La dynastie inconnue qui règna sur le Japon

Minamoto, Ashikaga et Tokugawa, sans oublier évidemment les empereurs, le Japon a été gouverné par des dynasties qui forment les différentes périodes de son histoire. Il y a cependant une autre dynastie, celle-ci n’est pas secrète mais elle a longtemps été camouflée et reléguée à l’arrière-plan de l’histoire. C’est peut-être parce qu’il ne s’agissait pas d’une dynastie d’hommes mais d’une dynastie de femmes : les impératrices Fujiwara.

目次

Comment définir une dynastie?

Qualifier les impératrices Fujiwara d’inconnues est sans doute exagéré, elles n’ont jamais été cachées même si l’historiographie les a souvent relégué à l’arrière-plan politique. Les qualifier de dynastie pourra aussi paraître exagéré même si elles furent de manière incontestables les matriarches de la brillante époque Heian.

Qui étaient les impératrices Fujiwara?

On peut les situer entre la première moitié du IXe siècle et le début du XIe siècle sur une période de 200 ans qui n’est pas marquée par des dates uniques mais est plutôt le fruit d’un processus. Ces impératrices ont été des épouses, mères ou grand-mères d’empereurs régnants. En tant qu’impératrices elles portaient le titre de Kôgô, ou plus tard de Chûgû, ainsi que nyôgo (dame de la cour, ou épouse secondaireà. Nous parlerons plus souvent de leur rôle en tant qu’impératrice-mère (kôtaibunin), impératrice douairière (kôtaigo) ou grande impératrice douairière (Taikôtaigo). Ces différents titres représentent plus que des honneurs, c’est une véritable hiérarchie familiale qui va avoir son importance. Dans la Chine de la dynastie Tang les impératrices douairières (l’épouse de l’empereur précédent) avaient une grande importance politique, peu importe qu’elles soient la mère de l’empereur régnant. Au Japon être la mère effective de l’empereur était plus important, la kôtaibunin pouvait ainsi être issue d’une simple concubine. Avec le temps elle pouvait accroître son influence jusqu’à être élevée au rang de kôtaigo puis de taikôtaigo.

Portrait officiel d’intronisation de l’actuelle impératrice Masako, elle est revêtue du costume de cour de l’époque Heian, le Junihitoe avec ses 12 couches de vêtements. Le nombre de couches, l’accord des couleurs et les ornements étaient strictement codifiés pour illustrer la hiérarchie féminine de la cour.

Pour dire les choses d’une autre manière, n’importe quelle femme entrant au service de l’empereur pouvait éventuellement parvenir à une situation de pouvoir, même en n’étant pas l’impératrice consorte en titre. Cela laissait la porte ouverte à toutes sortes de stratégies matrimoniales parmi la noblesse de cour kuge. Cela nous amène à l’autre caractéristique de ces impératrices : elles étaient toutes membres de la lignée principale (Hokke) de la famille Fujiwara.

La couronne de glycine (Fuji) est devenu le blason (mon) de la famille Fujiwara. C’est en conférant cet ornement à Nakatomo no Kamatari que l’empereur mena au changement de nom familial.

Les Fujiwara étaient la première famille noble de la cour impériale depuis le VIIe siècle ap. J-C. On les retrouve déjà au VIe siècle dans des positions influentes sous le nom de Nakatomi avant que Nakatomi no Kamatari se voit attribué par l’empereur Tenji le surnom de Fujiwara. La branche principale de la famille servit de ministres et conseillers de cour sur plusieurs générations. Tour à tour alliés de la dynastie impériale ou champions de la noblesse et de ses privilèges ils ont su préserver leur influence à chaque génération.  

Au début du IXe siècle, après le règne de l’empereur Kanmu, qui marque le début de l’époque Heian, le pouvoir des Fujiwara franchit une étape et les femmes de la famille y furent pour beaucoup. Par le mariage de sa fille avec l’empereur Ninmyô, Fujiwara no Yoshifusa fut le premier à obtenir le titre de sesshô, régent d’un empereur mineur. A la suite de quoi, génération après génération, presque sans faute, les Fujiwara furent capables d’imposer des princes héritiers issus de princesses Fujiwara. D’abord en tant que sesshô puis en tant que kampaku (régent d’un empereur adulte) ils détenaient le nairan, le droit d’inspection, délégué par l’empereur en vertu de leur lien familial. Ce droit leur donnait un pouvoir de décision sanctionné par un empereur plus ou moins présent. Il leur donnait aussi la possibilité de faire nommer à des postes de cour leurs parents et clients. La vaste parentèle et clientèle des Fujiwara leur assurait, mieux que les fonctions officielles de gouvernement, un contrôle étendu sur la cour et le pays.

Ce type de gouvernement a été qualifié de « régence » par les historiens et marque la séparation entre deux époques. L’époque des Codes (Ritsuryô) où la cour était organisée sur des codes de lois qui définissaient la place de chacun selon des rangs et des fonctions à la manière de l’Etat chinois, le modèle absolu confucéen. La régence des Fujiwara marque l’avènement de l’Ochô Kokka, le règne de la cour durant laquelle les codes et les rangs continuent d’exister et d’être appliqués tout en étant dévoyés par la mainmise clanique et clientéliste des Fujiwara. La cour passe alors d’un « Etat de droit » à celui d’un gouvernement aristocratique.

Hall principal du sanctuaire d’Heian (Heian Jingu) à Kyôto, reproduction du XIXe siècle (taille réduite) de la salle d’audience du palais intérieur (Dairi) de l’époque Heian.

Pour que les Fujiwara exercent leur régence il leur fallait un prince héritier issu de leur sang. Pour cela il leur fallait avoir une Fujiwara aux côtés de l’empereur pour l’engendrer. Les femmes du clan Fujiwara étaient donc fondamentale au régime politique du IXe-XIe siècle. Mais si la série des impératrices issues du clan Fujiwara n’existait que pour répondre aux besoins politiques de leur famille peut-on parler d’une dynastie d’impératrices ?

Peut-on parler de dynastie?

L’historiographie japonaise, jusqu’à quelques années, ne considérait pas les femmes Fujiwara de l’époque Heian comme des actricess politiques à part entière, encore moins comme une dynastie. Ces impératrices furent considérées comme les outils politiques dociles et effacés de leurs pères ou de leurs frères dans le maintient de l’influence du clan sur la cour. Il est vrai qu’aucune de ces impératrices ne régna sans l’appui de sa famille, elles étaient toujours associées aux membres masculins du clan dans l’exercice de leur pouvoir, sans parler de la présence de leur époux impérial.

Scène de cour de l’époque Heian. Les femmes de cour étaient alors vêtues de kimonos de soie selon leur rang. Les cheveux étaient dénoués et tombaient dans le dos et en mèches arrangées sur les côtés du visage. Selon les canons de la beauté de l’époque, le front et la bouche devaient être petits, les joues ronde, le teint pâle. Les sourcils étaient rasés et ensuite peints plus haut sur le front en deux points noirs.

Il y a cependant une erreur de perspective ici. Elle suppose que les impératrices Fujiwara étaient des relais de l’autorité familiale implantés au côté de l’empereur, le véritable pouvoir étant exercé à l’extérieur par le chef de clan. Hors l’influence et l’autorité des Fujiwara ne provenaient pas de leur vaste clientèle ou de leur puissance personnelle, elle provenait du lien de sang créé par l’impératrice entre eux et le nouvel empereur à moitié Fujiwara. Les impératrices Fujiwara, loin d’être un relais, étaient la source de cette autorité. Sans elles point de nairan, point de droit de nomination, point de régence. Ce lien entre l’impératrice et le régent se traduit dans l’espace du palais : le bureau gérant les besoins de l’impératrice au coeur du palais, le Jôneiden, est adopté par le premier régent Fujiwara no Mototsune comme le lieu de travail et de réunion. Les régents étaient littéralement installés dans les bureaux de l’impératrice, directement en contact avec elle.

