Les 10 assassinats politiques qui firent le Japon

Le 8 juillet 2022 l’assassinat de l’ancien premier ministre japonais Shinzô Abe est venu nous rappeler que l’histoire du Japon n’a pas toujours été paisible ou sans danger. Pour le seul XXe siècle le Japon a vu plusieurs de ses premiers ministres tués, sans parler d’autres hommes politiques ou militants. Non, le Japon n’a pas été un endroit de tout repos pour les politiciens. Revenons ensemble sur les assassinats les plus marquants de l’histoire de l’archipel.

目次

L’empereur a été assassiné! (Sushun Tennô)

Année : 582, 4 octobre Lieu : Asuka (probablement) Meurtrier : Yamato no aya no Koma (un serviteur de Soga no Umako).

La tombe supposée de l’empereur Sushun ne se différencie en rien des autres tombes impériales mais nous ne disposons d’aucun portrait ou représentation de cet évènement qui est pratiquement passé aux oubliettes de l’histoire.

Contexte et causes : l’aube de l’empire

Au VIe siècle le Japon n’était encore que le royaume du Yamato et ses souverains n’étaient pas encore des empereurs mais seulement des rois. Ces rois n’étaient pas absolus et devaient compter avec de puissantes familles nobles. A l’époque de l’empereur Sushun le pays était secoué par la rivalité entre les Soga, partisans du bouddhisme venu de Corée, et les Mononobe, partisans des dieux traditionnels. Cette rivalité avait dégénéré en guerre civile à la mort de l’empereur Yômei en 587, chaque camp avançant son candidat au trône. La victoire des Soga avait permit à Sushun, leur candidat, de devenir empereur. Soga no Umako était alors l’homme fort de la cour et les chroniques nous ont laissé de lui une image tyrannique. Il était évident que l’empereur ne devait être que son fantoche. Sushun lui-même ne l’entendait pas de cette oreille et leur relation se détériora rapidement. Sushun commença à réunir autour de lui les mécontents et ne fit pas mystère de son hostilité, allant jusqu’à souhaiter la disparition de son ministre. Ces mêmes signes persuadèrent Umako de devoir frapper en premier.

Mononobe no Moriya est terrassé par Shotoku Taishu avec l’aide du dieu Bishamonten à la bataille de Shigisan, estampe du XIXe siècle.

Le déroulement

Peu avant les évènements l’empereur s’était vu présenté un sanglier tué par des chasseurs. Le souverain aurait alors tiré de ses cheveux son kogai (une épingle à cheveux qui servait à retenir le chignon des hommes selon la mode chinoise) pour percer les yeux de l’animal. Il aurait alors déclarer qu’il souhaitait pouvoir un jour couper la gorge de l’homme qu’il haïssait comme il venait de le faire pour la carcasse du sanglier. Ces mots arrivèrent aux oreilles de Soga no Umako à qui il ne restait plus qu’à prendre les devants. Il organisa une cérémonie destinée à présenter à l’empereur des tributs envoyés par les provinces de l’Est de l’empire. Isolé dans la demeure de son ennemi, Sushun Tennô se mettait à sa merci mais le protocole l’empêchait de refuser. C’est durant cette cérémonie, le 4 octobre, qu’un serviteur d’Umako, Yamato no Aya no Koma, se chargea de la besogne. Il exécuta l’empereur sans autre forme de procès. Nous n’avons pas d’autres détails sur les circonstances précise, le meurtre d’un empereur resta dans les siècles suivants un évènement que les chroniqueurs n’étaient pas pressés de développer. Nous savons cependant que le meurtrier ne profita pas longtemps de la faveur de son maître. Umako le fit exécuter quelques moins plus tard sous prétexte qu’il commettait l’adultère avec sa fille, une concubine du défunt Sushun. Plus de témoins.

あわせて読みたい
Les 5 plus importantes batailles du Japon ancien L’histoire du Japon est marquée par les guerres civiles, les batailles de samurais furent nombreuses et certaines ont laissé leur marque dans le mythe national japonais : Okehazama, Nagashino, Kawanakajima. Quelques batailles furent cependant des tournants fondamentaux qui modifièrent profondément l’histoire du Japon et sont considérées aujourd'hui comme des points de repères majeurs. Les quelques batailles présentées dans cet articles ont en commun leur impact durable sur le Japon dans son ensemble.

Conséquences : pourquoi Sushun a été le seul empereur assasiné?

A la mort de Sushun sa demi-sœur Suiko fut portée sur le trône, la première femme empereur de l’histoire japonaise. Son rôle devait d’apaiser les passions après le scandale de l’assassinat de l’empereur et reporter à la génération suivante le choix d’un nouveau souverain. Les Soga pendant ce temps gouvernèrent d’une main de fer le royaume du Yamato.

L’empereur du Japon actuel est le 126e porteur du titre depuis la fondation mythique du Japon. Sur une durée aussi longue on pourrait s’attendre à voir mentionnés plusieurs assassinats de souverains, ne serait-ce que par un héritier pressé mais Sushun fut le seul et unique cas (si on excepte quelques de morts suspectes mais jamais prouvées). Ce ne fut cependant pas la seule mort violente chez les empereurs puisqu’un siècle plus tard le jeune empereur Kôbun se suicida en 672 après avoir été vaincu par son oncle, et successeur, Tenmu. C’est là aussi un cas unique dans les annales impériales mais très différent puisque Kôbun n’avait pas été intronisé empereur (en fait il ne fut reconnu empereur légitime qu’au XIXe siècle).

Pourquoi si peu d’empereurs assassinés ? Il y a bien sûr le respect religieux pour la lignée impériale et son ascendance divine, qui s’est affirmée au fil de siècles mais était encore peu développée à l’époque de Sushun. Cela ne suffit pas pour tout expliquer. Sushun a été assassiné car il était un danger pour les Soga et Kôbun se suicida après avoir été vaincu dans ces luttes. En cela ils diffèrent de la majorité des empereurs. Durant la presque totalité de l’histoire de la famille impériale les empereurs ont été privés de pouvoirs. Si on excepte le début de l’époque Heian et ses empereurs forts, le Tennô ne fut le plus souvent qu’une figure symbolique et religieuse. L’empereur n’avait pas d’armée à lui, pas de ressources indépendantes, pas de relais de son autorité dans les provinces. A l’époque des shoguns et des samurais l’empereur était tout simplement inoffensif et pouvait même être utilisé pour justifier l’autorité des différents régimes guerriers. Il suffisait pour cela de le contraindre par la force ou par l’argent (au XVIe siècle les empereurs étaient pauvres). Au pire un empereur récalcitrant pouvait être forcé d’abdiquer et 59 d’entre eux, en n’incluant pas l’empereur émérite Akihito, ont abdiqué. Aucun shogun ne songea à renverser l’empereur pour se mettre à sa place car cela n’avait pas de sens, le titre était lié à une lignée biologique et ne couvrait que des devoirs religieux et rituels, qui aurait voulu de cela ? Autant laisser l’empereur dans son palais d’où il ne pouvait pas nuire.

Reconstitution du palais impérial d’Asuka tel que les archéologues et les sources littéraires peuvent nous l’indiquer. La salle d’audien se trouvait dans l’axe de la porte au Nord.

Qui vit par le glaive périra par le glaive (Soga no Iruka)

Année : 645 (incident d’Isshi), 10 juillet. Lieu : le palais impérial d’Asuka. Meutriers : le prince héritier Naka no Oê et ses complices

Le prince Naka no Oê décapite Soga no Iruka au coeur du palais. L’impératrice est montrée en haut à gauche se réfugiant dans ses appartements.

Causes et contexte : la revanche des empereurs

La tyrannie des Soga s’était affirmée après l’assassinat de Sushun et surtout depuis la mort du régent Shotoku Taishi en 622. Les Soga étaient puissants et arrogants, en particulier Soga no Iruka, le petit-fils d’Umako. Ils se firent beaucoup d’ennemis et ceux-ci plaçaient leurs espoirs dans le fils du régent, le prince Yamashiro pour s’opposer aux Soga. Soga no Iruka voyait le danger présenté par une succession impériale en faveur de Yamashiro et il fut tout aussi radical que son grand-père. En 643, il fit attaquer le palais du prince massacrant sa famille et ses serviteurs, le prince fut contraint au suicide. Le palais se trouvait sur l’emplacement actuel du temple Hôryû-ji, près de Nara, qui avait été constuit par le prince Shotoku, le père de Yamashiro. Iruka avait imposé de nouveau la tyrannie de sa famille mais le fait d’avoir, encore une fois, versé le sang impérial, devait se payer. Il faut y voir une évolution du prestige religieux des empereurs qui durant la régence de Shotoku Taishi s’étaient élevés au rang de souverains bouddhistes et sacrés. Le fils de l’impératrice régnante Kyôgoku, le prince Naka no Oê commença donc à préparer un coup d’Etat contre les Soga.

