu’au XIXe siècle. Le shogunat fut particulièrement renforcé par le règne autoritaire et agressif de Tokugawa Iemitsu, ce qui ne peut être détaché de son éducation et des réseaux de Kasuga. Son influence était déjà comprise de son vivant : après sa mort il fut décidé que les nourrices allaitantes devraient porter des vêtements noirs et un masque semblable à celui des kuroko (les assistants de théâtre devant rester invisibles) pour éviter de reproduire le lien et l’attachement entre Kasuga no Tsubone et Iemitsu.

Cette estampe de 1880 représente Kasuga no Tsubone repoussant l’attaque de bandits. Elle fut à son tour enveloppée dans les récits inventés par les auteurs de l’époque Edo et de l’époque contemporaine. Ele est représentée parfois circulant en dehors du château d’Edo, épiant et prenant le pouls de la ville (sans que cela soit attesté de quelque manière que ce soit).

Pour le reste de l’époque Edo, suivant les règles strictes du néo-confucianisme des Tokugawa, l’influence des femmes de guerriers dans la sphère publique fut réduite et contrôlée. La fin des guerres civiles avait aussi rendu moins probable le besoin de voir une femme succéder au clan ou de devoir défendre le château. Le rôle féminin revenait dans la sphère domestique et, dans le cas des Tokugawa, dans l’univers fermé de l’Ôoku. Les deux siècles d’histoire de l’Ôoku sont riches en anecdotes d’épouses et de concubines rivales tentant d’exercer le contrôle sur l’intérieur du château avec des répercussions comme l’extérieur. Le scandale Ejima-Ikushima en est un parfait exemple. Il faut cependant attendre la fin de la période Edo pour retrouver des femmes exerçant une influence politique majeure sur les évènements.

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Les dames d’Edo

Tokugawa iesada, 13e shôgun de d’Edo commença son règne précisement alors que le pays était forcé à s’ouvrir sur le monde contraignant le shôgun à mener une politique innovatrice à laquelle il n’était pas préparé.

A l’extrême fin de la période Edo le shogunat était en voie d’effondrement sous le double poids de l’ouverture du pays aux étrangers et la montée en puissance des partisans de la restauration impériale. Le bakufu eu aussi le malheur se retrouver avec à sa tête des shogun soit trop peu actifs, trop jeunes ou trop peu compétents assistés par des conseillers paralysés dans les traditions.Alors q ue l’action du shogunat était souvent contrecarrée à l’extérieur, à l’intérieur du château d’Edo, au sein de l’Ôoku, les changements commençaient à se voir.

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Le shôgun Tokugawa Iesada avait épousé la fille de Shimazu Nariakira de Satsuma, Atsuko. Il s’agissait déjà en soi d’une révolution. Les shoguns se mariaient généralement avec des femmes provenant de la noblesse de Kyôto. L’alliance avec un daimyô, un daimyô tozama qui plus est, montrait le besoin du shogunat de trouver de nouveaux appuis. Iesada devint shôgun au moment même où le commodore Perry força l’ouverture du pays en 1853 et régna jusqu’en 1858. Cette période turbulente s’acheva avec la mort de Iesada et la sélection du jeune Iemochi pour lui succéder. Atsuko (connue aussi sous le nom d’Atsuhime) entra dans les ordres sous le nom de Tenshô-in.

Portrait d’époque Meiji de Tokugawa Iemochi, le 14e shogun d’Edo et le mari de la princesse impériale Kazu

Le développement du sentiment anti-shogunal dans l’opinion, que ce soit chez les daimyôs tozama où toute une classe de petits samurais partisans de l’empereur et hostiles aux étrangers, faisait peser des risques importants sur le clan Tokugawa. Le conseil des rôjû se rallia à l’idée d’abord émise par Ii Naosuke, de former une alliance entre le shogun et l’empereur. Une telle alliance couperait l’herbe sous le pieds des opposants et renforcerait l’autorité des décisions du shogun. Cette alliance, le Kôbu-Gattai, devait être officialisée par un mariage dynastique entre Tokugawa Iemochi et une princesse impériale. La princesse Kazu-no-Miya (Chikako), fille de l’empereur Ninkô (et donc tante du futur empereur Meiji) fut sélectionnée. Un tel mariage était absolument inédit au Japon. Les samurais gouvernaient le Japon mais la noblesse de cour restait d’une naissance bien trop élevée pour prétendre à un mariage. Qu’une fille de clan samurai soit donnée en épouse à un empereur s’était déjà vu (avec les Taira et les Tokugawa) et témoignait déjà de la puissance du clan. Un mariage d’une fille d’empereur à un guerrier était une mésalliance choquante.

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L’empereur Kômei, frère de la princese Kazu refusa et la princesse elle-même menaça de rentrer dans les ordres si on lui faisait subir cette humiliation. Il fallut les efforts d’une partie de la famille impériale et de la cour pour persuader la princesse d’accepter. L’empereur Kômei accepta après avoir reçu l’assurance que le shogunat dénoncerait son traité de commerce avec les étrangers et fermerait de nouveau le pays, une promesse qui ne fut jamais tenue. L’opinion publique fut partagée entre les partisans des Tokugawa enthousiastes et les partisans de l’empereur qui dénoncèrent la souillure imposée à la famille impériale. La princesse Kazu devint pour beaucoup une figure tragique, sacrifiée aux exigences d’un pouvoir tyrannique et envoyée au supplice lors de son transfert vers Edo en 1862.

Estampe représentant une scène de l’Ôoku au début du XIXe siècle. l’Ôoku rassemblait le luxe des guerriers et la culture de cour de Kyôto en mélangeant les rites, les divertissements et l’élégance des périodes précédentes. Le mode de vie de cette cour féminine resta pendant toute l’époque Edo un gouffre financier pour le bakufu qu’aucun shôgun ne parvint à juguler véritablement.

