Ashikaga Yoshihisa, le déclin d’une dynastie

Le 11 décembre 1465 naquit Ashikaga Yoshihisa qui devint ensuite le 9e shogun Ashikaga. Durant toute l’histoire du Japon une naissance a rarement été autant attendue, ni eu autant de conséquences, que celle du jeune Yoshihisa. Le jeune espoir de la nation, sauveur potentiel de sa maison dut faire face à une époque en pleine transformation.

Crises et luttes de faction chez les Ashikaga

En regardant une simple notice biographique on pourrait apprendre seulement qu’il était le fils du 8e shogun Yoshimasa, à qui il succéda, mais qu’il mourut jeune à 24 ans. Une vie brève, un règne tout aussi bref lors d’une période qui reste un parent pauvre dans la mémoire collective japonaise. Rien de cela ne transmet pas l’importance et les évènements dramatiques qui furent liés à Yoshihisa dès avant sa naissance.

Ashikaga Yoshimasa

Ashikaga Yoshimasa avait été pour le moins un shogun inefficace, l’histoire retient de lui son détachement des affaires et l’ambiance de désordre croissant durant son règne avec de nombreuses guerres privées entre seigneurs mais aussi des révoltes paysannes et des soulèvements religieux. Son propre père avait été assassiné en 1441 et son frère était mort prématurément, laissant en 1449 Yoshimasa comme suzerain inattendu du puissant clan shogunal Ashikaga. L’autorité que n’exerça pas Yoshimasa était assumée par son entourage au premier rang duquel se trouvaient Hino Tomiko, son épouse.

Tomiko fait partie des femmes fortes de l’histoire des samurais même si sa mémoire est exécrable : ambitieuse, cruelle, manipulatrice des hommes et fauteuse de guerre. Son image a été noircie jusqu’à la rendre responsable des guerres civiles de son temps. Elle était en fait la représentante d’un puissant clan de courtiers très liés à la dynastie, les Hino étaient proches des shogun par les mariages, la mère de Yoshimasa était d’ailleurs une Hino, faisant de Tomiko sa cousine. Femme de pouvoir, elle avait à sa disposition la richesse et l’influence de son clan mais surtout il fallait compter avec ses parents qu’elle plaçait aux postes stratégiques du gouvernement. Tomiko, en tant que femme, ne dirigeait pas cette faction mais la servait en tant membre de la famille tout en l’utilisant pour ses propres ambitions. Elle avait face à elle des rivaux tels que Hosokawa Katsumoto, le vice-shogun (kanrei, pratiquement un premier ministre) qui représentait le plus puissant clan vassal des Ashikaga qui accaparait la fonction de kanrei depuis les origines de la dynastie. Il était lui aussi en position de gouverner sous le règne d’un shogun faible mais était bloqué dans ses ambitions par Hino Tomiko.

Hino Tomiko en tant que nonne, il s’agit de sa seule représentation existante.

Les enjeux d’une naissance

Le pouvoir de Tomiko sur son mari et sur le gouvernement était presque complet. Il lui manquait un élément fondamental : un fils. En tant que mère du successeur, elle aurait pu assurer son pouvoir sur la durée en contrôlant le futur shogun. Sans fils, ses rivaux pouvaient espérer une alternance au pouvoir avec un successeur qui leur serait favorable. Cette naissance devint un enjeu politique. Un premier enfant naquit en 1459 mais décéda rapidement, engendrant la fureur de Tomiko qui exila la presque-nourrice et la poussa au suicide.

En 1464, à 30 ans, Yoshimasa sembla s’être fait une raison et céda aux demandes répétées de ses vassaux de nommer son frère Yoshimi comme héritier. Pour Hino Tomiko, qui était encore dans sa vingtaine, c’était une défaite. Yoshimi lui était hostile et c’était un allié des Hosokawa et autres clans d’opposants. Il lui fallait faire quelque chose.

Ashikaga Yoshimi (à gauche) représenté avec un poème de sa composition dans le Buke Hyakunin Isshû, compilation des 100 poèmes de guerriers les plus connus. Une compilation réalisée sur ordre de son neveu Yoahishisa.

Elle le fit, peu après la nomination fut annoncée une nouvelle grossesse. Les neuf mois d’attente furent une période de tension sourde à Kyôto. L’héritier Yoshimi et ses alliés Hosokawa ne cachant pas leur hostilité tandis que les Hino s’entendaient avec les pires ennemis des Hosokawa, les Yamana, ainsi qu’avec riches Oûchi de l’Ouest. Les bandes de guerriers des deux factions partis en goguette dans les rues de la capitale s’interpellaient et se menaçaient sans cesse.

La guerre d’Ônin

Finalement la naissance d’un garçon en bonne santé marqua la victoire du clan de la future régente. La perspective de l’échec et d’une régence hostile pour plusieurs années fut le déclencheur de la guerre d’Ônin en 1467. Alors que le petit Yoshihisa grandissait protégé, les rues de Kyôto étaient ensanglantées par des attaques et des coups de force opposant Hosokawa et Yamana qui s’étendirent bientôt à tout le pays. Les 10 années de la guerre d’Ônin virent le déclin rapide de l’autorité centrale alors que les guerres féodales, plus ou moins liées au conflit au cœur du pouvoir, se multipliaient dans les provinces.

