Le 26 avril 1192 s’éteignait l’empereur retiré Go-Shirakawa après une vie de luttes politiques et de complots. Son règne charnière vit le glissement de l’autorité publique de la cour impériale vers les samurais dans une période de guerres civiles qui furent naître le Musha no Yo, le temps des guerriers.
Luttes pour le contrôle de la cour impériale (1155-1160)
Au milieu du XIIe siècle la cour impériale de Kyôto était un ensemble complexe de traditions et de zones d’influence. L’empereur lui-même ne gouvernait pas et le gouvernement était colonisé par les grandes familles nobles, tels les Fujiwara, qui se transmettaient héréditairement les charges. La principale puissance capable de gouverner la cour était l’Insei, l’administration des domaines et de biens privés de l’empereur, contrôlée par le Daijô-Tennô, un empereur retiré qui avait abdiqué pour se libérer du carcan des cérémonies et des rites religieux. L’empereur retiré, redevenu une personne privée disposait de l’indépendance financière par les rentrées des domaines impériaux. En tant que père de l’empereur, il avait aussi un accès et autorité sans égale sur le souverain, il pouvait ainsi confirmer les nominations selon son bon plaisir et se constituer une clientèle privée supérieure à celle des familles nobles. L’empereur retiré disposait aussi de la capacité de forcer les décisions par l’emploi à son service de clans de guerriers, les Taira et les Minamoto. Ce système complexe, l’In no Chô, était la réponse trouvée par la famille impériale un siècle plus tôt pour contrer le gouvernement des régents Fujiwara, désormais domestiqués.
Go-Shirakawa était le fils de l’empereur retiré Toba qui depuis 1123 gouvernait au travers de ses fils Sutoku et Konoe. Le problème naquit quand Sutoku fut forcé d’abdiquer en faveur de son frère, il devint aussi empereur retiré et voulut partager le pouvoir avec son père, qui refusa. La cour se divisa en deux factions rivales mais tout resta en l’état jusqu’à la mort de Konoe. Les deux empereurs retirés entrèrent alors en compétition pour nommer le nouvel empereur, ce qui garantirait au vainqueur le monopole des nominations aux charges de la cour et donc l’autorité sur la clientèle impériale. Toba réussit à imposer son fils préféré, Go-Shirakawa, contre le candidat de Sutoku. Go-Shirakawa monta sur le trône en 1155 mais dès la mort du vieil empereur Toba en 1156, Sutoku réunit autour de lui ses partisans et tenta de déposer son frère par la force. Face à la division de la famille impériale des membres des clans samurais Taira et Minamoto se divisèrent aussi furent recrutés dans les deux camps. Le coup d’Etat, la chaos d’Hôgen (Hôgen no Ran) échoua et Sutoku mourut peu après en exil. Il n’y avait plus d’empereur retiré et Go-Shirakawa était maintenant libre d’influence, seul maître de la cour impériale. Il ne se rendit probablement pas compte des conséquences de l’évènement, pour la première fois en 4 siècles, une dispute de succession avait débouché sur une guerre civile et les samurais en avaient été les arbitres, ils n’allaient pas l’oublier.
Go-Shirakawa tenta un retour à la normalité en abdiquant en faveur de son fils en 1158 afin de perpétuer le système politique des empereurs retirés. Son objectif était de continuer à gouverner au travers de ses fils sans rien changer mais il se retrouva rapidement face à une opposition politique qui trouva en Minamoto no Yoshitomo un champion. Yoshitomo s’estima mal récompensé de ses services, il avait après tout été obligé d’exécuter personnellement son père Tametomo au lendemain de la guerre d’Hôgen. Les opposants à Go-Shirakawa tentèrent de prendre le pouvoir par un coup d’Etat en 1159. Ils se saisirent de Go-Shirakawa et le tinrent prisonnier jusqu’à sa libération par Taira no Kiyomori. Les combats très violents du chaos d’Heiji, (Heiji no Ran) virent l’anéantissement presque total des Minamoto et la victoire des Taira au nom de Go-Shirakawa. Yoshitomo mourut en fuite, son fils Yoritomo fut exilé. L’empereur retiré était cependant le grand perdant, il se retrouvait désormais redevable et sous la protection armée du seul Kiyomori, ce dernier avait bien l’intention de présenter une addition à la mesure de ses services.