« Après avoir été nommé chancelier (Fujiwara no Mototsune) déclina l’honneur quatre fois. Pendant ce temps, le conseil d’Etat resta bloqué sur de nombreux sujets. Le noble conseil siégea et envoya un secrétaire pour informer Mototsune des affaires d’Etat qui était à son bureau, il utilisait alors le Shiki no Mizôshi. Après Mototsune, cela devint la tradition. » (Nihon Sandai Jitsuroku)

あわせて読みたい
Comment Kyôto a-t-elle été fondée? Kyôto signifie littéralement la "ville capitale", elle a été fondée pour pour être la résidence des empereurs du Japon depuis le VIIIe siècle et elle a tenu ce rôle pendant mille ans. La ville s'identifie à l'histoire du Japon de part son patrimoine intact mais aussi ses liens entremêlés avec la plupart des grands moments de cette histoire. Raconter l'histoire de la fondation de Kyôto, c'est raconter le temps de l'époque Heian lorsque les empereurs et la cour gouvernaient le pays.

En tant que sources du pouvoir des Fujiwara, ces impératrices disposaient d’une influence sans égale au sein de la cour, relayée à l’extérieur par leur clan. Nous verrons qu’elles disposaient de leur propre administration, de leurs agents. Elles avaient surtout un rôle fondamental dans le choix du prochain souverain, non seulement en faveur de leur propre fils mais aussi en appuyant le candidat de leur choix à la génération suivante. Elles étaient littéralement des faiseuses d’empereurs. Elles n’étaient d’ailleurs pas toujours des impératrices consortes puisque dans plusieurs cas elle n’étaient qu’épouses secondaires. Plus que d’une dynastie d’impératrices il faudrait les désigner par un titre nouveau créé à cette époque pour elles : kokumo, « mère de la patrie ».

« Le 27e jour, la kôtaibunin (Fujiwara no Junshi) se rendit au Palais de l’Est (résidence du prince héritier). Deux jours plus tard, le prince héritier et la kôtaibunin au Palais de l’Est dans le même palanquin. Le procédé était le même que pour les processions impériales à l’exception qu’aucune proclamation n’annonça le palanquin. Elle fit cela pour apporter son soutien au jeune prince. » (Nihon Sandai Jitsuroku)

Le fait que leur pouvoir politique soit secondé et renforcé par des hommes ne change rien à l’affaire, empereurs et plus tard shoguns étaient souvent secondés de telle manière par des conseillers héréditaires ou des membres proches de leur famille (par exemple les régents Hôjô pour les shoguns Minamoto). Le pouvoir n’avait pas besoin d’être solitaire pour être légitime. L’existence même de la régence montre que la coexistence de la monarchie et d’une autre dynastie gouvernante n’était pas non plus une raison de ne pas considérer les impératrices comme une dynastie.

Scène illustrée du Genji Monogatari qui dépeint les relations entre les membres de la cour du début du XIe siècle.

Cependant une dynastie se définit surtout par la succession de ses membres sur une longue durée. Les impératrices successives n’étaient évidemment pas mères et filles, le plus souvent elles étaient tantes et nièces. Par choix d’un successeur il faut entendre ici la sélection de la nouvelle génération devant faire son entrée au palais en tant qu’épouse, nyôgo. Cette sélection dépendait de plusieurs facteurs : il fallait déjà répondre à des critères de beauté, de culture et d’intelligence mais nous verrons que les rivalités entre fratries et factions au sein du clan Fujiwara entraient aussi en compte, sans parler du besoin d’avoir plusieurs candidates pour s’assurer de la production d’au moins un descendant mâle survivant. Nous verrons aussi qu’il fallut aussi à ces princesses Fujiwara une forte volonté de gouverner et d’imposer leurs choix face à leurs rivales. Les Fujiwara éduquaient leurs filles dans ce but mais la sélection et le choix même se faisait avant tout par l’impératrice-douairière précédente. Les documents d’époque démontrent qu’elle avait le dernier mot en la matière, désignant ainsi véritablement sa successeure potentielle.

Si le règne des impératrices Fujiwara peut être délimité dans le temps et défini par un régime politique précis. Si elles disposaient d’un pouvoir politique, ou du moins d’une influence politique, majeur et reconnu. Si elles avaient leur propre volonté et la capacité de sélectionner leur successeure alors on peut considérer que les impératrices Fujiwara forment une dynastie de bon droit, associée à la dynastie impériale et à la dynastie des régents, tous membres de leur famille, réunis par elles.

Pour comprendre les conditions qui ont permis la formation de cette succession d’impératrices Fujiwara il faut cependant faire un retour en arrière pour comprendre les évolutions du rôle des impératrices.

L’évolution du rôle des impératrices (VIIe-IXe siècles)

Impératrices régnantes au VIIe-VIIIe siècles

Alors que la cour du royaume de Yamato émerge progressivement de la protohistoire au VIe siècle on observe une monarchie dont les règles de fonctionnement étaient déjà bien établies. Les empereurs choisissaient alors leurs impératrices auprès de cousines, tantes ou nièces. Cette pratique des mariages endogamiques n’est pas clairement expliquée dans les sources de l’époque mais on la justifie généralement comme un moyen pour conserver l’indépendance du clan impérial face aux familles nobles de la cour. Un mariage entrant ou sortant aurait donné trop de poids sur les affaires à cette belle-famille. La question était importante à une époque qui a connu plusieurs guerres de successions où les candidats s’appuyaient sur des factions de la cour (dans lesquelles les Fujiwara furent souvent impliquées).

L’impératrice est alors la consorte de l’empereur mais en tant que membre de la famille impériale son statut lui permet de participer aux cérémonies publiques de la cour aux côtés de son époux sur un pied égal. Lors de celles-ci elle est placé au même niveau que celui-ci et reçoit par exemple les hommages des membres de la cour au même titre que l’empereur lors des cérémonies du nouvel an. Elle dispose d’une grande influence politique et est parfois qualifiée de shirie no matsurigoto (qui pourrait se traduire par le pouvoir derrière le trône). A la générations suivante, l’ancienne impératrice, avec le titre d’Ôkisaki, devenait une impératrice douairière conservant une grande influence sur son successeur. Marque supplémentaire de cette importance, elles étaient éligibles pour monter sur le trône.

L’impératrice Suiko, à la fin du VIIe siècle, fut la première impératrice régnante en son propre nom. Son règne permit de reporter à la génération suivante les intenses luttes de factions qui éclataient à chaque succession.

Les historiens japonais ont théorisé les impératrices régnantes en parlant de « Jôtei Chûkei Setsu » et faisant d’elles des souveraines sans pouvoir placées sur le trône par la cour pour faire de règne de transition en attendant qu’un héritier mâle arrive en âge de régner. Il est vrai que ces impératrices régnantes montaient sur le trône quand un héritier était trop jeune, leur règne pourrait être perçu comme une régence, mais cela ne veut pas dire qu’elles étaient sans pouvoir. L’impératrice Jitô est sensé avoir combattu auprès de son mari Tenmu lors de la guerre de succession de 672. L’impératrice Saimei devait conduire une expédition en Corée au moment de sa mort. L’impératrice Genmei mena le déménagement ver la nouvelle capitale de Nara et promulgua de nouveaux codes de loi. Elles eurent aussi à s’imposer face à des rivaux pour le trône, l’impératrice Kôken/Shôtoku s’opposa aux Fujiwara et dut écarter par la force son parent Junnin pour remonter sur le trône. Qu’elles aient été entourées de conseillers parfois puissants n’est pas différent des empereurs masculins mais elles n’en furent pas moins actives et capables d’initiatives.