Scène de la guerre d’Ônin sur paravent.

Cette guerre éprouvante ne s’acheva que par l’épuisement général des participants, sans même un évènement pour en marqué la fin reconnue. En 1473, les chefs ennemis Hosokawa Katsumoto et Yamana Sôzen étaient morts et leurs clans respectifs étaient durablement affaiblis et menacés localement par d’autres clans ou d’autres prétendants ambitieux. Ashikaga Yoshimi, le shogun putatif, se retrouvait en position de faiblesse face à Tomiko, que sa position de mère de l’héritier rendait inattaquable. La même année elle obtint pour son fils de faire son genpuku (cérémonie de passage à l’âge adulte) à 8 ans alors que l’âge normal était entre 13 et 14 ans. Devenu légalement adulte, Yoshihisa fut proclamé shogun. Son père Yoshimasa s’enferma dans sa villa pour y apprécié la poésie et ses loisirs raffinés, poursuivant son attitude générale d’indifférence pour le monde qui l’entourait.

Une paix par lassitude s’établit, pour l’assurer Yoshimi s’inclina en 1475, même s’il reprit rapidement la lutte en trouvant des partisans dans l’Est. Hino Tomiko gouvernait et restait maîtresse des ruines.

L’astre qui se lève

Ce gouvernement fut loin d’être incompétent, Hino Tomiko laissa bien sûr l’image d’une gouvernante sans scrupule mais aussi d’une bonne gestionnaire des finances, elle entretenait de bons rapports avec les milieux marchands de la capitale et de Sakai capable de prêter et de conseiller bien mieux que les guerriers bourrus (c’est l’une des choses que l’histoire, écrite par les guerriers, ne lui pardonna pas). Elle fut aussi acharnée à restaurer l’autorité sur les vassaux des Ashikaga et la hiérarchie féodale. Yoshihisa fut élevé pour devenir un guerrier et un chef militaire, participant très jeune à des campagnes pour soumettre tel ou tel vassal rebelle. Dans l’ensemble son règne personnel promettait le retour d’un pouvoir central fort même si handicapé par des moyens réduits.

Yoshihisa en tant que shogun adulte.

Yoshihisa était alors l’espoir du Japon. On le décrivait alors comme un jeune homme de grande beauté, actif et désireux de gouverner. Son entourage fut enchanté de le voir se détacher progressivement de sa mère trop autoritaire qui s’était aliéné les habitants de Kyôto en les taxant lourdement. Il alla même jusqu’à fuir la résidence de sa mère pour se réfugier chez Ise Sadamune, le chef de son administratuon, avant de s’établir et être le maître chez lui. Les guerriers espéraient ainsi un véritable shogun indépendant de son entourage. Il était aussi un poète accompli, comme son père, il commanda d’ailleurs une célèbre anthologie de poètes guerriers, le Buke Hyakunin Isshû, qui resta une des gloires de son règne.

Yoshihisa remplissait toutes les conditions pour un futur grand souverain, comparé à son ancêtre Yoshimitsu. A Kyôto la confiance régnait même des sources discordantes décrivaient déjà le goût de Yoshihisa pour les abus de plaisirs et surtout de boisson.

Changement d’époque

Le reste du Japon n’attendrait cependant pas le retour de cette autorité centrale. La guerre d’Ônin avait cassé irrémédiablement les anciennes hiérarchies et loyautés, non seulement envers le shogunat mais aussi celle des vassaux pour leur clan, des simples guerrier envers leur maître, des paysans envers leurs maîtres guerriers. On parle de Gekokujo, « l’inférieur renverse le supérieur » ou un état d’instabilité constant permettant des mobilités sociales impossibles à la génération précédente. Le meilleur exemple était alors Rokkaku Takayori, le gouverneur de la province d’Ômi, voisine de Kyôto.

Takayori, maître de sa province, n’hésitait plus à s’approprier les terres des nobles et des temples qui en tiraient leurs revenus. Sa seule justification était le droit du plus fort, ces terres lui appartenaient en propre car il était capable de s’en emparer et de les défendre. Ces usurpations faisant fi de toutes les traditions et coutumes, touchaient les pouvoirs traditionnels de la cour et des temples incapables de se défendre qui demandèrent au shogunat de justifier son existence en assurant enfin l’ordre. Il en serait ainsi pendant plus d’un siècle, réduisant progressivement la noblesse, et même la maison impériale, au dénuement matériel. En 1487, Yoshihisa monta une véritable démonstration de force composée de 20 000 guerriers pris parmi les clans fidèles ainsi que de son armée personnelle. La campagne contre les Rokkaku devait être l’expression du retour d’un shogun fort et guerrier.

