Les guerres des deux empereurs : le Nambokuchô

L’empereur du Japon vient d’une longue lignée de souverains dont l’histoire se confond avec celle du Japon, il incarne la nation japonaise, toujours présent au dessus des luttes et des changements connus par l’archipel. C’est du moins l’image que l’on en a aujourd’hui. Il y a toujours eu un empereur du Japon mais parfois il y en a eu plus que cela. Le XIVe siècle a vu la lignée impériale se diviser et se déchirer menant à transformer la nature même de la fonction impériale. La période dite du Nambokuchô (les cours du Sud et du Nord) marque la première grande période des guerres civiles japonaises.

目次

Disputes autour du trône du chrysanthème

Généalogie simplifiée des deux branches de la famille impériale.

La cour impériale et ses règles

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Go-Shirakawa, le crépuscule de l’époque Heian. Le 26 avril 1192 s'éteignait l'empereur retiré Go-Shirakawa après une vie de luttes politiques et de complots. Son règne charnière vit le glissement de l'autorité publique de la cour impériale vers les samurais dans une période de guerres civiles qui furent naître le Musha no Yo, le temps des guerriers.

Les règles de la cour impériale japonaise ne sont pas simples à comprendre et demandent de poser un contexte. La première chose importante à garder à l’esprit est que, malgré la prise de pouvoir des guerriers à la fin du XIIe siècle, les empereurs conservaient un poids et un pouvoir notable. Le premier shogun Minamoto no Yoritomo avait obtenu de l’ancien empereur Go-Shirakawa une reconnaissance officielle par laquelle il assurait la sécurité dans les provinces et la levée des impôts. Il disposait en outre du monopole de la force armée et pouvait installer des gouverneurs militaires (shûgo) dans les provinces et des intendants (jitô) dans les domaines privés. Mis à part cela l’empereur restait le souverain et la source de légitimité du pouvoir, il ne disposait pas de troupes à lui mais continuait à nommer les gouverneurs provinciaux, à accorder charges et privilèges aux membres de sa noblesse, à mener les rites protégeant les récoltes et l’Etat etc. Il disposait en outre, lui et l’ensemble de la noblesse (kuge) d’une influence économique notable avec de vastes domaines qu’il possédait à titre privé ou par la protection qu’ils accordaients aux temples et communautés locales. Le Japon du XIIIe siècle était donc une diarchie où l’empereur conservait sa dignité mais surtout une influence et des moyens propres.

Le blason impérial kiku (le chrysanthème) n’a pas toujours le symbole de la familel impériale. Son usage ne remonte qu’au règne de Go-Toba au début du XIIIe siècle par imitation des clans guerriers qui adoptaient eux-mêmes de tels emblèmes. Dans sa lutte contre Kamakura, Go-Toba choisit sa fleur préférée comme symbole que ses vassaux pouvaient arborer.

Pour rendre tout un peu plus complexe il faut aussi se rappeler qu’au sein de sa propre cour, l’empereur n’était pas forcément le preneur de décision. Le poids des rites et des cérémonies avait conduit dès le XIe siècle les empereurs à chercher à s’en libérer pour gouverner directement. Cela donna le système des empereurs retirés (Daijô Tennô) où un empereur abdiquait en faveur du successeur de son choix pour exercer l’autorité depuis sa retraite (l’Insei). A proprement parler il gérait les domaines de la famille impériale et avait la main sur les revenus impériaux tandis que, en tant père ou grand-père de l’empereur, il disposait du droit de nomination (Nairan) et contrôlait une clientèle d’obligés. C’était l’empereur retiré qui était le véritable souverain derrière son successeur mais le choix de ce dernier était vital. Si, en l’absence de descendants, le trône passait à un cousin, ce serait le père de ce cousin qui assumerait la position de « patriarche ». Nous avons là la source des disputes dynastiques du XIIIe siècle : savoir quel empereur retiré réussirait à imposer son candidat pour diriger la cour, l’empereur régnant étant pratiquement secondaire, sauf en cas d’absence d’empereur retiré.

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Un dernier point fondamental est aussi la rivalité permanente entre le shogunat de Kamakura et la cour impériale. Yoritomo avait édifié un système à deux têtes en l’imposant par la force. L’empereur Go-Shirakawa puis son successeur l’empereur retiré Go-Toba considéraient ce partage comme un empiètement et cherchèrent à s’en défaire. Il en avait résulté en 1221 la guerre de Jôkyû où le régent Hôjô Yoshitoki et Hôjô Masako avaient vaincu les forces impériales et pris Kyôto. Il en avait résulté l’exil en provinces de trois empereurs retirés : Go-Toba, Tsuchikamado et Juntoku, et le renversement de l’empereur Chûkyô. La défaite avait durablement endommagé le prestige impérial et le régime de Kamakura avait installé un bureau, le Rokuhara Tandai, chargé officiellement des relations avec la cour, officieusement la surveillance de celle-ci. Les Hôjô avaient imposé sur le trône un cousin impérial, Go-Horikawa, leur obligé. Les opposants au contrôle shôgunal existaient encore, notamment les descendants des empereurs exilés, mais devaient ronger leur frein alors que Kamakura était encore puissant.

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Branches rivales et divergences idéologiques

Représentation d’époque Meiji d’Hôjô Yasutoki. 3e régent du shogunat de Kamakura, il remporta la victoire contre l’empereur Go-Toba avant de succéder à son père. Malgré son crime de lèse-majesté il est généralement considéré avec bienveillance, il fut un gouvernant modéré qui organisa les institutions du shogunat dans un sens plus collégial et apaisé.

C’est à ce point de l’histoire que l’empereur Shijô, fils de Go-Horikawa, décéda à 10 ans sans descendants (1242). Son propre père étant décédé il n’y avait pas non plus d’empereur retiré et le shogunat dut influencer la nomination d’un successeur qui ne serait pas trop hostile à leur hégémonie. Hôjô Yasutoki appuya la candidature du prince Kunihito qui devint l’empereur Go-Saga. En l’absence d’empereur retiré, Go-Saga dirigea effectivement la cour et coopèra avec Kamakura, il sélectionna rapidement son fils Go-Fukakusa pour lui succéder et abdiqua en 1246 pour devenir empereur retiré. La lune de miel se poursuivit en 1252 quand un autre fils de Go-Saga, le prince Munetaka, fut sélectionné pour devenir le shôgun en titre (en fait l’homme de paille des Hôjô). Arrivé à ce point, Go-Saga annonça en 1259 son intention de faire abdiquer son fils Go-Fukakusa au profit de son frère qui devint l’empereur Kameyama.

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Go-Fukakusa, qui avait alors seulement 18 ans se sentit lésé car son père garderait son autorité et lui-même ne transmettrait jamais le trône à son propre fils. Go-Fukakusa en appella au régent Hôjô Tokiyori. Ce dernier était un régent aux pouvoirs étendus et connu pour son gouvernement autocratique, il souhaita sans doute profiter de l’occasion pour entretenir ces luttes de famille qui affaibliraient Kyoto. Il proposa un compromis où Kameyama nommerait son neveu comme successeur, même s’il devait le faire passer avant ses propres fils (et Go-Fukakusa deviendrait alors le patriarche de la cour). L’accord laissa tout le monde insatisfait et il en émergea deux branches impériales rivales : Go-Fukakusa et ses descendants furent connus du nom de leur résidence, le Jimyôin-tô, tandis que Kameyama et ses descendants furent désignés comme le Daikakuji-tô.

Le monde vint alors mettre son grain de sable dans ces disputes internes avec l’apparition de la menace mongole, d’abord seulement par des envoyés du Khan mais ensuite par la menace directe d’invasion du Japon. Pendant cette période l’empereur Kameyama régnait à Kyôto, insatisfait des arrangements des Hôjô, il se montra peu coopératif et fut forcé à abdiquer en 1274. Le menace de la première invasion mongole était alors devenu suffisamment importante pour que Kamakura préfère ne pas provoquer plus de désordre en imposant l’alternance promise. Go-Uda devint empereur et Kameyama put prendre la tête de l’insei. C’est encore Kameyama qui se rendit ensuite en 1281 au grand sanctuaire d’Ise, à la veille de la deuxième invasion, pour supplier la déesse Amaterasu de protéger le Japon. Le typhon connu comme le kamikaze vint apporter la preuve éclatante de l’éfficacité de ses prières, le Daikakuji-tô pouvait dès lors se prévaloir de la faveur divine et du prestige de la victoire, que les Hôjô avaient si peu mérité.

Le shogunat de Kamakura avait mené avant l’invasion de 1281 une véritable mobilisation pour empêcher une nouvelle invasion. Les efforts consentis en termes d’hommes et de moyens peuvent laisser penser que les samurais auraient défendu chèrement le rivage mais l’arrivée du typhon dispersa les Mongols qui ne revinrent jamais. L’apparente intervention divine mena directement à l’idée que le Japon était protégé et que cette protection était du fait de l’empereur et non des guerriers.

