Les réincarnations du prince Shôtoku

Le prince régent Shôtoku est l’une des figures dominantes de l’histoire japonaise, considéré comme le propagateur du bouddhisme et le premier homme d’Etat du pays, il apparaît aux yeux occidentaux comme un Constantin japonais. On lui devrait des écrits bouddhistes de grande portée mais aussi la première constitution écrite sans parler d’un nombre invraisemblable de miracles. Sous un aspect ou un autre, depuis le VIIe siècle jusqu’au XXIe siècle, il a été un personnage central sans cesse réinterprété. Les débats autour de sa personne entre historiens sont encore aujourd’hui passionnés. De véritables batailles historiographiques nous révèlent combien ce personnage de l’aube du Japon contribue toujours à façonner l’histoire et l’identité japonaise.

目次

Vie, mort et miracles d’un prince japonais

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Luttes de faction et choix de civilisation

Pratiquement tout chez Shôtoku Taishi a fait l’objet de débats passionnés et venimeux à commencer par son nom. Le nom que nous utilisons ne s’est imposé qu’après sa mort et insiste sur son statut de prince héritier (Taishi). Son nom semble avoir été Umayado (« porte d’étable »), un nom qui sonne de manière étrange pour un prince et pour lequel les explications varient. Cela va de circonstances d’une naissance trop rapide à une simple localité proche en passant par la référence à son oncle Soga no Umako (dont le nom comporte le kanji du cheval) chez qui il serait né. On trouvera ainsi Umayado no Miko ou Umayado no Toyotomimi, ce dernier épithète renvoyant à sa capacité à écouter et juger avec sagesse. Ce dernier qualificatif aurait ensuite inspiré Hashiba Hideyoshi dans le choix de son nom noble, Toyotomi.

Tombe à kôfun à Sakai. Le Japon de l’époque de Shôtoku Taishi sortait à peine de la protohistoire, une époque marquée par l’émergence de pouvoirs locaux et parmi eux le royaume du Yamato qui devint par la suite la base de l’empire japonais.

Shôtoku Taishi était le fils de l’empereur Yômei, né alors qu’il n’était que prince, mais il ne lui succéda pas et ne monta jamais sur le trône même s’il gouverna le pays. La succession directe de père en fils n’est arrivée au Japon qu’avec le confucianisme bien après la mort du prince et il était plutôt admis que le souverain précédent pouvait sélectionner son héritier en fonction des intérêts et du pouvoir des factions. A la mort de l’empereur Bidatsu, en 585, les luttes de faction étaient particulièrement intenses.

Au début du VIe siècle, l’empereur Kinmei avait accueilli des moines bouddhistes venus du royaume coréen de Baekje, et leur influence n’avait fait que grandir à la cour. Deux clans s’affrontaient autour de cette question religieuse : les Mononobe étaient un clan puissant attaché aux cultes shintô ancestraux. L’aristocratie se rattachait à des ancêtres divins pris parmi les kami, au même titre que l’empereur lui-même se rattachait à la déesse Amaterasu. Face à eux, les Soga étaient des bouddhistes convaincus. C’était plus qu’une question religieuse, les Mononobe soutenaient une vision traditionnelle de la monarchie où la noblesse, appelés Ô-muraji, disposaient d’une forte autonomie, de terres et d’une grande puissance face à un empereur qui n’était pas fondamentalement différent d’eux. Le souverain n’était même pas encore empereur, le terme de Tennô ne s’est imposé qu’à la fin du VIIe siècle, on peut encore parler de simples rois du Yamato ou Sumera no Mikoto.

Les Soga tenaient pour un modèle de civilisation venu avec le bouddhisme, celui de la Chine avec sa cour centralisée et moderne. Les Soga se voyaient évidemment comme des soutiens du trône, Soga no Iname devait son influence à la faveur impériale qui en avait fait un ministre. Il établit des liens matrimoniaux avec les différents souverains. Shôtoku Taishi était ainsi le neveu du chef des Soga, Umako, par sa mère mais aussi aussi par son père (ses deux grands-mères étaient soeurs, filles de Soga no Iname). La princesse Anahobe, mère de Shôtoku Taishi était une Soga et le jeune prince fut en partie éduqué au sein de la résidence d’Umako, son propre nom serait une référence à celui-ci. Inutile de dire que le prince était lui-même un fervent bouddhiste.

Représentation d’époque postérieur de Soga no Umako.

Le jeu des trônes au Japon

Puisque son père était monté sur le trône, pourquoi Shôtoku ne lui a-t-il pas succédé à sa mort ? Yômei n’avait régné que deux ans entre 685 et 687, il avait accédé au trône avec le soutien des Soga et de la veuve de son prédecesseur Bidatsu (et accessoirement soeur de Yômei). Son règne marquait la victoire temporaire de la faction bouddhiste et sa mort rebattit les cartes, Soga et Mononobe avaient leurs candidats et une guerre de succession éclata. Qui fut le fauteur de guerre n’est pas clair. La version la plus courante veut que les Mononobe attaquèrent les résidences des Soga, tuèrent des nonnes et jetèrent les statues sacrées bouddhistes dans les canaux de Naniwa.