L’impératrice Kôken/Shôtoku attire à elle le moine Dôkyô. Cette impératrice active et autoritaire fut après sa mort réduite à un scandale de cour discréditant les souveraines après elle.

Si l’empereur montant sur le trône était le fils d’une concubine, celle-ci était élevée au rang de kôtaihi (impératrice-mère, plus tard kôtaibunin) et voyait son influence grandir au même niveau que celle de l’impératrice douairière (l’impératrice kôgô en titre du règne précédent). Contrairement à la Chine de la même époque, la véritable filiation était plus importante. Ainsi Fujiwara no Asukabehime, de simple concubine, devint une épouse secondaire avant d’être nommée impératrice en titre sous le nom de Kômyô après l’élévation de sa fille au rang d’héritière. Asukabehime fut la première impératrice puissante à ne pas être issue du clan impérial ainsi que la première issue des Fujiwara.

あわせて読みたい
La famille impériale japonaise : petits scandales autour du trône du chrysanthème En presque 15 siècles la lignée des empereurs japonais donne l’impression d’une succession sans interruption et sans difficultés. Peu importe la personnalité de l’empereur, l’institution garde toujours sa dignité et son caractère sacré. Cette image lisse de la dynastie japonaise a surtout la création des hommes de l’époque Meiji et de leurs successeurs. L’institution impériale, incarnation de la nation, devait apparaître digne, inattaquable, éternelle. Le trône du chrysanthème a bien sûr eu ses heures de gloire mais aussi ses heures sombres... et quelques scandales. Tous les empereurs n’ont pas été des idôles intouchables pour leurs sujets, certains ont même eu des fins pathétiques. Abandonnés, fous, séduites, réduits à la mendicité, empoisonnés ou cachés, voilà quelques uns de ces destins impériaux.

Marque sociale de cette puissance, la même Asukabehime avait obtenu la création d’une administration séparée dédiée à son service. Le Kôgô Gûshiki était situé dans l’enceinte du palais au sens large mais en dehors de sa partie intérieure dédiée à l’espace privé de la famille impériale. Il était desservi par des fonctionnaires masculins mais aussi des fonctionnaires féminines, les miyabito. Celles-ci étaient présentes par ailleurs avec un office réservé aux femmes, le Naishi-no-tsukasa. Ses membres étaient nombreuses et dirigées par la Naishi-no-kami (un rôle qui finit par devenir le rang féminin le plus élevé après l’impératrice elle-même). Elles étaient chargées de faire la liaison entre l’empereur et le Daijôkan (la branche gouvernementale de la cour) et servaient pratiquement de secrétaires à l’empereur, elles devaient donc être lettrées et capables de correspondre dans le style le plus fleuri. L’impératrice Kômyô disposait ainsi de ses propres revenus et moyens, lui offrant une certaine autonomie au sein du palais.

C’est enfin à la même époque que de nouveaux titres vont prendre de l’importance. Kômyô fut nommée kôgô en 729, elle devint kôtaibunin (impératrice-mère) à l’avènement de fille Kôken. A ce moment son mari l’ex-empereur Shômu est encore vivant, c’est à sa mort qu’elle devient finalement kôtaigo, impératrice douairière. On voit une emphase donnée au rôle de l’impératrice séparement de l’empereur même en signifiant son importance même après son règne. Cette emphase correspond cependant à une évolution qui, après Fujiwara no Asukabehime, modifia radicalement le sens donné au rôle des femmes à la cour.

Le changement du rôle des femmes à la cour

Alors qu’est-ce qui a changé ? Les historiens japonais ont tout d’abord considéré qu’après le règne autoritaire de Kôken/Shôtoku, vilipendée après sa mort pour sa supposée liaison avec le moine Dôkyô (une invention probable), les femmes avaient été écartées du trône. L’influence des femmes aurait diminué pour se cantonner dans la sphère privée à mesure que les Fujiwara s’emparait de la régence au IXe siècle, imposant leurs filles aux côtés d’empereurs rendus impuissants. Celles-ci n’auraient été que des extensions de la puissance de leurs pères ou frères.  

Plan simplifié du palais impérial de l’époque Heian. Ce vaste espace est divisé en plusieurs espaces spécialisés. Le palais proprement dit (le lieu de vie des empereurs) était situé dans le palais intérieur Dairi. Le Daijôkan accueillait les bâtiments de gouvernement tands que le Daigokuden était réservé aux grandes cérémonies. Le Kôgô Gushiki était situé dans cette enceinte.

Le changement a en fait été plus subtil et n’est pas directement à imputer aux Fujiwara. Après le règne de Shôtoku, l’empereur Kônin monta sur le trône, replaçant ainsi une branche cadette sur le trône. Durant ce règne l’impératrice, la princesse Inoue, transfèra le bureau du Kôgô Gûshiki au cœur même du palais intérieur, semblant ainsi perdre son autonomie. Lors des cérémonies publiques du règne de Kônin puis de Kanmu, l’impératrice cessa progressivement d’être présentée sur un pied égal avec son époux pour être reléguée en arrière, voir être absente. Par exemple, à la place de la cérémonie des vœux de la nouvelle année, une nouvelle cérémonie fut créée par l’empereur Kanmu. L’impératrice eu droit à sa propre cérémonie de vœux où son fils et toutes les femmes de la cour venaient lui rendre hommage tandis que l’empereur recevait les officiers de cour la veille dans une plus grande cérémonie. La gestion des cérémonies fut confiée à un bureau au coeur de la sphère privée du palais, le Jôneiden, qui réunit bientôt tous les services liés à l’impératrice (et devint par la suite le lieu de travail du régent Fujiwara). L’importance de l’impératrice dans l’Etat et la sphère publique disparut mais dans le même temps son influence dans la sphère privée grandit.

Plan plus détaillé du Dairi. Le Jôneiden est situé immédiatement derrière les salles d’audiences. Le Shiki no Mizôshi était situé immédiatement à l’Est du palais intérieur.

Le nombre de concubines et d’épouses secondaires augmenta à cette période et avec elles le nombre de leurs serviteurs. L’impératrice, en tant que maîtresse dans l’enceinte du palais gérait ce microcosme sans partage. Parallèlement les fonctionnaires féminines, les miyabito, disparaissaient progressivement. L’empereur Kanmu ne les supprima pas directement mais cessa de leur attribuer un rôle public et de les promouvoir. Les femmes de la cour furent désormais reléguées au service de l’impératrice et des autres dames pour un service exclusivement féminin. La titulature de l’impératrice la présente alors comme la maîtresse à l’intérieur de l’enceinte du palais. A l’époque de l’empereur Kanmu, l’impératrice Fujiwara no Otomuro fut une présence discrète dont le modèle fut repris par ses successeures.

あわせて読みたい
Go-Shirakawa, le crépuscule de l’époque Heian. Le 26 avril 1192 s'éteignait l'empereur retiré Go-Shirakawa après une vie de luttes politiques et de complots. Son règne charnière vit le glissement de l'autorité publique de la cour impériale vers les samurais dans une période de guerres civiles qui furent naître le Musha no Yo, le temps des guerriers.

Cette évolution tient pour beaucoup aux convictions de Kônin puis de Kanmu très attachés au modèle confucéen inspiré de la Chine. En Chine justement, à la cour de l’empereur les femmes exerçaient leurs fonctions dans la seule sphère privée dont l’impératrice douairière était la maîtresse. Dans la sphère publique le rôle dominant des hommes était affirmé. On retrouve l’organisation de la société selon des rôles définis par le sexe, l’âge et les liens familiaux. Kanmu fut un grand réformateur et plus particulièrement un imitateur de la Chine, son règne devait instaurer une société harmonieuse car ordonnée. Le rôle traditionnel dévolu aux femmes de la cour et aux femmes de la famille impériale devait s’aligner sur les préceptes de Confucius.