C’est ce prestige qui persuada les Hôjô à imposer l’abdication de Go-Uda et à rendre le trône au Jimyôin-tô qui en avait été privé. Le nouvel empereur Fushimi signifiait que c’était enfin le tour de Go-Fukakusa de prendre le contrôle de l’insei. Il ne le garda pas longtemps, entrant dans les ordres en 1289 il laissa Fushimi gouverner directement seul. L’année suivante Fushimi autorisa son frère le prince Hisaaki à devenir le shogun à Kamakura (toujours homme de paille des Hôjô). Fushimi sembla alors concentrer la faveur des Hôjô au détriment du Daikakuji-tô. On en vint à une tentative d’assassinat contre l’empereur par Asawara Tameyori. Dès 1298, Fushimi abdiqua à son tour pour devenir empereur retiré pour le compte de son fils Go-Fushimi, cette fois ce fut le Jimyôin-tô de transgresser l’accord d’alternance.

Représentation de l’empereur Hanazono par Fujiwara Goshin vers 1350 (portrait posthume).

Les tensions et les luttes à la cour risquant de dégénérer, le shogunat força Go-Fushimi à l’abdication en faveur de l’empereur Go-Nijô du Daikakuji-tô, ramenant Go-Uda aux affaires. Go-Nijô décéda cependant en 1308. Le shogunat était alors bien décidé à remettre de l’ordre et renouvela l’accord d’alternance. Après le règne Daikakuji le trône revint de nouveau à un Jimyôin, l’empereur Hanazono (avec Fushimi comme empereur retiré actif puis Go-Fushimi à partir de 1313). Hanazano, poète réputé fortement attiré par le zen semble avoir été le seul à appliquer volontairement l’accord dynastique. Il abdiqua volontairement en 1318 pour laisser le trône au jeune Go-Daigo.

Kitabatake Chikafusa par Kikuchi Yôsai (Zenken Kojitsu, 1878, série de portraits de héros japonais). Kitabatake Chikafusa faisait partie de la noblesse de cour dans le clan Murakami Genji (différent des Seiwa Genji, les Minamoto). Il fut l’âme de la résistance de la cour du Sud par ses ecrits mais aussi ses actions politiques et militaires.

Que doit-on tirer de cette longue énumération de règnes (que j’aurais pu vous épargner)? D’une part que l’accord dynastique voulant l’alternance (ryôtô tetsuritsu) des deux branches n’a jamais réellement fonctionné et que la succession dépendait pour beaucoup de l’avis des régents Hôjô et de leur marge de manoeuvre sur le moment. La question fondamentale, plus que la rivalité entre cousins était finalement le contrôle de la cour impériale. La branche Jimyôin-tô devint assez rapidement la branche alliée des Hôjô tandis que le Daikakuji-tô devint le phare de la résistance contre Kamakura. Les descendants de Go-Fukakusa se plaçaient dans lignée des empereurs de l’époque Kamakura, théorisés par Jien au XIIIe siècle, les tenants de la diarchie empereur-shogun comme un ordre naturel. A l’opposé, les prières de Kameyama à Ise en 1281 furent utilisées pour affirmer la faveur divine envers le Daikakuji-tô. La branche de Kameyama servit de base à la construction d’une nouvelle idéologie impériale dont l’empereur Go-Daigo, par la voix de Kitabatake Chikafusa allait devenir le champion. La dispute dynastique s’était ainsi transformée en lutte politique puis en division entre deux modèles idéologiques divergents.

De la dispute dynastique à la guerre civile

Go-Daigo et le rêve monarchique (la restauration Kenmu)

Dans cette lutte entre Jimyôin-tô et Daikakuji-tô la personnalité de l’empereur Go-Daigo vint rajouter une dimension supplémentaire. Go-Daigo était le fils de Go-Uda et le frère de Go-Nijô du Daikakuji-tô mais il n’était pas sensé régner, après la fin de la décennie promise l’empereur Hanazono avait abdiqué mais le fils du défunt Go-Nijô était encore trop jeune pour régner, Go-Daigô devait établir un règne de transition en faveur de son neveu avec l’accord du shôgunat. Go-Daigo était donc à la fois mécontent des projets de son père et de ceux du shogunat. Il faut ajouter que son entourage était gagné à la nouvelle idéologie impériale. Celle-ci ne fut mise par écrit qu’après la mort de Go-Daigo, par Kitabatake Chikafusa, mais ce dernier était déjà auprès de lui au début de son règne. L’empereur n’était pas qu’un souverain, il était le descendant d’Amaterasu, le lien entre les dieux et les hommes ainsi que l’incarnation même du Japon et de son histoire. Que ce personnage sacré soit diminué par la mainmise des guerriers et les disputes familiales était non seulement un affront mais une insulte aux dieux, cause des malheurs. Go-Daigo devait non seulement régner mais aussi gouverner directement à l’instar des empereurs de Chine d’antan.

Portrait de Go-Daigo portant le vêtement religieux. Il est couronné d’un type de bonnet rarement représenté pour les souverains japonais accentuant son statut de souverain de droit divin.

Il avait pour lui un contexte favorable. Après les invasions mongoles le gouvernement des Hôjô devait faire face à un désordre social croissant. Sans guerres de conquête les samurais pouvaient être difficilement être récompensés et obtenir des terres, la guerre mongole en avait appauvri un bon nombre qui avaient dû céder leurs terres. L’appauvrissement s’accompagnait d’un changement culturel plus vaste où la vieille structure patriarcale laissait la place à des liens directs d’homme à homme plus proche de notre féodalité, transformant les clans. Ajoutons à cela qu’il existait au sein des vassaux du shogunat des clans importants qui s’estimaient lesés et en danger face à l’hégémonie des Hôjô et que d’autres clans non vassalisés à travers le Japon espéraient trouver le moyen de s’agrandir. Les bandes de bandits appelés les akutô se multipliaient sur les périphéries comme dans les zones montagneuses sans que Kamakura soit capable d’assurer pleinement la sécurité. Autrement dit, il y avait des candidats pour soutenir les prétentions d’un empereur ambitieux à renverser l’ordre shogunal.

Go-Daigo tenta dès 1324 de monter une première conspiration, vite repérée et supprimée par les Hôjô. La mort de son père Go-Uda l’avait libéré de la tutelle paternelle et lui donna le contrôle entier de la cour. Il devait cependant abdiquer en 1328 comme prévu avec le Jimyôin-tô. Pour ces raisons Kamakura préféra ne pas punir l’empereur lui-même, seulement s’en prendre à ses vassaux les plus proches et attendre son abdication. Sa tentative suivante se fit plus discrète en rassemblant les soutiens, notamment chez les grands temples qui étaient alors aussi des puissances militaires. Dans le même temps il refusa d’abdiquer comme prévu même face à la pression combinée du shogunat et de la faction Jimyôin-tô (la mort de leur candidat retardant officiellement l’abdication convenue). Les efforts de Go-Daigo pour rassembler les opposants au shogunat furent découverts en 1331 menant à l’incident de Genkô.

Ce n’est pas pour rien que Kusunoki Masashige a sa statue équestre érigée en face du palais impérial de Tôkyô. A l’époque Meiji il a été élevé au rang de héros national en tant que guerrier qui lutta fidèlement pour l’empereur à la différence des samurais avides. Il est pourtant à l’origine un inconnu qui fut décrit comme un akutô, un bandit sévissant dans les montagnes et capable d’échapper aux poursuites du shogunat.

L’empereur s’échappa de Kyôto, révélant ses intentions et rassembla ses partisans pour aller s’enfermer dans le château de Kasagi en espérant que d’autres répondraient à son appel à la révolte. Il emporta alors les Trois Trésors qui forment les regalia du Japon, trois objets transmis par Amaterasu et dont la possession légitimait l’empereur, ils allaient devenir un objet important des luttes suivantes. Malgré son appel, le Mont Kasagi tomba et Go-Daigo fut exilé dans la petite île d’Oki. Le shogunat put mettre sur le trône l’empereur Kôgon du Jimyôin-tô. La paix n’était cependant pas revenue. Le fils de Go-Daigo, le prince impérial Moriyoshi poursuivait la lutte depuis Yoshino avec l’aide de fidèles dont Kusunoki Masashige et d’autres clans qui n’étaient pas des vassaux de Kamakura qui se rallièrent à la cause impériale. La situation était déjà assez tendue quand survint la nouvelle de l’évasion de Go-Daigo. Tenant son abdication comme nulle, il renouvela son appel à la révolte et commença à réunir des troupes. Il ne s’agit cependant là que de préliminaires, les partisans de l’empereur n’étaient pas en mesure de renverser le shogunat, pas avant que Ashikaga Takauji se rallie à eux en 1333.