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D’autres versions plus détaillées indiquent qu’Umako, conscient du conflit sur le point d’éclater, fit tout d’abord assassiner le candidat de ses rivaux et les attaqua. Le jeune Shôtoku accompagnait l’armée des Soga lorsque ceux-ci attaquèrent la forteresse des Mononobe sur le mont Shigi. La légende prend la suite : face aux échecs répétés des Soga, Shôtoku Taishi serait allé taillé une image sainte des Shitennô (les quatre divinités gardiennes du bouddhisme) dans un arbre nuride pour la placer dans sa chevelure. Le dieu de la guerre Bishamonten ainsi invoqué aurait donné la victoire aux Soga en foudroyant Mononobe no Moriya d’une flèche (lancée par un certain Tomi no Ichii selon les versions). Cette bataille nous évoque des images de la bataille de Tolbiac ou d’Hastings et elle eut pour les Japonais un impact tout aussi profond.

Estampe d’époque Edo montrant Mononobe no Moriya foudroyé par Shôtoku Taishi.

Les Mononobe vaincus et éradiqués laissaient le champ libre aux Soga. Shôtoku Taishi fonda peu après le temple Shitennô-ji (aujourd’hui à Osaka, considéré comme le premier temple fondé) mais il ne monta pas sur le trône. Le choix de souverain se porta sur le prince Hatsusebe sous le nom de Sushun, demi-frère de Yômei lui aussi lié aux Soga. Il semble là que ce soit le principe d’aînesse qui ait primé. Sushun, plus âge et issu de la génération précédente passa avant le jeune Umayado.

La victoire du Mont Shigi marqua cependant la victoire complète et définitive de la faction bouddhiste et des Soga. Umako régnait alors réellement sur le Japon, ne laissant à l’empereur qu’un rôle de figuration. L’empereur Sushun en conçut un tel dépit qu’Umako décida finalement de s’en débarasser. En 592 il fit assassiner l’empereur dans un guet-apens, il s’agit du seul et unique assassinat d’empereur dans la longue histoire de cette dynastie et il resta impuni.

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Umako plaça sur le trône le veuve de l’empereur Bidatsu, soeur de Yômei et tante de Shôtoku Taishi sous le nom d’impératrice Suiko, la première femme régnante du Japon. Le choix de Suiko peut s’expliquer facilement, cousine d’Umako, fille et épouse d’empereur, ses droits étaient inattaquables. Shôtoku Taishi avait combattu dans la dernière guerre et son accession pouvait être désapprouvée par les anciens vaincus mais surtout Umako évitait de placer un homme sur le trône qui pourrait se retourner contre lui comme avait tenté de le faire le malheureux Sushun. Suiko n’avait cependant pas d’enfants survivants et ne pourrait pas transmettre le trône si elle en produisait (succession patrilinéaire), la succession était donc clairement établie en faveur de Shôtoku Taishi qui devint prince héritier et régent de sa tante sans doute avec l’idée de monter un jour sur le trône.

L’entrée de Shigisan est toujours orné du tigre, référence à l’apparition de Bishamonten pour aider Shôtoku Taishi l’année du tigre à l’heure du tigre.

Un règne qui transforma le Japon

Il n’y eu pas de confrontation au sommet, Shôtoku Taishi et Soga no Umako collaborèrent le reste de leur existence sous le règne de Suiko qui s’avèra une impératrice active. Tout ce petit monde était lié par le sang et la foi, la paix était assurée sous leur règne conjoint. En tant que prince régent Shôtoku Taishi est crédité de la plupart des actions du règne jusqu’à sa mort en 622 mais il faut probablement comprendre que ces décisions furent prises et appliquées avec Umako, le véritable pouvoir militaire et politique avec l’approbation presque entière de Suiko. 

Ce fut un travail immense, le programme était claire : propager le bouddhisme, renforcer le pouvoir central du souverain, établir des liens avec la Chine source de la civilisation.

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Les premiers temples bouddhistes furent construits à cette période, le Shitennô-ji bien sûr mais surtout l’Hôryû-ji en 601 qui existe toujours sous sa forme du VIIe siècle (brûlé et reconstruit une fois, la plus ancienne structure de bois encore debout au monde). Ces temples furent construits avec l’aide d’artisans et d’architectes venus du Baekje dont les rois étaient des alliés du pays des Wa (le Japon) et soutenaient les efforts de propagation du bouddhisme (une pagode semblable à celle du Hôryû-ji est encore visible au temple Beopju-san). Le temple était alors associé au palais voisin de Shôtoku Taishi, l’Ikaruga no Miya.

Porte de l’Hôryû-ji avec sa pagode à 5 étages. Ce temple devint le modèle de tous les temples de la période au VIIe siècle. Il reste le plus ancien bâtiment de bois au monde encore debout aujourd’hui. Le bâtiment actuel a cependant été identifié comme une reconstruction du VIIe siècle après l’incendie de l’original peu après la mort de Shôtoku Taishi.