Ce ne fut cependant une réforme violente mais une évolution acceptée par le Daijôkan et la cour. Cette évolution fut accompagnée de scandales décrédibilisant le rôle des femmes dans les cercles du pouvoir. Ainsi la puissante Naishi-no-kami Fujiwara no Kusuko en fit les frais. Sous le règne du successeur de Kanmu, l’empereur Heizei, elle entretint une relation illicite avec celui-ci. Après l’abdication d’Heizei en faveur de son frère Saga elle est sensée avoir poussé les deux frères à l’affrontement. En 810 elle aurait planifié avec d’autres courtisans une fuite d’Heizei pour lui permettre de revendiquer le trône et défier Saga. Les conspirateurs furent découverts et exécutés, Kusuko fut rendue responsable par son influence féminine mal placée de dévoyer l’ordre politique. Après l’incident de Kusuko (Kusuko no Hen), le rôle dévolu au Naishi-no-tsukasa fut transféré à des secrétaires masculins, les kurodô. Le Naishi-no-tsukasa perdura mais dans rôle strictement réservé au gynécée impérial.

Par imitation de la Chine, par volonté de modernisation, l’empereur Kanmu poussa à effacer le rôle public des femmes et de l’impératrice en premier tout en l’affirmant dans la sphère privée du palais. Ce qu’il n’avait pas prévu c’est qu’en rabaissant le rôle de l’impératrice, souvent issue de la famille impériale, il le mettait à portée d’épouses secondaires et de concubines issues de la noblesse. En retirant l’impératrice des affaires publiques il lui donnait la maîtrise de la sphère privée, une influence sur les femmes mais aussi sur ses fils et sur les faveurs débarassée des codes cérémoniels. C’est en tout cas après le règne de Kanmu que débuta la succession des impératrices fortes, les kokumo.

Le roman des impératrices

Les précurseures (VIIIe siècle)

Fujiwara no Asukabehime (impératrice Kômyô, 701-760) 

Elle ne fait pas à proprement parler de la dynastie des kokumo, le titre n’existe d’ailleurs pas encore, et fait partie d’une autre époque mais par bien des côtés elle représente une première étape. Petit fille de Kamatari, le fondateur des Fujiwara et fille du puissant ministre Fujiwara no Fuhito,  elle fut la première Fujiwara à être élevée au rang de kôgô auprès de son mari l’empereur Shômu. Elle fut ainsi la mère de Kôken/Shôtoku, qui fut impératrice régnante. Elle fut l’une des premières à exercer un rôle politique de premier plan après la fin du règne de son époux. Elle fut surtout l’arbitre des luttes politiques entre sa fille, une souveraine autoritaire, et la noblesse menée par Fujiwara no Nakamaro, son propre neveu. Sa mort fut l’une des causes de la révolte et de l’élimination de ce dernier qui permit à Kôken de reprendre le trône par la contrainte sous le nom de Shôtoku.

Portrait imaginaire réalisé au XIXe siècle de l’impératrice Kômyô.

Après sa mort et la fin de règne chaotique de sa fille les impératrices suivantes restèrent dans l’ombre. Le plus souvent parce qu’elles décédèrent avant leur époux et ne purent exercer d’influence par elles-mêmes ou parce qu’elles n’appartenaient pas à la branche Hokke des Fujiwara. La princesse Inoue avec Kônin ou la première impératrice de Kanmu, Fujiwara no Otomuro (760-790) suivaient ainsi les principes confucéens de leurs époux qu’ils imposèrent alors à la cour. Otomuro, qui fut la mère des empereurs Heizei et Saga, était par ailleurs issue d’une lignée cadette et décéda en 790, avant son mari, elle ne reçut le titre posthume de kôtaigo (impératrice douairière) qu’après l’accession de son fils sur le trône par devoir de piété filiale.

Tachibana no Kachiko (impératrice Danrin, 786-850)

Comme son nom l’indique elle ne faisait pas partie du clan Fujiwara mais d’une autre famille noble dont elle fut l’unique impératrice. Elle se maria avec l’empereur Saga (second successeur de Kanmu) après qu’il soit monté sur le trône. Quand Saga se retira au profit de son demi-frère Junna en 823, elle fut nommée kôtaigo et se retira avec son époux non sans avoir marié sa fille Seishi au nouvel empereur (son oncle). Elle devint enfin grande impératrice douairière (taikôtaigo) en 840 à la mort de Saga, elle se retira dans le temple fondé par elle-même, le Danrin-ji. Kachiko, en tant qu gardienne de la mémoire du défunt Saga pouvait se prévaloir d’une autorité morale sur la cour et d’une influence politique qui dépassa ses prédécesseuses.

Parée après sa mort des vertus de la bonne épouse et de la bonne bouddhiste, Tachibana no Kachiko est représentée ici en train de baigné un pauvre homme, en fait le Bouddha dissimulé.

Ce pouvoir est illustré dans ce que l’on appela le « Jôwa no hen » (le désordre de Jôwa) en 842. Les tenants de l’incident sont un peu complexes, surtout en ce qui concerne la généalogie impériale, accrochez-vous. Le défunt empereur Kanmu avait ordonné sa succession pour que chacun de ses fils règnent : Heizei, Saga et Junna. Après que le dernier frère soit monté sur le trône un accord avait permis de faire monter le fils de Saga, Ninmyô sur le trône. En échange, le prince Tsunesada, fils de Junna, fut nommé prince héritier (il était au passage le fils de la princesse Seishi, la sœur jumelle de Ninmyô). L’empereur Ninmyô de son côté souhaitait que son propre fils lui succède. Après la mort de l’empereur retiré Junna en 840, Ninmyô fit de moins en moins mystère de ses intentions, faisant pression sur le prince héritier. En 842, le vieux Saga s’éteignit à son tour et Ninmyô, assisté de son ministre Fujiwara no Yoshifusa s’opposa à sa sœur, la kôtaigo Seishi qui protégeait son fils. Le prince Tsunesada tenta de s’enfuir de Kyôto avec l’aide de ses proches mais arrêté et déposé de ses titres. Ninmyô put nommer son fils prince héritier, futur empereur Montoku.

On fait souvent de cet épisode une querelle entre Ninmyô et sa sœur Seishi, il marque aussi le début de l’ascension politique de Fujiwara no Yoshifusa qui allait instaurer la régence quelques années plus tard. La question ne fut cependant pas réglée par eux. Au plus fort des tensions à la cour c’est la taikôtaigo Tachibana no Kachiko qu’on alla chercher. Elle désavoua sa fille au profit de son fils. Son autorité en tant que grande impératrice douairière, dernière expression vivante du défunt Saga et grande génitrice justifiant de lui donner le dernier mot dans une décision aussi importante que le choix du prochain souverain. Sa décision était définitive. La raison de son choix s’explique par la fidélité à la pensée confucéenne de Saga qui dictait de préférer le descendant de Saga par les hommes (et donc Ninmyô) plutôt que par les femmes (Seishi). Probablement ne savait-elle pas qu’elle venait d’ouvrir la voie à une femme de grande ambition.

L’ascension des kokumo

Fujiwara no Junshi (809-871, « impératrice Gôjo ») 

Fille du ministre Fujiwara no Fuyutsugu et soeur de Yoshifusa, elle fut placée comme épouse secondaire auprès de l’empereur Ninmyô mais sans être kôgô (impératrice). Elle donna cependant naissance en 826 au fils aîné de l’empereur qui devint ensuite Montoku. Son importance à la cour était secondaire mais l’incident de Jôwa lui assura que son fils monterait sur le trône, faisait grandir son influence au sein du palais. Par un concours de circonstances Tachibana no Kachiko décéda en 850 alors que Montoku montait sur le trône. Junshi devenait ainsi la mère de l’empereur régnant mais aussi la femme la plus importante de la cour.

