Le Japon est un pays de permanences particulièrement enclin à conserver traditions, institutions et pratiques même si après qu’elles aient perdu tout leur sens. C’est réducteur et partiellement inexact mais il y a un domaine où cette permanence impressionne : les familles, même parmi la simple classe marchande, qui perdurent sur des siècles dans une continuité à coté de laquelle les dynasties européennes semblent des éphémères. C’est le cas en particulier dans certaines dynasties régnantes ou guerrières qui existent toujours. Que sont-elles devenues après avoir perdu leur importance ?
De l’importance des noms
Il faut d’abord séparer deux choses, la survie d’un nom et celle d’une lignée génétique. Dans notre conception habituelle une dynastie fait référence à une famille dont les membres successifs ont un lien de sang maintenu à travers le temps. Au Japon la survie d’une lignée n’est pas forcément liée au lien de sang mais surtout à la survie du nom.
Parmi toutes les croyances religieuses japonaises issues du bouddhisme, du shintoïsme, du taoïsme ou autres, le culte des ancêtres reste la plus fondamentale et la plus enracinée. Encore aujourd’hui les familles japonaises disposent chez-elle d’un autel familial où l’on fait des offrandes aux défunts, avec lesquels on communique et qui rendent visite lors de la fête d’Obon. La présence du défunt est incarnée par une tablette funéraire noire aux lettres dorées, le ihai, aujourd’hui renforcée par la photographie. Par le passé les grandes familles construisaient des vastes temples funéraires où les ihai familiaux, de la taille d’un homme, étaient enchâssés et vénérés. La tablette portait le nom familial qui se retrouvait ensuite sur la tombe, tous les rites et la fête des morts insistent sur l’importance du nom pour maintenir le lien familial entre les ancêtres et les vivants. Dans les familles guerrières les rites familiaux étaient le privilège de l’uji no choja, le chef de la branche principale d’un clan.
C’était donc la survie du nom qui importait en premier. Dans le cas des familles nobles et guerrières cela se complique parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un nom de famille, myôji. La plupart de ces familles étaient liés à un honsei, un nom véritable, lié à un clan au sens élargi. Il existait 4 sei apparus à l’aube de l’époque Heian : Fujiwara et Tachibana étaient des noms issus de l’anciene noblesse kuge, Minamoto et Taira étaient donnés à des descendants d’empereurs ayant quitté la famille impériale pour intégrer la noblesse. Un homme pouvait alors porter un nom de famille, myôji, accompagné d’un sei honorifique, Minamoto no Ason pour citer le plus courant. C’est l’ensemble de ces noms qui formait l’identité d’une famille et devait être transmis.
Le nom se transmettait aux fils, la fille perdant son nom en intégrant la famille de son époux. Ce qui se retrouve encore aujourd’hui dans l’Etat civil japonais. En cas d’absence de fils pour continuer le nom il existait deux solutions. Dans le premier cas, une famille pouvait adopter, de préférence en prenant l’héritier chez des cousins. L’histoire des clans guerriers regorge de cas d’adoptions politiques : le shogun Tokugawa Ienari imposa souvent ses fils à adopter dans des familles qu’il pouvait ensuite espérer contrôler à la génération suivante. Môri Motonari fit adopter ses fils dans les clans Kikkawa et Kobayashi, les mettant virtuellement sous sa tutelle. Le célèbre Uesugi Kenshin s’était fait adopter par son suzerain afin d’en reprendre le nom et les prétentions. Dans certains cas même l’adoptions servait des alliances politiques : Hashiba Hideyoshi avait adopté Hideyasu, le fils de Tokugawa Ieyasu, pour cimenter leur alliance (il le fit ensuite adopter dans le clan Yûki pour d’autres raisons politiques). La personne adoptée n’avait même pas besoin d’être plus jeune et le changement de nom créait un lien authentique avec les ancêtres du clan aussi fort que si le lien de sang existait, ce qui pour nous est souvent surprenant.
L’autre possibilité était de marier une fille de la famille à un homme qui prendrait alors le nom de son épouse et hériterait du nom. Techniquement cela équivalait aussi à une adoption dans la famille. Cette pratique se rencontrait beaucoup à l’époque Edo dans les familles de marchands et d’artisans quand il s’agissait aussi de succéder à la tête de l’affaire. L’époux se mariait alors littéralement avec le magasin.
D’une manière ou de l’autre le nom de famille perdurait et avec elle la dynastie. Dans les exemples que nous verront l’adoption a joué son rôle ainsi que des décisions plus politiques reflétant de l’importance d’une famille et de savoir qui en prendrait la tête. Mais nous verrons aussi que des lignées basées sur le sang ont aussi perduré sur de longues durées jusqu’à aujourd’hui, parfois à travers le biais de branches cadettes survivantes. Nous laisserons de côté la famille impériale qui représente un cas à part et dont tout le monde sait où se trouvent aujourd’hui le représentant actuel : au même endroit que ses ancêtres, sur le trône du Japon.
Les dynasties régnantes
Il y a eu trois dynasties shogunales séparées, Minamoto, Ashikaga et Tokugawa. Chacune a connu des destins différents qui leur a permis de survivre sous une forme ou sous une autre. La première dynastie représente le cas le plus compliqué.
Les Minamoto
Il y a eu des Minamoto autres que les Minamoto. Le nom (qui peut se lire aussi Genji) était un honsei attribué à l’époque Heian à des descendants d’empereurs qui avaient été exclus de la famille impériale pour former leur propre famille noble. C’était un moyen pour la famille impériale d’éviter de multiplier les maisons princières rivales, le plus souvent le passage du statut princier au statut noble intervenait à la 3e génération descendante d’un empereur et se faisait sur décision de ce dernier. La famille Minamoto ainsi créée était alors distinguée par le nom du souverain progéniteur. Ainsi nos Minamoto étaient des Seiwa Genji issus de l’empereur Seiwa au IXe siècle mais il en existait d’autres comme les Uda Genji.
Certains de ces Genji finissaient par s’éteindre ou sombrer dans l’insignifiance, connaissant alors un déclassement progressif au fil des générations. Les Seiwa Genji eurent une autre stratégie puisque, en plus de conserver des membres en poste à la cour de Kyôto, ils s’implantèrent comme gouverneurs et officiers locaux dans les provinces de l’Est. Ils s’y battirent une assise territoriale, des terres et une clientèle. Implantées dans plusieurs provinces, différentes branches émergèrent et se séparèrent. La branche aînée centrée sur la province de Settsu n’exerçait pas une autorité sur les autres branches telles que leurs cadets de la province du Yamato et ceux de la province de Kawachi, on peut dès le Xe siècle les considérer comme des familles différentes même si elles ne se distinguent pas encore avec un nom, myôji, différent.
Nos Minamoto provenaient de la branche puînée de Kawachi, implantée dans l’Est du Japon et qui monopolisa sur plusieurs générations le titre de Chinjufu-shôgun, général chargé de la défense du Nord. Entourés d’une clientèle armée, ils se firent chefs de bushidan (groupe armé) et se muèrent en samurais au fur et à mesure qu’émergea une classe de spécialistes de guerre attachés à des terres. Minamoto no Yoriyoshi au XIe siècle fonda le sanctuaire Hachimangu de Tsurugaoka à Kamakura qui devint le sanctuaire familial, faisant de Kamakura le fief du clan.
Les Minamoto, avec les Taira, devinrent au XIe siècle les bras armés de la cour impériale et des régents Fujiwara. Ils furent impliqués dans les luttes de factions politique du milieu du XIIe siècle (guerres d’Heiji et de Hôgen). Au cours de la guerre de Hôgen, Minamoto no Yoshitomo fut vaincu par les Taira no Kiyomori et fut assassiné en 1160. Là encore ce fut uniquement la branche principale des Seiwa Genji de Kawachi qui furent presque totalement éliminés, d’autres branches comme leurs cousins Minamoto de Kiso (le lieu de leur implantation commençait à être utilisé comme leur nom de famille) continuèrent à prospérer sous la tyrannie de Kiyomori.