Ces liens avec le Baekje expliquent aussi la politique militaire du régent qui est sensé avoir envoyé une expédition militaire vers le royaume coréen voisin (et rival) de Silla en 600. Le Silla aurait été conquis mais il semble plutôt qu’il ait payé un tribut pour faire partir ses envahisseurs, une deuxième tentative en 602 ne quitta jamais le Japon par manque d’entousiasme. Toujours tourné vers l’extérieur, Shôtoku Taishi se mit en contact directement avec la Chine de la dynastie Sui. Une lettre de l’empereur chinois avait été adressée au roi des Wa et le prince concocta une réponse historique en 607.

Le Yumedono, bâtiment octogonal consacré à l’interprétation des rêves. Proche de l’Hôryû-ji dont il dépend, il se trouverait à l’emplacement de la résidence de Shôtoku Taishi et contient une statue reprenant les traits du prince.

Cette lettre débutait par « l’empereur du Soleil Levant salue l’empereur du Soleil Couchant » mettant ainsi à égalité l’empereur du Japon et celui de la Chine, une hérésie sur le continent où il n’existait qu’un seul Souverain Céleste régnant sur les petits rois périphériques. C’était aussi la première fois que les rois du Yamato étaient affublés du titre impérial kôtei. Le terme de Tennô (souverain céleste) qui se répandit par la suite semble avoir été pour la première utilisé par Shôtoku puisqu’on le retrouve sur une inscription d’une statut de l’Hôryû-ji datant de son époque. Il n’en faut pas plus pour que certains y voient la naissance du système impérial tel qu’il se développera pleinement aux périodes suivantes. De plus, le terme de « Soleil Levant » était promis à un grand avenir. Soleil Levant, écrit 日本 ou Nihon, reste le nom du Japon aujourd’hui. La même graphie, lue Riben (Ribenguo) en chinois fut transmise aux langues européennes via Marco Polo en se transformant en Cipango, Zipang, Japang, Japan ou Japon. Malgré l’effronterie de la missive les contacts se maintinrent, sans parler des moines faisant le voyage vers le Japon pour l’éclaire de leurs textes sacrés.

Portrait de l’impératrice Suiko, tante de Shôtoku Taishi et première impératrice de l’histoire japonaise.

Shôtoku Taishi, le législateur

C’est que Shôtoku Taishi et Umako avaient besoin que la Chine leur serve de modèle. En 604, ils firent établir le système de Kanijûnikai. Ce système instaurait des rangs de cour établis selon les fonctions au sein du gouvernement dont l’importance était établie par la proximité du souverain. C’était l’établissement d’un embryon d’administration impériale inspirée du confucianisme chinois. Avant cette époque la cour était surtout la réunion de clans aristocratiques dont les positions variaient selon la puissance de leur famille ou la faveur du souverain. Désormais et même si la noblesse gardait tout son pouvoir, il existerait une hiérarchie qui ne devrait rien au lignage mais tout à l’empereur.

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La grandz ozuvez du prince fut cependant la constitution en 17 articles (Jûshichijô Kenpô) fondée sur les principes du bouddhisme et la recherche de l’harmonie. Quand au XIXe siècle la constitution de l’ère Meiji fut proclamée, il n’est pas innocent qu’elle fut intitulée « kenpô », terme qui s’identifia dès lors à une constitution dans son sens contemporain, il s’agissait d’une référence au texte du VIIe siècle, théoriquement jamais aboli. Pour résumer le texte, il s’agit surtout d’une déclaration de principes moraux fondés sur le bouddhisme plutôt que des principes de gouvernement, il proclame cependant l’importance de la volonté impériale : « Quand vient un ordre impérial, obéit avec révérence ». De manière générale des ouvrages comme les chroniques des empereurs (Tennôki) furent compilés pour renforcer le récit du pouvoir impérial et l’administration fit des progrès rapides, établissant les débuts d’une centralisation qui resta l’axe directeur des empereurs pour les deux siècles suivants jusqu’à la fondation de Kyôto et de l’époque Heian.

Sutra bouddhiste recopié par Shôtoku Taishi lui-même et conservé à l’Hôryû-ji comme un trésor national

La tradition lui attribue aussi de nombreux écrits bouddhistes dont le plus connu est le Sangyô Gishô (Commentaire des trois sutras) qui est en fait une compilation. Au sein de celle-ci le commentaire du sutra du Lotus (Hokke-gishô) est sensé avoir été écrit en 617 et serait le plus ancien livre du Japon, le premier à avoir été rédigé dans l’archipel et non importé du continent. Il s’agit aussi matériellement du plus ancien puisque l’original a été préservé par l’Hôryû-ji avant d’être transmis à la famille impériale en 1878. Le texte porte des annotations qui suggère qu’il s’agit d’un commentaire de texte déjà existant qui aurait été importé de Chine par des moines, une partie du texte est copié de textes préexistants mais dans l’ensemble les spécialistes le considèrent comme authentique, si ce n’est original. Aller jusque là déclenche déjà la colère de nombreuses personnes au Japon.