Estampe du début du XVIIIe siècle illustrant un poème de l’impératrice Junshi avec son portrait imaginaire. Elle est reconnaissable à son kimono Junihitoe.

Cette importance fut gênée par l’existence de la kôtaigo Seishi qui, revancharde, tenta d’empêcher l’ascension de la mère du rival de son fils. Junshi était impératrice-mère (kôtaibunin) mais elle aspirait à devenir kôtaigo, titre que Seishi refusa d’abandonner. La solution fut de « promouvoir » Seishi au titre de taikôtaigo en 854 (titre qui importait peu depuis qu’elle vivait retirée dans un temple), laissant la voie libre pour Junshi. Dès 850, Junshi marquait son influence sur son fils en poussant la sélection de son impératrice, Fujiwara no Meishi, sa nièce (fille de Yoshifusa). Elle appuya aussi la nomination de Yoshifusa au rang de chancelier (Daijô-Daijin) en 857.

Un an plus tard, en 858, son fils Montoku décéda. La question de la succession se posait. Meishi et Montoku avaient eu un fils, nommé héritier, mais il n’avait encore que 8 ans et n’avait pas l’âge de monter sur le trône. Au siècle précédent un règne de transition par une femme se serait normalement imposé mais l’impératrice n’était issue de la famille impériale et il était hors de question de faire appel à Seishi ou à un autre prince.  La kôtaigo Junshi se fit alors porter en procession jusqu’au palais du prince héritier et le ramena avec lui avec tout le décorum dû au nouvel empereur. Cette mise en scène, le poids dans le palais de Junshi, ainsi que celui de Yoshifusa à la cour, fut suffisant pour imposer le premier empereur-enfant de l’histoire japonaise, Seiwa.

Pour accompagner l’enfant une régence fut organisée avec Fujiwara no Yoshifusa comme gardien avec le titre de sesshô. Pour garantir cette nomination le poids de Junshi fut renforcé. Elle laissa le titre de kôtaigo à sa bru mais prit pour elle-même un titre nouveau digne de son importance, Kokumo, mère de la patrie. Elle continua à exercer son autorité jusqu’à sa mort en 871 et peut être considérée de plein droit comme la première de cette lignée des kokumo, autant pour l’étendue de son pouvoir que pour son rôle dans la succession impériale et la sélection de sa propre successeure alors qu’elle ne fut jamais impératrice en titre.

Fujiwara no Meishi (828-900)

Sélectionnée par sa tante, éduquée pour être kôgô, Meishi devait suivre une trajectoire déjà tracée par sa prédécesseuse. Junshi dominait alors le palais et garantissait la poursuite du gouvernement des Fujiwara. Quand Seiwa atteignit l’âge adulte en 864, Yoshifusa déposa sa régence mais garda une grande partie de son influence en tant que frère de l’impératrice douairière et père de l’impératrice-mère (et donc grand-père de l’empereur). C’était cependant Junshi qui prenait les décisions concernant la vie du palais. Meishi avait été nommée kôtaigo quand Seiwa était monté sur le trône mais ce fut encore Junshi qui sélectionna l’épouse de Seiwa en 866 en la personne de Fujiwara no Takaiko (la sœur de Mototsune, fils adoptif de Yoshifusa). Junshi décéda en 871 et son frère Yoshifusa en 872, un changement de garde s’était opéré. En 876, l’empereur Seiwa avait 24 ans et son propre fils avait huit ans, tant Meishi que Mototsune poussèrent à l’abdication de Seiwa. Mototsune devint à son tour régent du nouvel empereur Yôzei tandis que Meishi, déjà kôtaigo prenait le titre de kokumo, se plaçant dans la continuité de sa prédecesseure. Illustrant sa prise de contrôle de la cour, Meishi s’installa dans une partie du palais appelée Shiki no Mizushi, à proximité immédiate du Jôneiden, d’où elle pouvait surveiller les activités liées à l’impératrice et contacter directement le régent Mototsune. Elle put enfin se faire nommer taikôtaigo seulement en 879 à la mort de Seishi, depuis longtemps retirée de la cour.

Portrait de l’empereur Seiwa dans ses vêtements de moine bouddhiste.

Coup du sort et retraite

Fujiwara no Takaiko emboîta immédiatement le pas en étant nommée kôtaibunin (impératrice-mère) en 876 puis kôtaigo en 882. Elle serait sans doute devenue kokumo à son tour si l’inattendu ne s’en était pas mêlé. Le jeune empereur Yôzei se révéla mentalement instable, prompt à la cruauté et aux excès. Les années passant les tendances du jeune empereur ne faisant qu’empirer poussant Fujiwara no Mototsune à se faire nommer régent d’un empereur adulte, kampaku. Cela aurait pu être une étape supplémentaire dans le pouvoir des Fujiwara mais l’empereur sous tutelle se révéla ingérable et Mototsune n’eut d’autre choix que prononcer la déposition de Yôzei et sa relégation dans un monastère de montagne (où il vécut jusqu’à un âge avancé).

Cette décision fut une catastrophe tant pour Meishi que Takaiko. Malgré leurs titres respectifs elles perdirent toute influence sur la cour, n’étant plus reliée, de près ou de loin au nouvel empereur, qui ne les portaient pas dans son cœur. Le nouvel empereur Kôkô était un fils cadet de l’empereur Ninmyô, déjà âgé au moment de son intronisation et marié avec une princesse impériale (Hanshin, petite-fille de Kanmu). Son propre fils et héritier était déjà adulte. Les Fujiwara perdaient toute possibilité d’influer sur les deux règnes suivants. Mototsune conserva cependant une part non négligeable de pouvoir puisqu’il resta kampaku durant tout le règne de Kôkô et qu’il put négocier le mariage d’une de ses fille au vieil empereur. Il ne dépose sa charge qu’en 890 après le scandale d’Ako et décéda deux ans plus tard. Les règnes de Kôkô et Uda peuvent se résumer par une longue et âpre confrontation, n’excluant pas les compromis, entre les Fujiwara et les empereurs.

Estampe du XIXe siècle représentant Fujiwara no Takaiko rencontrant son amant Ariwara no Narihira sur la rivière Fuji.

En tant que princesse impériale Hanshi, la mère de l’empereur Uda, n’était pas reliée directement aux Fujiwara. L’empereur Kôkô puis l’empereur Uda, étaient violemment opposés à l’idée de laisser de nouveau les Fujiwara gouverner la cour au moyen des femmes. Hanshi avait donc pour mission d’assurer par les mariages l’indépendance de la famille impériale. Takaiko avait perdu toute autorité et plusieurs scandales liés à des affaires amoureuses finirent de la décrédibiliser. La taikôtaigo Meishi par contre devait encore représenter une adversaire de poids.

Le prince Sadami, futur empereur Uda, était déjà marié lorsqu’il devint prince héritier. Son épouse, Fujiwara no Inshi faisait partie d’une branche cadette des Fujiwara et ne représentait pas une menace, elle était la mère de l’aîné de Uda et aurait pu jouer un rôle plus important mais elle décéda rapidement en 896. Il revenait de désigner une autre épouse principale pour l’empereur. C’est là que l’influence des Fujiwara se manifesta. En 885, quand le changement de règne était encore récent et que Mototsune était encore régent, Hanshi dut permettre que le futur Uda épouse une Fujiwara de la branche principale, sans doute par esprit de compromis. Fujiwara no Onshi ne fut cependant pas une rivale, à la mort d’Inshi elle devint la mère de substitution de ses enfants et ne produisit pas de fils. Quand l’empereur Daigo succéda à Uda en 897 elle fut nommée impératrice-mère mais se retira rapidement dans un monastère en 905 et décéda en 907. A ce moment la famille impériale était encore capable de maintenir les Fujiwara en respect.