Sous le joug des Taira (1160-1180)
En théorie rien ne changea en 1160, la cour restait entre les mains de l’empereur retiré Go-Shirakawa mais les historiens japonais plus tardifs ne s’y laissèrent pas tromper. Le pouvoir réel résidait désormais entre les mains d’un samurai, Taira no Kiyomori qui n’étair autrefois considéré que comme un porte-sabre payé par la noblesse. Dans les faits les Taira avaient le monopole de la force armée et, sous le prétexte de purger la cour des éléments hostiles à Go-Shirakawa, placèrent leurs hommes à tous les rangs de l’administration impériale. Taira no Kiyomori capta progressivement ce qui faisait le pouvoir des empereurs retirés : la capacité d’assurer les nominations et la clientèle qui en résultait. Taira no Kiyomori lui même se hissa jusqu’au rang de Daijô-Daijin (équivalent d’un chancelier), la plus prestigieuse charge de la cour et exerçait de fait une dictature militaire.
Les 20 années de son pouvoir virent le transfert effectif de l’autorité entre les mains des guerriers, les familles nobles et l’empereur retiré lui-même furent progressivement marginalisés. En 1168, Kiyomori imposa à Go-Shirakawa de déposer l’empereur Rokujô au profit de Takakura. Ce dernier était par sa mère lié aux Taira, cela créait un lien de famille avec Kiyomori, ce lien fut renforcé avec le mariage du nouvel empereur avec la fille de Kiyomori, Tokuko, lui permettant de remplacer Go-Shirakawa comme « père » de l’empereur. Pendant ce temps Go-Shirakawa entra dans les ordres monastiques sous le nom de Gyôshin pour marquer son retrait de la politique mais il continua à manipuler les opposants aux Taira. En 1177, il soutint une tentative de coup d’Etat contre les Taira, l’incident de Shishigatani, qui échoua lamentablement. Go-Shirakawa fut placé en résidence surveillée tandis que les conspirateurs furent exécutés impitoyablement et leurs charges redistribuées à des Taira. Go-Shirakawa était dès lors à la merci de Kiyomori qui ne cacha plus ses ambitions. L’année suivante en 1178, naquit le fils de Takakura et Tokuko, un prince de sang Taira que Kiyomori nomma empereur en 1180, à l’âge de 2 ans, sous le nom d’Antoku. A ce point Kiyomori était de fait le souverain du Japon sans en avoir le titre. La dictature de Kiyomori était d’autant plus voyante que le samurai ne s’embarassait pas des politesses de la cour, les familles nobles les plus respectées étaient quotidiennement insultées et les listes d’ennemis à faire disparaître sortaient quotidiennement du palais des Taira à Rokuhara. La chute des Taira fut cependant rapide et spectaculaire.
Vers le régime des guerriers (1180-1192)
La nomination d’Antoku comme empereur fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. En 1180, le prince Mochihito se révolta et appela à l’aide le clan Minamoto resté en exil. Il fut vaincu mais les Minamoot no Yoritomo profita du prétexte pour prendre les armes au nom de la cour impériale. Le Genpei Gassen, la guerre du Genpei, fut un conflit sanglant et brutal, Kiyomori n’y participa cependant pas puisqu’il mourut de maladie en 1181. Le vide laissé par la mort du tyran profita aux Minamoto mais aussi à Go-Shirakawa qui en profita pour s’échapper de la cour. En 1183, les Taira perdirent la ville de Kyôto et l’empereur retiré y retourna en triomphe. Libre de ses décisions il déclara les Taira ennemis de la cour et leur ordonna de libérre les jeune empereur Antoku qu’ils avaient emporté avec eux, il donna aux Minamoto le mandat pour vaincre les rebelles. Dans le même temps Go-Shirakawa s’activait aussi à diviser les Minamoto en dressant les différents chefs du clan les uns contre les autres. L’image de Go-Shirakawa comme empereur retors et manipulateur vient de cette époque, retranscrite par les chroniques outragées écrites par les vassaux des Minamoto. Ses stratagèmes tournèrent court et l’empereur retiré se retrouva encore sous la coupe d’un guerrier, Minamoto no Yoshinaka, qui mit Kyôto en coupe réglée, pillée par ses guerriers. Go-Shirakawa fut contraint de se rallier à Minamoto no Yoritomo, chef légitime du clan qui élimina son cousin trop violent en 1184. L’année suivante les Minamoto mettait fin à la guerre en anéantissant les Taira à la bataille navale de Dan no Ura. Le jeune empereur Antoku y mourut noyé et fut remplacé par un autre petit-fils de Go-Shirakawa, l’empereur Go-Toba.