Au-delà des apports théologique les contacts religieux conditionnèrent pour les siècles à venir le bouddhisme japonais. A travers le bouddhisme du Baekje c’est un bouddhisme issu des dynasties du Sud de la Chine qui arriva au Japon. Un bouddhisme que l’on pourrait qualifier d’aristocratique, les moines essayant en priorité de convertir et éduquer les élites et les familles aristocratiques qui leur apporteront protection et soutien dans la conversion des populations. En arrivant au Japon le bouddhisme avait directement tenté de convertir l’empereur et sa cour et y avait réussi avec le triomphe des Soga et de Shôtoku Taishi. Jusqu’à la fin de l’époque Heian, les grands temples bouddhistes restèrent liés à la cour impériale et ses abbés et théologiens furent souvent issus des familles nobles.

Scène de l’attaque de l’Ikaruga no Miya par les guerriers des Soga en 743.

Shôtoku Taishi décéda de causes naturelles dans son palais d’Ikaruga en 622. Sa mort n’apporta pas de changement au gouvernement puisqu’Umako lui survécut jusqu’en 626 et Suiko jusqu’en 628. Après la disparition de l’ancienne génération de nouvelles rivalités apparurent. Fils du régent et héritier, le prince Yamashirô no Oê entendait bien succéder à Suiko mais le pouvoir était désormais bien enraciné entre les mains des Soga. Le fils d’Umako, Soga no Emishi, appuya un cousin, le prince Tamura qui avait épousé da fille, pour devenir l’empereur Jômei. La rivalité entre les deux lignées mena en 643 à l’attaque et l’incendie du palais d’Ikaruga par les Soga pour éradiquer la branche rivale et prestigieuse issue de Shôtoku. Ce fut l’acte de trop dans la longue tyrannie des Soga. En 645, le prince Naka no Oê (futur empereur Tenjin) fit assassiner Soga no Iruka en pleine cérémonie, marquant une nouvelle étape dans l’affirmation du pouvoir des empereurs face à leur noblesse.

Assassinat de Soga no Iruka en 645 de la main même du prince Naka no Oê, futur empereur Tenjin

Shôtoku Taishi eut un rôle important dans les affaires politiques de son temps mais aussi d’un point de vue artistique, religieux et culturel. Son influence aujourd’hui est cependant bien plus importante puisqu’un culte au sens littéral lui est rendu et que les critiques à son encontre ont provoqué débats et même violences jusqu’au XXe siècle. Pourquoi l’ombre du régent s’étend elle ainsi sur des siècles ?

Les différentes incarnations de Shôtoku à travers les siècles

Le prince modèle

Sous les règnes des empereurs Tenjin puis Tenmu et leurs successeurs de l’époque Nara, Shôtoku Taishi fut élevé au rang de grand précurseur et reçut le nom posthume de Shôtoku (première apparition en 751). C’est au VIIIe siècle que les principales chroniques impériales, le Nihon Shôki et le Kojiki furent rédigées. Toutes deux donnent une place de choix à Shôtoku Taishi en insistant sur les signes et les miracles associés à son hagiographie. A la même période fut rédigée sa première biographie hagiographique, le Jôgu Shôtoku Hôo Teisetsu. A l’époque Heian le Shôtoku Taishi Denryaku reprend un grand nombre de mythes déjà existants dans les versions précédentes, chacune de ces versions insistant toujours plus sur les vertus de Shôtoku Taishi.

Statue d’époque Heian (XIIe siècle) représentant Shôtoku Taishi en tant que fonctionnaire de la cour selon le vêtement de l’époque Heian et portant la tablette de bois de sa fonction. Le style est sobre et met l’accent sur la fonction civile du prince.

Dans un de ces récits, le prince écouta dix hommes exposant tous ensemble leur problème et fut capable de leur répondre personnellement à tour de rôle. Dans d’autres versions ce furent huit hommes qui parlèrent l’un après l’autre mais le prince fut tout de même capable de leur répondre à tous sans rien oublier ou confondre. Cet épisode est à l’origine de son surnom de Toyotomimi qui signifierait « qui sait écouter/comprendre » et dans un sens plus large « sage ». D’autres récits rapportent comment il aurait ardemment prié pour la guérison de son père Yômei, montrant ainsi la force de sa piété filiale.

Dans un domaine plus religieux, en dehors de ses fondations de temples, le Nihonshoki rapporte plusieurs actes miraculeux et récits légendaires illustrant les vertus bouddhistes du prince. Le plus célèbre est le récit du mendiant. Ce mendiant aurait croisé le chemin de Shôtoku Taishi qui lui aurait offert à manger, à boire et le couvrit de son propre vêtement. Le lendemain, le prince fit chercher le vagabond, qui fut retrouvé décédé. Enterré avec respect sur l’ordre du prince le corps disparu quelques jours plus tard, ne laissant que le vêtement soigneusement plié que Shôtoku Taishi continua à porter. La sens de l’histoire était que le vagabond était une apparition du moine saint Bodhidharma que Shôtoku Taishi aurait reconnu. D’autres légendes vont jusqu’à attribuer au régent la rédaction de livres prophétiques intitulés Miraiki.