Ashikaga Takauji, un Cromwell japonais

Takauji faisait partie du premier cercle des vassaux du shogunat, les gokenins. Il était d’ailleurs lui-même issu d’une branche des Minamoto ce qui en faisait à la fois un homme influent mais aussi un potentiel rival des Hôjô dont la légitimité à gouverner avait toujours été questionnable. Comme les autres gokenins, les Ashikaga étaient à la merci d’une purge de la part des Hôjô, d’autres clans puissants avaient été éliminés dans les luttes d’influence à Kamakura et le père de Takauji même avait dû se suicider car soupçonné.

Blason (mon) du clan Ashikaga

C’est peut-être pour cela qu’il décida en 1333 de rallier ses troupes à la cause impériale. Il avait été envoyé vers Kyôto pour y ramener l’ordre mais une fois sur place il s’empara du Rokuhara Tandai pour ensuite retourner son armée vers Kamakura. Il avait la possibilité de se débarasser des Hôjô destestés et, en tant que Minamoto, recevoir une récompense à sa mesure, le titre de shogun. Il n’eut cependant pas le temps d’accomplir son plan, un autre gokenin dans la même situation que Takauji, Nitta Yoshisada, leva aussi ses troupes pour attaquer par surprise Kamakura, brûler la ville et contraindre le dernier régent Hôjô Takatoki et les siens au suicide. En un mois la régence des Hôjô avait cessé d’exister et l’empereur go-Daigo se retrouvait finalement seul maître au Japon, une situation inédite depuis le IXe siècle et que l’on nomma Restauration Kenmu. Si le parallèle avec la Restauration Meiji vous apparaît c’est tout à fait normal, les hommes de Meiji se placèrent rapidement dans le souvenir de l’epoque Kenmu, faisant de Go-Daigo le précurseur de Meiji et un modèle légitimant sa prise de pouvoir.

Estampe contemporaine montrant Nitta Yoshisada offrant son épée au dieu de la mer. Kamakura étant entourée de relief faisant fonction de murailles natuelles, il profita d’une marée basse d’intensité expcetionnelle pour envahir la cité shogunal par le rivage. Yoshisada est souvent dépeint par opposition à Takauji, étant resté fidèle à l’empereur jusqu’à sa mort au combat il était le pendant vertueux de Takauji.

La comparaison s’arrête cependant là, si Go-Daigo apparaît comme un révolutionnaire porteur d’une vision il lui manquait tout de même la simple compétence administrative pour diriger un Etat. Go-Daigo était à proprement parlé révolutionnaire puisqu’il ne rejettait pas seulement le gouvernement des guerriers mais aussi le régime de l’Insei (il ne se retira jamais) et celui de la régence de l’époque Heian. Sa vision de la monarchie, étrangère au Japon, était de copier le modèle chinois d’une monarchie absolue où l’empereur règnerait sans partage avec l’aide de conseillers. A la place des lettrés confucéens de Chine il gouvernerait avec la noblesse traditionnelle kuge qui, malgré ses titres de courtoisie, était tout aussi incompétente que lui. Les seuls à avoir une expérience de gestion étaient les samurais de Kamakura qui furent éloignés du pouvoir.

L’empereur fut rapidement incapable de gérer l’afflux des dossiers urgents à traiter. Il fallait régler les demandes sur la propriété des terres (acquises, perdues, données en récompense, difficiles à délimiter, à partager entre héritiers etc.), récompenser les guerriers fidèles, punir les partisans des Hôjô. Il fallait appliquer les anciennes lois de l’époque Heian totalement deconnectées de la réalité et promulguer de nouvelles lois. Celles-ci inspirée du confucianisme et de la tradition étaient parfois abandonnées au bout de quelques jours car impraticables. Les rues de Kyôto étaient bondées de samurais venus de tout le pays puisque la justice était désormais centralisée à Kyôto dans les mains du seul empereur, engendrant des problèmes de sécurité. Pire, sûr de son bon droit, Go-Daigo sous estima sérieusement les récompenses à attribuer aux artisans de sa victoire et leur fidélité à sa personne sacrée.

La représentation la plus commune d’Ashikaga Takauji est un rare portrait équestre (ici restauré) mais elle est désormais considérée comme incorrecte. Il pourrait s’agir d’un portrait de Ko no Moronao attribué par erreur à Takauji.

Plutôt que de nommer Takauji ou Yoshisada shôgun, il attribua le titre à son fils Moriyoshi, s’aliénant le chef du clan Ashikaga. Takauji s’arrangea pour faire accuser Moriyoshi de conspiration et l’élimina en 1335, à ce point ses ambitions ne faisaient plus de doute. Go-Daigo préféra tout de même nommer son autre fils Narinaga comme shôgun. La révolte de Nakasendai menée par les nostalgiques des Hôjô donna à Takauji l’occasion de réclamer le titre de shogun. Il lui fut refusé et Takauji partit reprendre Kamakura pour ensuite y rester et se renforcer. Dans la guerre qui s’ensuivit les Ashikaga l’emportèrent rapidement et prirent Kyôto au début de 1336. Il en fut chassé rapidement, fit un court séjour dans le Kyûshû avant de revenir et l’emporter lors de la bataille de Minatogawa où Kusunoki Masashige se suicida. Kyôto reprise et cette fois-ci tenue fermement Takauji put se soucier d’installer son régime. Go-Daigo avait oublié qu’il n’était pas le seul candidat au trône, non seulement le Jimyôin-tô éxistait toujours mais son neveu (fils de Go-Nijô) pouvait être un autre rival au trône. Ashikaka Takauji eu le loisir de sélectionner son empereur, Go-Komyô du Jimyoin-tô (frère de l’empereur Kôgon) qui nomma Takauji shôgun en 1338.

Le début de la bataille de Minatogawa, la flotte des Ashikaga et de leurs vassaux débarque face aux troupes loyalistes de Kusunoki Masashige et Nitta Yoshisada. Conscient de ses faibles chances, Masashige accepta l’ordre de Go-Daigo et gagna ainsi sa réputation de fidélité même envers un souverain inepte.

Même problème, même solution, Go-Daigo reprit la voie de l’exil en emportant encore une fois les insignes impériaux assurant sa légitimité. Il prit le chemin de Yoshino, lieu bien protégé par les reliefs au Sud de Nara. Yoshino n’était pas si éloignée de Kyôto mais l’empereur pouvait s’y retrancher, protégé par des troupes fidèles de Kitabatake Akiie (le fils de Chikafusa et le seul noble disposant de compétences militaires, il commandait des samurais des provinces du Nord peu liés aux Ashikaga mais connus pour leur férocité). En 1338, la situation était désormais irréparable, il y avait deux empereurs : un empereur à Kyôto (Go-Komyô) servant de paravent au pouvoir du nouveau shogunat Ashikaga et l’autre à Yoshino (Go-Daigo) gouvernant en son nom propre. L’absence des insignes impériaux à Kyôto fut minimisée en produisant des répliques proclamées authentiques. Takauji n’était cependant pas en mesure de s’imposer, pas plus que Go-Daigo qui mourrut en 1339.

Kitabatake Akiie, portrait du XIXe siècle conservé au sanctuaire Ryôzen. Ce personnage est unique dans l’histoire médievale japonaise, mélange de noble de cour (dont il porte ici les atours) et de guerrier (par son armure). Il pourrait symboliser le genre de pouvoir dont son père rêvait, celui d’une cours capable de gouverner les samurais.

A posteriori, Ashikaga Takauji a été accusé à l’époque Meiji d’avoir usurpé le pouvoir et renversé l’empereur légitime. L’entourage de Takauji semble avoir fait peu de cas du prestige impérial à l’opposé de ce que proclamait le camp de Go-Daigo. Le vassal de Takauji, Ko no Moronao, déclarait ainsi qu’une statue d’empereur en bois ou en or ferait aussi bien l’affaire qu’un souverain de chair. Un autre vassal de premier plan, Dôyô Sasaki était tout aussi iconoclaste dans son attitude envers l’empereur et les temples. Dans le nouvel esprit du début du XIVe siècle, où les vieilles hiérarchies étaient remises en cause, l’autorité d’un empereur ou des nobles sur les guerriers apparaissait comme saugrenue, le pouvoir était à celui qui pouvait l’exercer. Là encore il ne s’agissait pas de simples luttes de faction mais d’une fracture entre deux visions du pouvoir politique, l’une féodale et l’autre monarchique. Le Japon allait devoir se débrouiller avec deux cours impériales ennemies.

Les deux cours : Yoshino et Kyôto

Kusunoki Masashige accueille l’empereur Go-Daigo après sa fuite de Kyôto.