Le fils de Yoshitomo, Minamoto no Yoritomo, parvint finalement, au cours de la guerre du Gempei (1081-1085) à renverser les Taira pour se placer au sommet de la hiérarchie des guerriers. C’est lui qui créa à proprement parler la fonction de shogun. Yoritomo avait obtenu des pouvoirs extraordinaires en 1185 de l’ancien empereur Go-Shirakawa lui permettant de gouverner les provinces et détenir l’autorité sur les guerriers. Yoritomo reçut ensuite le titre, alors honorifique, de shogun en 1192 et c’est en sa personne que l’ensemble se combina pour faire du shogun celui qui gouvernerait dès lors le Japon et les samurais.
Yoritomo décéda en 1199, son fils Yoriie fut déposé dès 1203 et son dernier fils Sanetomo fut assassiné sans descendant en 1219. Après la mort de Sanetomo il n’y avait plus de descendant direct de Yoritomo. Le régent Hôjô Yoshitoki obtint de la cour d’adopter Kujô Yoritsune, un enfant de 2 ans issu de la famille Fujiwara (alors en cours dislocation). L’enfant fut marié à Yoshiko, seule petite fille survivante de Yoritomo. Le lien était faible mais suffisait à maintenir la fiction d’un shogunat Minamoto renforcé par la victoire militaire des Hôjô contre l’empereur Go-Toba en 1221. La dictature exercée par les Hôjô s’arrangea bien de la situation et encouragea l’idée que seuls des descendants, même adoptifs, de Minamoto no Yoritomo pouvaient prétendre au titre de shogun. L’empereur avait attribué l’autorité de gouverner le pays et le titre de shogun à Yoritomo personnellement, dans les logiques lignagères de l’époque il semblait normal que le titre reste dans la famille.
Durant le reste du XIIIe siècle le shoguns Minamoto furent en fait des princes impériaux adoptés dans le clan Minamoto. En tant que membres adoptés ils menaient les rites familiaux, la fiction était connue de tous mais acceptée. Cela ne signifie pas que les Minamoto avaient disparu. La branche aînée dont était issu Yoritomo était éteinte mais des branches cadettes survivaient. Dans le Kyûshû, Shimazu Tadahisa était un fils naturel de Yoritomo, même s’il n’en portait pas le nom. Les clans Takeda, Nitta, Ashikaga, Hatakeyama, Hosokawa et d’autres encore descendaient pour la plupart de Minamoto no Yoshiie (XIe siècle) mais ils étaient maintenus dans une position subalterne par les Hôjô. Le nom même de Minamoto disparut en tant que nom de famille en 1333 avec le renversement du shogunat de Kamakura et de la régence par Ashikaga Takauji au nom de l’empereur Go-Daigo. A partir de ce moment-là seul le honsei Minamoto continue à être utilisé par les familles se prévalant d’un lien à un quelconque degré. Le nom Mimamoto est dès lors utilisé comme nom de courtoisie à la cour impériale (Minamoto no Ason). Les Minamoto n’existent plus en tant que famille mais leurs descendants sont partout.
Les Ashikaga
Comme indiqué plus haut les Ashikaga étaient des descendants de Minamoto no Yoshiie dont l’arrière-petit-fils Yoshiyasu (1127-1157) pris le nom de ses terres. Les Ashikaga s’étaient illustrés lors de la fondation du shogunat en tant que vassaux directs (gokenins) du premier cercle. Bien disposés envers les régents Hôjô, ils continuèrent à exercer des fonctions importantes durant tout le XIIIe siècle. Durant la même période ils donnèrent naissance à des branches cadettes qui prirent le nom d’Hatakeyama, Hosokawa ou Imagawa. A fin du siècle les relations avec les Hôjô se tendirent à mesure que le gouvernement de ces derniers devint de plus en plus exclusif et autoritaire. Des clans liés par le sang aux Minamoto représentaient le principal danger de rébellion aux yeux des régents Hôjô. Ashikaga Yoriuji semble être entré dans les ordres pour se disculper d’un soupçon de rébellion et son fils Ietoki se serait suicidé suite à un autre soupçon de complot.
En 1333, le clan était dirigé par Ashikaga Takauji, qui avait par le passé montré sa valeur en tant que chef militaire au service des Hôjô. Takauji fut envoyé vers Kyôto pour juguler la révolte de l’empereur Go-Daigo mais se retourna contre les Hôjô et fit marcher ses troupes sur Kamakura qui fut incendiée, mettant fin au premier shogunat. Takauji semble avoir profité de l’occasion d’une révolte « juste » que lui offrait la restauration impériale. Sous les Hôjô ses perspectives étaient limitées puisqu’il était suspect par nature aux yeux des régents tandis que le nouveau désordre promettait des opportunités. Il se proclama shôgun deux ans plus tard en 1335, profitant de son lien de parenté ténu avec le clan Minamoto. La faiblesse de ce lien et la révolte directe contre l’empereur fit que le deuxième régime shogunal, dit de Muromachi, fut tout de suite contesté et remis en question, il fallut attendre l’extrême fin du XIVe siècle avec Ashikaga Yoshimitsu, Nippon Koku’ô (« roi du Japon ») pour que l’autorité des Ashikaga soit installées.
Ces débuts difficiles expliquent que Takauji décida de diviser la famille en deux branches. La branche aînée régnait depuis Kyôto, gardant un contrôle direct sur la cour impériale, tandis qu’une branche cadette parallèle était installée à Kamakura pour surveiller l’Est où de nombreuses familles avaient souffert de la chute des Hôjô. La branche des Kantô Kubô (seigneurs du Kantô) devait être totalement autonome sans pouvoir succéder à la branche principale, ce qui entraîna plusieurs conflits au début du XVe siècle entre cousins.
La branche principale pousuivit son règne non sans soubresauts : Ashikaga Yoshinori fut assassiné en 1441 et la succession d’Ashikaga Yoshimasa provoqua un vaste conflit entre prétendants, la guerre d’Ônin détruisit une grande partie de Kyôto et pava le chemin vers les guerres civiles du XVIe siècle. En fait, dès la fin du XVe siècle le clan Ashikaga tomba de plus en plus sous l’influence de grandes familles de gouverneurs shûgo qui accaparaient les fonctions héréditaires du shogunat. Les Hosokawa étaient leurs kanrei, vice-shoguns, en vertu de leur parenté lointaine et de leurs services. Après la guerre d’Ônin le pouvoir central se dissolva de plus en plus et les différents prétendants Ashikaga devinrent des figures de proue au service de la puissance du moment.
Dans le même temps les Ashikaga du Kantô étaient eux aussi tombés sous la coupe de régents de la famille Uesugi (ils étaient des parents proches, la mère de Takauji était une Uesugi). Du fait de luttes internes, la branche du Kantô se divisa en plusieurs branches rivales : les Ashikaga de Horigoe (Horigoe Kubô) furent détruits en 1481 par Hôjô Soûn qui exerça alors seul le pouvoir sur la province d’Izu en tant que daimyô. Il inaugura alors l’ère Sengoku où le Japon fut morcelé en principautés autonomes ne reconnaissant qu’une autorité théorique au shogunat. La branche rivale d’Oyumi (Oyumi Kubô) fut détruite par son descendant Hôjô Ujitsuna en 1538 et finalement la branche de Kôga (Kôga Kubô) fut renversée en 1583 et s’éteignit dans l’indifférence générale.
A Kyôto, au milieu du XVIe siècle Ashikaga Yoshiteru tenta une reprise de contrôle en se posant en arbitre des luttes féodales entre daimyôs. Sa tentative permit aux Ashikaga de retrouver un semblant de prestige qui ne dura pas puisque en 1565, un coup d’Etat du clan Miyoshi et de Matsunaga Hisahide, poussa le jeune shogun au suicide. Son successeur Yoshihide ne fut qu’un pantin qui ne put même pas faire son entrée à Kyôto. Le dernier shôgun Ashikaga, Yoshiaki, frère de Yoshiteru, ne connut pas un sort meilleur. Il fut restauré à Kyôto grâce à l’appui d’Oda Nobunaga en 1568 mais sans pouvoir exercer le pouvoir. Il tenta à plusieurs reprises de se révolter contre son encombrant protecteur, réussissant à réunir de puissantes coalitions mais il fut finalement capturé et déposé en 1573, mettant fin de fait au shogunat, dont il n’abdiqua jamais formellement le titre. Ashikaga Yoshiaki survécut à sa déposition. Il continua même à comploter contre Nobunaga et lui survécut. Toyotomi Hideyoshi le sollicita pour être adopté par lui et lui succéder comme shogun puisque le titre lui appartenait toujours, sans succès (nous avons échappé à un Ashikaga Hideyoshi). Il décéda sans descendant en 1597.