Portrait du prince régent Shôtoku Tiahsi accompagné de son fils, le prince Yamashiro, victime de l’ambition de Soga no Iruka.

Déroulement

Le prince, aidé par ses alliés du clan Nakatomi, commença par recruter des gardes fidèles du palais. En grand secret il fit cacher des armes dans la grande salle d’audience du palais. Le plan était de tuer Iruka lors d’une cérémonie officielle pour ensuite le dénoncer et éliminer les restes de son clan. Le moment avait été choisi car Iruka aurait alors laissé ses gens et ses gardes en dehors de la salle d’audience et serait sans défense. Il ne devait qu’être entouré d’hommes fidèles au prince. Le 10 juillet 645, tout ne se passa pas comme prévu. Le moment venu les gardes n’osèrent pas passer à l’acte, ils avaient tout de même l’homme le plus puissant du pays. Les chroniques du VIIIe siècle racontent que le prince dut lui-même attaquer et blesser Iruka. Celui-ci se pressa vers l’impératrice Kyôgoku pour implorer sa protection tandis que Naka no Oê déclarait ses accusations. L’impératrice, choquée par le sang versé devant elle et par l’acte de son fils préféra se retirer dans ses appartements voisins, laissant Iruka face à son destin. Il fut décapité, son palais fut ensuite attaqué et son père, Soga no Emishi, se suicida.

La tombe mégalithique d’Ishibutai près d’Asuka est généralement identifiée comme le tombeau jamais terminé de Soga no Iruka ou l’un des membres de sa famille.

Conséquences : l’affirmation du pouvoir impérial

Reconstitution de la salle d’audiences du palais de Nara. C’est là que les successeurs de Tenji installèrent la première capitale permanente du Japon. Marquant ainsi le passage à une monarchie forte sur le modèle chinois.

L’élimination des Soga représenta un tournant dans les équilibres à la cour des rois du Yamato mais il fut bien plus que cela. Tuer un homme dans l’enceinte sacrée du palais, faire couler le sang en présence de la souveraine rendait la cou impure et pouvait en faire la cible des mauvaises influences spirituelles, sans parler de la vengeance des défunts que le Japon ancien prenait très au sérieux. Le palais avait été rendu impropre au gouvernement, toute décision prise dans ce lieu était assurée d’avoir des influences néfastes. L’impératrice elle-même se considéra comme souillée, incapable de poursuivre les rites de la cour en ayant été contaminé par le sang. Le Japon ancien avait des interdits très stricts concernant les fluides corporels et le sang en particulier. Kyôgoku abdiqua le lendemain même du meurtre, le Yamato n’avait plus de souverain. Le prince Naka no Oê, meurtrier public mais introuchable du fait de son rang, refusa de prendre la succession, se considéra lui aussi comme impur. On sélectionna à la hâte le frère de l’impératrice pour devenir l’empereur Kôtoku. Ce n’est que plus tard qu’il monta sur le trône en tant qu’empereur Tenji. L’un des premières décisions du nouveau souverain fut de déplacer la capitale vers un nouveau site.

Représentation au XIXe siècle du prince Naka no Oê avant son accession au trône. L’estampe est accompagnée d’un poèe attribué au futur empereur.

Malgré ces remous inattendus le meurtre de Soga no Iruka permit à la famille impériale de se libérer de l’influence des grandes familles et d’imposer ses volontés durant plus d’un siècle. Tenji et ses successeurs purent dès lors construire l’Etat japonais fort sur le modèle chinois dont ils rêvaient. A partir de là le Japon sortit de la simple monarchie pour se doter de codes de lois, d’une hiérarchie et d’un véritable Etat pour devenir l’empire japonais. Le successeur de Tenji, son frère Tenmu fut le premier à se parer du titre de Tennô. C’est sous son règne que furent compilées les chroniques qui racontèrent la mort de Sushun et celle des Soga. Ces derniers furent dépeints comme des usurpateurs d’un pouvoir sacré par essence fondé sur les dieux traditionels mais aussi la doctrine confucéenne. L’empereur n’était plus un premier entre les pairs mais un être par nature différent des nobles et donc intouchable. La mort de Soga no Iruka pava la voie vers l’absolutisme impérial de l’époque Nara.

あわせて読みたい
La famille impériale japonaise : petits scandales autour du trône du chrysanthème En presque 15 siècles la lignée des empereurs japonais donne l’impression d’une succession sans interruption et sans difficultés. Peu importe la personnalité de l’empereur, l’institution garde toujours sa dignité et son caractère sacré. Cette image lisse de la dynastie japonaise a surtout la création des hommes de l’époque Meiji et de leurs successeurs. L’institution impériale, incarnation de la nation, devait apparaître digne, inattaquable, éternelle. Le trône du chrysanthème a bien sûr eu ses heures de gloire mais aussi ses heures sombres... et quelques scandales. Tous les empereurs n’ont pas été des idôles intouchables pour leurs sujets, certains ont même eu des fins pathétiques. Abandonnés, fous, séduites, réduits à la mendicité, empoisonnés ou cachés, voilà quelques uns de ces destins impériaux.

Affaires de famille (Minamoto no Sanetomo)

Année : 1219, 12 février. Lieu : Sles marches dy sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu (Kamakura). Meurtrier : Kugyô (moine bouddhiste et neveu du shogun).

Le meurtre su shogun Sanetomo eu lieu en bas des marches menant au sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu de Kamakura. L’arbre qui cachait le meurtrier a survécu jusqu’au début du XXIe siècle. Le lieu précis est entouré sur cette photo par une corde shintô Shimenawa.

Causes et contexte : la naissance d’un nouveau régime

Minamoto no Yoritomo, premier shogun de Kamakura et père des deux shoguns Yoriie et Sanetomo, tous deux assassinés.

La période Heian avait fut l’apogée de la puissance des empereurs puis leur déclin. A leur place la cour et les nobles régnèrent et firent du souverain une figure sans pouvoir. Au IXe siècle émergea dans les provinces une nouvelle caste sociale, celle des guerriers. Les samurais y prirent de l’importance jusqu’à devenir ensuite les auxiliaires de la cour. Ils finirent en fin de compte par prendre le contrôle de la cour impériale après la guerre d’Heiji (1160). Le Japon était alors dirigé par Taira no Kiyomori qui plaça les guerriers au sommet d’une nouvelle hiérarchie sociale. La cour encouragea le clan rival des Minamoto à s’opposer à Kiyomori. Les Minamoto finirent par l’emporter en 1185 à la fin de la guerre du Gempei. Le chef des Minamoto et seigneur de Kamakura, Minamoto no Yoritomo, se fit nommer shogun et instaura pour la première fois un régime politique des guerriers, le bakufu, qui neutralisa et marginalisa l’ancienne cour impériale.

Le Japon était alors tenu d’une main de fer depuis Kamakura par Yoritomo. Celui-ci mourut cependant d’une chute de cheval en 1199. Son successeur était le jeune Minamoto no Yoriie qui fut nommé shogun sous la régence de son grand-père maternel Hôjô Tokimasa. Le jeune Yoriie voulut très vite se débarrasser de cette tutelle en s’appuyant sur la famille de sa femme, les Hiki. Tokimasa répondit de manière violente en faisant déposer Yoriie et exterminer les Hiki dans l’attaque de leur manoir en 1203. Dans l’incendie de la demeure des Hiki périt le jeune Ichiman, le fils de 5 ans de Yoriie. Le shogun déposé fut envoyé en exil en Izu puis discrètement assassiné en 1204 sur ordre de Tokimasa. Cette débauche de violence provoqua la rupture entre Tokimasa et sa fille, Masako, veuve de Yoritomo et mère de Yoriie. Avec l’aide de son frère Yoshitoki elle déposa Tokimasa et imposa son deuxième fils, Sanetomo, comme 3e shogun Minamoto.