Shôtoku taishi à 2 ans était sensé pouvoir déjà réciter à la perfection des sutras bouddhistes, marque de génie et de piété, un des miracles du jeune prince.

Le point commun de ces récits est de faire apparaître Shôtoku Taishi comme le miroir des vertus de l’aristocrate : lettré (ses poèmes ont été conservé dans la compilation du Man’yoshu), mécène, humble et vertueux mais en même temps actif et attentif à ses devoirs. Ses vertus couvrent le confucianisme et le bouddhisme. Shôtoku Taishi comme héros législateur de la monarchie japonais avait aussi l’avantage d’effacer en partie l’influence de Soga no Umako, usurpateur du pouvoir impérial. Il créait ainsi une génèse à l’Etat centrée sur un personnage de la dynastie impériale. Modèle du prince et de l’homme d’Etat, l’époque Heian le consacra comme l’exemple à suivre pour les empereurs et ses ministres.

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Le saint bouddhiste

On aurait pu croire que l’héroïsation du prince se serait arrêtée avec le début de l’époque Kamakura. Il n’en est rien, malgré l’émergence du pouvoir des shoguns Minamoto, Shôtoku Taishi resta d’actualité. L’empereur à Kyôto conservait une bonne part de son prestige et les shoguns Minamoto, toujours liés à la culture d’Heian, firent leurs ce modèle. Les samurais réinterprétaient aussi le prince selon leurs valeurs. Vainqueur au Mont Shigi, Shôtoku Taishi représentait aussi un chef de guerre compétent avec une réputation de stratége. A l’époque du Sengoku Jidai, Oda Nobunaga et Toyotomi Hideyoshi rendirent un culte à Shôtoku Taishi en tant qu’avatar du dieu de la guerre Bishamonten. Enfin, les shoguns étaient les protecteurs du bouddhisme zen et ils se voyaient volontiers en continuateurs de l’oeuvre religieuse du prince.

L’époque Kamakura alla cependant plus loin avec une véritable déification de Shôtoku Taishi. Le Japon connaissait alors une grande période de ferveur religieuse. Au-delà des grands temples et des ordres traditionnels, qui professaient une vision du bouddhisme plus élitiste et mystique, on vit émerger de nouvelles tendances. Au-delà du zen, favorisé par les samurais, s’éleva aussi le courant amidiste appelé Nembutsu centré sur le culte du Bouddha Amida, le Bouddha sauveur des âmes. Ce mouvement était plus porté sur la croyance religieuse et la foi plutôt que sur l’étude. Les fidèles pouvaient être sauvés par la croyance envers le Bouddha Amida pour accéder à la Terre Pure, un paradis bouddhiste. Cette protection des âmes ne s’obtenait pas tant par les oeuvres que par la croyance pure et simple illustrée par la répétition de la formule « Namu Amida Butsu ». Le moine Hônen fut ainsi à l’origine du mouvement Jôdô tandis qu’un de ses disciples, Shinran, alla plus loin dans sa réforme en fondant le Jôdô-Shinshû (la Nouvelle Terre Pure), un mouvement qui est encore aujourd’hui le plus répandu au Japon. Pour le Jôdô-Shinshû, Shôtoku Taishi fait figure de porteur de lumière au même titre qu’un évangélisateur dans le christianisme, à la fois protecteur et saint pour ses écrits.

Statue de culte de Shôtoku Taishi (XVIe siècle) du Tachibana-dera. Shôtoku Taishi est toujours vêtu en prince mais la position est celle du bouddhisme de même que la tiare, le manteau d’abbé et le sceptre.

Plus précisement Shôtoku Taishi était identifié à Guze Kannon (Kannon étant le bodhisattva de la compassion) qui était salué comme « Wakoku no kyôshû, Shôtoku-ô » (Roi Shôtoku, fondateur spirituel du Japon). Dans les temples du Jôdô Shinshû, la statue de Shôtoku Taishi était exposée aux côtés de celles de Shinran et ses successeurs et des prières lui étaient adressées. Cette vénération connu une expansion, à partir du XVIIIe siècle le prince était exposé aux côtés de Shinran et au XIXe siècle le temple Higashi Honganji de Kyôto lui construisait un autel séparé, le Taishiden où des rites et des prières spécifiques étaient accomplies en son honneur.

Shôtoku Taishi en tant pèlerin avec le bâton et la robe d’abbé. La coiffure correspond à la coiffure du jeune noble d’avant l’époque Heian qui devait laisser pousser ses cheveux et les tenir attachés en deux boucles. A l’âge adulte les cheveux seraient coupés pour former le chignon de l’adulte.