La division du Japon

Contrairement à d’autres exemples historiques l’existence des deux cours ennemies n’entraîna pas la création de deux Japon séparés avec deux dynasties parallèles et une claire division territoriale. Il y avait plusieurs raisons à cela mais essentiellement le Japon n’était pas encore divisé en fiefs féodaux couvrant un territoire d’un seul tenant. Les familles guerrières disposaient de terres propres sur lesquelles étaient installées leurs vassaux, dépendants et parents. Ces terres pouvaient être éparpillées sur plusieurs provinces, ainsi les terres des Ashikaga ne formaient pas un seul ensemble mais des domaines dispersés sur une province voisinant les terres d’alliés ou d’adversaires. Parallèlement les terres étaient aussi divisées en grand domaines de la noblesse et des temples, les shôen, eux aussi dispersés dans les provinces. Il n’existait donc pas de provinces professant une foi pour un camp ou l’autre mais plutôt une infinité de cas particuliers se réglant en guerres locales. Entre Kyôto et Yoshino aucune ligne de démarcation ne venait marquer une frontière.

Il faut ajouter à cela qu’à l’époque Kamakura une organisation patriarcale forte fondée sur la branche centrale de la famille assurait que ces possessions dispersées restent entre les mains d’un chef de famille capable de les gérer ou de les attribuer. La fin de l’époque Kamakura et le début de l’époque Muromachi vit cette structure décliner, les branches cadettes s’émancipant de leurs aînés et les vassaux rallier le service d’un autre ou se mettre à leur propre compte. A la fidélité à un clan se substituait la fidélité à un groupe fondé sur le lien direct avec un suzerain. Les gouverneurs (shûgô) nommés par les shoguns étaient sensés commander les vassaux de la provinces mais leur autorité n’était pas toujours reconnue et ils agissaient surtout en chefs de clans.

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Pour le Nambokuchô cela signifie que les guerriers étaient plus libres de passer du service de l’un au service de l’autre. Quitter le service des Ashikaga et de leurs alliés au profit de la cour impériale et inversement fut une chose courante et les exemples ne manquent pas, la condition de rônin, samurai sans maître n’était qu’un état temporaire. Le propre frère de Takauji, Ashikaga Tadayoshi devint ainsi le chef des armées de la cour du Sud après avoir été le soutien de son frère dans sa conquête du pouvoir. Les renversements d’alliance marquent toute la période, même quand ils concernent des familles historiquement ennemies, ainsi Kusunoki Masanori, fils de Masashige qui avait été tué par les Ashikaga, passa temporairement à leur service après une dispute avec l’empereur Go-Kameyama. Des provinces et des domaines pouvaient rapidement passer d’un camp à un autre, temporairement. La guerre entre les deux cours, une guerre de longue durée pris d’ailleurs l’apparence d’un conflit de longue durée fait de moments clés entrecoupés de périodes de trêves et de conflits locaux, de coups de mains et de renversements de situation. C’est pour cette raison qu’en écrire l’histoire est très complexe.

Les deux cours restaient cependant très différentes dans leur fonctionnement. La cour de Yoshino reposait sur le contrôle direct de l’empereur. Trois empereurs du Sud succédèrent à Go-Daigo : Go-Murakami, Chôkei et Go-Kameyama. Ils gouvernaient directement avec l’aide de conseillers pris dans la vieille noblesse kuge. Sous leurs ordres se trouvait une faction de clans guerriers favorables à la cour du Sud par fidélité ou par opposition à la cour du Nord. L’histoire alors récente de la restauration Kenmu imposait la méfiance envers les clans guerriers mais la cour restait dépendante d’eux pour se protéger, cette méfiance fut la raison de plusieurs défections de la part des fidèles de Yoshino.

Le siège de la cour du Sud est généralement placé à Yoshino mais le plus souvent ces empereurs résidaient près de Sumiyoshi Taisha (Osaka), plus ouverte sur le reste du pays. Yoshino constituait leur lieu de repli, leur refuge sur les périodes de danger. Pour l’essentiel, le but de la guerre était de restaurer la lignée légitime mais il s’agissait aussi de maintenir l’intégrité des domaines impériaux et nobles, de gouverner selon les anciennes règles de cour. Leur emprise territoriale était fluctuante mais ils disposaient de nombreux soutiens dans les périphéries comme le Kyushu ou le Tohoku où la lignée impériale avait plus de prestige et où la domination shogunale était un frein à l’autonomie locale. Pour beaucoup de choses les empereurs de Yoshino dépendaient de la fidélité et de la coopération de leurs sujets : temples, nobles, clans guerriers, ce qui pouvait limiter leurs moyens.

La cour de Kyôto (la cour du Nord) fut dirigée par les empereurs Kômyô, Sûkô, Go-Kôgon et Go-En’yû mais dans les faits les shoguns Ashikaga qui gouvernaient. Ashikaga Takauji instaura le bakufu (le gouvernement shogunale) à la va-vite et ses institutions ne se fixèrent que très progressivement sous ses successeurs Yoshiakira et Yoshimitsu avec des relations complexes et parfois conflictuelles avec ses empereurs. Là encore deux tendance s’opposaient. Le shogunat était d’abord un gouvernement des guerriers durant une guerre longue, il s’agissait donc de conquérir plus que d’administrer. Takauji gérait ses vassaux par un cercle de familiers dont le plus important était Ko no Moronao avec la fonction de shitsuji, lieutenant. Il fallait récompenser les vassaux avec des terres prises aux vaincus mais le plus souvent ces récompenses étaient constituées de terres des domaines dont la moitié fut placée sous gestion (et ensuite simplement accaparée) par les shûgô ou les vassaux récompensés.

Cette spoliation des terres privées fut la principale cause d’opposition entre le nouveau régime et la noblesse. Les empiètements étaient patents et les protestations vaines, les shûgô obtinrent aussi le droit (exceptionnel puis normalisé) de lever des impôts de guerre sur leurs provinces. A côté de cela le shogunat tentait de se donner une forme institutionnelle, en reprenant éventuellement les pratiques des régents Hôjô de l’époque précédente puis progressivement en innovant avec ses propres solutions. Le bakufu Ashikaga était de fait un régime beaucoup plus féodal que celui de Kamakura reposant sur le rôle croissant des shûgô. Au départ son assise territoriale était très réduite : le Japon central et le Kantô autour de Kamakura où une branche cadette des Ashikaga fut installée. Les provinces reconnaissaient l’autorité shogunale de manière plus théorique selon l’importance de leurs liens avec les Ashikaga et les provinces plus périphériques étaient virtuellement autonomes et ne se référaient que rarement à l’autorité centrale.

Le temple Yoshimizu de Yoshino conserve certains éléments du « palais » des empereurs du Sud et notamment une pièce d’audience présentée comme la « salle du trône » de Go-Daigo. Les rideaux de bambous relevés étaient habituellement baissés pendant une audience, cachant le tennô et permettant à ses visiteurs de relever la tête sans déroger à l’étiquette qui voulait que l’on ne dévisage pas l’empereur.

Les deux cours exprimaient parallèlement des évolutions sociales et des aménagements politiques parallèles et concurrents. Sans territoires et allégeances bien définies c’est au final bien l’intérêt personnel mais aussi l’attachement à un empereur ou l’autre qui fixait la démarcation entre les deux camps ennemis.

Qui est le vrai empereur?

La question ne se posait pas de la même manière qu’elle se serait posée dans une monarchie occidentale où la succession était souvent réglée par une tradition bien définie, la loi salique en France laissait peu de place à l’interprétation (le fils aîné issu d’un mariage légal ou à défaut le parent mâle plus proche du souverain précédent, même le roi n’avait pas son mot à dire sur son héritier). Au Japon la succession impériale n’imposait qu’une succession patrilinéaire (un fils d’un souverain précédent), comme nous l’avons vu cela permettait la succession en faveur d’un frère, neveu ou cousin qui remplissait la condition. Le statut de la mère rentrait aussi en ligne de compte mais un fils d’une épouse secondaire ou d’une concubine pouvait succéder et dans ce cas la faveur paternelle ou l’appui de la famille maternelle pouvait jouer un rôle dans la désignation du successeur. La primogéniture, même si elle était la solution préférée, n’était pas absolue.

L’histoire japonaise a aussi connu des périodes où face à une crise dynastique le trône était passé à des parents lointains issus de branches cadettes : l’empereur Keitai du Ve siècle était séparé par six générations avec son prédecesseur, Kônin au VIIIe siècle l’était par quatre générations et Go-Horikawa était un cousin au troisième degré de son prédécesseur. Dans ces cas on recourrait souvent à une adoption, parfois fictive, du nouveau souverain afin de garder l’apparence de la succession patrilinéaire. Ce qui marquait cependant la succession légitime était la posséssion des Trois Trésors (Sanshû no Jingi).