L’histoire familiale était alors déjà assez complexe mais nous sommes loin du compte. Yoriie, laissait deux enfants survivants, une fille et un fils. Ce dernier fut envoyé dans un temple pour devenir moine bouddhiste et l’éloigner des luttes politiques, avec le temps il fut ordonné sous le nom de Kugyô. Le jeune Kugyô vécut pour voir les Hôjô et son oncle Sanetomo gouverner à la place de son père. Il semble que son ressentiment fut alors entretenu par un autre clan rival des Hôjô, les Miura. Avec le temps il se persuada de la culpabilité de Yoshitoki et de sa grand-mère dans le meurtre de Yoriie. Kugyô pensait être le shogun légitime et que la mort de Sanetomo et Yoshitoki ferait naturellement de lui le nouveau chef des Minamoto par droit de naissance.

あわせて読みたい
Généalogies japonaises (2) : les Minamoto et la naissance des samurais Les Minamoto furent la première famille à s'imposer comme dictateurs militaires du Japon face à l'empereur et maîtres de tous les guerriers. Sur les trois dy...

Le déroulement

Minamoto no Sanetomo, 3e shogun de Kamakura, assassiné par son neveu Kugyô.

Le 12 février 1219, Sanetomo descendait le grand escalier du sanctuaire de Kamakura, le Tsurugaoka Hachimangu, après une cérémonie officielle. Il était seul car le régent Yoshitoki avait été empêché. On était en hiver le froid régnait sur la ville. Le grand escalier du sanctuaire existe encore aujourd’hui et on y trouvait un très ancien arbre ginko au tronc épais. Cet arbre existait encore à la fin du XXe siècle jusqu’à ce qu’il meurt de maladie. C’est dérrière cet arbre que Kugyô s’était dissimulé, des témoins racontèrent par la suite que le jeune moine avait tenté de masquer son identité en cachant ses vêtements de moine. Au passage du shogun et de sa suite, Kugyô surgit de sa cachette, se rua vers son oncle et le tua d’une coup de sabre. Il tua aussi un compagnon qu’il pensait être Yoshitoki car son projet était d’éliminer aussi le véritable pouvoir, les Hôjô tant haïs. Après avoir commis sont forfait il s’enfuit et se réfugia autour de Kamakura dans une masure abandonnée. Il fit ensuite passer un message à ses alliés Miura pour indiquer où il se trouvait. Il pensait qu’en profitant de la mort de Yoshitoki ses alliés Miura en profiteraient pour le soutenir dans ses prétentions et neutraliseraient les Hôjô privés de chef. Il s’attendait à ce que les Miura viennent le récupérer pour le proclamer shogun. En réalité ils le dénoncèrent au régent Yoshitoki toujours bien vivant. Des hommes furent envoyés pour le capturer et le dernier des Minamoto fut piteusement exécuté sur le bord d’une route enneigée.

Conséquences : La chute de la maison Minamoto

Le meurtre de Sanetomo représenta une catastrophe et un nouveau départ. D’abord une catastrophe car il était le dernier membre survivant du clan Minamoto, avec lui et Kugyô la lignée biologique s’éteignit, provoquant une crise de succession. Les Hôjô gouvernaient mais ils avaient besoin d’un Minamoto pour que leur autorité soit acceptée des samurais. L’absence de pouvoir clair encouragea la cour impériale de l’empereur Go-Toba à relever la tête et provoqua la guerre civile de Jôkyû qui manqua de peu de détruire le shogunat. En 1226 finalement, à la fin de la guerre, Yoshitoki obtint que le noble Kujô Yoritusne soit théoriquement adopté dans la famille Minamoto pour devenir shogun, il épousa la sœur de Kugyô, la dernière Minamoto. Les Hôjô avaient vaincu l’empereur et cette victoire les justifia aux yeux des gokenin, les vassaux des Minamoto. La fiction de l’adoption du nouveau shogun permit à ces mêmes gokenin d’accepter le gouvernement des régents Hôjô. Les Hôjô furent de bons gouvernants fondant leur gouvernement sur la conciliation et non la violence, ils purent instaurer un gouvernement stable loin des querelles familiales des Minamoto.

Comme pour l’empereur, la fonction de shogun fut vidée de tout pouvoir réel au profit du régent. Le gouvernement Hôjô assura un siècle de paix et de prospérité au Japon. Contrairement à l’empereur un shogun n’était pas un être sacré irremplaçable. Deux conditions lui permettaient de régner : il fallait être plus fort que ses adversaires et être d’ascendance Minamoto. Autrement dit, rien n’empêchait de remplacer un shogun tant que l’on avait le bon pédigrée. Pouvoir militaire par essence le shogunat pouvait se conquérir et se perdre. Il y eut cependant peu d’assassinats de shoguns car la plupart du temps les choses se réglaient par une guerre et par le suicide du perdant. Dans le meilleur des cas il pouvait entrer dans les ordres comme ce fut le cas du dernier shogun Minamoto en 1333. La chute de la maison Minamoto donna aussi naissance à une idée proche de l’hybris grecque qui voulait voir dans la fin, digne d’une tragédie grecque, de cette famille le prix de ses nombreux crimes. Les assassinats de Yoriie et Sanetomo (ainsi que Kugyô) relèvent cependant plus des disputes de familles régnantes que de luttes politiques.

La voie vers le chaos (Ashikaga no Yoshinori)

Année : 1441, 12 juillet. Lieu : Kyôto, demeure des Akamatsu. Meurtrier : Akamatsu Noriyasu (fils du shugô, gouverneur, Akamatsu Mitsusuke)

Le célèbre pavillon d’or de Kyôto n’est autre qu’un pavillon de l’ancienne résidence du shogun Ashikaga Yoshimitsu qui régna lors d’un des apogées artistiques du Japon

Causes et contexte : Un homme fort pour des temps difficiles

En 1333 les régents Hôjô furent renversés et rapidement remplacés par le nouveau shogunat dirigé par les Ashikaga. La nouvelle dynastie dut cependant s’imposer après de longues guerres féodales contre les familles rivales mais surtout contre la tentative des empereurs de reprendre le pouvoir entre leurs mains. Il fallut attendre un demi-siècle et le règne du troisième shogun Yoshimitsu pour voir le Japon retrouver la paix. Le pouvoir des Ashikaga était cependant d’une nature différente de celui des Minamoto et Hôjô. Le régime de Kamakura dirigeait une hiérarchie militaire plus rigide et stable tandis que les Ashikaga faisaient face aux clans de shugô (gouverneurs) pratiquement autonomes et ne reconnaissant que difficilement une autorité centrale. C’était la période du Gekokujo où le supérieur pouvait être renversé par son inférieur dans un retournement complet par rapport aux traditions de Kamakura. Pour beaucoup de ces gouverneursle shogun n’était que le premier entre les pairs. Yoshimitsu n’avait pas d’autres solutions pour imposer son autorité que de jouer sur l’équilibre des forces en s’alliant contre les familles les plus puissantes, jalousées par les autres. Diviser pour régner mais surtout pour maintenir un équilibre entre ces clans et le shogunat. Cela revient à dire que le prestige de la fonction shogunale était moins important qu’à la période précédente et nécessitait plus de contrôle et de puissance.

Le shogun Ashikaga Yoshinori

La période faste du shogunat des Ashikaga se poursuivit après la mort de Yoshimitsu mais en 1426 son petit-fils, Yoshikazu, mourut dans un accident sans laisser d’héritier. Face au vide du pouvoir et pour éviter une guerre de succession, les vassaux des Ashikaga se réunirent et tirèrent au sort un successeur parmi tous les mâles Ashikaga en âge de diriger. Yoshinori était un fils cadet de Yoshimitsu qui était entré dans les ordres mais il fut tout de même sélectionné pour devenir shogun. Il se révéla rapidement être un chef autoritaire, habitué à la discipline monastique il entendait être obéi. Alors que Yoshimitsu exerçait le contrôle son fils essaya plutôt d’exercer l’autorité. Cela mena à plusieurs révoltes dont celle de la branche cadette des Ashikaga à Kamakura qui fut détruite. Au même moment la région de Kyôto était secouée par des jacqueries paysannes qui menaçaient d’envahir la capitale, Yoshinori dut négocier, encourageant la dissidence. Durant les 13 ans de son règne Yoshinori se mit à dos un grand nombre de vassaux importants par ses décisions autoritaires et intempestives tout en devant gérer une situation difficile. Il dériva progressivement vers la paranoïa. Il craignait les attaques et se faisait accompagner en permanence d’une garde, ce qu’aucun shogun n’avait fait jusque-là. Son image était très négative et les témoignages d’auteurs samurais de l’époque le décrivent comme un tyran.