La guerre de succession

Mais Rokkaku Takayori n’était pas vaincu, il se retira et mena une longue guérilla, harcelant l’armée shogunale. Yoshihisa se retrouva immobilisé dans une occupation longue de la province sans pouvoir terminer la campagne et retourner à Kyôto. Durant plus d’un an d’inactivité Yoshihisa se désintéressa progressivement de la guerre, il reçut nobles et guerriers pour des fêtes où l’alcool coulait à flot et où le jeune shogun se passionnait pour la poésie. Le gouvernement tomba de nouveau entre les mains de conseillers, de jeunes gens proches de Yoshihisa, ambitieux et incompétents. En 1489, il mourut de maladie mais dans certaines versions celle-ci aurait été causée par sa trop grande consommation d’alcool. Il avait 24 ans.

Comme sa naissance avait été la cause d’une guerre, sa mort fut la cause de la suivante. Le jeune shogun n’était pas marié et n’avait pas d’enfants. La politique engendre parfois des unions étranges, la mort de Yoshihisa força le vieux shogun Yoshimasa à sortir de sa retraite dans le seul but de sélectionner un héritier à son fils. Sa préférence, et celle d’Hosokawa Masamoto allait vers Ashikaga Yoshizumi, un cousin d’une branche parallèle. Les Hosokawa ayant toujours été les principaux rivaux des Hino, Tomiko préféra encore soutenir Yoshiki, le propre fils de son vieil adversaire Yoshimi! Yoshiki était après tout son neveu même si elle posa tout de même comme condition que Yoshimi se fasse moine et lui laisse son fils. Preuve de la puissance de la douairière, c’est elle-même qui notifia à la cour impériale le choix du nouveau shogun.

Ashikaga Yoshiki / Yoshitane

Une fois de plus dépouillé de ses droits, Yoshimi tenta d’imposer sa présence dans les affaires avec le soutien de son fils. Père et fils se révélèrent vite ingérables. Yoshimi mourrut dès 1491, laissant son fils tenter de mener sa propre politique indépendante et s’aliéner les grands vassaux. Yoshiki ne faisait qu’appliquer le programme de Yoshihisa, une guerre à outrance contre les rebelles à son autorité, mais il n’était pas son cousin, sa légitimité était plus faible et il n’avait pas non plus d’alliés et de parents puissants pouvant l’appuyer. Non seulement Tomiko lui retira son soutien mais il se fit une ennemi d’Hosokawa Masamoto et de la plupart des grands clans. La politique mène véritablement à d’étranges alliances, Tomiko et Masamoto menèrent le coup d’Etat de l’ère Meio en 1493. Tandis que les Hosokawa attaquaient et détruisaient les rares soutiens de Yoshiki, Hino Tomiko, forte de son statut de douairière, prenait le contrôle des différents bureaux du gouvernement à Kyôto. Yoshizumi fut finalement nommé shogun et Yoshiki dut se rendre quelques mois plus tard après avoir été militairement vaincu même s’il parvint ensuite à s’échapper et à poursuivre la lutte pendant des années.

La chute de la maison Ashikaga

Ces évènements peuvent être vus comme une guerre de succession résultant directement de la mort de Yoshihisa seulement 4 ans plus tôt. Avec lui c’est le dernier shogun incontestablement légitime qui s’éteignait, après lui les Ashikaga furent divisés entre les deux lignées rivales de Yoshizumi et Yoshiki (devenu Yoshitane). Avec une succession peu claire les fidélités s’éffritèrent, chacun changeant ses allégeances en fonction des intérêts et des évolutions. Hosokawa Masamoto et ses alliés gouvernèrent conjointement en prenant bien soin d’abolir l’armée shogunale (le Hôkôshû) et de ne laisser à Yoshizumi qu’un rôle de représentation. Hino Tomiko elle-même décéda peu après en 1496, laissant une dynastie durablement affaiblie.

Les années suivantes ne sont qu’une succession de victoires et de revers. Hosokawa, Oûchi puis Miyoshi et d’autres encore s’assurant temporairement le contrôle de Kyôto et de la personne du shogun avant d’être évincés à leur tour. Les Ashikaga s’enfoncèrent progressivement dans le rôle de pantins. Yoshiki/Yoshitane et ses successeurs tentèrent régulièrement de reprendre le contrôle de la situation mais leur seule solution était de s’appuyer sur des rivaux du maître du moment sans jamais pouvoir s’affirmer indépendemment. De 1493 à 1473, date du renversement du dernier Ashikaga, le régime shogunal ne représenta plus qu’une coquille vide.

Au-delà même des luttes de pouvoir à Kyôto, le reste du Japon évoluait désormais à un autre rythme que le shogunat. Dès 1491, Hôjô Soûn (apparenté au clan Ise allié des Hosokawa) renversait le gouverneur de la province d’Izu (partisan de Yoshiki) et s’en proclamait seul seigneur par droit de conquête avec le consentement muet de Kyôto. Il fut le premier Sengoku Daimyô bientôt imité par d’autres qui se taillèrent des principautés dans leurs provinces, effaçant toute trace des hiérarchies et autorités traditionnelles. Le Japon entrait alors dans le siècle des guerres civiles du Sengoku Jidai.

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