Les Trois Trésors, insignes impériaux du Japon, ne sont pas visibles et aucune représentation fidèle n’en existe. Ils pourraient ressembler à ces objets : miroirs et épée de bronze inspirées de la Chine et bijou magatama en pierre semi-précieuse.

Le miroir Yata, l’épée Kusanagi et le magatami Yasaka étaient des reliques transmises par la déesse Amaterasu à son divin petit-fils Ninigi no Mikoto, ancêtre de la lignée impériale. Chaque empereur était sensé posséder ces objets qui symbolisaient le lien de sang avec les dieux. Les Trois Trésors avaient déjà une histoire ancienne au XIVe siècle, endommagés ou perdus à plusieurs reprises, ils n’en gardaient pas moins un rôle important dans les rites d’intronisation. Ce rôle s’était même renforcé à partir du règne de Kameyama à partir du moment où s’était imposée l’idéologie du kokutai et la nature particulière du souverain, intermédiaire entre les dieux et les hommes. Quand Go-Daigo avait évacué Kyôto en 1338, il avait pris soin d’emporter les Trésors avec lui. Ashikaga Takauji, pour assurer l’intronisation de l’empereur Kômyô avait utilisé des répliques (probablement déjà existantes) présentées comme authentiques. Cette mise en scène se rajoutant à l’usurpation dans le procès en lèse-majesté sur les époques postérieures ont intenté à Takauji.

New Japanese Emperor Naruhito (on dais) inherits the imperial regalia of sword and jewel at the Imperial Palace in Tokyo on May 1, 2019. (Pool photo)(Kyodo) (Photo by Kyodo News Stills via Getty Images)

La prise de Kyôto en 1352 par Ashikaga Tadayoshi au service de la cour de Yoshino lui permit de mettre la main sur les répliques des Trésors utilisées par Kyôto, ainsi que sur les empereurs retirés Kôgon et Kômyô et l’empereur régnant Sûkô. Yoshino fut ainsi en mesure d’affirmer l’authenticité de ses propres reliques et démontrer que les dieux étaient en leur faveur. Les empereurs prisonniers furent maintenus sous bonne garde mais avec respect, ils restaient des membres de la famille impériale. Takauji dut attendre d’avoir repris Kyôto pour installer un nouvel empereur de paille en la personne de Go-Kôgon, un frère de l’empereur précédent. Ashikaga Takauji comprit alors probablement que sans empereur il risquait de perdre lui-même toute légitimité et si sa lignée de choix à Kyôto s’éteignait il risquait d’être contraint à reconnaître la cour de Yoshino.

La famille Fushimi-no-Miya avant l’époque contemporaine a parfois été représentée par un chrysanthème vu par la tige, l’envers du blason impérial.

Pour éviter une future extinction de la lignée, il fallut innover . Un autre frère de Go-Kôgon, le prince Yoshihito fut placé à la tête d’une nouvelle branche cadette, les Fushimi-no-miya, abilités à succéder. Cette famille, qualifiée de Shinnôke (littéralement la famille du nouveau souverain / du prince héritier) pouvait fournir en cas de besoin un prince à adopter dans la lignée principale et maintenir la lignée. Les Fushimi-no-miya devinrent une sorte de lignée de « princes du sang » même s’ils n’avaient pas vocation à remplacer la lignée principale, seulement lui fournir des pièces de rechange.

Ces évènements montrent que là aussi deux visions de la dynastie impériale s’opposaient. Pour les partisans de Yoshino, la dimension religieuse de l’empereur, elle était incarnée par les Trois Trésors. Là où était l’empereur et les Trésors, là était la cour impériale. Du côté de shôgunat c’est une vision lignagière qui l’emporte, la continuité du sang l’emportant sur les aspects religieux. A défaut des Trois Trésors c’est la présence à Kyôto qui renforce les prétentions des empereurs du Nord. Celui qui siège à Kyôto est le véritable empereur et il ne peut en bouger (même s’il fallut aux Ashikaga évacuer Kyôto à plusieurs reprises). Malheureusement pour les Ashikaga, au cours du Namboku-chô c’est bien la posséssion de Trésors qui faisait la légitimité, leurs innovations étaient cependant appelées à perdurer.

La longue guerre (1338-1392)

L’anarchie militaire (1338-1358)

Essayons tout de même de simplifier les guerres du Nambokuchô depuis 1338 jusqu’à leur terme en 1392. Go-Daigo décèda rapidement en 1339 et laissa la place à son fils Go-Murakami, l’ancien prince Norinaga qui avait rallié les samurais du Nord du Japon. Go-Murakami avait combattu Ashikaga Takauji depuis 1336 et son principal conseiller était Kitabatake Chikafusa. Il s’agissait donc d’un opposant acharné aux Ashikaga. De son côté Takauji gouvernait au nom de l’empereur Kômyô. Son gouvernement reposait sur son cercle familial, principalement son frère Ashikaga Tadayoshi, ainsi que par son cercle familier à commencer par Ko no Moronao et son clan. Le moine Musô Soseki décrivait les deux frères en disant que Takauji était plus apte aux affaires militaires tandis que son frère était l’homme des affaires civiles, c’est à lui que l’on doit l’établissement d’un premier gouvernement des Ashikaga, reprenant faute de mieux les pratiques de l’époque Kamakura.

Ashikaga Tadayoshi traversant à cheval la rivière Kawanaka. Tadayoshi fut la tête pensante du début du shôgunat tandis que Takauji en fut la tête combattante.

La première décennie de la guerre entre 1339 et 1349 se révèla être une période de piétinements où aucune des deux cours ne parvint à prendre l’avantage mais où le shogunat était particulièrement instable. Les deux têtes du régime, Takauji et Tadayoshi, représentaient deux opposés, Takauji était un guerrier toujours en mouvement utilisant les ressources de l’Etat pour récompenser ses vassaux en leur attribuant des titres de gouverneurs et la jouissance de terres des domaines privés. Tadayoshi était un bureaucrate tentant de maintenir l’ordre en limitant les excès de l’arbitraire de son frère. La question de la division des domaines privés, associée à l’influence de Ko no Moronao sur Takauji provoqua la rupture entre les deux. Tadayoshi se retira de ses fonctions en 1349 et devint moine. Le Taiheki, notre principale source sur cette époque, attribue sa défection à un désir de vengeance contre son frère et contre Moronao. En 1351, il se révolta pour passer au service de la cour de Yoshino. Personnage influent de shogunat il apportait avec lui ses vassaux, ses alliés et ses clients, de quoi réunir une armée dont il se servit pour prendre Kamakura et Kyôto coup sur coup en 1352. Le coup de Kannô fut une humiliation pour Takauji avec la perte de son empereur, des Trésors impériaux et de la capitale.

Scène de la cour de Yoshino. La cour impériale « en exil » reproduisait les rites et les moeurs de la cour, le thème de Yoshino fut souvent utilisé dans les estampes ce qui fait que l’endroit est encore aujourd’hui un lieu touristique réputé pour ses vues, ses cerisiers notammnent, dont le souvenir a été transmis par les poèmes composés par la cour de l’époque.

Ce coup d’éclat décapitait la cour de Kyôto qui n’eut pas d’empereur avant 1352. Tadayoshi en profita pour éliminer ses rivaux du clan Ko, qu’il fit exécuter. Kyôto était cependant une conquête éphémère, toute l’histoire du Namboku-chô se ramène à un constat, conquérir Kyôto était relativement simple mais la tenir était impossible. La ville était trop grande et peuplée, trop peu défendable (elle n’était pas fortifiée), un occupant devait se préparer à se défendre mais aussi nourrir et gérer une population civile. La solution la plus simple a toujours été d’abandonner Kyôto pour y revenir ensuite. Tadayoshi se laissa prendre à ce piège et perdit ses conquêtes aussi rapidement qu’il les avait gagné. Vaincu, il négocia sa réconciliation avec Takauji qui l’accueillit à Kamakura en 1353, avant de mourrir quelques jours plus tard (empoisonné selon le Taiheki).

Ko no Moronao est devenu l’un des grands monstres de l’histoire japonaise. L’époque Edo l’a reconverti dans la pièce de kabuki Chûshingura où il apparaît comme le méchant de l’histoire. L’histoire d’origine parlait des fameux 47 rônins d’Ako mais pour éviter une censure par le shôgunat l’action en fut transposées à l’époque Muromachi en réutilisant la figure, déjà noircie de Moronao.