あわせて読みたい
Quelle est la différence entre l’empereur et un shogun? La question peut paraître évidente à tous ceux qui connaissent l’histoire japonaise mais beaucoup de débutants ou de visiteurs m’ont posé la question. Ils ne sont pas les seuls : La question posait déjà des problèmes aux Européens du XIXe siècle étudiant le Japon. Comment comprendre la cohabitation durant plusieurs siècles de deux souverains qui auraient dû s'exclure mutuellement? Pourquoi n'y-a-t'il pas eu tout simplement de changement de dynastie?

Le déroulement

En 1441, Yoshinori en avait après Akamatsu Mitsusuke. Mitsusuke avait déjà un passé de rebelle depuis l’époque de Yoshimochi qui avait essayé de confisquer ses territoires. Il était rentré en grâce mais cette fois-ci le danger pour lui était plus grand. Son cousin Akamatsu Sadamura était en faveur auprès du shogun, qui avait fait de sa sœur une concubine. Le bruit courut que Yoshinori allait le déposséder de ses terres pour les transférer à Sadamura. Le 12 juillet était le jour anniversaire du shogun et Mitsusuke invita le shogun à une représentation de théâtre Nô dans son manoir de Kyôto. L’invitation fut interprétée comme un geste de conciliation pour revenir dans les bonne grâces de Yoshinori. Au cours de la représentation, Akamatsu Noriyasu, le fils de Mitsusuke se leva. Il s’approcha du shogun qui regardait la représentation et le tua de son sabre devant les yeux de son père. Dans la panique qui s’ensuivit plusieurs autres seigneurs importants, jugés fidèles aux Ashikaga, furent à leur tour tués. Les autres s’enfuirent pour se fortifier dans leurs manoirs, mettant Kyôto sur pied de guerre, chacun attendant le prochain mouvement des ennemis et des voisins. Les Akamatsu mirent ensuite le feu à leur demeure et s’enfuirent vers l’Ouest et leurs terres en Harima. Dans la confusion le corps de Yoshinori fut abandonné plusieurs heures sur place.

Représentation au XIXe siècle de la panique suivant l’assassinat du shogun Yoshinori dans le manoir des Akamatsu à Kyôto.

Conséquences : Comment un assassinat brisa une dynastie

le scandale fut grand à Kyôto, non seulement le shogun avait été assassiné mais son corps avait été laissé à pourrir comme un chien. Mitsusuke et Noriyasu furent bien entendus poursuivis et massacrés par les troupes du clan Yamana mais pas par celles des Ashikaga, qui étaient désemparées et sans leadership. Encore une fois ce furent les vassaux du shogunat qui se chargèrent de gérer la succession et nommèrent un enfant, le jeune fils de Yoshinori, comme shogun. La réalité du gouvernement repassa alors entre les mains du kanrei (vice-shogun héréditaire) de la maison Hosokawa et pendant plusieurs années la dynastie shogunale resta sous tutelle de celui-ci.

La mort de Yoshinori et la minorité de son fils affaiblirent l’autorité et le prestige des Ashikaga. A partir de ce moment les grands vassaux étendirent leur influence sur le gouvernement shogunal. Les postes importants furent divisés, créant des factions entre lesquelles le shogun devint de plus en plus un outil. Les gouverneurs dans les provinces, profitant du vide laissé, se rendirent autonomes. Ils commencèrent à entrer en compétition entre eux pour arrondir leurs domaines, menant à des guerres privées que le shogunat eu de plus en plus de mal à gérer. En parallèle les luttes à l’intérieur même de ces familles se multiplièrent, le vassal voulait l’emporter sur son suzerain et le cadet sur son aîné, le Gekokujo. Ce fut le début du déclin des Ashikaga qui s’accentua avec la guerre d’Ônin (1465-1475) une génération plus tard. Cette évolution s’acheva avec l’effacement complet du pouvoir central et des shoguns au profit des daimyôs locaux marquant le début de la période des provinces en guerre, le Sengoku Jidai.

Scène de la guerre d’Ônin (1465-1475)

Les Ashikaga devinrent définitivement des pantins entre les mains de leurs vassaux ou de la puissance du moment. Un descendant de Yoshinori, Ashikaga Yoshiteru, le shogun athlète, tenta d’enrayer ce déclin en redonnant au shogun un rôle d’arbitre respecté. Il était cependant clairement dépassé face à la puissance de ses supposés vassaux. Le clan Miyoshi, sous les ordres de Matsunaga Hisahide, qui contrôlait Kyôto à ce moment attaqua son palais en 1565. Pris au piège et vaincu, le jeune héros des Ashikaga fut contraint au suicide. Malgré le fait qu’il s’ôta la vie sa mort est généralement considérée comme un assassinat. Le chef des assaillants, Matsunaga Hisahide ne lui ayant laissé aucun autre choix. De la même manière, la mort d’Oda Nobunaga en 1582, attaqué et pris au piège par Akechi Mitsuhide, pourrait être considérée comme un assassinat bien que Nobunaga se soit aussi ôté la vie lui-même.

あわせて読みたい
1582, que s’est-il passé à Honnô-ji? Le soir du 21 juin 1582 à Kyôto se déroula un des évènements les plus marquants de l'histoire du Japon : l’attaque surprise menée par le vassal Akechi Mitsuhide contre son seigneur Oda Nobunaga, un des unificateurs du Japon. Cet évènement a modifié l’histoire du Japon en profondeur mais n’a jamais été réellement expliqué, il continue à provoquer mille théories et spéculations.

Luttes de palais (Tanuma Okimoto)

Année : 1784, 24 mars. Lieu : château d’Edo. Meurtrier : Sano Masakoto

Le château d’Edo représenté au début du XVIIe siècle avec une procession pénétrant par l’un de ses portes. Le château a été en son temps le plus vaste du monde avec un périmètre de 16km. Ses bâtiments étaient nombreux et prenant l’apparence d’un véritable labyrinthe. C’est aujourd’hui un parc lié au palais impérial.

Causes et contexte : Une société pacifiée?

Le troisième shogunat, celui des Tokugawa avait été capable d’instaurer un régime fort, centralisé et fondé sur les principes confucéens au premier rang desquels figurait la fidélité et le service au seigneur. La société très codifiée et stable d’Edo fit qu’aucun shogun Tokugawa ne fut jamais assassiné et que tout le XVIIe siècle resta globalement calme. Il faut bien mentionner le cas des 47 rônins d’Ako qui tuèrent le seigneur Kira Yoshinaka pour venger leur seigneur défunt en 1702 mais cela reste un cas unique dans les annales. Au XVIIIe siècle le shogunat affrontait un ennemi pire que la guerre civile, la crise économique. Celle-ci toucha durement le Japon et fit perdre au gouvernement ses moyens et sa popularité. Sous le règne du shogun Tokugawa Ieharu les difficultés économiques permirent l’ascension comme conseiller du daimyô Tanuma Okitsugu.

Le shogun Tokugawa Ieharu…

Okitsugu mena un politique jamais vue auparavant en jetant à la poubelle les principes d’austérité et d’économie fondée sur la production agricole. Pour lui le Japon devait favoriser le commerce, mal vu de la doctrine confucéenne officielle. Il ne favorisait pas les marchands pour les aider mais bien sûr pour les taxer lourdement. De cette manière il mena une politique mercantiliste d’ouverture des échanges et d’investissements structurels tout en accordant de juteux monopoles sur certaines ressources. Dans le même temps les marchands enrichis se voyaient taxer sans remords. De la même manière Okitsugu poussa à une ouverture timide du Japon sur le monde, rejetant une politique érigée en fondement du pouvoir shogunal de fermeture du pays. Okitsugu était aussi parallèlement ouvert aux pots de vin et à la corruption (d’après ses ennemis), loin de la frugalité des Tokugawa il faisait étalage de sa richesse par le luxe et la splendeur, encourageant aussi ainsi la consommation chez les grandes maisons samurais.

Et son conseiller Tanuma Okitsugu.