Tombé dans l’insignifiance le clan Ashikaga perdura tout de même de plusieurs manières. Ashikaga Kunitomo, petit-fils du dernier seigneur Oyumi Kubô (renversé en 1538) pétitionna Hideyoshi pour obtenir des terres. En vertu de l’importance du nom, le Taïko, lui donna le petit domaine de Kitsuregawa dans la province de Shimotsuke. Il devint ensuite un vassal de Tokugawa Ieyasu qu confirma son statut de daimyô avec un revenu de 5000 koku. Les revenus étaient faibles pour un seigneur mais son statut le plaçait dans les premiers rangs des vassaux du shogun. Les descendants de Kunitomo choisirent le nom de leur fief jusqu’à la restauration Meiji en 1868 où ils reprirent le nom Ashikaga. Durant toute cette période ils continuèrent à accomplir les rites de la famille Ashikaga. Leur lignée s’éteignit avec Ashikaga Atsuuji en 1983. La responsabilité des rites familiaux passa alors à Ashikaga Yoshihiro.
Ce dernier est le descendant de la branche Hirashima du clan qui provient de Yoshihide, l’avant dernier shogun Ashikaga. Yoshihide avait été le prétendant de paille du clan Miyoshi et avec la défaîte de ceux-ci face à Nobunaga leur candidat dut fuir. Il trouva refuge chez le clan Hachisuka qui gouvernait la province d’Awa (Tokushima). Ils n’étaient cependant que des invités (kyakushô), pas des vassaux, et ne recevaient qu’un revenu de courtoisie sans avoir droit à un rang au sein de la vassalité. Autant dire qu’ils étaient condamnés à rester des « invités » à perpétuité avec interdiction de porter leur nom. Ils furent connus sous le nom d’Hirashima et vécurent en intellectuels et lettrés jusqu’en 1805 quand Ashikaga Yoshine rompit ses liens avec Awa et reprit son indépendance et son nom (après deux siècles de dépendance cela demanda probablement une grande force de caractère). La famille vécut petitement à Kyôto et lorsque la restauration Meiji eu lieu on leur refusa le statut de noble dans le nouveau système des kazoku. On leur refusa même le statut intermédiaire de shizoku réservé aux ex-familles de samurais. Ils furent dès lors considérés comme des heimin, des roturiers, malgré le fait qu’ils étaient les seuls descendants directs des anciens shoguns Ashikaga. Avec l’extinction des Ashikaga de Kitsuregawa ils retrouvèrent finalement la tête de leur famille. Le chef de famille actuel Ashikaga Yoshihiro est le président de l’association nationale du clan Ashikaga (Zenkoku Ashikagashi Yukari no Kai, qui gère les sites relatifs à l’histoire Ashikaga et organise des évènements) ainsi que professeur d’art, musique et création à l’université privée Sôzô Gakuen.
Les Tokugawa
Les racines de la dernière dynastie shogunale sont profondément plantées dans le terreau des guerres civiles du XVIe siècle. Les Matsudaira étaient originaires de la province de Mikawa et étaient probablement issus de barons locaux montés en puissance. Devenu le maître de toute la province en 1575, Matsudaira Ieyasu chercha à se donner des origines plus prestigieuses pouvant lui permettre d’obtenir un rang de la cour impériale. Ieyasu était à ce moment un daimyô notable et un proche allié d’Oda Nobunaga qui dominait Kyôto. L’empereur se fit un plaisir de confirmer sa parenté avec les Minamoto via un obscur descendant du XIVe siècle nommé Tokugawa Chikasue dont on ne sait pratiquement rien. Matsudaira Ieyasu devint ainsi Tokugawa Ieyasu, et obtint d’utiliser l’honsei des Minamoto.
Cette démarche lui assura plus tard, au soir de sa vie, de pouvoir revendiquer le titre shogunal devenu vacant depuis la mort d’Ashikaga Yoshiaki en 1597. Il lui revenait de droit après sa victoire militaire à Sekigahara qui lui avait offert l’hégémonie sur le Japon. Ieyasu eut plus de dix ans pour mettre son régime en place en tenant compte des erreurs de ses prédécesseurs. La dynastie était assurée par sa nombreuse descendance, il ne risquait pas l’extinction comme les Minamoto mais les divisions comme au temps des Ashikaga devaient être réglées par avance. C’est la raison de la mise en place de la première véritable succession réglée où la branche principale pouvait adopter un héritier dans trois branches cadettes officiellement habilités, les Gosanke : Owari, Kii et Mito. Le système fonctionna parfaitement puisque à la mort du shogun-enfant Tokugawa Ietsugu en 1716 le titre shogunal fut transmis à Tokugawa Yoshimune de Kii, officiellement adopté. Yoshimune, considérant la puissance politique des Gosanke, mis à jour le système en y ajoutant trois nouvelles familles cadettes issues de ses fils et petit-fils, les Gosankyô : Shimizu, Hitotsubachi et Tayasu. Ces trois branches avaient la priorité dans la succession.
A la mort de Tokugawa Ieharu, petit-fils de Yoshimune, en 1786, ce fut un Hitotsubachi, Tokugawa Ienari, à être sélectionné et adopté dans la branche principale. Pour la deuxième fois une crise de succesion était évitée grâce à la prévoyance d’un système bien défini, à mettre au crédit à la réputation de stabilité des Tokugawa. Ce système fut encore utilisé pour permettre à Tokugawa Iemochi, issu des Tokugawa de Kii (Gosanke) de succéder à Iesada en 1858. Son successeur, Tokugawa Yoshinobu eu un parcours peu plus compliqué, né dans la branche de Mito (Gosanke), il fut donné en adoption à la branche Hitotsubachi pour augmenter ses chances d’être sélectionné pour devenir shogun, il aurait pu succéder directement à Iesada mais des luttes de faction de politiques l’avaient écarté de la succession, temporairement.
Entre 1853 et 1868 le Japon était entré dans les turbulences politiques de la fin du shogunat qui menèrent à la restauration impériale de Meiji. Tokugawa Yoshinobu, 15e et dernier shogun de la dynastie accompagna ce changement en abdiquant en décembre 1867 puis en se rendant après la défaite de Toba-Fushimi en janvier 1868. Il fut placé en résidence surveillée à Sunpu (actuelle Shizuoka).
Après la restauration impériale la question du devenir de la maison Tokugawa se posait. Yoshinobu s’était rendu mais le clan Tokugawa représentait encore une puissance. La puissance militaire et les biens du clan étaient passés dans les mains de l’Etat centralisateur mais les nombreux anciens vassaux continuaient de conserver leur fidélité à leurs anciens maîtres. Ces anciens vassaux étaient d’autant plus dangereux que beaucoup d’entre eux s’étaient battus contre le nouveau pouvoir et que tous s’étaient retrouvés déclassés, voir dépossédés de leurs biens. Ils représentaient aussi une opportunité car le shogunat et ses vassaux comptait aussi des administrateurs compétents, des fonctionnaires de carrière, des hommes capables de gérer un Etat, d’établir des plans et de les mener, tout ce que le nouvel Etat avait besoin dans sa période de transition. Il fallait donc se montrer magnanimes avec les vaincus.