Le trajet prit la forme d’une grande procession fortement gardée pour éviter les éventuelles attaques d’opposants. De nombreuses rumeurs courraient sur la princesse prisonnière et la dureté de ses conditions de détention. La possibilité d’une attaque pour la libérer fut prise au sérieux. En réalité la princesse avait posé ses conditions comme celle de continuer à vivre selon les règles de la famille impériale, de pouvoir retourner une fois l’an à Kyôto et de conserver son titre de princesse impériale. Ce dernier détail permettait à la princesse de rester d’un statut supérieur à son époux. Ils avaient tous deux 16 ans.

A l’opposé des attentes, le couple Iemochi/Chikako fut globalement heureux. Les témoignages de leur bonne entente furent nombreux et rapidement diffusés au point que l’on parla bientôt d’un mariage d’amour. En réalité les deux époux avaient des intérêts bien compris à s’entendre et le shogun Iemochi fit l’effort de respecter le statut supérieur de son épouse et maintenir son style de vie impérial. Tout porte à croire cependant qu’une véritable intimité exista entre eux. La princesse Kazu dut cependant autoriser son époux à conserver une concubine qui était déjà présente. Une seule concubine pour un shogun équivalait presque à de la monogamie pour les standards de l’époque et fut interprété comme un autre signe d’amour entre les jeunes mariés. Enfermée au coeur de l’Ôoku, la princesse dut cohabiter avec Tenshô-in qui disposait encore d’une grande influence dans le château, leurs relations furent orageuses.

Photoographie d’époque Meiji de la princesse Kazu en costume traditionnel de la cour impérial. La coiffure en particulier était très différente de ce que portaient les femmes de guerriers. Elle avait conservé le droit de vivre selon ce style traditionnel au coeur du château d’Edo du fait de son statut bien supérieur à celui de son mari.

Le mariage ne dura cependant pas longtemps, Tokugawa Iemochi décéda en 1865 après 3 ans de mariage. Comme le veut la tradition, sa veuve entra dans les ordres sous le nom de Seikan’in-no-miya. Elle eut cependant un rôle important sur le destin du Japon. Iemochi avait laissé un testament demandant que son cousin Tokugawa Iesato lui succède mais l’urgence de trouver un chef militaire à la maison Tokugawa poussa les rôju à avancer la candidature de Tokugawa Yoshinobu. La princesse Kazu et Tenshô-in furent consultées et appuyèrent Yoshinobu, faisant de lui le 15e shogun. Les deux femmes eurent un rôle direct dans la sélection de Yoshinobu qui liquida le shogunat l’année suivante en 1867 et permettre la restauration impériale de l’empereur Meiji.

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Malgré l’abdication de Yoshinobu, la guerre civile éclata tout de même en 1868 entre les forces Tokugawa et les forces de l’empereur composées entre autres de troupes de Satsuma commandées par Saigô Takamori. Après les défaites répétées des Tokugawa, Saigô Takamori et son armée arrivèrent face à Edo avec l’intention de prendre la ville du shôgun et de l’incendier. Ce qui restait du shogunat était alors représenté par Kaïshû Katsu alors que Yoshinobu se tenait en résidence surveillée volontaire et refusait de s’exprimer. Dans la crainte d’un massacre, Kazu-no-Miya et Tenshô-in purent servir d’intermédiaire entre Saigô Takamaori et Kaïshû Katsu. Takamori, homme de Satsuma, respectait Tenshô-in et en tant que serviteur de l’empereur, révérait la princesse.

Représentation de la bataille d’Ueno en 1868. Ce combat isolé au Nord d’Edo fut le seul affrontement lié à la prise d’Edo. Les samurais des Tokugaa isolés y menèrent leur baroud d’honneur tandis que le reste de la ville passait paisiblement à une nouvelle époque. Le lieu de la bataille est devenu l’actuel parc d’Ueno.

Leurs appels à la clémence furent pour beaucoup dans la négociation d’une reddition pacifique d’Edo et sa transition rapide pour devenir Tôkyô. Kazu-no-Miya décéda jeune en 1877 tandis que Tenshô-in s’éteignit en 1884 après avoir éduqué Tokugawa Iesato, la nouvelle génération placée à la tête du clan Tokugawa soumis à l’empereur. Dernières personnalités fortes du shogunat finissant, Tenshô-in et Kazu-no-Miya sont considérées comme des actrices à part entière de la transition entre l’époque Edo et l’époque Meiji, une époque où le rôle de la femmes allait encore connaître des mutations profondes.

Dame Atsu / Tenshô-in photographiée en 1884, elle était alors la dernière dame de la cour shôgunale encore vivante. Le régime Meiji eu soin de la soigner et préserver pour obtenir sa collaboration dans la gestion des restes de la maison Tokugawa, encore influents, et l’éducation du jeune Iesato.

Douairières, régentes, châtellaines, daimyôs, nourrices ou épouses, les femmes de clans guerriers eurent un rôle actif dans la sphère domestique mais aussi politique et guerrière de leur temps. Ces personnalités fortes s’éloignent des rôles fixés aux femmes de guerriers à leurs différentes époques sans jamais réellement être en rupture hormis durant le Sengoku Jidai lorsque la rupture était la norme. Il ny eu pas de femme shôgun de plein droit mais elles contribuèrent tout autant que leurs pères, maris et fils, à façonner l’histoire du Japon. Elles sont aujourd’hui bien connues des Japonais comme des figures historiques à part entière.

Comme souvent il nous manque des sources en français mais pour un récit général de la place des femmes dans les familles samurais on pourra se référer à Stephen Turnbull, 2012, Samurai Women, 1189-1877.

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