Ses réformes dites de l’ère Tenmei étaient ambitieuses et sont aujourd’hui considérée comme progressistes pour leur époque. Elles permirent au shogunat de renfluer ses caisses mais Tanuma Okitsugu n’était pourtant pas aimé. Au contraire, il fut universellement haï : les daimyôs et autres conseillers haïssaient ce parvenu qui insultait les principes du bon sens confucéens, ils le jalousaient aussi. Les marchands qui auraient dû le remercier pour sa politique le détestaient pour ses lourdes taxes. Enfin le peuple ne supportait pas le luxe affiché par les élites sous son gouvernement alors qu’eux-mêmes ne connaissaient que des privations et que la famine sévissait. Il n’y avait guère que le shogun Ieharu pour le soutenir, tant qu’il remplissait les caisses.

あわせて読みたい
Généalogies japonaises (1) : les Tokugawa La dynastie Tokugawa a gouverné le Japon du début du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle, donnant naissance à la période Edo. D’où venaient-ils et qu...

Le déroulement

C’est un homme universellement haï qui fut frappé le 24 mars 1784. Lors d’une journée normale au château d’Edo Okitsugu s’était rendu auprès du shogun en compagnie de son fils, Tanuma Okimoto. Ce dernier commençait à peine sa carrière en tant qu’officier de la cour shogunale mais semblait promis à un brillant avenir à la suite de son père. Le père et le fils furent séparés par leurs affaires et tandis qu’Okimoto traversait les couloirs du château il fut interpellé par un garde du château qui lui cria trois fois : « Souviens-toi ! » avant de le sabrer. Okitsugu vit mourir son fils aîné après une semaine de souffrances. L’affaire était grave, il était interdit sous peine de mort de tirer son sabre dans le château, encore moins attaquer un personnage influent, les sabres devaient d’ailleurs être fermés par un cordage afin d’empêcher toute altercation armée. Que s’était-il passé ? L’assassin, Sano Masakoto n’avait pas de lien connu avec les Tanuma et n’expliqua jamais son geste, il fut condamné au suicide sans rien révéler. De nombreuses théories émergèrent mais la plus populaire voit dans l’attaque un moyen pour les ennemis d’Okitsugu de l’affaiblir. Le meurtre aurait été commandité.

Conséquences : Le choix de la stagnation

Le meurtre d’Okimoto fut le début du déclin pour son père. Il reçut aussi un deuxième choc quand il apprit que le peuple d’Edo avait commençé à vénérer la tombe du meurtrier en y déposant des offrandes et apportant des prières. Sano Masakoto fut vénéré sous le nom de Yonaoshi Daimyôjin (dieu redresseur de torts) par le petit peuple pendant des dizaines d’années. C’est que le Japon sortait d’une période de famine très intense que par coïncidence les tarifs du riz commencèrent à chuter peu après la mort d’Okimoto, le peuple fit le lien entre les deux évènements et remercia le sacrifice du samurai vertueux. L’attentat rendit les partisans d’Okitsugu plus timide à le soutenir et ses adversaires plus enhardis. Il fut universellement critiqué pour sa politique, sa corruption, sous entendant que la mort de son fils était de sa propre faute. Il perdit aussi progressivement la faveur du shogun face aux accusations permanentes. Il fut déchu de ses responsabilités et ses possessions furent progressivement confisquées. En 1787, il fut finalement placé en résidence surveillée et toutes ses réformes furent annulées ou vidées de leur sens.

En absence d’ouverture sur le monde et d’une politique économique progressiste le Japon continua de s’enfoncer dans la stagnation économique et sociale. Le shogunat poursuivit son déclin face à l’absence de moyens tandis que le monde autour du Japon accélérait et que bientôt les Occidentaux tournèrent leur attention vers l’archipel. La période Tanuma fut regrettée au bout de quelques années mais la hiérarchie scélosée du shogunat empêchant toute tentative de réforme ambitieuse et Okitsugu, malgré ses défauts, est aujourd’hui considéré comme le dernier à avoir relevé les défits du régime avec inventivité.

Vue des rues marchandes d’Edo par Hiroshige avec le Mont Fuji en arrière plan.

La chute du shogunat (Ii Naosuke)

Année : 1860, 24 mars. Lieu : Porte Sakuradamon (château d’Edo). Meurtrier : Arimura Jisaemon et 17 autres complices.

Estampe représentant les troupes des 5 nations ayant forcé l’ouverture du Japon : Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Pays-Bas et Russie

Causes et contexte : sauver le shogunat

En 1858 le shogun Tokugawa Iesada nommait Ii Naosuke au poste de Tairô. Un Tairô était le principal conseiller du shogun et pratiquement son lieutenant, on le qualifierait aujourd’hui de chef de gouvernement. C’était une position exceptionnelle rarement occupée et réservée aux membres de la famille des Ii, un clan fidèle aux Tokugawa depuis la fondation du shogunat. Le Bakufu (gouvernement shogunal) avait alors besoin d’un homme d’action et d’une ligne claire. Quelques années auparavant le Japon avait été forcé de s’ouvrir face à la menace américaine, provoquant la colère des tenants du Sonnô Joi, une idéologie rêvant d’expulser les étrangers et de restaurer le pouvoir de l’empereur. La Bakufu avait contre lui la cour impériale, les puissants clans de Tozama Daimyô de l’Ouest, une vaste couche de jeunes samurais idéalistes et violents et même certaines familles Shinpan (des branches collatérales du clan Tokugawa).

Le précédent gouvernement, dirigé par Hotta Masayoshi, avait fortement affaibli le prestige du shogunat aux yeux de l’opinion et le Bakufu avait besoin de reprendre fermement le contrôle de la situation. Ii Naosuke devait être l’homme de la situation. Sa première mission fut de faire passer la signature du traité d’amitié avec les Etats-Unis et les autres puissances. Ces traités, qualifiés d’inégaux, offraient des privilèges aux étrangers et limitaient la souveraineté du Japon. Le shogunat s’était, par mauvais calcul, engagé à soumettre le traité à l’empereur pour approbation, ce que ce dernier refusait absolument. Naosuke considérait que le traité était inévitable et finit par revenir purement et simplement sur la parole du shogun en avalisant le traité. Il fut dès lors considéré comme un traître dans les milieux nationalistes du Sonnô Joi et fut la cible de toutes les critiques, en particulier celles de Tokugawa Nariaki, le seigneur de Mito, le partisan le plus bruyant du Sonnô Joi parmi les daimyôs de premier plan.

Le tairô Ii Naosuke.

A la mort de Iesada en 1858, Ii Naosuke voulut affirmer son autorité en imposant un nouveau shogun de 12 ans, Iemochi, face à ses adversaires qui voulaient voir succéder le fils de Nariaki, Tokugawa Yoshinobu, déjà adulte et expérimenté. Le choix de Iemochi poussa ses opposants à pétitionner l’empereur contre Naosuke, coupable à leurs yeux d’abus de pouvoir. Celui-ci répondit par des décrets judiciaires qui provoquèrent les purges de l’ère Ansei. Comme le nom l’indique ces purges, étendues entre 1858 et 1859, permirent de se débarrasser de tous les officiers critiques contre la politique du gouvernement, plus d’une centaine furent démis et une dizaine furent exécutés. Nariaki et Yoshinobu furent contraints à rester en résidence surveillée et la chasse aux sorcières se poursuivit jusque dans les rangs de la cour impériale. Dans le même temps la police du shogun menait des descentes contre les partisans du Sonnô Joi, n’hésitant pas à éliminer le menu-fretin.

Le déroulement

Le 24 mars 1861, Ii Naosuke était à l’apogée de sa puissance. Il se dirigeait vers le château pour rencontrer le jeune shogun Iemochi. Il était alors transporté en palanquin et accompagné d’une nombreuse suite, il avait neigé le jour précédent. La suite du Tairô arriva face à la porte Sakuradamon du château d’Edo (c’est aujourd’hui la porte la plus proche du parlement japonais). Arrivé là, un coup de feu fut tiré contre son palanquin, blessant Naosuke. Un groupe de 17 samurais attaquèrent la suite forte de 60 gardes et dans la confusion d’un des assaillants, Arimura Jisaemon parvint à sortir le tairô de son palanquin pour l’achever en le décapitant. Jisameon se suicida ensuite sur place, il laissa un document justifiant leur action. Les conjurés voulaient punir le tairô de la signature des traités et de son supposé soutien à la propagation du christianisme au Japon.