La première chose fut de donner un chef aux Tokugawa. Yoshinobu étant discrédité du fait de sa reddition, on nomma Tokugawa Iesato de la branche Tayasu comme 16e chef des Tokugawa. Yoshinobu fut maintenu en résidence surveillée pendant près de 30 ans qu’il mit à profit pour apprendre la peinture et photographie. Iesato fut un excellent intermédiaire avec le nouveau pouvoir. Lorsque le gouvernement Meiji créa la nouvelle noblesse kazoku (une noblesse parée de titres assimilés aux rangs de la noblesse européenne qui réunissait la vieille noblesse de cour avec les maisons guerrières et la noblesse récente des anciens révolutionnaires devenus piliers du régime) Iesato fut nommé prince et président de la chambre des pairs (kizokuin). Il fit une longue carrière politique et la seule chose qui l’empêcha de devenir premier ministre à plusieurs reprises furent les réticences envers son nom. Dans le même temps les anciens vassaux des Tokugawa colonisaient la fonction publique et les sphères économiques, étaient nommés à leur tour pairs ou intégraient les familles shizoku (intermédiaire entre la noblesse et les heimin roturiers). Les révolutionnaires de Satsuma et de Chôshû imposèrent leur mainmise dans l’armée et la marine mais le domaine civil fut librement laissé ouvert aux anciens ennemis.
C’est sans doute grâce à l’existence de ce réseau « d’anciens » et l’humilité dont il fit preuve durant son existence recluse, que Tokugawa Yoshinobu fut finalement élargi en 1902 et intégré aux rangs de la noblesse avec le titre de Kôshaku, prince de sa propre lignée, les Tokugawa Yoshinobu. Deux de ses petites-filles se marièrent même à des membres de la famille impériale. Pair de l’empire il s’éteignit en 1913 tandis que Tokugawa Iesato continua à être actif jusqu’à son décès en 1940. Il exista alors deux familles nobles Tokugawa, toutes deux furent abolies avec le reste du système nobiliaire en 1945 lors de l’occupation américaine du Japon. Ce serait déjà compliqué mais il faut en plus ajouter aujourd’hui les descendants des Gosanke et Gosankyô pour avoir un tableau complet de la descendance des Tokugawa.
Parmi les Gosanke : Tokugawa Yoshitaka (Owari), directeur du musée d’art Tokugawa de Nagoya (qui conserve de nombreux objets ayant appartenu à son ancêtre Ieyasu). Tokugawa Kotoko (Kii), architecte ayant son bureau à Ginza, elle fut choisie comme chef de sa branche en l’absence d’autre héritier. Célibataire et sans enfant elle devrait être la dernière représentante des Tokugawa de Kii. Tokugawa Narimasa, employé dans les assurances, il dirige aussi le musée de Mito (Mito Sôtokan Tokugawa Museum).
Parmi les Gosankyô : Tokugawa Munefusa est un ancien membre de la marine d’autodéfense japonaise et l’actuel chef de la branche Tayasu. L’actuel chef de la branche Shimizu est beaucoup plus discret, Tokugawa Makoto a succédé à son père en 2019. Enfin les Hitotsubachi (issus de cousins de Yoshinobu) sont représentés par Tokugawa Munechika qui est listé comme agriculteur (?).
A ces 6 branches officielles des Tokugawa il faudrait ajouter les descendants des Ichimon, c’est-à-dire les familles issues de fils de Tokugawa Ieyasu mais qui ne furent pas autorisées à utiliser le nom Tokugawa, gardant celui de Matsudaira.
La branche instaurée pour Yoshinobu s’est officiellement éteinte en 2017 avec le décès de Tokugawa Yoshitomo, photographe. Suite à son divorce ses enfants ne portent pas le nom Tokugawa et ne le revendiquent pas, signifiant l’extinction de la branche. Enfin la branche principale des Tokugawa est désormais représentée par Tokugawa Iehiro, commentateur politique, traducteur et président du Tokugawa Memorial Foundation qui gère certains sites et objets liés à l’héritage familial (notamment le musée du sanctuaire Toshôgu à Shizuoka qui conserve de nombreuses armures originales). On pourrait le considérer comme le prétendant Tokugawa si une telle chose existait dans le paysage politique japonais (ce qui n’est pas le cas).
Les Tokugawa sont encore nombreux de nos jours et la variété de leur situation montre combien la « normalisation » de ces anciennes familles s’est enracinée dans le Japon de l’après-guerre pour correspondre à la variété de la société japonaise actuelle.
Grandes familles seigneuriales
Les Oda
Contrairement aux Ashikaga ou aux Tokugawa, les Oda faisaient remonter leurs origines au clan Taira qui a été éradiqué par les Minamoto en 1185. Comme les Minamoto, les Taira étaient plus qu’une famille, ils indiquaient un honsei composé de familles descendantes d’empereurs et était partagé par des branches de la famille Kanmu Taira (ou Heishi) ayant survécu. Certaines de ces familels se retrouvèrent parfois au service des shoguns Minamoto. Les régents Hôjô ou les Miura peuvent ainsi être réliés aux Oda. La branche principale de la famille qui avait été dirigée par Taira no Kiyomori cependant était condamnée, ses fils furent soit tués à la bataille de Dan no Ura soit exécutés peu après. Taira no Munenori fut le dernier chef du clan. Deux neveux lui ont cependant survécu parmi lesquels Taira no Chikazane, qui vécut jusqu’en 1225. Les Oda se reliaient, sans preuves directes à ce dernier Taira.
Les Oda apparurent d’abord comme une famille de prêtres implantés près d’Ise au XIVe siècle mais ils se divisèrent, comme souvent, en branches séparées selon leur implantation. On retrouve ainsi les Oda à Ise, Yamato (la province de Nara) et puis finalement en Owari à partir de la fin du XVe siècle lorsque Oda Toshisada devint le vice-gouverneur (shugôdai) de la province. Les Oda dont était issu Nobunaga étaient encore une branche cadette de celle des shugôdai d’Owari. Oda Nobunaga fit d’ailleurs le ménage en éliminant cette branche aînée et plus puissante incarnée par Oda Nobutomo, qui fut tué par Nobunaga en 1555.
La montée en puissance d’Oda Nobunaga s’accompagna de nombreux titres de cour mais en tant que Taira no Ason, Nobunaga n’aurait sans doute pas pu prétendre au titre de shogun, réservé aux descendants de Minamoto. Cette montée en puissance devait aussi profiter à sa famille au sens large, Nobunaga avait de nombreux frères et demi-frères qui, malgré sa réputation de fratricide, lui survécurent. Oda Nobuyuki, que Nobunaga avait forcé au suicide en 1557, avait des fils qui devinrent par la suite des vassaux hatamoto des Tokugawa. Les hatamoto étaient le premier rang des vassaux des Tokugawa. Ils avaient la particularité de tirer encore leurs revenus d’une terre, un bienfait tenu du seigneur, ce qui n’était pas le cas de vassaux de rang moindre qui touchaient des revenus sans lien avec une terre.
Son autre frère Oda Nobukane vécut jusqu’en 1614. Un de ses fils combattit du mauvais côté de la bataille de Sekigahara mais conserva son domaine de Kaibara, sa branche s’éteignit au milieu du XVIIe siècle. Un autre frère fut un hatamoto des Tokugawa et il fut probablement la raison pour laquelle son frère put conserver son domaine. Il n’était pas rare alors de placer des frères dans des camps opposés pour s’assurer d’avoir un pied dans le camp victorieux, pouvant au besoin plaider la bienveillance pour le reste de la famille. Un dernier frère était le daimyô d’Hayashi en Ise mais des disputes internes firent que le domaine fut confisqué par le shogunat. Ils survécurent en tant que vassaux des Hosokawa.
Le plus connu des frères de Nobunaga était sans doute Nagamasu, connu aussi comme Yûraku, un maître de thé important qui laissa son nom au quartier de Yûrakuchô au centre de Tokyo. Yûraku s’était battu pour les Tokugawa à Sekigahara mais participa ensuite à la défense du château d’Osaka contre eux en 1615. Pour cette raison, il transmit ses biens à ses fils. Son aîné fonda le domaine de Kaijû et sa famille survit aujourd’hui au travers d’Oda Nagashige. Son cadet devint un hatamoto des Tokugawa et le daimyô du domaine de Yanagimoto. La famille est aujourd’hui représentée par Oda Nagatoshi.