Malgré son échec, Tadayoshi permit à la cour de Yoshino de prendre l’avantage militairement et de recevoir des ralliements de gouverneurs et clans locaux encouragés par les succès. L’autorité du shogunat est alors limitée au Japon central tandis que l’empereur Go-Murakami récupèrait des commandants compétents : Nitta Yoshimune, Yamano Tokiuji (transfuge du shogunat) etc. Kyôto fut prise en 1352, 1353 et 1355, chaque fois reprise au bout d’un mois. Takauji gouvernait de manière itinérante au nom de l’empereur Go-Kôgon mais il était plus souvent sur le champ de bataille qu’à gouverner. La deuxième décennie s’achève par un changement de génération. Kitabatake Chikafusa meurt en 1354 puis c’est Takauji qui s’éteint en 1358. Takauji laissait la succession à son fils Ashikaga Yoshiakira qui était un commandant expérimenté, c’est lui qui avait conduit les reprises de Kyôto dans les années précédentes. Cette période représente pratiquement vingt années de guerres civiles qui ont contribué à noircir l’image d’Ashikaga Takauji qui avait trahi l’empereur sans pour autant être capable de mettre fin aux guerres ou de gouverner.

La stabilisation et le retour progressif à l’ordre (1358-1392)

La succession shogunale après le fondateur de la dynastie entraîna une deuxième vague de défections. La disparition de Takauji brisait certains liens personnels établis de son vivant tandis que certains shûgô y virent l’occasion de se rendre plus autonomes ou de négocier avec Yoshino. Yoshikira perdit et reprit Kyôto en 1361 dans les mêmes circonstances qu’auparavant et son règne ne marqua pas de changement militaire par rapport à celui de son père : guerre constante au programme. Il représenta cependant une meilleur gouvernance, dès 1362, Yoshikira organisa un gouvernement collégial par le conseil du kanrei (le vice-shôgun) auxquels participaient les plus influents des gouverneurs shûgô ainsi que les clans apparentés aux Ashikaga. Le titre de kanrei revint alors à Shiba Takatsune qui, devenu puissant et arrogant, fut éliminé et remplacé par Hosokawa Yoriyuki (le poste de kanrei resta ensuite un apanage des Hosokawa, Hatakeyama et Shiba).

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Le gouvernement collégial permettait au shogun de maintenir l’équilibre et le contrôle sur ses principaux vassaux (mais aussi rivaux) en formant au besoin une coalition des « seconds rôles » contre un vassal trop puissant. Ce type de gouvernement permit de mieux d’intégrer/récompenser les alliés des Ashikaga en leur donnant une voix dans les institutions, il permit aussi de mieux gérer un territoire encore morcellé. Ces nouvelles pratiques de gouvernement attirèrent les défections en faveur de la cour de Kyôto, des fidèles de la cour du Sud se rangeant désormais sous la bannière du Nord. Parallèlement le shogunat favorisa l’organisation des temples du courant zen au sein des Gozan (les Cinq Montagnes), ces temples renforçaient l’image d’un gouvernement pieux chargé de restaurer l’ordre tandis que les moines fournissaient des conseillers lettrés et de bons administrateurs. Yoshikira decéda cependant d’épuisement en 1367, suivi quelques mois plus tard par l’empereur de Yoshino Go-Murakami auquel succèda Chôkei.

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La mort de Yoshiakira laissa le shogunat à un enfant, Yoshimitsu. Cela pourrait représenter une catastrophe militaire si la succession n’avait pas été organisée à l’avance. Yoshimitsu fut placé sous la garde du kanrei du règne précédent, Hosokawa Yoriyuki, qui de manière surprenante s’avèra un bon précepteur et un gardien honnête du shogun-enfant. On peut créditer Yoriyuki pour plusieurs avancées pour la cause des Ashikaga. Militairement, il fit envoyer dès 1370 Imagawa Sadayo et Oûchi Yoshihiro pour reprendre le Kyûshû, cette campagne ne s’acheva qu’en 1382 mais apporta aux Ashikaga la maîtrise de l’île méridionale et des terres à distribuer. De la même manière les Ashikaga reprirent pieds plus fermement dans le Kantô et dans le Nord du Japon. L’attitude plus coopérative des shûgô, désormais partie prenante au gouvernement shogunal y contribua pour beaucoup. A partir de 1378, il centralisa l’administration et la perception des taxes à Kyôto et l’augmentation des revenus résultante permit de créer une « garde personnelle » du shôgun, l’Hôkoshû, forte de 3000 hommes capables de rivaliser avec les armées des shûgô. L’armée shogunale ne dépendait plus ainsi seulement des ost de ses vassaux et avait les moyens de faire pression sur eux.

A Kyôto, le jeune Yoshimitsu fut rapidement intégré dans les rangs de la cour impériale par des titres et des fonctions qui étaient certes purement cérémoniels mais faisaient rentrer le jeune shogun dans une sorte de légalité. Yoshimitsu participait aux cérémonies selon son rang, laissant éventuellement la préséance à d’autres nobles à ces occasions. Le jeune shogun fut aussi éduqué dans les arts et la littérature classique, apanage de la noblesse, une éducation qui inspira ensuite une nouvelle culture faisant la fusion entre la cour et les guerriers et qui serait propre à son règne. Par ces moyens, le shogunat intégrait la cour impériale et sa noblesse comme un élément de son régime. La noblesse et l’empereur n’avaient pas d’autorité politique mais la dignité, le partage de valeurs et le respect exprimés permettaient de faire coopérer la cour et d’effacer en partie l’accusation de trahison attachée à la dynastie depuis Takauji. Pour donner des gages, le shogunat interdisit les appropriations de terres des domaines privés, au rebours de la politique de Takauji, cela ne veut pas dire que cette interdiction fut toujours suivie d’effet. Dans le même, l’organisation des Gozan, les temples zens, fut complétée pour former une véritable organisation unique avec des temples hiérarchisés, expression du retour à l’ordre spirituel.

Ashikaga Yoshimitsu admirant le pavillon d’or, estampe d’époque Meiji. Yoshimitsu est mis à part dans la dynastie Ashikaga comme un moment de stabilité relative mais surtout de richesse et d’accomplissements culturels.

En 1378, Yoriyuki fit déménager Yoshimitsu et son administration au coeur de Kyôto dans le quartier de Kitanokoji Muromachi. La concentration progressive du pouvoir autour du shôgun et de sa nouvelle administration était alors largement complétée et la période fut dès lors connue sous le nom de Muromachi Jidai (la période commence dès 1336 mais le nom lui même ne se justifie que quarante ans plus tard). L’année suivante, Ashikaga Yoshimitsu, qui avait atteint les 21 ans, était assez fort pour prendre en main les rênes du pays. Il poussa plusieurs vassaux importants à menacer Hosokawa Yoriyuki pour le pousser à la démission. D’abord condamné à mort il fut ensuite reintégré et retrouva des responsabilités, limitées.

Le règne adulte de Yoshimitsu reprend les innovations de sa « régence », il se fit attribuer de nouvelles fonctions de cours jusqu’à devenir Nadaijin (ministre) et officier supérieur gérant plus grands temples. Sur le plan de la gouvernance il joua l’arbitre des disputes entre shûgô, au besoin en créant ces disputes. En 1391, Yamana Ujikiyo qui contrôlait pas moins de 11 provinces, 1/6e des provinces du Japon fut renversé, Yoshimitsu était parvenu à le provoquer et exciter les jalousies d’autres clans pour former une armée destinée à le soumettre. Cette recette fonctionna parfaitement à plusieurs reprises et garantissait au shôgun de rester le premier parmi les clans guerriers sans avoir à imposer une autorité tyrannique. Les shûgô furent invités à se rendre à Kyôto même pour ensuite y prendre résidence de manière permanente et y laisser des otages en gage de fidélité.

Estampe de 1868, Ashikaga Yoshimitsu rentrant d’inspection dans le Kantô. A la différence de ces prédecesseurs, Yoshimitsu fut le premier à gouverner un Japon largement réunifié et où les provinces étaient suffisamment sous contrôle pour permettre un gouvernement stable.

Cela ne veut pas dire que la guerre entre les deux cours s’était résolue seule. La lutte entre Yoshino et Kyôto se poursuivait mais la minorité de Yoshimitsu avait donné l’occasion au bakufu de prendre le temps de s’organiser et de se stabiliser. L’étendue des provinces contrôlées avait augmenté ainsi que les revenus de l’Etat désormais complétés par des taxes sur les échanges commerciaux. La concentration de richesse, les liens féodaux renforcés autour d’une autorité plus centrale, l’amélioration des relations entre la cour et le bakufu rendirent la position de Kyôto plus attractives pour les guerriers des provinces. De son côté l’empereur à Yoshino, Chôkei, maintenait une politique d’opposition sans avoir les mêmes moyens ou les mêmes perspectives d’avenir. la cour de Yoshino vit se développer une faction pacifiste prête à négocier un accord à l’amiable et se réconcilier avec les Ashikaga. Chôkei décéda en 1383 et son héritier, devenu l’empereur Go-Kameyama, s’avéra ouvert à une solution négociée. Elle ne devait cependant pas se conclure avant 1392.