L’attaque contre Ii Naosuke et sa suite à la porte Sakuradamon devint rapidement un thème commun dans les estampes de l’époque. Avec les l’époque Meiji l’épisode devint emblématique de la chute du shogunat et de l’héroïsme des partisans de la restauration.

Conséquences : Le retour aux armes des samurais

La nouvelle du meurtre se répandit comme une traînée de poudre à travers le Japon mais l’humiliation était tellement sévère que le Bakufu continua à cacher officiellement la mort du tairô pendant un mois. Le principal ministre du gouvernement avait été assassiné aux portes même du château du shogun en plein jour et décapité comme un criminel. Le prestige du shogunat ne pouvait pas s’en relever. Les assaillants avaient péri dans l’attaque mais furent identifiés comme des vassaux du domaine de Mito dirigé par Tokugawa Nariaki. Ce dernier nia toute implication, indiquant que ses hommes avaient agi de leur propre volonté pour sauver le pays. Il est très probable que ce soit vrai, les vassaux de Nariaki ont pu vouloir le laisser dans l’ignorance, sûrs de bien interpréter sa volonté mais désireux de ne pas l’impliquer.

Arimasa Jisaemon, l’exécuteur de Naosuke fut rapidement érigé en héros de la cause impériale et souvent représenté dans les estampes.

Avec la fin du radical Naosuke le Bakufu fut contraint à négocier et assouplir ses positions face aux opposants. La principale conséquence n’était cependant pas là. Le meurtre du Tairô inaugura une période d’intenses violences. Depuis presque un siècle l’image du samurai avait beaucoup changé. Dans l’état de paix permanente que connaissait l’époque Edo, les guerriers d’étaient mués en serviteurs, en fonctionnaires, en scribes au service de leurs maîtres. La détérioration de la situation politique et les passions qui enflammaient les esprits les ramenèrent sur la voie du sabre, seul moyen de défendre ses idées. Les membres du Sonnô Joi en particulier, face à la puissance du shogunat, en vinrent à considérer l’assassinat comme leur unique moyen pour faire avancer leur cause. Entre les 1861 et 1868 les assassinats devinrent très courants. L’idéologue du clan de Tosa, Takeshi Hanpeita, fit ainsi la promotion du Tenchû (la punition divine) portée par de jeunes samurais fanatisés que l’on qualifia d’hitokiri (assassins). Leurs cibles étaient les officiers conservateurs dans les domaines pour favoriser l’arrivée aux pouvoir de leur faction mais aussi des officiers du shogunat, des complices des purges de l’ère Ansei mais aussi des étrangers (le Britannique Richardson ou le Français Camus en sont des exemples en 1863). Ce terrorisme domestique se poursuivit, provoquant une atmosphère de guerre civile secrète entre les révolutionnaires et la milice du shogun, et ce jusqu’à la chute du shogunat en 1868.

Parmi les victimes de ces assassinats on peut aussi compter le célèbre réformiste Sakamoto Ryôma dont le meurtre figure parmi les énigmes de l’histoire japonaise.

あわせて読みたい
Qui a tué Sakamoto Ryôma? Sakamoto Ryôma est le héros japonais par excellence. De nos jours les Japonais vouent un véritable culte au jeune révolutionnaire de la fin de l’époque Edo, même s’il est resté oublié pendant longtemps. Il fut assassiné dans des circonstances mystérieuse à 31 ans juste à la veille de la restauration Meiji pour laquelle il avait tant sacrifié. Sa mort prématurée est devenue un des mystères de l’histoire japonaise concluant une vie héroïque.

Opprésés, oppresseurs et vice-versa (Okubo Toshimichi)

Année : 1878, 14 mai. Lieu : Kioi-zaka, Tôkyô. Meurtrier : Shimada Ichirô et 6 autres complices

La modernisation forcée du Japon fut la principale oeuvre d’Okubo Toshimichi et du jeune gouvernement Meiji. Ici l’ouverture de la première ligne ferroviaire entre Shimbashi et Yokohama en 1872, trois ans à peine après la chute du shogunat.

Causes et contexte : Nouveau Japon et hommes nouveaux

Okubo Toshimichi était l’un des « trois nobles de la restauration » avec Saigo Takamori et Kido Tadayoshi. Ils étaient considérés comme les leaders du mouvement politique qui avait renversé le vieux shogunat et dirigeait le tout nouveau gouvernement Meiji. Toshimichi était lui-même un samurai de Satsuma, les samurais de ce domaine avec ceux de Chôshû et Tosa s’étaient accaparés les postes à responsabilité et formaient une oligarchie fermée au début de l’époque Meiji.

La guerre du Bôshin de 1868 et la victoire des révolutionnaires avait mis un terme aux violences et aux assassinats de la décennie précédente mais la réalité des luttes politiques vint rapidement diviser les vainqueurs. Kido Tadayoshi mourut rapidement et Saigo Takamori quitta le gouvernement en 1873. Il s’était opposé à Toshimichi sur la question de la Corée (le Seikanron), Takamori voulait l’envahir, Toshimichi n’en voulait pas. Il préférait renforcer d’abord le Japon en le dotant d’une armée forte et surtout d’une industrie moderne. Après 1873, en tant que ministre de l’intérieur (en tout cas l’équivalent) Toshimichi eu la main haute sur la politique du gouvernement.

Photographie d’Okubo Toshimichi peu avant sa mort.

Ses buts étaient nets : un pays fort et une armée forte. Il fallait que le Japon se modernise à marche forcée. Pour cela il devait s’appuyer sur la puissance de l’Etat fondé sur une administration toute puissante. Les questions des droits du peuple et de la représentation étaient renvoyés à plus tard. Toshimichi était aussi convaincu de devoir débarrasser le Japon de la caste des samurais. Considérés comme des reliques du passé, fermés aux réformes, sources potentielles de violence les samurais devaient se fondre dans le peuple. C’est Toshimichi qui poussa à l’abolition de leur statut, la perte de leurs privilèges. Les samurais furent indemnisés de la perte de leur service et encouragés à se trouver une nouvelle activité mais nombre d’entre eux tombèrent rapidement dans la misère. Ces samurais, qui avaient souvent soutenu la restauration, devinrent rapidement les laissés pour compte de la modernisation, sans emplois, sans perspectives.

Inévitablement les années 1870 virent grandir le mécontentement des samurais qui menèrent à des révoltes armées. En 1874 les samurais de la préfecture de Saga prirent les armes et durent être soumis par l’armée, leur chef, Eto Shimpei, un compagnon de route de Toshimichi, fut tué. En 1876, le mouvement Shinpuren vit se révolter les guerriers de Kumamoto qui incendièrent les bâtiments symbolisant la présence de l’Etat et tuèrent des officiers. Ce ne sont que deux révoltes parmi beaucoup d’autres moins étendues. En 1877 ce fut au tour de la patrie d’Okubo Toshimichi de se révolter. La révolte de Satsuma lors de la guerre de Seinan fut la plus vaste et dangereuse révolte de samurais. A leur tête se trouvait le populaire Saigô Takamori, Toshimichi, peut-être par respect pour son ancien allié et ses compatriotes, prit la tête des troupes chargées de punir les rebelles. Saigô Takamori fut finalement vaincu par la nouvelle armée impériale et se suicida. Pour tous les habitants de Kagoshima Okubo Toshimichi était devenu un traître à Satsuma et pendant longtemps les habitants s’opposèrent à ce que ses cendres reviennent sur sa terre natale.

Scène de la guerre de Seinan, la suppression des rebelles de Satsuma par l’armée impériale.

Okubo Toshimichi, comme principale figure du pouvoir, était devenu l’illustration de tous les torts du régime. Il était un fonctionnaire froid et impitoyable, il était un traître à la cause et à sa caste, il était réputé corrompu et lâche. Comme Tanuma Okitsugu ou Ii Naosuke en leurs temps il devint le coupable de tout (cette image reste très vivace puisque le méchant du film, le Dernier Samurai, est librement inspiré de Toshimichi).

あわせて読みたい
Une histoire politique de l’ère Meiji (1867-1912) Le règne de l’empereur Meiji a été la période de l’histoire japonaise la plus riche en changements que l'on peut résumer en deux mots : restauration et modernisation. Restauration de l’autorité de l’empereur et modernisation (ou plutôt occidentalisation) dans le domaine politique, militaire, économique, social et culturel. L’ère Meiji fut le grand bond en avant du Japon vers la modernité et la reconnaissance internationale. Ses transformations sont aussi à la base d'un régime politique et de pratiques politiques qui vont rester inchangées jusqu'en 1945 et continuent aujourd'hui à influer sur les comportements politiques. Pour comprendre le Japon du XXe siècle il convient de revenir sur les étapes de l’histoire politique de Meiji.