Nobunaga avait aussi eu neuf fils dont quatre survécurent. Oda Nobusada donna naissance à une famille de vassaux hatamoto des Tokugawa. Son frère Katsunaga mourut lors du coup d’Etat de Honnô-ji en 1582 mais ses fils devinrent des vassaux de Maeda Toshiie à Kaga (Kanazawa) et perdurèrent jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Ces frères et cadets du clan Oda ne pouvaient cependant prétendre à hériter des rites familiaux du clan Oda.
La question de la succession d’Oda Nobunaga fut d’ailleurs un problème ardu. Le coup d’Etat d’Honnô-ji en 1582 avait coûté la vie non seulement à Oda Nobunaga mais aussi à son héritier Nobutada. Au lendemain de la bataille de Yamazaki et de l’élimination d’Akechi Mitsuhide les principaux vassaux des Oda se réunirent à Kiyosu pour déterminer qui était le successeur du clan. Shibata Katsuie appuyait Oda Nobutaka et Hashiba Hideyoshi défendait les droits d’Oda Nobukatsu. Les deux étaient du même âge mais de concubines différentes. La conférence de Kiyosu fut l’occasion pour Hideyoshi de manipuler son monde en écartant les deux frères au profit du fils de Nobutada, un enfant appelé Sanpôshi. De cette manière Hideyoshi se fit le protecteur d’un héritier mineur et eu tout le loisir de détourner les biens et les vassaux des Oda à son profit.
Oda Nobutaka se révolta le premier avec Shibata Katsuie et fut vaincu et éliminé en 1583. Oda Nobukatsu, installé à Nagoya, protesta à son tour contre les empiètements de l’ancien vassal des Oda. Ses refus d’obéir provoquèrent la bataille de Komaki-Nagakute en 1585 où Tokugawa Ieyasu combattit au nom des intérêts de Nobukatsu mais en fait pour les siens. Après cette bataille Ieyasu laissa Nobukatsu faire sa paix avec Hideyoshi qui le déposséda un peu plus tard de ses terres tout en le gardant à sa cour. Il fut un conseiller (otogishu) de Toyotomi Hideyori avant d’être expulsé d’Osaka en 1614 pour avoir favorisé le rapprochement avec les Tokugawa. Quand Sanpôshi devint adulte sous le nom d’Oda Hidenobu, l’autorité de sa famille s’était évaporée et il mena une vie brève de petit seigneur jusqu’à sa mort en 1605. Il était le dernier chef du clan Oda (pour l’anecdote il était aussi, par sa mère, le dernier descendant de Takeda Shingen).
Les contemporains de cette époque considéraient que Nobukatsu, Nobutaka et Hidenobu firent de biens piètres successeurs à Nobunaga. La plus digne de ce titre aurait été plutôt O-Chacha, la propre nièce de Nobunaga, née de sa sœur O-Ichi, qui devint la concubine de Toyotomi Hideyoshi. Elle fut la mère de son fils et héritier, Toyotomi Hideyori, ainsi que l’âme de la résistance contre le pouvoir de Tokugawa Ieyasu jusqu’à la défaite finale lors de la chute du château d’Osaka en 1615. Sa propre sœur, O-Gô, épousa le 2e shogun Tokugawa Hidetada et fut la mère du futur shogun Iemitsu. L’existence de ce lien familial ténu entre les shoguns et les Oda explique sans doute la présence de plusieurs Oda comme hatamoto ou daimyôs avec un statut privilégié durant l’époque Edo.
Mais en fin de compte qui a hérité de direction de la famille Oda après la mort d’Hidenobu ? Oda Nobutaka avait laissé un fils qui entra au service des Tokugawa comme hatamoto de rang élevé dont la famille fut connue sous le nom de Koke Oda. La famille a survécu et est représentée aujourd’hui par l’ancien patineur sur glace professionnel Oda Nobunari.
La direction, symbolique, de la famille, revint plutôt aux descendants de Nobukatsu. Oda Nobuyoshi devint le daimyô de Takahata (domaine de Tendô dans la province de Dewa) avec 20 000 kokus de revenus et le statut de daimyô tozama. Les daimyô « alliés » des Tokugawa disposaient d’une autonomie large, un statut plus qu’honorable pour domaine de taille réduite comme Tendô. Son autre fils Oda Takanaga devint daimyô du domaine d’Uda-Matsuyama mais, en 1694, le daimyô de l’époque assassina plusieurs de ses vassaux du fait de luttes intestines. Le shogunat confisqua le domaine et transféra les Oda dans le domaine de Kaibara (ou Kashiwabara) dans la province de Tanba (au Nord de Kyôto). Plusieurs de leurs descendants fondèrent leurs propres familles de vassaux au cours l’époque Edo.
Au début de la restauration Meiji, Oda Nobutoshi de Tendô tenta de jouer le médiateur entre le nouveau gouvernement central et les familles de samurais du Nord du Japon mais fut finalement forcé de rejoindre l’opposition dans la ligue Ouetsu Renpan Dômei qui fut rapidement vaincue. Il abandonna son fief en 1871, de même que ses cousins de Kaibara, avant d’être intégrés dans la nouvelle noblesse avec le titre de vicomtes (shishaku). Le dernier représentant des Oda de Tendô fut Oda Nobutsune, qui fut un représentant au parlement ainsi qu’un dessinateur de manga (Shou-chan). A son décès en 1967, la direction nominale de la famille passa à la branche de Kashiwabara représentée par Oda Nobutaka.
Le destin du clan Oda fut donc de sombrer dans la normalité, intégrés par les Tokugawa dans leur système de vassaux et d’alliés avec un statut honorable mais sans aucun prestige. Cette position n’était due qu’à un lien de parenté distant et au souvenir de leur ancêtre extrordinaire. Au mon grand regret je n’ai pas pu établir un lien entre Nobunaga et Oda Eiichiro, l’auteur de One Piece (les deux noms ne sont pas écrits avec les mêmes kanjis), tant pis.
Les Toyotomi
Dans le cas des descendants de Toyotomi Hideyoshi les choses sont à la fois plus simples et plus compliquées. Elles sont plus simples car avant Hideyoshi il n’existait pas de clan Toyotomi. Hideyoshi fut ce que l’on appelait à l’époque un nari-agarimono que l’on traduirait par « homme nouveau » ou « self made man ». Il était issu d’une famille de simple fantassin ashigaru attaché à une terre de la province d’Owari. Son père se serait appelé Yaemon, son statur social ne lui permettait pas d’avoir un nom de famille. L’origine du nom Kinoshita est obscure, contrairement aux croyances habituelles il ne s’agit pas du nom de la belle-famille d’Hideyoshi qu’il aurait repris à son compte. Il est cependant certain que prit ce nom pour montrer que son statut au sein de la vassalité des Oda était désormais assez important pour fonder sa propre maison, rétrospectivement le nom s’étendit à son défunt père. Hideyoshi ne dut sa carrière qu’au service d’Oda Nobunaga et à la faveur de ce dernier qui favorisait volontiers les hommes nouveaux car ils étaient souvent compétents mais aussi totalement dépendants de sa faveur.
Ce qui le lança Hideyoshi fut surtout son mariage avec O-Néné, la fille de Sugihara Sadatoshi, un vassal de rang moyen des Oda dont les ancêtres remontaient aux Taira. Ce mariage brillant lui offrait un statut plus important mais aussi lui permettait de s’appuyer sur la famille de sa femme et leurs vassaux pour créer son propre réseau et la base de son clan. Ce clan fut rebaptisé sous le nom d’Hashiba quand Hideyoshi devint l’un des principaux généraux de Nobunaga. Ce nouveau nom était formé des kanjis de ses aînés (Niwa Nagahide et Shibata Katsuie) parmi les chefs de l’armée des Oda. Le frère de Néné prit alors le nom de Kinoshita Iesada pour préserver le nom adopté dans un premier temps par Hideyoshi et marquer sa proximité. Hideyoshi réunit alors autour de lui le peu de famille mâle qu’il avait, son demi-frère Hidenaga, et lui offrit l’utilisation de son nom. D’autres cousins et membres des Sugihara formèrent la base d’une nouvelle famille élargie.