Retour aux affaires pour les Fujiwara

Fujiwara no Onshi II (885-956) 

Elle est souvent confondue avec sa demi-sœur Onshi I. Elles sont toutes deux des filles de Mototsune (par des mères différentes) et leurs noms semblables s’écrivaient avec des kanjis différents. Pour ne pas les confondre je les différencie ici en leur attribuant un numéro. La question du mariage de l’empereur Daigo, monté sur le trône en 897, était alors très épineuse. L’empereur retiré Uda était fondamentalement opposé à un mariage avec les Fujiwara contre l’influence desquels il avait lutté durant tout son règne. Dans un premier temps il avait tenté un mariage consanguin en plaçant sa sœur auprès de son fils avec dans l’idée de nommer un héritier « pur » issu de leur union. La princesse Tameko décéda cependant en 899. L’empereur Daigo lui-même, influencé par sa mère adoptive Onshi I appuya la candidature de la jeune Onshi II. La mort de l’impératrice douairière Hanshi en 900 contribua encore à mettre l’empereur retiré en minorité et Onshi II fit son entrée à la cour en tant qu’épouse secondaire de Daigo.  

Uda, furieux, poussa l’idée de nommer un autre de ses fils empereur. Le conflit mena à l’incident de Shôtai où Fujiwara no Tokihira (le frère d’Onshi I et II) confronta le fidèle ministre d’Uda, Sugawara no Michizane sur les intentions de l’empereur et le fit exiler dans le Kyûshû en 901.

Fujiwara no Tokihira (portant le sabre) se défendant contre l’attaque du dieu de la foudre Raijin, convoqué par l’âme vengeresse de Sugawara no Michizane, le ministre disgrâcié par ses machinations. Derrière lui on aperçoit un junihitoe, serait-ce sa soeur Onshi?

Onshi II était alors la seule femme d’importance de la cour, Hanshi était décédée en 900 (de même que Meishi), Onshi I se retira en 905. En tant qu’impératrice elle put de nouveau favoriser sa famille auprès de l’empereur Daigo qui n’avait pas les préventions de son père, retiré et hostile. Le règne de Daigo fut long et particulièrement paisible, mis à part les craintes d’une malédiction de Sugawara no Michizane, mort en exil et qui, croyait-on, accabla la cour de catastrophes dont la mort des deux fils aînés de l’empereur issus d’autres épouses que Onshi II. 30 ans plus tard, L’empereur Daigo décéda (930) tandis que le vieil Uda le suivait l’année suivante (931). Le temps avait joué en faveur des Fujiwara.

あわせて読みたい
Qui sont les trois grands fantômes du folklore japonais? Parmi la foule des fantômes, esprits, monstres et créatures du folklore japonais domine une série de 3 figures surnaturelles particulièrement importantes dans la culture japonaise. Trois figures qui sont toutes tirées de personnages historiques aux destins tragiques. Qui étaient-ils?

Le nouvel empereur Suzaku n’avait que neuf ans, le demi-frère de l’impératrice, Tadahira, devint son régent mais cette fois-ci c’était bien Onshi II, impératrice douairière et mère de la patrie, qui tenait le premier plan. La régence se termina et les Fujiwara conservèrent leur pouvoir avec Tadahira comme Daijo-Daijin et ses frères comme ministres. Onshi II avait pris soin de marier son fils avec des Fujiwara choisies par ses soins mais sans succès, à part la naissance d’une fille. C’est sans doute cette infertilité masculine qui poussa Onshi II à obtenir l’abdication de son fils en 946 au profit de son cadet, devenu l’empereur Murakami. Cette abdication fut obtenue après des discussions directes entre la douairière, le régent et son fils, montrant là encore le poids et l’influence directe d’une kokumo sur la vie de la cour.

A cette occasion Onshi II resta auprès de Suzaku, vivant dans le même palais que lui mais toujours maintenant son influence sur le règne de Murakami. Cette fois-ci encore un mariage stratégique fut imposé avec Fujiwara no Anshi. Murakami était déjà adulte et participa au gouvernement mais dans les faits il laissa gouverner d’abord le régent Tadahira puis les fils de ce dernier en tant que ministres et bien sûr sa mère, jusqu’à la mort de celle-ci en 956.

Fujiwara no Anshi (927-964) 

Epouse de l’empereur régnant Murakami, Anshi n’était pas encore en position d’obtenir le titre d’impératrice douairière, qui lui serait revenu de droit et qui avait été libéré à la mort de Onshi II. Son influence sur son mari est très documentée dans les journaux privés de l’époque (souvent conservés malgré leur ancienneté) et laisse présager qu’elle était du même caractère que sa tante Onshi II. Elle avait notamment l’intention d’imposer son troisième fils, son favori, comme empereur au détriment du prince héritier mais elle décéda avant d’avoir eu le temps de faire le changement. Témoignage de son influence, après sa mort son neveu Fujiwara no Kanemichi s’imposa au titre de régent de l’empereur En’yû en 972 en produisant une lettre (forgée ?) le recommandant pour le poste au détriment de son rival Fujiwara no Kaneie. L’empereur En’yû s’inclina devant la volonté posthume de sa grand-mère.

Scène tirée de l’Eiga Monogatari, la principale source sur les évènements au sein de la cour impériale de l’époque Heian.

Entre 964 et 967, entre la mort d’Anshi et la montée sur le trône du jeune Reizei, il n’y eu pas de femme de pouvoir à la cour qui resta entre les mains des Fujiwara. L’absence d’une kokumo à ce moment, qui servait de puissance stabilisatrice, favorisa les luttes de faction entre membres du clan Fujiwara. La régence était entre les mains de Fujiwara no Saneyori mais ses fils Kanemichi, Kaneie puis Koretada rivalisaient pour prendre l’ascendant sur la cour après leur père. Signe de ces rivalités, Reizei fut marié aux filles de ces frères ennemis : Kaishi (fille de Koretada) et Chôshi (fille de Kaneie). Toutes deux eurent des fils de leur union, ils firent rapidement l’objet de luttes politiques. Reizei était jugé mentalement défaillant et ne régna que deux ans entre 967 et 969. Après lui son fils En’yû monta sur le trône et sa mère Kaishi put jouir de l’influence politique d’une impératrice-mère en favorisant son oncle Kanemichi contre Kaneie. Elle décéda cependant en 975 (elle ne fut kôtaigo qu’à titre posthume). De son côté, Chôshi, écartée avec ses fils, disparut en 982. Autrement dit, encore une fois la cour se trouvait sans impératrice forte disposant de l’appui du clan Fujiwara. Cela ne dura pas.

L’apogée

Fujiwara non Senshi (962-1002) 

Les nombreuses luttes de pouvoir du règne d’En’yû prirent, comme pour le règne de Reizei, la forme de luttes matrimoniales au profit des différentes factions rivales des Fujiwara. En’yû n’avait que 11 ans à son accession au trône mais il fut marié à des filles de pratiquement tous les acteurs du drame : Kôshi (fille de Kanemichi), Junshi (fille du régent suivant Yoritada et sœur de Chôshi) et Senshi (fille de Kaneie). Quand En’yû monta sur le trône Kôshi fut nommé impératrice consorte mais l’union se révélant inféconde et elle fut remplacée. Senshi avait alors, en 979, déjà donné un fils à l’empereur mais la puissance politique de Yoritada permit à Junshi de se faire nommer impératrice. Senshi protesta en se retirant avec son fils dans la demeure de Kaneie, elle avait alors perdu pratiquement toute influence et les chances de son fils de monter sur le trône étaient minces.