Le déroulement

Le 14 mai 1878, Okubo Toshimichi était dans une calèche en route vers le palais impérial d’Akasaka où il devait rencontrer l’empereur Meiji. En chemin sa voiture fut arrêtée par 7 hommes porteurs de sabres. Les assaillants taillèrent les mollets des chevaux pour les immobiliser puis tuèrent le cocher. Ils s’en prirent ensuite à Toshimichi en le lardant de coups de sabres, surtout au visage. On releva seize blessures et Toshimichi mourut rapidement et défiguré. Les coupables abandonnèrent leurs sabres mais se constituèrent prisonniers le lendemain. Ils remirent à la police un Sankanjo, un manifeste faisant la liste des 5 crimes d’Okubo Toshimichi, incluant la mort de Saigô Takamori. Deux lettres de ce dernier furent d’ailleurs retrouvées sur le corps d’Okubo, il ne s’en séparait jamais. Les assassins étaient d’anciens samurais provenant de plusieurs régions, tous admirateurs de Takamori et tous opposés à la politique de Toshimichi. Ils furent rapidement jugés et exécutés.

Dispute du Seikanron en 1873. Saigô Takamori y est réputé avoir poussé à l’invasion de la Corée contre l’avis du gouvernement et d’Okubo Toshimichi qui considérait l’expansion coloniale encore hors de portée du Japon en pleine transformation.

Conséquences : rien n’arrête le progrès

La mort d’Okubo Toshimichi fut accueillie avec consternation par le gouvernement mais avec un soupir de soulagement par le peuple qui croyait qu’il était responsable de la hausse des taxes. Politiquement sa mort eu peu d’effets concrets, il avait contribué à faire naître une administration efficace, celle-ci pouvait survivre sans lui. Le gouvernement retomba dans les mains d’autres anciens révolutionnaires proches de ses idées comme Itô Hirobumi, qui devint ensuite premier ministre. La mort d’Okubo Toshimichi eu cependant l’effet positif de pacifier le pays. L’époque des grandes révoltes samurais était passée et la mort de Toshimichi suffit à satisfaire les désirs de vengeance des plus extrêmes parmi les anciens guerriers. Toshimichi fut la victime sacrificielle qui permit au gouvernement Meiji de sortir renforcé. La première période du gouvernement Meiji s’achevait avec les derniers remous du monde ancien. La décennie suivante fut tournée vers le futur avec la question de la constitution et l’émergence de mouvements politiques parmi les nouveaux citoyens débarassés de leurs sabres.

Avenue dans Marunouchi, le coeur modernisé de Tôkyô au début du XXe siècle.

La question de la Corée (Itô Hirobumi)

Année : 1909, 26 octobre. Lieu : Gare de Harbin (Mandchourie, Chine). Meurtrier : An Jung-eun

Causes et contexte : Une nouvelle grande puissance

Dans cette liste Itô Hirobumi a la particularité d’être le seul à avoir été tué en dehors du Japon, par un non-Japonais, son meurtrier était un jeune nationaliste coréen qui est aujourd’hui considéré comme un héros national par la Corée du Sud.

Comme Okubo Toshimichi, Itô Hirobumi a fait partie des révolutionnaires du Sonnô Joi durant la fin du shogunat avant de devenir un des piliers du nouveau régime de Meiji, il avait même participé à l’incendie de la légation britannique en 1863. Il entra au gouvernement en 1881 en poussant vers la sortie son rival Ôkuma Shigenobu et devint de fait la figure majeure du gouvernement Meiji. Sa principale tâche fut de mener les travaux vers la rédaction et adoption d’une constitution. L’agitation politique de 1881-1884 avait contraint le gouvernement à promettre d’établir une constitution et un gouvernement élu. L’autre cheval de bataille d’Itô Hirobumi fut de créer les conditions pour l’émergence d’une Grande Asie à trois. Il était convaincu que pour faire face à l’Occident, il fallait que la Chine et la Corée se modernisent aussi et s’allient au Japon dans un front où ce dernier aurait la prééminence. C’est pour assurer cette prééminence qu’il supporta la guerre contre la Chine lors de son second mandat en 1895. La Chine vaincue prendrait espérait-il la voie des réformes et se rapprocherait du Japon. Cette guerre permettait aussi de gagner une grande influence sur la Corée et piloter sa modernisation (la Corée n’est pas encore une colonie à ce moment).

Itô Hirobumi à la fin de son 4e mandat de premier ministre en 1901.

Il fut premier ministre de 1885 à 1888 et mena l’adoption de la constitution en 1889. Il redevint premier ministre à plusieurs reprises dans un jeu de chaises musicales avec ses principaux adversaires politiques. Au fur et à mesure les jeunes révolutionnaires devenus hommes d’Etat se transformèrent en oligarques âgés indétrônables. Pour parler de cette oligarchie non officielle on utilisait le terme de genrô.

A l’extrême fin du XIXe siècle cependant l’époque avait changé. L’ancien samurai se trouvait désormais face à un monde qu’il avait fait naître mais dont il ne maîtrisait plus les codes. La constitution avait mené à l’émergence de partis politiques aux exigences nouvelles. C’est l’union de ces partis, pourtant opposés sur tout, qui le poussa vers la fin de son troisième mandat en 1898. Le vieux politicien comprit cependant la leçon et forma son propre parti, le Rikken Seiyûkai, pour porter ses projets. Après la disparition d’Hirobumi ce parti resta un des acteurs majeurs de la vie politique japonaise pendant des décennies.

A partir de 1901, Itô Hirobumi se plaça en semi-retraite de la vie politique et voyagea à l’étranger. Il reçut mission de sonder les Russes sur les risques de guerre dans le Pacifique mais échoua à les amadouer. Il en résulta la guerre russo-japonaise et la victoire de Tsushima qui fit entrer le Japon parmi les grandes puissances. Itô Hirobumi y vit l’occasion de pousser son agenda pan-asiatique, il avait notamment des contacts avec des mouvements progressistes en Chine. Il se fit nommer pour devenir le premier résident-général en Corée alors que ce pays devenait officiellement un protectorat japonais.

La guerre contre la Chine en 1894-1895 marqua le début de la mainmise sur la Corée qui fut achevée en 1905. La Corée devint un protectorat avant d’être annexée en 1910.

C’est ce dernier rôle qui fait d’Itô Hirobumi un personnage controversé dans le Japon d’aujourd’hui. Il est indéniable qu’il installa le contrôle absolu du Japon sur la Corée, faisant de l’empereur Gojong un pantin et qu’il imposa un contrôle policier féroce. Il est vu en Corée comme le premier oppresseur colonial.

D’un autre côté il était aussi porté par une véritable intention de mener la Corée vers la modernité, dominée par le Japon, mais aussi sans les excès d’une exploitation brutale. Il s’opposa à l’idée d’annexer directement la Corée à l’empire japonais et l’empereur coréen Gojong nota qu’il avait une bonne opinion d’Itô. Il est d’ailleurs connu pour avoir adopté une fille coréenne. Il semble qu’il conserva autant que possible son rêve d’un front asiatique uni mais face à la flambée impérialiste il fut contraint de se résigner à l’annexion. C’est cette opposition qui le fit démissionner sous la contrainte de l’armée en 1909. Paradoxalement il fut tenu par le public comme le coupable de l’annexion.

Le déroulement

Cette photographie de l’ancien premier ministre fut prise à la descente du train en gare d’Harbin, quelques minutes avant qu’il soit abattu.

Le 26 octobre 1909, le vieux homme d’Etat était en Mandchourie où il devait rencontrer Vladimir Kokovtsov, un officiel russe. A sa descente du train arrivant de Séoul il fut prit pour cible par An Jung-eun qui tira dessus six balles. Itô Hirobumi s’effondra et mourut rapidement après. Interpellé, An Jung-eun fut jugé et profita de son procès pour dénoncer les crimes d’Itô Hirobumi et la colonisation japonaise.  La mort d’Hirobumi n’arrêta pas l’annexion de la Corée, elle poussa au contraire à un renforcement du rôle de l’armée et de la gestion militaire de la péninsule. Au Japon, le choc de la mort d’un des pères du Japon contemporain rendit l’opinion publique favorable à un traitement du des Coréens et ne fit qu’exacerber le nationalisme et la xénophobie.