La réunification du Japon

Faire la paix par la négociation

Ashikaga Yoshimitsu prit l’initiative d’une approche en direction de Yoshino. Il utilisa l’intermédiaire de Oûchi Yoshihiro, un vassal récent et puissant pouvant donner des garanties d’indépendance. De son côté l’empereur Go-Kameyama était ouvert à l’idée de négocier même s’il n’était pas militairement vaincu. L’accord trouvé en 1392 devait balayer 60 ans de guerres et de divergences.

Go-Komatsu tennô

La question centrale restait bien sûr de désigner un empereur unique pour le Japon et revenir sur la vieille dispute des branches Jimyôin et Daikakuji. Yoshimitsu ayant donné des gages de respect à la cour de l’empereur et à la noblesse, il avait en quelque sorte lavé les péchés de son grand-père Takauji. Noble de la cour avec le titre de Genji-chôja (patriarche des Genji, le clan d’origine des Minamoto, eux-mêmes divisés en de nombreuses familles mais toutes descendante de l’empereur Seiwa), il s’était présenté en interlocuteur valable de l’empereur de Yoshino. Sa proposition restait simple : Go-Kameyama abdiquerait formellement le trône et remettrait les Trois Trésors à l’héritier de son choix, l’empereur Go-Komatsu. Ce dernier régnait à Kyôto depuis 1371 mais la restitution des insignes impériaux lui apporterait une légitimité définitive, même si elle n’était pas remise en question parmi les fidèles de la cour du Nord. C’est pour cette raison que l’actuelle maison Impériale date généralement le règne de Go-Komatsu à partir de 1392, avant cette date il n’était qu’un prétendant et la légitimité se trouvait bel et bien du côté de Yoshino. De manière générale, les 5 empereurs de Kyôto entre 1336 et 1392 sont tous aujourd’hui considérés comme des prétendants illégitimes et retirés des listes impériales.

La lignée de Kyôto était reniée mais réhabilitée, victorieuse et vaincue. Pour rendre le sacrifice de Go-Kameyama acceptable, Yoshimitsu lui offrit de rétablir le système des règnes alternatifs qui avait si mal fonctionné par le passé. A la fin du règne de Go-Komatsu un fils de Go-Kameyama prendrait sa suite avec ce dernier comme empereur retiré. De cette manière l’équilibre semblait rétabli. Go-Kameyama se rendit en procession à Kyôto et remit les insignes impériaux pour l’intronisation formelle (la seconde en fait) de son « héritier », lui-même se retira dans un temple de la ville, respecté mais écarté du pouvoir.

Ashikaga Yoshimitsu arrivait alors à l’apogée de son pouvoir qu’il marqua en abdiquant en faveur de son fils Yoshimochi. Lui-même retiré dans sa villa de Kitayama-dono (le futur Pavillon d’Or) continuait à gouverner et à accumuler les titres de cour jusqu’à être chancelier, Daijô-Daijin, la plus importante charge de la cour (vidée de ses pouvoirs). Il continua à rabaisser le pouvoir et l’influence des clans les plus puissants à commencer par Oûchi Yoshihiro, son intermédiaire, dès 1395. Il reste connu pour son implication dans le commerce avec la Chine dont il voulait faire une des sources des revenus du shogunat et par ses contacts avec la cour impériale chinoise qui finit par lui accorder en 1404 le titre de Nippon Koku-ô, « roi du Japon ». Ce titre ne marquait une volonté de renverser les empereurs, il s’agissait seulement d’une reconnaissance chinoise. La Chine ne concevait ses relations internationales que comme des relations de suzerain à vassal avec l’empereur dominant les petits souverains périphériques qui lui devaient un tribut. Yoshimitsu n’était pas un souverain et cela rendait les contacts compliqués, le titre accordé le faisait entrer dans le système diplomatique (et commercial) dominé par la Chine et réglait la question. Mais était-ce tout?

Ashikaga Takauji en tant que moine bouddhiste après son retrait des affaires, un retrait théorique puisqu’il conserva toute l’autorité sur le shogunat jusqu’à sa mort, contrôlant les décisions de son fils et successeur. Son règne est considéré comme une période de floraison des arts aussi bien que de stabilité politique.

Cela fait partie des mystères du Japon de savoir quelles étaient les intentions du shôgun désormais vieillissant. L’accumulation des titres de cour, le titre royal octroyé par la Chine et la concentration des pouvoirs effectifs en faisait en tout point le véritable souverain du Japon. Dans les dernières années de sa vie il semble avoir envisagé de se faire attribuer le titre de Daijô-tennô, le même que celui des empereurs retirés. Ce titre lui aurait donné l’influence directe sur l’empereur régnant alors qu’il avait déjà élevé son épouse Yasuko au rang de « nyôin » (accordé à l’épouse d’un ancien empereur ou à une princesse impériale) et qu’il organisa la cérémonie de passage à l’âge adulte de son troisième fils (et son préféré) Yoshitsugu selon les rites réservés à un prince impérial. Ces gestes étaient symboliques mais significatifs, ils ne veulent pas vraiment dire que Yoshimitsu se serait proclamé empereur, seulement qu’en tant qu’empereur retiré il aurait finalement réussi à monopoliser le pouvoir des guerriers et des nobles entre ses seules mains à remettre à son aîné Yoshimochi. Il mourut avant d’y parvenir en 1408, certains romanciers ont avancé l’hypothèse d’un assassinat par le poison.

Ashikaga Yoshimochi s’entendait mal avec son père et ne partageait pas ses vues politiques. Face à l’absolutisme de Yoshimitsu il préféra revenir à un gouvernement féodal collégial avec les principaux shûgô, jouant l’équilibre sans écraser. Il restaura la séparation entre le pouvoir des guerriers et celui de la cour, renonçant aux mêmes honneurs qui avaient été octroyés à son père ainsi qu’au titre de roi du Japon qu’il rejetta, ne souhaitant pas marquer une vassalité réelle envers un souverain étranger. Yoshimochi apparaît comme un conservateur peut-être même réellement respectueux de l’empereur. Dans ce contexte l’empereur Go-Komatsu dut probablement percevoir qu’il avait le champ suffisamment libre. Il abdiqua en 1412, devenant empereur retiré, mais refusa de passer le trône à un fils de Go-Kameyama, à la place il imposa sur le trône l’empereur Shôkô qui régna jusqu’en 1428. Go-Kameyama, encore vivant, vit l’accord passé en 1392 foulé au pied sans conséquence pour son rival et sans capacité de réagir, désormais à la merci d’un shogunat stable et fort.

Les transformations de la cour impériale

Malgré sa stabilisation, le bakufu de Muromachi n’a jamais été un régime de paix, les diverses guerres féodales se poursuivent localement, nécessitant parfois une intervention shogunale ou la réunion d’une coalition, la mainmise sur le la cour impériale reste cependant ferme durant tout le XVe siècle. Les partisans de l’ancienne cour du Sud, privés de leurs prétendants existaient toujours, rongeant leur frein. En 1443, un groupe mal identifié pénétra dans l’enceinte du palais impériale, dit-on pour assassiner l’empereur Go-Hanazono mais surtout pour s’emparer des Trois Trésors impériaux. Les voleurs emportèrent les trois mais le miroir Yatai et l’épée Kusanagi furent retrouvés dès l’année suivante, le bijou Yahata ne fut récupéré qu’en 1458 après 15 ans d’absence.

Représentation d’époque Meiji de l’assassinat d’Ashikaga Yoshinori et de ses conséquences. Le corps du shôgun, abandonné par sa suite, resta sur place plus d’une journée avant de quelqu’un ose le récupérer, l’évènement marque le début du déclin de la dynastie Ashikaga et de son gouvernement.

Cette résurgence inattendue et même sans prétendant correspond à la première fissure dans la maîtrise du pouvoir par les Ashikaga. A la cour impériale la lignée impériale s’était brutalement interrompue en 1428 avec la mort sans enfants de l’empereur Shôkô. Plutôt que de faire appel à leurs cousins déchus, l’empereur retiré utilisa pour la première le système de Shinnôke en faisant adopter son chef par l’empereur mourant. Go-Hanazono fut ainsi le premier empereur issu des Shinnôke. La légitimité était sauve du point de vue théorique mais cette nouveauté semblait n’être qu’une manipulation pour beaucoup dont les nostalgiques de Yoshino. Go-Komatsu finit par s’éteindre en 1438 et en 1441 ce fut au tour du shogun Ashikaga Yoshinori de s’éteindre, cette fois-ci assassiné par l’un de ses vassaux. Yoshinori, autre fils de Yoshimitsu, s’était révélé un shogun tyrannique reprenant l’ensemble de la politique de son défunt père. Sa mort lors d’un attentat perprété par Akamatsu Noriyasu (fils d’un vassal important craignant d’être éliminé par Yoshinori). En 1443, les répercussions de l’assassinat et l’absence d’empereur retiré avaient réuni les conditions pour le coup de Kinketsu et le vol des insignes impériaux.