Cette victoire de Yoritada et Junshi montre encore combien le pouvoir politique des Fujiwara dépendait de la femme se tenant aux côtés de l’empereur. Junshi était impératrice mais elle n’eut pas l’héritier nécessaire pour se maintenir après le règne d’En’yû. Voyant cela et tablant sur l’avenir, de nombreux courtisans préférèrent diriger leur attention vers celle qui deviendrait probablement la prochaine impératrice-mère, Senshi, et évidemment Kaneie. La nomination de Junshi marque le triomphe politique de Yoritada mais son infertilité éroda son pouvoir en tant que régent. Pour pallier à cette situation Yoritada poussa En’yû à abdiquer au profit de l’empereur Kazan. Kazan était l’autre fils de Fujiwara no Kaishi (c’est Kazan qui la nomma kôtaigo à titre posthume) et neveu du défunt Kanemichi. Puisque Kaishi et Kanemichi étaient déjà décédés Kazan n’avait pas de parti capable de l’appuyer pour monter sur le trône, Yoritada pouvait donc facilement l’utiliser pour bloquer la voie au fils de Senshi.

Ce fut peine perdue, après à peine 2 ans de règne Kaneie parvint à forcer Kazan à l’abdication par un coup monté savamment orchestré. Le fils de Senshi, Ichijô devint alors empereur. Yoritada démissiona et Kaneie devint le nouveau régent. Senshi, humiliée et désavouée devint alors impératrice-mère puis kôtaigo. Senshi devint enfin la kokumo qui avait manqué depuis l’époque d’Onshi II. Après le retrait de Kaneie elle favorisa ouvertement son frère préféré, Michinaga, après le décès rapproché de ses aînés, contre leurs fils. Au-delà des machinations de Michinaga lui-même ce sont les interventions de Senshi auprès d’Ichijô poussèrent ce dernier à confirmer le nairan, le précieux droit d’inscpection, à Michinaga (bien qu’il ne fut jamais régent en titre).

Portrait supposé de Fujiwara no Michinaga, il est considéré comme le membre de sa dynastie à avoir assumé le plus de pouvoir sur la cour.

La même année Senshi enfonça le clou. Ichijô avait déjà une impératrice consorte, Fujiwara no Teishi, la fille de Michitaka (le frère défunt de Senshi et Michinaga) mais en 995, Senshi poussa à nommer Fujiwara no Shôshi (la fille de Michinaga) aussi au rang d’impératrice. Teishi fut kôgô tandis que Shôshi récupéra le titre de chûgû. Pour la première fois dans l’histoire du Japon un empereur avait deux impératrices consortes simultanées. Le geste violait toutes les traditions et la morale de l’époque, Michinaga et Senshi favorisèrent une interprétation alambiquée où la deuxième impératrice pouvait se charger des aspects cérémoniels du rôle tandis que la première pouvait se consacrer à une charge plus spirituelle, et inactive. Ce n’en était pas moins un fait du prince de la part de Michinaga sanctionné par la kokumo Senshi pour leurs propres intérêts.

Extraits du journal de Fujiwara no Michinaga. Malgré l’ancienneté de l’époque Heian de nombreux documents écrits nous sont parvenus intacts dont les nombreux journaux privés des hommes d’Etat dont celui de Michinaga confiant la chroniques (du moins les évènements jugés utiles d’apparaître) de l’époque. La cour d’Heian avait une véritable culture de la chose écrite.

Au-délà de l’investissement politique de Senshi auprès de son champion, elle innova aussi en se retirant officiellement des affaires en prenant les ordres. Elle devint alors une nyôin, une dame retirée sous le nom d’Higashi Junnan’in. Bien que retirée elle continua à exercer son autorité comme une matriarche dont l’influence dépassait le titre terrestre de douairière ou de kokumo et était politiquement inattaquable (les empereurs eux-mêmes entraient dans les ordres après leur abdication). Les titres de cour furent laissés à des femmes plus jeunes encore attachées aux affaires du monde.

Fujiwara no Shôshi (988-1074) 

Avant même la mort de Senshi en 1002, Shôshi était parvenue à s’imposer comme sa véritable successeure. Après sa nomination en 995, deux impératrices dirigeaient deux cours séparées. Teishi avait les ailes coupées, ses frères avaient été exilés et elle ne disposait plus d’un parti, d’autant moins qu’elle n’avait pas d’enfant. La rivalité entre Teishi et Shôshi s’exprima dans le domaine des arts. Teishi patronna Sei Shônagon, déjà auteure de récits de cours célèbres. Shôshi avait avec elle Murasaki Shikibu dont le Dit du Genji devint la postérité de la cour d’Heian et du « règne » Michinaga. La cour d’Ichijô était brillante, raffinée et dynamisée par cette rivalité des deux impératrices. Teishi ne faisait cependant pas le poids et son combat contre Shôshi fut surtout une suite d’humiliations qui menèrent à sa mort en 1001, suivie l’année suivante par celle de Senshi.

Shôshi, seule impératrice et mère de deux princes avait assuré son pouvoir sur la longue durée. Ichijô abdiqua en 1011 en faveur de son cousin Sanjô, faisant de Shôshi l’impératrice douairière. Shôshi fut de loin l’impératrice avec la plus longue durée de « règne » de toutes les kokumo de l’époque. Elle vécut jusqu’en 1074 à l’âge de 86 ans. Elle devint grande impératrice douairière, taikôtaigo, et kokumo quand son fils Go-Ichijô remplaça l’empereur sanjô en 1016. Dix ans plus tard, alors que son père Michinaga avait déjà passé la régence à son propre fils, elle se « retira » dans les ordres dans une cérémonie fastueuse décrite avec admiration dans les récits de l’époque. Reproduisant Seishi elle devint à son tour une nyôin sous le nom religieux de Jôtomon-in avec sa propre demeure où elle était autorisée à être servie par des hommes (puisqu’elle était désormais consacrée au service religieux, à 39 ans). L’ordination lui garantit de rester placée au dessus de ses successeures, hors de la hiérarchie des titres.

L’impératrice Shôshi tenant dans ses bras son fils.

Après la mort de Michinaga en 1028 elle continua à définir la ligne politique de la famille. Cette famille devait se comprendre au sens le plus restreint, nous arrivons alors à la conclusion logique des luttes familiales de la génération précédente : ce ne sont plus seulement les Fujiwara qui gouvernent mais les descendants directs et exclusifs de Michinaga. Pour cela Shôshi/Jôtomon-in était l’actrice indispensable de la grande politique matrimoniale de Michinaga. Ce dernier avait la chance d’avoir de nombreuses filles en comptant Shôshi, elles furent toutes systématiquement mariées aux empereurs et héritiers potentiels. On parle là véritablement d’un système familial que Shôshi négocia.

Ainsi Sanjô, qui n’était pas issu de la branche de Michinaga, fut marié à Kenshi, 2e fille de Michinaga. Kenshi, vaniteuse et extravagante, était d’ailleurs en compétition avec Fujiwara no Seishi (II) issue d’un cousin de Michinaga (Michinaga avait instauré la règle des deux impératrices et ne pouvait plus s’en débarasser). Même issue d’une branche prochaine Seishi II fut considérée comme une menace, humiliée et marginalisée ses enfants n’eurent jamais aucune chance de succéder alors que Kenshi même n’avait eu que des filles.

Dans le même temps Shôshi maria ses fils au reste de sa famille proche : Go-Ichijô épousa en 1012 sa tante Kishi (de dix ans son aînée) et au futur Go-Suzaku elle maria sa nièce (la fille de Yorimichi, le fils de Michinaga) Genshi. Fait du hasard aucunes de ces unions ne donna naissance à un fils capable de succéder et par conséquent aucunes de ces impératrices ne put s’élever au-delà du titre, désormais galvaudé de kôtaigo. Ces déboires de conception expliquent aussi la longévité du pouvoir de Shôshi sur ses soeurs et nièces.