Go-Shirakawa prit alors une décision lourde de conséquences, en tant qu’empereur retiré et source de légitimité par son lien avec l’empereur, il lui revenait de régler l’après guerre. Il reconnut son incapacité à exercer un pouvoir en dehors de Kyôto et ne souhaitant pas retomber sous le joug d’un samurai, il passa un marché avec Yoritomo. L’empereur chargea Minamoto no Yoritomo d’assurer la sécurité dans les provinces et de faire rentrer les impôts, dans les faits il donnait le gouvernement des provinces aux Minamoto au travers de gouverneurs militaires avec pour seule limite de respecter l’autonomie des domaines fonciers de la noblesse et de l’empereur. Les Minamoto se virent aussi reconnaître le monopole de l’usage des armes, devenant la seule armée légale et mettant tous les samurais du pays sous la tutelle du clan Minamoto. En échange Yoritomo reconnaissait la souveraineté de l’empereur, son autorité absolue et indépendante sur les affaires de la cour impériale et garantissait les rentrées de taxes qui permettaient à la cour de subsister. Pour faire simple, Yoritomo obtenait le Japon et Go-Shirakawa conservait Kyôto et le petit monde de la cour. Ce compromis historique instaurait deux Etats parallèles : un gouvernement « civil » de la cour impériale centré sur Kyôto, officiellement supérieur, et un gouvernement « militaire » des guerriers qui gouvernait effectivement tout le Japon. Ce système à deux têtes avait été improvisé mais allait perdurer sous le nom de shogunat quand le titre de shogun fut attribué à Yoritomo en 1192. Ce système perdura au Japon jusqu’au XIXe siècle, avec des hauts et des bas. Go-Shirakawa n’était cependant pas domestiqué, il utilisa le reste de sa vie à miner le pouvoir des Minamoto, il essaya notamment de monter Minamoto no Yoshitsune contre son frère mais Yoritomo élimina rapidement son cadet.
Aux yeux des historiens, la mort de Go-Shirakawa la même année de la nomination de Yoritomo au titre de shogun symbolise le passage l’époque Heian et l’époque Kamakura, c’est à dire entre le régime de cour impériale et le régime des guerriers. Plus largement 1192 est aussi devenu la date du début du Moyen-Âge japonais, Chûsei. Dans les faits la transition n’est pas terminée, la cour impériale resta une puissante économique et religieuse encore longtemps. L’empereur Go-Toba fut d’ailleurs le digne successeur de Go-Shirakawa, tentant durant toute sa vie de renverser les guerriers. Il échoua en 1221, privant les empereurs suivants de toute autorité politique. Parmi les 126 empereurs du Japon, Go-Shirakawa reste un des plus connus, marqué par une image d’homme avide de oouvoir, manipulateur, amoureux du luxe et finalement de vaincu de l’histoire.
Go-Shirakawa s’éteignit en 1192 après une vie de luttes politiques et de manipulations qui virent la fin du pouvoir de la cour impérial et le glissement de l’autorité entre les mains des guerriers. So petit-fils, l’empereur régnant, Go-Toba reprit rapidement le flambeau et tenta toute sa vie de reprendre le pouvoir des mains des samurais, il fut finalement vaincu en 1221, privant dès lors les empereurs de toute autorité.