En 1585 Hashiba Hideyoshi était devenu le maître du Japon, il chercha dans un premier temps à se faire adopter par Ashikaga Yoshiaki pour se nommer lui-même shogun mais opta finalement pour l’adoption par Konoe Sakihisa. Ce dernier était un membre d’une des familles de régents impériaux (kampaku) issus du clan Fujiwara. Cette adoption fit entrer Hideyoshi dans la noblesse de cour et l’empereur Ôgimachi lu attribua un nouveau Honsei créé spécialement pour lui, le 5e honsei du Japon : Toyotomi. C’est le seul cas dans l’histoire japonaise d’un anoblissement au sein des familles de la cour impériale.
L’absence de racines et de parentèle du clan Toyotomi, qui aurait été un défaut en temps normal, se transforma en véritable politique avec l’avènement d’Hideyoshi. Tandis que Hidenaga et Hidetsugu (le neveu d’Hideyoshi par sa soeur) devenaient aussi des Toyotomi, Hideyoshi attribua son myôji, Hashiba, de manière honorifique à certains de ses vassaux assumant des positions d’influence ou à des daimyôs ralliés. Il autorisa aussi l’utilisation de son honsei (Toyotomi no Ason) pour créer un lien symbolique, ce fut notamment le cas de Tokugawa Ieyasu. Il traitait dès lors les personnes ainsi honorées comme des membres de sa famille élargie avec tout cela impliquait de dette et d’obéissance au chef de la lignée. Du côté de la famille de sa femme il adopta, Hideaki, un des fils de Kinoshita Iesada avant de lui donner lui faire succéder au clan Kobayakawa. De la même manière il envoya son fils adoptif Hideyasu (fils naturel de Ieyasu) pour succéder à la tête du clan Yûki.
Hideyoshi mourut en 1598 et en 1600 les loyalistes Toyotomi conduits par Ishida Mitsunari furent battus à Sekigahara. Le clan Toyotomi perdura jusqu’en 1615 quand Toyotomi Hideyori, fils et héritier d’Hideyoshi, se suicida avec sa mère lors de la chute du château d’Osaka. Tokugawa Ieyasu voulut alors mettre fin à l’existence du nom Toyotomi, Kunimatsu, le jeune fils d’Hideyori fut exécuté à 8 ans (même si des légendes sur sa survie se sont propagées). Sous le nouveau régime des shoguns Tokugawa, les daimyôs autrefois favorisés par les Toyotomi tentèrent d’éffacer leurs liens en abandonnant l’usage du nom Hashiba et l’usage du honsei Toyotomi no Ason.
Toyotomi Hidenaga était mort de maladie avant son frère et Hidenaga avait été forcé de se suicider par Hideyoshi en 1595. Avec la mort du fils et du petit-fils d’Hideyoshi la lignée était effectivement éteinte et il n’y a plus aujourd’hui de Toyotomi mais le clan lui-même existe toujours.
Après la chute d’Osaka, Kôdai-in (nom de Néné qui était entrée dans les ordres à la mort d’Hideyoshi) voulut maintenir l’existence du nom de son époux. Elle profitait d’une grande popularité auprès des daimyô (elle n’était pas appelée Hikari no Tenshi, « ange de lumière », pour rien) et même Tokugawa Hidetada qui n’aurait de tout manière pas osé porté la main sur une veuve. Elle favorisa le sort de son frère Iesada qui put conserver son fief d’Ashimori car un de ses fils (Katsutoshi) s’était rallié aux Tokugawa à Sekigahara. Kôdai-in reçut de faire de Toshitsugu, petit-fils de Iesada, le chef officiel du clan Toyotomi habilité à pratiquer les rites familiaux. Le shogunat accepta qu’il conserve l’honsei Toyotomi en imposant cependant comme condition de remplacer le myôji d’Hashiba pour celui de Kinosahita, moins prestigieux. Kinoshita Toshitsugu, vassal hatamoto des Tokugawa obtint de récupérer les domaines de Kôdai-in à la mort de celle-ci.
De Toshitsugu, deux branches naquirent, les Kinoshita du domaine d’Hiji et les Kinoshita du domaine d’Ashimori. Tous deux perdurèrent durant l’époque Edo, seuls dépositaires du nom Toyotomi mais ils l’abandonnèrent en 1871 quand la restauration Meiji abolit les honsei traditionnels. Kinoshita Toshinori, biologiste issu de l’université du Kyûshû, semble descendre de la famille d’Hiji tandis que Kinoshita Toshifuku serait issu de la branche d’Ashimori. D’autres Kinoshita pourraient être issus de branches cadettes. Bien qu’inconnus ils restent les seuls héritiers du puissant, mais éphémère clan Toyotomi.
Les Hosokawa
Beaucoup moins connus que les grands noms charismatiques du Sengoku Jidai les Hosokawa furent cependant tout aussi importants. Branche cadette issue des Ashikaga, les Hosokawa étaient avec les Shiba, Hatakeyama et Uesugi les piliers du shogunat de Muromachi. A partir d’Ashikaga Yoshimitsu et Hosokawa Yoriyuki ils assumèrent à plusieurs reprises le titre de kanrei, vice-shogun.
Avec l’effacement progressif du shogunat au XVe siècle ils prirent la tête d’une faction puissante. Hosokawa Katsumoto, le fondateur du Ryôan-ji à Kyôto, fut l’un commandant militaire lors de la guerre d’Ônin qui plongea le Japon dans l’anarchie féodale et détruisit la majeure partie de Kyôto. Ebranlés eux-aussi par les luttes de successions entre frères rivaux ils finirent par faire du shogun leur pantin lorsque Hosokawa Masamoto chassa le shogun Yoshitane pour installer son prétendant. Fermement ancrés dans la bureaucratie shogunale et ses règles, ils dirigeaient ce qu’il restait d’administration mais au milieu du XVIe siècle ils se retrouvèrent dépassés par leurs vassaux Miyoshi et furent repoussés au second plan.
De famille de premier plan ils devinrent des seconds rôles, Hosokawa Akimoto de la branche principale resta un personnage honoré mais sans réel pouvoir. Ses cousins de la branche cadette d’Izumi avaient d’abord fidèlement servi le dernier shogun Yoshiaki avant de sauter le pas et de se faire les vassaux de Nobunaga, qui était pour eux un provincial arriviste. Hosokawa Tadaoki servit Nobunaga puis Hideyoshi et enfin Ieyasu avec pragmatisme et lutta à la bataille de Sekigahara, ce qui lui valut d’obtenir le domaine de Kumamoto (où se trouve encore un très beau château). Ils devinrent à la même époque la branche principale de la famille Hosokawa après extinction de leurs ainés. Hosokawa Tadatoshi fut le seigneur de Miyamoto Musashi et combattit pour le shogunat durant la révolte de Shimabara.
Vassaux des Tokugawa ils surent rester importants durant l’époque Edo, puis négocier leur passage à la restauration en tant que marquis (Kôshaku). Au XXe siècle les Hosokawa continuèrent à être importants dans l’administration et le domaine politique et se marièrent notablement avec la famille Konoe (elle-même descendante des Fujiwara). L’actuel chef de famille, Hosokawa Morihiro a été non seulement gouverneur de Kumamoto, siège ancestral de la famille, mais aussi premier ministre (1993-1994, Shinseito). La famille est restée proche du pouvoir quasiment sans interruption depuis presque six siècles. Cela équivaudrait en France à voter pour un descendant de Bertrand Du Guesclin!
Les Uesugi
Cette très ancienne famille remonte aux Fujiwara (la famille des régents de l’époque Heian) par la branche Kajûji et s’étaient implantée chez les samurais du Kantô au XIIIe siècle. Au XIVe siècle, apparentés aux Ashikaga, ils étaient devenus les vice-shogun du Kantô (Kantô Kanrei) pour le compte de la branche cadette des Ashikaga. Ils avaient fini chassés du Kantô et divisés en plusieurs branches rivales.