La fusion toujours plus poussée entre la famille impériale et la famille de Michinaga arriva à sa conclusion logique. Quand l’empereur Go-Suzaku monta sur le trône il avait à côté de lui Fujiwara no Genshi mais aussi une impératrice principale : la princesse Teishi (II), fille de Sanjô et Kenshi, petite-fille directe de Michinaga et nièce de la nyôin Shsôshi/Jôtomon-in. Cette fois-ci l’impératrice était à la fois une Fujiwara et une membre de plein droit de la famille impériale.

La fin de l’ère des matriarches

Princesse Teishi (1013-1094)

Teishi Naishinnô (princesse) était fille d’empereur mais elle était aussi petite-fille de Michinaga et nièce de kokumo Shôshi qui tous deux adoraient cette jeune fille qui était pour eux une perspective intéressante : une Fujiwara qui était aussi une princesse impériale était toute désignée pour devenir impératrice de Go-Suzaku et renforcer sa légitimité et l’assise de Michinaga puis de son fils Yorimichi. Ce mariage eu lieu en 1027 et l’enfant qui en naquit en 1032 ne pouvait que devenir empereur un jour. En attendant elle dut élever le prince Chikahito, fils de Go-Suzaku et de Fujiwara no Kishi (la cadette de Michinaga, décédée en 1025). Tandis que les autres soeurs de Shôshi s’étaient éteintes ou n’avaient pas conçu Teishi apparaissait comme sa successeure désignée.

Fujiwara no Yorimichi, le fils de Michinaga, tenta de limiter de l’influence de la kokumo en devenir en plaçant sa propre fille Genshi comme impératrice parallèle mais cette dernière ne survécut pas. Teishi réunissait alors déjà autour d’elle un réseau de clients composé de courtisans désireux de s’assurer l’accès aux prochains souverains (puis le prince héritier considérait Teishi comme sa mère), elle était déjà capable de s’opposer aux manoeuvres de Yorimichi pour imposer de nouvelles rivales. Cette fois-ci, pour la première fois le pouvoir d’une impératrice s’opposait directement à la volonté d’un régent Fujiwara plutôt que de coopérer avec. La nyôin Jôtomon-in sembla à ce moment se ranger aux côtés de sa nièce/bru, garante de la sécurité du règne de ses petits-fils.

Fujiwara no Yorimichi est à l’origine de la construction du Byôdo-in, temple bouddhiste d’Uji, l’exemple le plus spectaculaire, et authentique, de l’architecture de l’époque Heian.

L’affrontement politique se poursuivit à la mort de Go-Suzaku en 1045. Le nouvel empereur Go-Reizei (Chikahito) concevant que Teishi poussait à la succession en faveur de son propre fils, il se rapprocha du régent Yorimichi pour empêcher Takahito, le fils de Teishi, de lui succéder. Suivant les vieilles recettes Yorimichi maria son autre fille à l’empereur mais sans produire d’héritier. Dans ces conditions la position de Teishi, devenue douairière resta inattaquable.

Cette lutte politique entre la régence et la matriarche se conclut en 1068 à la mort de Go-Reizei. Le fils de Teishi monta enfin sur le trône, offrant ainsi à sa mère le plein contrôle de la cour, sans même être limitée par Jôtomon-in qui était désormais affaiblie et retirée pour de bon. A cela s’ajoute que le seul fils de Go-Reizei avait été produit par Fujiwara no Kanshi, la fille de Norimichi, frère du régent Yorimichi. Ce dernier se retrouvant sans lien familial direct avec l’empereur et sans soutien par les femmes quitta ses fonctions au profit de Norimichi. C’était un un véritable renversement de l’ordre politique car Go-Sanjô, éduqué par sa mère (et nous savons par les sources qu’elle se chargea directement de l’éducation de ses enfants) à se méfier des ambitions des Fujiwara, ne concéda la régence à Norimichi qu’après l’avoir vidé de tout réel pouvoir et en particulier du nairan. Le règne de Go-Sanjô, le premier empereur à ne pas être le petit-fils d’un Fujiwara par la voie paternelle, s’apparenta à une restauration impériale avec Teishi comme garante. Les Fujiwara conservèrent leur influence mais furent relégués par l’empereur au second plan. Pour régner aux côtés de son fils, Teishi avait choisi la princesse Kaoruko, une fille de Go-Ichijô, rompant ainsi le lien familial avec les Fujiwara pour une autre génération. Illustration de cette domination politique, Teishi prit les ordres sous le nom de Yômeimon-in sans pour autant quitter les affaires du monde.

Poème de l’empereur Go-Sanjô

Go-Sanjô fut un empereur actif qui travailla à restaurer les finances impériales et à organiser les grands domaines de la noblesse. Sa mère l’accompagna tout le long de son règne, maria son petit-fils et son arrière petit-fils à des candidates selon ses goûts, en ménageant les Fujiwara mais sans leur permettre de retrouver leur position de pouvoir. La régence avait débutée grâce à une impératrice, c’est une autre impératrice qui y mit fin. L’historiographie japonaise habituelle en attribue cependant le mérite à Go-Sanjô en oubliant les décennies de luttes politiques précédéntes entre sa mère et Yorimichi.

Après la mort de Go-Sanjô, son fils Shirakawa lui succéda. Ce fut lui qui acheva la transition vers le régime suivant, celui des empereurs retirés. Suivant l’exemple des kokumo, Shirakawa abdiqua à son tour en prenant les ordres en 1087. Il devint alors un empereur retiré débarassé du carcan de la cour et capable de gérer directement les biens de la famille impériale tout en ayant le meilleur accès imaginable à l’empereur régnant, contrôlant de fait les décisions de ses successeurs. Ce système des empereurs retirés, lInsei, assuma l’autorité sur la cour pour pratiquement 60 ans. Teishi/Yômeimon-in décéda quelques années plus tard en 1094. Preuve que le temps des impératrices était passé elle n’eut pas de successeure. Fujiwara no Kanshi (l’épouse de Go-Reizei) était devenue taikôtaigo puis nyôin mais sans tenter d’en exercer le pouvoir, elle s’était véritablement retirée du monde. Par la suite les douairière suivantes, tout en continuant à être les maîtresses de l’intérieur du palais, cessèrent d’avoir un rôle politique et dynastique prépondérant.

あわせて読みたい
Go-Shirakawa, le crépuscule de l’époque Heian. Le 26 avril 1192 s'éteignait l'empereur retiré Go-Shirakawa après une vie de luttes politiques et de complots. Son règne charnière vit le glissement de l'autorité publique de la cour impériale vers les samurais dans une période de guerres civiles qui furent naître le Musha no Yo, le temps des guerriers.

L’empereur retiré Shirakawa décéda en 1129, trente ans plus tard la cour impériale fut secouée par l’ascension brutale des samurais avec Taira no Kiyomori puis les Minamoto. Le pouvoir de la cour, des empereurs et des impératrices avec eux devint progressivement de plus en plus marginal même si les titres de douairière ou kokumo restèrent utilisés et que des impératrices Fujiwara devinrent la tradition. Comme souvent au Japon les dynasties successives n’éffacent pas les précédentes mais les marginalisent et les fossilisent. Il en fut de même pour les matriarches de la dynastie impériale.

Night Attack on the Sanj™ Palace, from the Illustrated Scrolls of the Events of the Heiji Era (Heiji monogatari emaki) second half of the 13th century Handscroll; ink and color on paper * Fenollosa-Weld Collection * Photograph © Museum of Fine Arts, Boston — 19GreatestPaintings

Fukutô Sanae, Watanabe Takeshi, From Female Sovereign to Mother of the Nation : Women and Government in the Heian Period, 2021, in Heian Japan, Centers and Peripheries (Mikael Adolphson, Edward Kamens, Stacie Matsumoto dir.)

よかったらシェアしてね!
  • URLをコピーしました!
  • URLをコピーしました!
目次
閉じる