Il faut voir que Shôtoku Taishi servait aussi un propos pour les bouddhistes. Ceux-ci furent régulièrement accusés de professer une foi étrangère au Japon, importée depuis la Chine. Shôtoku Taishi et son oeuvre permettait de « japoniser » le bouddhisme en lui donnant un protecteur dont on faisait une réincarnation de Kôzan Eshi, le maître du fondateur de la secte Tendai. Certains détails de sa naissance et de son enfance étaient même rapprochée de ceux de Sakyamuni, le Bouddha historique, pour en tirer des parallèles. La valeur de ses commentaires religieux fut portée aux nues aussi parce que ces écrits d’un lettré japonaise annoblissaient la doctrine bouddhiste. Encore aujourd’hui les fidèles du Jôdô-Shinsû accordent une place toute particulière au prince Shôtoku dans leurs prières et leur vision de l’histoire du Japon.

Le régicide

Ces attaques anti-bouddhistes marquèrent une partie de l’époque Edo. Le shogunat des Tokugawa avait déjà des raisons de se méfier du bouddhisme qui avait mené à des mouvements militants durant le Sengoku Jidai tel que l’Ikkô-Ikki. Les shoguns se méfiaient de la ferveur religieuse. Ils avaient aussi adopté le néo-confucianisme comme idéologie officielle de leur gouvernement. Hayashi Razan était l’un des grands intellectuels de ce mouvement au service du pouvoir, lui et d’autres décrivaient Shôtoku Taishi en termes sévères. Ils lui reprochaient rien de moins que d’être un régicide ou plutôt le complice des meurtriers de l’empereur Sushun.

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Soga no Umako avait ordonné le meurtre de son souverain, acte unique dans l’histoire japonaise, mais Shôtoku Taishi était déjà dans son entourage à cette époque et ne pouvait pas ignorer les projets de son oncle. Si il les ignoraient, cela ne l’a pas empêché ensuite de collaborer avec le régicide pour gouverner pendant plus de vingt ans. Il était à leurs yeux coupable de régicide par intention pour n’avoir rien fait pour empêcher la mort de Sushun. Par extension la constitution en 17 articles fut critiquée comme un texte hypocrite. Le prince, parti lié à la faction des Soga y dénonçait les divisions de la cour en groupes rivaux qui détournaient de l’obéissance au souverain.

Au XVIIIe siècle les attaques se firent plus virulentes. L’époque voyait l’émergence du kokugaku, les études nationales. Ce mouvement intellectuel cherchait à définir la nature de l’esprit japonais. Pour y parvenir ils entendaient revenir aux sources de la culture japonaise afin d’en trouver les racines. Ils furent les auteurs des premiers commentaires critiques des chroniques de l’époque Heian comme le Kojiki et le Nihonshôki. Le résultat de leurs études mirent l’institution impériale au centre de la nature du Japon. L’empereur, descendant d’Amaterasu, intermédiaire entre les dieux et les hommes, avait existé depuis l’aube du Japon. La famille impériale était ainsi vue comme le fil directeur de l’histoire japonaise. Cette vision de l’histoire japonaise était évidemment hostile aux Tokugawa, guerriers usurpateurs de la légitimité impériale, et le kokugaku est l’une des bases qui mena à la restauration impériale de 1868.

Dessin à l’encre de Kikuchi Yôsai à la fin de l’époque Edo intitulé « Umayado no Miko ». Toute référence religieuse a disparu de même que toute fonction de cour. L’auteur n’a représenté qu’un noble de l’ancien temps dépourvu de son aura.

Le kokugaku reprit les accusations de régicide à l’encontre de Shôtoku Taishi et les doubla avec les accusations anti-bouddhistes déjà existantes. Le prince avait ainsi perverti l’âme japonaise en la contaminant avec des croyances étrangères, il avait aussi commis le crime de s’en prendre à l’empereur légitime. Au début du XIXe siècle, ces penseurs allaient jusqu’à parler de Shôtoku Taishi sous son nom personnel d’Umayado en retirant toute forme honorifique normalement due. Cette vision se perpétua dans les premières années de l’ère Meiji et accompagna la réforme des temples qui prit la forme d’une véritable persécution religieuse anti-bouddhiste. Un slogan comme « Haibutsu Kishaku » (Abolir le bouddhisme, détruire Sakyamuni) était outrancier mais la ligne du gouvernement Meiji qui instaura le shintô d’Etat et rétribua les prêtres des sanctuaires tout en fermant les temples.

Le héros national

En 1888, l’historien des arts Ernest Fenollosa étudiait les oeuvres les plus anciennes du Japon avec Okakura Kakuzô, en partie motivé par les destructions d’oeuvres bouddhistes liées au Haibutsu kishaku (et qui explique que certains trésors du Hôryû-ji sont aujourd’hui conservés au muse Guimet). Il obtint l’autorisation d’étudier un Hibutsu (Bouddha caché) du Yumedono. Ce temple, construit sur l’ancien site du Ikaruga no miya, contenait cette statue restée voilée pendant mille ans mais que l’on disait représentant les traits de Shôtoku Taishi sous la forme de Guze Kannon. Malgré les résistances des moines il fit dévoiler la statue et révéla au monde la beauté archaïque de cette statue encore recouverte de sa dorure, qu’il n’hésitait pas à comparer aux oeuvres de la Grèce ancienne. Fenollosa fut récompensé par l’empereur Meiji lui-même et se convertit au bouddhisme peu après.