Carte postale de l’entre-deux-guerres. Le quai de la gare d’Harbin (partie alors du Mandchoukouo) et l’emplacement marqué de l’attentat contre Itô Hirobumi.

Si nous pouvions parler (Inukai Tsuyoshi)

Année : 1932, 15 mai. Lieu : résidence privée du premier ministre à Tôkyô. Meurtriers : 11 officiers et cadets de l’armée

Une des journaux annonçant la mort du premier ministre et les réactions politiques.

Causes et contexte : la montée des périls

L’atmosphère était délétère au Japon au début des années 30. Une forte crise économique connue sous le nom de crise de Shôwa avait touché le Japon et plongé une partie de la population dans la misère. Cette crise avait favorisé la montée du nationalisme et le soutien à l’armée. Celle-ci proposait d’enrichir le pays par la conquête et l’exploitation des ressources, elle accusait aussi les élites politiques corrompues qui ignoraient la volonté de l’empereur. L’année précédente le premier ministre Hamaguchi avait été blessé dans un attentat et était décédé peu après. Au début de la même année, la « Ligue du sang » réunissant des partisans de l’armée, avait projeté l’assassinat d’une longue liste de notables jugés hostiles aux militaires. La cause de cette ferveur nationaliste était née du traité de Londres de 1930 qui limitait le développement de la flotte japonaise. Les médias et l’opinion y voyaient une humiliation supplémentaire des puissances occidentales et criaient au scandale.

Pendant ce temps l’armée était en roue libre. elle avait provoqué en 1931 sans autorisation l’incident de Mukden afin d’occuper la Mandchourie et créer l’Etat fantoche du Mandchukuo. Le gouvernement civil avait été contraint de reconnaître ces actions sous peine de montrer qu’ils n’avaient plus le contrôle de leur armée. Cette même armée faisait pression sur le premier ministre Inukai pour envoyer toujours plus de troupes et prendre le contrôle de vastes territoires en Chine, ils disposaient d’une forte popularité dans l’opinion publique, enivrée par les victoires faciles.

Inukai Tsuyoshi fut nommé peu après l’incident de Mukden en décembre 1931. Politicien à la longue carrière, c’était un spécialiste des affaires chinoises. Son principal objectif était de reprendre la main sur les affaires du continent et ne plus laisser faire l’armée. Il fut jugé dès le départ comme hostile aux militaires. C’est pour cette raison que 11 officiers de l’armée décidèrent qu’Inukai était un traître à la nation et projetèrent de l’assassiner.

Portrait du premier ministre Inukai Tsuyoshi peu avant son décès.

Le déroulement

Le 15 mai ils pénétrèrent dans la demeure privée du premier ministre. Ils le tirèrent du lit pour l’abattre à bout portant. Avant de mourir le premier ministre eu ces mots célèbres : « Hanasareba wakaru » (Si nous pouvions parler, vous comprendriez), à quoi son assassin répondit : « Mondô muyô » (le dialogue est inutile), ce qui résume assez bien les bases du fascisme.

Après leur geste, les assassins allèrent se rendre à la police, fiers de proclamer avoir agi pour le bien de l’empereur.

Conséquences : Le gouvernement par assassinat

Le procès des 11 officiers se transforma rapidement en tribune de leurs idées, les médias prenant fait et cause pour leur passion et leur foi nationaliste. Plus de 10 000 pétitions demandant la clémence furent reçues et 11 jeunes gens de Niigata se coupèrent même un doigt pour, en quelque sorte, verser un sang en réparation.

Les accusés furent reconnus coupables mais leur engagement politique fut perçue comme une circonstance atténuante et ils furent condamnés à des peines légères, plus tard commuées. Cette clémence encouragea toujours plus les fanatiques à faire usage de la force et de l’intimidation, à assassiner les supposés ennemis de la nation. Le gouvernement par assassinat débutait et allait culminer avec la tentative de coup d’Etat de 1936.

Un détail peu connu veut que les assassins aient eu une autre cible en tête, l’acteur Charlie Chaplin. L’acteur américain, jugé porteur de corruption étrangère, était arrivé la veille au Japon et était reçu par le premier ministre. Le soir de l’assassinat il était cependant avec le fils du premier ministre pour assister à un match de sumo.

Troupes rebelles dans les rues de Tôkyô lors de la tentative de coup d’Etat de 1936.

La violence du Japon d’après-guerre (Asanuma Inejirô)

Année : 1960, 12 octobre. Lieu : Tôkyô Hibiya Hall. Meurtrier : Yamaguchi Otoya

La Diète japonaise assiégée par les manifestants lors des manifestations du printemps 1960.

Causes et contexte : Un Japon pacifié?

Asanuma Inejirî était le leader du parti socialistes japonais, un parti qui était encore une force d’opposition importante au Japon. Le Japon de l’après-guerre peut sembler une période de calme retrouvé et de reconstruction mais en réalité la scène politique était encore très violente. L’année 1960 avait été particulièrement agitée avec des manifestations géantes contre le premier ministre Kishi Nobusuke (un vétéran du Japon impérial et représentant l’extrême droite nostalgique du Parti Libéral Démocrate). Les manifestations menées par le syndicat étudiant Zengakuren avaient été particulièrement violents et avaient entraîné la mort d’une manifestante. Kishi, poussé vers la sortie par son parti, avait même songer faire appel à l’armée pour imposer l’ordre dans ce qui aurait été un coup d’Etat. Il avait été heureusement contraint à renoncer et avait démissionné en juillet.

Les partis de gauche et les syndicats s’opposaient sur la marche à suivre après ce succès, pousser plus loin les manifestations ou accepter le jeu parlementaire pour revenir à plus de normalité. Les élections approchaient et la campagne électorale battait son plein.

Des nervis liés aux yakuzas dispersent les manifestants étudiants en 1960 dans le centre de Tôkyô.

Le déroulement

Le 12 octobre, Asanuma participait à un débat télévisé au Tokyo Hibiya Hall. Il se trouvait avec les autres participants sur une estrade face au public. C’est sur scène qu’il fut attaqué par un adolescent de 17 ans, Yamaguchi Otoya. Ce dernier était un partisan de l’extrême droite militariste et nostalgique qui considérait Asanuma comme un traître pour son rôle dans la chute de Kishi mais aussi ses liens avec la Chine Populaire. Otoya se précipita sur Asaunma avec un wakizashi, un sabre court, et transperça le politicien, le blessant mortellement.

L’attaque contre Asanuma avair eu lieu en public face à de nombreux journalistes, elle fut entièrement filmée et photographiée sous plusieurs angles, augmentant encore le choc dans l’opinion publique face à des images qui circulèrent très largement. Yamaguchi Otoya se laissa arrêter et se suicida dans sa prison quelques semaines plus tard. On ne réussit jamais à établir s’il avait eu des complices ou s’il avait suivi des ordres.

Assassinat en direct d’Asanuma sur la scène du Hibiya Hall. Cette photographie fut récompensée par le prix Pulitzer.

Conséquences : le déclin du socialisme japonais

La mort publique d’Asanuma resta jusqu’en 2007, avec l’assassinat du maire de Nagasaki par un yakuza, le dernier meurtre politique au Japon. Il marqua longuement les esprit mais eu aussi de profondes conséquences politiques. Asanuma Inejirô avait été un chef charismatique pour le socialisme japonais, humble, aimé des classes populaires et capable d’accorder toutes les tendances divergentes du parti. Sous sa conduite les socialistes avaient gagné une dynamique électorale qui ne faisait que se renforcer à chaque élection. Après sa mort, les différentes tendances du parti se disputèrent son héritage et par manque de leadership le parti socialiste initia son déclin irrémédiable, entraînant l’hégémonie politique du Parti Libéral Démocrate qui subsiste toujours. Un Japon avec Asanuma aurait été politiquement très différent, peut-être plus proche des évolutions des démocraties occidentales.

L’assassinat de l’ancien premier ministre Shinzô Abe le 8 juillet 2022 marque le retour de la violence politique au Japon après presque 60 ans mais s’inscrit dans une longue histoire d’assassinats politiques liés aux évolutions du Japon.
よかったらシェアしてね!
  • URLをコピーしました!
  • URLをコピーしました!
目次
閉じる