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Le coup se révéla cependant sans lendemain mais pas sans conséquences. Sans l’ensemble des insignes l’empereur Go-Hanazono resta sur le trône bien plus longtemps que ses prédécesseurs, il n’abdiqua à son tour qu’en 1464 en faveur de son fils, pendant la majeure partie de son règne la cour resta gouvernée directement par l’empereur, sous le contrôle du shôgun. Go-Hanazono devint finalement empereur retiré après que les Trois Trésors furent tous retrouvés mais il fut pratiquement le dernier, après lui la tradition de laisser l’empereur retiré gouverner le cour s’éteignit. C’est que la cour impériale du XVe siècle n’était plus la même que celle du début du XIVe siècle.

Go-Hanazono, issu des Fushimi-no-miya était un cousin de son prédécesseur et il est l’ancêtre des empereurs actuels, il est aussi l’ancien empereur à avoir assumé l’autorité en tant qu’empereur retiré. Il représente un tournant dans l’histoire des empereurs japonais.

A la fin de l’époque Kamakura l’empereur et le shogun étaient deux entités bien séparées résidant dans deux villes différentes. La diarchie shôgun-empereur n’empêchait pas ce dernier de conserver moyens financiers et influence sur la cour et les provinces. Après le règne d’Ashikaga Yoshimitsu et le début du gouvernement de Muromachi Kyôto devint la capitale impériale et shogunale. Cette coexistence s’accompagna d’un mélange inédit entre guerriers et noblesse. Le shôgun disposait d’un rang de cour, de même que ses vassaux les plus importants, participait aux cérémonies et partageait avec les nobles la même culture.

Le Pavillon d’or (Rokuon-ji) est l’exemple de cette fusion shogunat-cour. Le célèbre bâtiment est construit selon plusieurs styles : un rez-de-chaussée suivant le shinden-zukuri, un style propre aux édifices impériaux comme le palais. Le premier étage correspond au buke-zukuri, un style utilisé pour les demeures guerrières (plus fermé pour des raisons défensives) tandis que le dernier étage reprenant un style utilisé dans les temples bouddhistes zens. Ce pavillon de villégiature à l’origine mêlait les influences dans un message proclama la richesse, le goût et le contrôle total du shogun sur la société. La culture de Kitayama qui se développa autour de cette villa fit passer de nombreux arts et pratiques de la cour chez les familles de guerriers de haut rang. Yoshimitsu fut en particulier le protecteur des arts et ce qui devint ensuite le théâtre Nô par son fondateur Zeami.

Le Pavillon d’or est peut-être le bâtiment le plus emblématique de Kyôto aujorud’hui. Il faisait originellement partie de la ville d’Ashikaga Yoshimitsu retiré puis d’un temple appelé Rokuon-ji inspiré par le nom funéraire de l’ancien shôgun. Le bâtiment actuel est cependant une restauration de 1955 suite à l’incendie qui détruisit l’original.

La cour impériale n’avait pas de choix en la matière et prenait bien cette volonté de ménager sa dignité et ses coutumes. Elle le prenait d’autant mieux que le shôgun patronait l’empereur par ses dons alors que ses revenus baissaient. Les guerres du Namboku-chô avaient vu se développer les spoliations de terres. Les domaines de la noblesse, des temples et de la famille impériale avaient été confiés pour moitié à la gestion des shûgô et des guerriers qui les accaparèrent rapidement. Les appropriations illégales de terres se poursuivirent durant toute la période, Yoshimitsu les interdit mais les édits répétés montrent que cette interdiction était probablement difficile à appliquer dans des provinces de plus en plus marquées par le morcellement féodal. Par conséquent les empereurs et la noblesse voyaient leurs moyens se réduire, la disparition des empereurs retirés correspond sans doute à la perte de poids économique associé à cette fonction. Pour pallier à cette nouvelle pauvreté l’empereur et la cour dépendaient du shôgun mais aussi des cadeaux et offrandes des autres clans guerriers.

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Cette évolution marquait pour la première fois une dépendance de la cour envers les guerriers. Tant que le shogunat resta fort et stable cela ne porta pas à conséquence mais à partir de la moitié du XVe siècle le shogunat entra en crise. Cette crise, fondée sur une dispute de succession au sein de ma famille Ashikaga entraîna la guerre d’Ônin (1467-1477). Cette guerre se déroula en premier lieu dans les rues de Kyôto même, opposant les partisans des Hosokawa et des Yamana, Kyôto fut incendiée à plusieurs reprises et l’extension des destructions fait que dans l’histoire de Kyôto l’avant et après guerre d’Ônin reste un marqueur important. Dans les provinces, l’embrasement généralisé entre les différentes factions se doubla de luttes de succession au sein des clans de shûgô mais aussi du renversement de ces mêmes shûgô par leurs lieutenants, les shûgôdai, ou par les barons locaux, les kokunin. Le Japon entre alors dans une période d’anarchie féodale connue comme le Sengoku Jidai durant laquelle émergèrent des principaux indépendantes dirigées par des daimyôs avec pour seule légitimité le droit de conquête.

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La cour avait associé sa fortune à celle de la dynastie shogunale, son influence s’effondra avec le shogunat. La cour cessa pratiquement de toucher des revenus de ses domaines qui disparurent alors pour la plupart tandis que les clans guerriers cessaient de les patroner, leur ressources redirigées pour les besoins de leurs luttes incessantes. Les shoguns eux-mêmes devinrent avec Ashikaga Yoshimi des hommes de paille entre les mains de clans vassaux capables de contrôler Kyôto, généralement de manière éphémère. Le successeur de Go-Hanazono, Go-Tsuchikamado vécut la guerre d’Ônin et vit l’incendie de son palais dont la construction se révéla impossible à financer. L’absence de moyens le contraignit à supprimer certains rites religieux de la cour dont les préparatifs étaient désormais trop chers. A sa mort en 1500, son successeur Go-Kashiwabara ne parvint pas à réunir les fonds pour célébrer les funérailles impériales et la dépouille de l’empereur resta exposée, et décomposée, pendant plus d’un mois avant qu’une donation soit faite par les Ashikaga et le temple Hongan-ji. Son propre fils, Go-Nara, dut faire appel à la générosité générale en 1535 pour subvenir aux besoins basiques de la cour alors que durant l’hiver des nobles étaient morts de faim. Le même empereur est connu pour avoir vendu (ou plutôt offert avec un cadeau de remerciement en argent) des calligraphies de sa main.

L’époque des empereurs mendiants, symboles oubliés d’une époque passée, se poursuivit jusqu’en 1568, quand Oda Nobunaga prit Kyôto et entreprit de se gagner la faveur impériale en reconstruisant le palais et en subventionnant l’empereur. Ses successeurs Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu eurent soin de faire de même. La piété envers l’empereur apportait évidemment un prestige indéniable ainsi qu’une collaboration précieuses (Hideyoshi fut annobli par Ôgimachi et Ieyasu fut nommé shôgun par Go-Yôzei) mais surtout elle plaçait durablement la cour comme un client dépendant, incapable de protester ou de se rendre indépendant du pouvoir des guerriers.

Le temple Tôji-in de Kyôto, lieu de la tombe d’Ashikaga Takauji, conserve les statues de tous les shoguns Ashikaga. A la restauration Meiji ces statues furent symboliquement décapitées et les têtes exposées, le traitement réservé aux traitres, jugement de l’histoire par les partisans d’un empereur ayant réussi là où Go-Daigo avait échoué.

La période Namboku-chô marque ainsi une rupture plus nette pour l’institution impériale entre une cour indépendante et active à une cour dépendante et à l’autorité symbolique. Il existe une plus grande continuité entre la période Heian et Kamakura du point de vue impérial qu’avec la période Muromachi qui donne le ton et préparer le Sengoku Jidai puis l’époque Edo. Les empereurs ne retrouvèrent une influence sur la société et une autonomie politique qu’à partir du début du XIXe siècle, menant à la restauration Meiji de 1868. Les empereurs actuels sont quant à eux les descendants directs (plus ou moins en comptant les successions par les Shinnôke) des prétendants de la cour du Nord.

Après la défaite japonaise en 1945, un personnage appelé Kumazawa Hiromichi, prêtre bouddhiste, défraya la chronique en se proclamant descendant direct de Go-Kameyama et des empereurs du Sud. Sa filiation faisait de lui, de son propre avis, l’héritier légitime du trône impérial face aux « usurpateurs » du Jimyôin. Les élucubrations de « l’empereur Kumazawa » furent reprises par une poignée d’illuminés et d’escrocs mais témoigne d’une époque où la question de la légitimité et de l’identité de l’empereur du Japon était beaucoup moins simple.

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A lire : Pierre-François Souyri, 2013, Histoire du Japon médiéval.

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