Le Guze Kannon du Yumedono tel qu’on peut toujours le voir sur place. La statue était autrefois enveloppée pour rester cachée.

Cette redécouverte et son retentissement accompagna et amplifia un changement d’époque pour Shôtoku Taishi. Fini le traître factieux et superstitieux, il était en passe de devenir un héros national. L’année suivante même la constitution de l’ère Meiji fut promulguée, reprenant le terme employé (kenpô) par la constitution en 17 articles. La nouvelle constitution était ainsi placée dans la continuité historique de celle du VIIe siècle.

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Une histoire politique de l’ère Meiji (1867-1912) Le règne de l’empereur Meiji a été la période de l’histoire japonaise la plus riche en changements que l'on peut résumer en deux mots : restauration et modernisation. Restauration de l’autorité de l’empereur et modernisation (ou plutôt occidentalisation) dans le domaine politique, militaire, économique, social et culturel. L’ère Meiji fut le grand bond en avant du Japon vers la modernité et la reconnaissance internationale. Ses transformations sont aussi à la base d'un régime politique et de pratiques politiques qui vont rester inchangées jusqu'en 1945 et continuent aujourd'hui à influer sur les comportements politiques. Pour comprendre le Japon du XXe siècle il convient de revenir sur les étapes de l’histoire politique de Meiji.

L’empereur Meiji avait compris l’avantage qu’il avait à tirer à accentuer cette continuité. Parmi tous ses modèles Shôtoku Taishi semblait le plus s’approcher de ses intentions. Le prince, selon Meiji, avait été un constructeur d’Etat s’étant inspiré d’un modèle étranger dont il s’était servi pour moderniser le Japon tout en ayant mené une politique extérieure active et ayant posé le Japon sur un pied d’égalité avec la Chine. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour transposer cela au Japon du XIXe siècle face aux puissances européennes. Shôtoku Taishi ainsi une partie intégrante du nouveau roman national. Peu de temps après, en 1895, la victoire dans la guerre sino-japonaise, ne faisait qu’accentuer l’idée que dès ses origines le Japon avait été l’égal de la Chine et que la victoire ne faisait que parachever le rêve (anachronique) du prince régent. La victoire de 1905 sur les Russes validait l’idée de s’approprier la culture et les avancées du continent au bénéfice de l’archipel.

Représentation de l’empereur Meiji entouré par ses ancêtres jusqu’à la déesse Amaterasu et illustrant la continuité impériale

La même année de cette victoire pas moins de 40 articles univeritaires portaient sur Shôtoku Taishi. Les autorités politiques et universitaires encourageaient les études sur Shôtoku Taishi selon les méthodes occidentales de la recherche historique : analyse critique des sources, études des oeuvres, recherche archéologique. Il fallait pouvoir démontrer de manière rationnelle et moderne le poids de l’oeuvre de Shôtoku Taishi. Ces études étaient cependant orientée : il fallait confirmer l’antiquité de l’esprit japonais et sa continuité avec l’empereur actuel. C’est de là que datent les controverses sur la reconstruction supposée (confirmée aujourd’hui) de l’Hôryû-ji au VIIe siècle, sur la parternité littéraire des oeuvres attribuées à Shôtoku Taishi. L’étude de ses supposées expédition en Corée contre le Silla, et sa victoire, servaient aussi de légitimisation de la mainmise contemporaine sur la péninsule qui apparaissait ainsi comme destinée à la conquête depuis les époques les plus anciennes.

En 1921, les 1300 ans de la mort de Shôtoku Taishi prirent la forme de célébrations et de colloques autour du personnage. En 1930, le visage du prince apparut sur les billets de 100 yens, un visage réalisé en reprenant les traits du défunt empereur Meiji. Ce portrait resta sur les billets japonais jusqu’à une époque récente, toujours pour les dénominations les plus importantes.

Billet de 10 000 yens en circulation entre 1958 et 1986

Que faire de Shôtoku Taishi?

En 1939, le Dr. Tsuda Sôkichi fut invité à mener des conférences sur Shôtoku Taishi. Ce savant de renom exposait ses idées selon lesquelles les écrits attribués à Shôtoku Taishi n’étaient probablement pas de sa main. Le Sangyô-Gishô serait dû à des modèles venus du continent et à des scribes de son entourage. La constitution en 17 articles pourrait être une création plus tardive attribuée à Shôtoku Taishi pour la légitimer et les récits du Nihonshôki, beaucoup plus tardifs, ne seraient pas fiables. Chacune de ces thèses était démontrée par des études et des sources solides, un travail qui passe encore aujourd’hui le test d’une revue par des pairs. Le docteur Tsuda n’eut cependant pas l’occasion de les exposer, ses conférences furent systématiquement saccagées par des étudiants ultra-nationalistes pour qui chaque mot du Nihonshôki était une vérité absolue. Le docteur Tsuda fut attaqué ensuite en justice pour crime de lèse-majesté, ses thèses affaiblissant la dignité et la légitimité de l’empereur, il ne fut pas condamné mais démissiona volontairement de ses fonctions de professeur à l’université de droit de Tôkyô.