Les Uesugi étaient sur le déclin quand Nagao Kagetora força son seigneur Uesugi Norimasa à l’adopter pour lui succéder. Celui qui devint Uesugi Kenshin créa une véritable puissance régionale centrée sur la mer du Japon capable d’en imposer aux Takeda puis aux Oda. Après sa mort, son successeur Uesugi Kagekatsu (lui aussi un Nagao adopté par Kenshin) resta un acteur de premier plan au point de devenir un des Go-Tairô, un des 5 régents qui devaient gouverner le Japon après la mort d’Hideyoshi. Opposé à Tokugawa Ieyasu il se trouva du mauvais côté de l’histoire. Le prix de son opposition fut le transfert de sa famille vers le Nord du Japon dans le domaine beaucoup plus modeste de Yonezawa : il passa d’un revenu de plus d’un million de koku, le plus riche domaine du Japon avec des mines d’or, à seulement 300 000 kokus.
Kagekatsu s’entêta par honneur à conserver la totalité de ses vassaux, très nombreux, et provoqua ainsi l’endettement chronique du domaine de Yonezawa qui devint synonyme de mauvaise gestion jusqu’au XVIIIe siècle quand des réformes draconiennes remirent les Uesugi sur pieds. Malgré leur nom et la mémoire de Kenshin, les Uesugi de l’époque Edo s’étaient enfoncé dans la normalité et la soumission au shogunat. A la restauration Meiji ils furent promus dans la nouvelle noblesse kazoku en tant que comtes (Hakushaku) et perdirent ce titre avec l’abolition du système en 1945. Le clan est aujourd’hui représenté par Uesugi Kunimori qui est professeur d’astronautique pour l’agence spatiale japonaise, la JAXA.
Les Shimazu
Sans doute une des plus anciennes dynasties de samurais japonais toujours existante de nos jours. Les Shimazu sont nés d’un fils naturel de Minamoto no Yoritomo, Tadahisa, envoyé par son père dans le Kyûshû. Ils gouvernaient la province de Satsuma au Sud de l’île de Kyûshû et c’est leur position très excentrée qui fit leur permit de rester en dehors de la plupart des guerres de l’époque Kamakura puis Muromachi, permettant une longue lignée ininterrompue de seigneurs qui surent s’adapter aux changements.
Avec le Sengoku Jidai les Shimazu tentèrent de s’emparer de la totalité de leur île pour l’unifier sous Shimazu Yoshihisa. Une des clés de leur succès était une très forte cohésion non seulement des vassaux mais aussi des différents membres de la famille. Le père de Yoshihisa, Takahisa gouvernait conjointement avec ses frères qui étaient aussi ses généraux sur le champ de bataille. Provinciaux fiers et profondément unis, ils ne subirent pas les guerres de faction et de succession nombreuses au XVe-XVIe siècles.
En 1585, Toyotomi Hideyoshi les força à se soumettre et après 1600 Tokugawa préféra leur offrir le statut de tozama daimyô. Malgré leur sujétion officielle il furent les seuls daimyôs à poursuivre une politique extérieure autonome avec en 1613 la conquête du royaume de Ryûkyû. L’actuel archipel d’Okinawa leur servit d’antichambre pour poursuivre leurs contacts avec la Chine et les Européens malgré la fermeture du pays. Ils avaient déjà été le premier clan à recevoir des arquebuses et des missionnaires chrétiens au XVIe siècle, ils accueillirent armes et savoirs durant toute l’époque Edo.
Shimazu Nariakira fut le premier à mener une véritable politique de modernisation et d’éducation dans l’idée de suivre l’inévitable ouverture du Japon. En 1867, Satsuma se paya même le luxe d’avoir son propre pavillon d’exposant à l’Exposition Universelle de Paris (sous le prétexte de représenter le royaume indépendant des Ryûkyû). Satsuma fut le véritable faiseur de roi qui permit le transfert du pouvoir du shogunat vers le gouvernement impérial de Meiji. Si les Shimazu abandonnèrent leur fief en 1871 ils devinrent princes mais bien plus que cela.
Etant donné leur avance dans le domaine naval les anciens samurais de Satsuma se retrouvèrent souvent dans la nouvelle marine impériale et Shimazu Tadashige fut amiral jusqu’à sa retraite en 1935. D’une autre part de nombreux samurais de Satsuma intégrèrent l’administration et le gouvernement, à commencer par Okubo Toshimichi. Dans un autre domaine le clan sut investir ses biens dans l’industrie lourde et participa activement à l’exploitation des ressources de la Corée pendant l’occupation, raison pour laquelle ils furent ensuite accusés et dépossédés d’une partie de leurs biens. L’actuel chef de famille, Shimazu Nobuhisa est encore un chef d’entreprise en plus que président de différentes associations historiques et prêtre de différent autels shintô dédiés à ses ancêtres.
Dynasties contemporaines : Zaibatsu et dynasties politiques
Avec la modernisation accélérée du Japon les occasions d’investir et les lients parfois très étroits entre les riches familles marchandes et le nouveau gouvernement Meiji permirent la création des Zaibatsu, des conglomérats réunissant des entreprises aux activités très variées. Les familles à la tête de ces zaibatsu, véritable noblesse capitaliste de l’époque Meiji avaient eux-mêmes parfois des liens avec les anciennes familles samurais et comptent encore aujourd’hui parmi les grandes fortunes du Japon. Les lois régissants ces grandes familles nétaient d’ailleurs pas très différentes de celles des clans de samurais.
Les Mitsui
Les Mitsui ont connu des variations de fortune très importante. Leurs ancêtres étaient des samurais et Mitsui Takayasu portait même le titre de gouvrneur d’Echigo. L’ascension de Nobunaga et son conquête d’Echigo mena au déclassement de Takayasu qui ne parvint pas à retrouver une place auprès d’une autre maison. Son propre fils Mitsui Takatoshi abandonna son statut de samurai pour devenir marchand de saké, de miso et prêteur sur gages. Avec le début de l’époque Edo la paix retrouvée permettait aux échanges de fleurir et la croissance démographique des villes encourageait la consommation.
Les descendants de Takatoshi s’implantèrent rapidement à Edo où ils fondèrent Echigoya, un vaste magasin de kimonos qui est l’ancêtre de l’actuel grand magasin Mistukôshi. Ils développèrent aussi des activités proto-bancaires de change et de transferts d’argent en plus de devenir des fournisseurs du shogunat. A la fin du XVIIe siècle ils étaient devenus une grande enseigne avec plusieurs succursales et ses règles de fonctionnement édictées. La branche principale (Sôryô-ke) dirigeait des branches cadettes (11 au totral) et à sa tête se trouvait Hachirôemon, le chef titulaire de la famille reconnaissable à ce nom hérédiraire qu’il adoptait en succédant à la tête de la famille. En cas de minorité du Hachirôemon potentiel un oncle ou un cousin exerçait une « régence » pour l’héritier.
Avec la restauration Meiji, Mitsui Takayoshi eu l’occasion de saisir les nouveautés proposées par le capitalisme européen. Ils fondèrent la première banque privée du Japon en 1876 avant de se lancer dans l’extraction minière (pour exploiter des mines obtenues à bas prix) et le transport maritime. Dans le même temps ils continuaient à conserver leurs activités dans les textiles et l’alimentation. La famille fut intégrée à la noblesse kazoku avec le titre de baron (Danshaku).
Comme les autres zaibatsu, Mitsui fut mise en cause après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, notamment en raison de son commerce de cigarettes traffiquées avec de l’opium dans les pays d’Asie occupés. Le zaibatsu fut démantelé sur ordre des forces d’occupation et la famille Mitsui en perdit le contrôle. A cette occasion des firmes du conglomérat telles que Toyota, Toshiba ou Suntory prirent leur indépendance et ne revinrent jamais dans le giron de Mitsui contrairement à la majeure partie des autres firmes qui purent réintégrer progressivement la maison mère dans les années 1950. La famille Mitsui est aujourd’hui représentée par Mitsui Hisanori, architecte de son état.