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Acteur du roman national, Shôtoku Taishi était devenu une nouvelle idôle, cette fois-ci pour le nationalisme le plus obtus tel celui de Minoda Muneki (suicidé en 1946 et gentiment surnommé « Minoda le fou »). Les attaques contre le docteur Tsuda n’étaient que des atteintes contre sa personne, son écriture, sa famille sans qu’aucune de ses thèses ne soit combattue par des arguments raisonnables, une situation qui n’est plus aussi difficile à concevoir. Ces attaques ne cessèrent pas avec la défaite du Japon en 1945. L’occupant américain avait entrepris de purger l’histoire japonaise, en particulier les manuels scolaires, de ses fondements nationalistes. Les écoliers de 1946 allaient à l’école avec des livres caviardés au feutre noir pour en chasser les guerriers, les empereurs et les affirmations de supériorité. Shôtoku Taishi, prince législateur d’une époque ancienne, passa entre les mailles du filet et resta enseigné tel qu’il l’avait toujours été. C’est sans doute aussi pour cela qu’une partie de l’extrême droit japonaise révisionniste s’attacha à sa mémoire comme incarnation de l’esprit japonais.

Le docteur Tsuda fit de nouvelles conférences en 1949, sur le même thème, et fut de nouveau harcelé par les étudiants nationalistes du Nippon Gakusei Kyôkai (association d’étudiants) au point de devoir être évacué de son amphithéâtre et de démissionner de nouveau, encore sous le coup d’une accusation de lèse-majesté. Les étudiants harceleurs étaient liés au Genri-Nipponsha, un groupuscule d’extrême droite (il existe toujours bien que ses membres se soient calmés) dont la composition est intéressante. On y trouve bien sûrs d’authentiques nationalistes nostalgique mais surtout une majorité de membres du Jôdô-Shinshû (ou les deux à la fois) pour qui la critique du prince se doublait d’un blasphème. Ces membres allaient jusqu’à modifier leur « Namu Amida Butsu » en « Namu Sokuko Nippon » (Mère patrie japonaise, protège-nous).

Parallèlement, des intellectuels démocrates tentaient de réhabiliter Shôtoku Taishi. Si l’extrême droite prenait dans la constitution en 17 articles l’ordre de suivre la volonté impériale en toute chose, eux s’appuyaient sur un autre passage du texte faisant de l’harmonie le but suprême de l’Etat. Shôtoku Taishi, homme d’Etat lettré, devenait un pacifiste qui avait recherché la coopération internationale!

Détail du Guze Kannon qui serait le portrait le plus proche dans le temps de Shôtoku Taishi. Détail qui a fait coulé beaucoup d’encre, l’halo entourant la tête est planté directement dans le crâne de la statue d’une manière inhabituelle qui a fait s’interroger les historiens. Certains y on vu la preuve d’une malédiction de l’esprit du prince.

Il existe toujours aujourd’hui une gêne à aborder Shôtoku Taishi, avec la question des origines de la lignée impériale et les influences coréennes, il fait partie des champs de bataille de l’historiographie japonaise. Il continue à être un sujet de passions et de révélations fracassantes. En 1971, Umehara Takeshi faisait avaler leur chapeau aux académiciens en argumentant que le Hôryû-ji avait été rebâti au VIIe siècle pour calmer l’esprit vengeur du prince tourmenté par la mort violente de son fils et de sa lignée aux mains des Soga. La thèse est loin d’être infondée mais elle est totalement sensationnaliste. Dans la même veine les thèses niant l’existance même du prince se sont multipliées (un prince appelé Umayado aurait existé mais toutes ses réalisations seraient des inventions plus tardives) ou faisant de lui un chrétien nestorien (sa naissance à la porte de l’étable serait une allusion à la naissance de Jésus Christ)! Dans un autre registre les relations entre la Chine et le Japon ont aussi leur influence sur ces débats. Quand ces relations vont mal on a tendance à voir apparaître des articles affirmant que les écrits de Shôtoku Taishi ne doivent rien à la Chine et tout à son génie, à moins qu’il n’ait tout copié sur des sources chinoises, cela dépend de l’auteur.

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Comme pour la plupart des grandes figures de l’histoire chacun voit un peu de lui-même en Shôtoku Taishi. Pour les fidèles du Jôdô-Shinshû il est un saint homme, une incarnation de l’esprit japonais pour les nationalistes, un avocat de la démocratie et de la coopération internationale pour d’autres, un dieu de la guerre, un assassin, un poète, un Chinois, un Coréen, un chrétien, un esprit vengeur, un imposteur, un être légendaire etc.

Ishii Kosei, 2006, Why Do Debates About Shôtoku Taishi Get So Heated?

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