Les Iwasaki
Si les Mitsui étaient des descendants lointains de samurais, Iwasaki Yatarô, fondateur de Mistubishi, était encore un samurai de plein droit. Les Iwasaki étaient originaires du domaine de Tosa dans le Shikoku. Ils peuvent faire remonter leurs ancêtres jusqu’aux Taira ainsi qu’à une branche cadette des Takeda de Kai. Ils étaient au service de la famille Chôsokabe puis Yamauchi de Tosa depuis l’époque Sengoku et l’un de ses membres avait combattu à Sekigahara. La famille était cependant tombée dans le dénuement à la fin du XVIIIe siècle. Comme tous les anciens vassaux des Chôsokabe passés aux Yamauchi, ils faisaient partie d’une sous classe de samurais, les kashi, socialement discriminés. Iwasaki Yajiemon avait été contraint de vendre ses droits et privilèges de samurai pour survivre en tant que petit marchand et artisan.
Iwasaki Yatarô sut, par ses compétences et son éduction acquise par ses propres efforts, se faire réintégrer dans la classe samurai en tant que fonctionnaire du domaine de Tosa. Les Yamauchi de Tosa furent parmi les trois domaines vainqueurs de la restauration Meiji (Satsuma, Chôshû, Tosa) et ses membres les plus compétents et ambitieux purent établir des contacts avec le nouveau régime. Yatarô se spécialisa dans le transport de marchandises et de personnes (et même de soldats à certaines occasions), rendit service et accumula l’entregens. Contrairement aux Mitsui qui était une maison marchande bien établie il fonda Mitsubishii à partir de rien en 1873, gagna rapidement de l’influence et multiplia les domaines d’activité pour finalement se centrer sur la banque et l’industries lourde.
Mort en 1885, Iwasaki Yatarô laissa la direction du conglomérat à son frère puis son fils. Bien qu’issus d’une famille ancienne il ne s’étaient établis que récemment et ne s’étendirent pas à travers de nombreuses branches avec leurs traditions comme les Mitsui. Cependant, comme Mitsui, leur conglomérat fut démantelé à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, mesure indispensable quand on se rappelle que Mitsubishi fut le zaibatsu le plus impliqué dans l’effort de guerre japonais (mais Mitsubishi se releva plus rapidement et plus complètement que ses pairs). La famille Yatarô perdit le contrôle de Mitsubishi à ce moment mais conserva de son importance quand on pense que Kijûro Shidehara, 1er premier ministre de l’après-guerre, était marié à une fille de Yatarô. Même si la famille ne fait plus partie des grandes fortunes japonaises, Iwasaki Yoshitaro, l’actuel chef de famille possède une compagnie, Iwasaki Sangyô (hôtellerie).
Le même scénario pourrait être répété encore : une famille marchande de l’époque Edo ou une famille samurai investit et se déversifie durant l’époque Meiji au point de devenir un conglomérat. Cette famille perd le contrôle du zaibatsu après 1945 mais parvient à conserver plus ou moins de l’importance avec de nouvelles entreprises. Nous aurions pu parler des Yasuda ou des Sumitomo avec seulement quelques variations.
Durant la période du Japon impérial entre 1868 et 1945 il n’était pas rare de voir associé au monde politique et économique des anciennes familles nobles et samurais, nous avons mentionné les Shimazu ou les Tokugawa mais nous aurions pu aussi parler de Konoe Fumimaro, premier ministre durant la guerre et descendant direct des régents de l’époque Heian (VIII-XIIe siècle). Après la guerre, le démantèlement des zaibatsu et l’ancien régime impérial par les forces d’occupation fit disparaître les anciennes familles du devant de la scène, sans effacer totalement leur influence. L’après-guerre a cependant vu la formation de dynasties politiques très connectées les unes aux autres et engendrant une forte reproduction sociale. Quelques-unes de ces dynasties se démarquent plus que d’autres, sans parler même d’Hosokawa Morihiro.
Les Aso
La famille de l’ancien premier ministre Taro Aso (2008-2009) fait partie de ces dynasties politiques dont les ramifications s’étendent dans des directions parfois inattendues. L’ancien premier ministre est ainsi le petit-fils, par sa mère, du premier ministre Yoshida Shigeru (1948-1954), un personnage fondamental de l’après-guerre et de la construction du parti dominant, le PLD. On peut même dire que c’est lui qui fonda la doctrine du nouvel Etat japonais. Taro Aso est aussi un arrière petit-fils d’Okubo Toshimichi qui fut l’un des fondateurs du gouvernement Meiji (et fut assassiné en 1878) ainsi qu’un descendant (par les femmes) du clan Ichinomiya de la province de Kazusa. Son père, Aso Takakichi, était un important industriel propriétaire d’une cimenterie proche du monde politique, durant la guerre il fut impliqué dans l’utilisation de main d’oeuvre forcée de Coréens et de prisonniers de guerre (fait reconnu par Taro Aso à la veille de sa nomination comme premier ministre).
Son épouse était la fille du premier ministre Suzuki Zenkô (1980-1982) tandis que sa soeur se maria avec le prince Tomohito de Mikasa, cousin de l’ancien empereur Akihito. Enfin son frère Yutaka Asô a repris la tête de l’entreprise familiale du bâtiment associée depuis au français Lafarge dans la Lafarge Asô Cement.
Il était enfin un étudiant l’université Gakushuin, une université privée qui n’est autre que l’ancienne « école des pairs » de l’époque impériale ressucitée durant l’après-guerre. La majorité des membres de la famille impériale y ont étudié ainsi que bon nombre de premiers ministres et de membres importants du monde politique et économique du Japon, l’élite. Comme son père Aso Masahiro est impliqué dans cimenterie familiale et prépare à prendre la suite de la carrière politique de son père avec un décompte familial de 3 premiers ministres, pour l’instant.
Les Abe-Kishi
Ils sont nettement le cas le plus connu, emblématique même. La famille Abe est issue de la province de Yamaguchi où ils étaient d’importants marchands de saké et de miso depuis l’époque Edo. le patriarche, Mukunoki Kan, s’était marié à la Abe Tame et avait ainsi été adopté dans la famille Abe. Il fut l’initiateur de la dynastie politique en devenant finalement représentant à la Diète durant la guerre en se plaçant dans un courant pacifiste opposé à Hideki Tojo. Son fils Shintarô suivit ses traces politiques mais dans une orientation plus nationaliste durant l’immédiat après-guerre.
Il épousa la fille du premier ministre Kishi Nobusuke (1957-1960) qui fut poussé à la démission (on pourrait même dire renversé) à la suite des manifestations massives dites d’Anpô en 1960. Les Kishi étaient aussi originaires de Yamaguchi mais son vrai nom était Satô, il était le frère du premier ministre Satô Eisaku (1964-1972). Il n’est pas étonnant de retrouver aussi souvent la préfecture de Yamaguchi dans les biographies des politiciens japonais, il s’agit en fait de l’ancien fief de Chôshû qui mena l’opposition au shogunat finissant et se partagea, avec Satsuma et Tosa, les postes d’influence durant l’époque Meiji. Les actuels politiciens venant de Yamaguchi sont les héritiers du partage du pouvoir apparu dans les premières années de Meiji. Les Satô étaient d’anciens samurais de Chôshû qui s’étaient ensuite reconvertis dans la production de saké.
Malgré la presque infamie qui toucha Kishi Nobusuke, son petit-fils Abe Shinzô, poussa sa carrière politique jusqu’à devenir le premier ministre étant resté le plus longtemps en fonction. On se souvient encore de son assassinat récent en 2022. La famille est aujourd’hui représentée par Kishi Nobuo, fils d’Abe Shintarô et frère d’Abe Shinzô mais qui a été adopté par Kishi Nobukazu (le fils de Nobusuke et patron de la Seibu Oil) qui n’avait pas de fils. Il était jusqu’en 2022 ministre de la défense. Son fils, Kishi Nobuchiyo a été élu au siège familial d’une des circonscriptions de la préfecture de Yamaguchi et poursuit sa carrière politique au sein d’une dynastie qui compte déjà 3 premiers ministres.
Anciennes familles nobles, guerrières, industrielles ou politiques, les dynasties sont présentes partout au Japon. La naissance continue à être un élément important de la réussite sociale et du parcours professionnel et nous n’avons pris que des exemples parmi les plus connus.