La famille impériale japonaise : petits scandales autour du trône du chrysanthème

En presque 15 siècles la lignée des empereurs japonais donne l’impression d’une succession sans interruption et sans difficultés. Peu importe la personnalité de l’empereur, l’institution garde toujours sa dignité et son caractère sacré. Cette image lisse de la dynastie japonaise a surtout la création des hommes de l’époque Meiji et de leurs successeurs. L’institution impériale, incarnation de la nation, devait apparaître digne, inattaquable, éternelle. Le trône du chrysanthème a bien sûr eu ses heures de gloire mais aussi ses heures sombres… et quelques scandales. Tous les empereurs n’ont pas été des idôles intouchables pour leurs sujets, certains ont même eu des fins pathétiques. Abandonnés, fous, séduites, réduits à la mendicité, empoisonnés ou cachés, voilà quelques uns de ces destins impériaux.

目次

Kôtoku (645-654, période Asuka), un empereur à l’abandon

Isshin no Hen (645), le prince Naka no Oê tranche la tête de Soga no Iruka tandis que l’impératrice Saimei quitte précipitament la scène. Cet incident va mener Kôtoku sur le trône.

L’empereur Kôtoku est membre mineur de la dynastie japonais. Sous le tiitre de prince Karu il n’était pas destiné à régner. il n’était que l’arrière-petit-fils d’un empereur, ce qui aurait dû le disqualifier pour le trône. Il était cependant le frère de l’impératrice Saimei qui avait épousé leur cousin Jômei avant de monter elle-même sur le trône. Dans sa jeunesse le prince avait vu la rivalité croissante entre les membres de la famille impériale et le puissant clan des Soga. Le prince Shôtoku avait dominé un temps la cour comme régent mais après sa mort son fils avait été éliminé dans un coup d’Etat, laissant les Soga maîtres de la cour. L’atmosphère était à la violence à la cour et en 645. Le prince Naka no Oê, fils de l’impératrice décida de régler leur compte aux Soga et associa son onle Karu au complot.

Lors de l’incident d’Isshi le prince attaqua directement Soga no Iruka durant une cérémonie au palais en présence même de sa mère. Soga no Iruka, blessé, fut finalement massacré en plein palais impérial, un évènement qui souilla le site du palais au risque d’y attirer les désastres ou même la malédiction de l’esprit du défunt ! L’impératrice se considéra impure et en réaction abdiqua le trône. Face à la crise dynastique le jeune prince Naka no Oê, pourtant héritier en tite, refusa le trône, étant lui aussi spirituellement entaché par son crime. En l’absence d’autres candidats, le prince poussa son oncle sur le devant de la scène sous le nom d’empereur Kôtoku. Le prince Karu refusa, proposa même un autre candidat mais ce dernier s’enfuit en se faisant prêtre. Il devait alors avoir environ 49 ans et monta sur le trône.

Kôtoku régna neuf ans mais il ne faut pas s’y tromper, Naka no Oê, toujours héritier en titre, resta tout le long le véritable pouvoir derrière le trône. Energique, visionnaire et charismatique, le prince ne tarda pas à éclipser son oncle et souverain. C’est Naka no Oê qui poussa à l’adoption des réformes dites de l’ère Taika même si l’empereur participa lui-même à l’élaboration des mesures. Kôtoku et Naka no Oê partageaient une véritable vision des changements à apporter au pays, expliquant leur bonne collaboration, au début. Ces réformes instauraient un nouveau système de gouvernement et de répartition des terres sur des bases confucéennes et chinoises, poussant le Japon sur la voie d’un Etat centralisé de type chinois. Le Japon fut réorganisé en provinces qui restèrent en place sans changements jusqu’au XIXe siècle.

La souillure subie par le palais impérial nécessita d’abandonner le site impur pour le bien du pays. Il y avait aux yeux des contemporains un véritable risque de voir des catastrophes ou des épidémies se produire si on laissait s’exprimer les influences néfastes engendrées par le crime. Naka no Oê ordonna la construction d’un nouveau palais impérial à Naniwa, près de la mer à l’emplacement de l’actuelle ville d’Osaka. La cour quitta la plaine du Yamato qui accueillait traditionnellement le siège de la cour pour s’installer dans un environnement nouveau. Le prince rêvait de se rapprocher de la mer où arrivaient des navires de Corée et de Chine. Il souhaitait ouvrir le Japon et développer les contacts avec la grande puissance chinoise. Une ambassade, la première, fut d’ailleurs envoyée sur son ordre à la cour des empereurs chinois de la dynastie Tang.

Cette affaire de capitale n’était cependant pas terminée. Coup de théâtre en 653, le palais de Naniwa était à peine achevé que Naka no Oê décida brutalement de ramener la capitale dans la plaine du Yamato ! Il faut y voir un échec de ses contacts diplomatiques et commerciaux avec la Chine mais aussi un retour à la normale après le scandale du coup d’Etat d’Isshi. Ce revirement n’était pas sans conséquences puisque la construction d’un palais et de sa ville était ruineux et faisait ployer les paysans sous de lourdes corvées.

Shinagano Misasagi, le tombeau de Kôtoku est resté à Osaka jusqu’à nos jours. Le palais de Naniwa sembre être resté en activité jusqu’à la fin du VIIe siècle avant d’être détruit par un incendie. Son site ne fut redécouvert par les archéologues que peu de temps après la deuxième guerre mondiale.

La décision arbitraire du prince provoqua la seule et unique colère de l’empereur Kôtoku qui refusa net de retourner dans le Yamato, maintenant la cour à Naniwa. L’empereur était arrivé au conflit avec son neveu mais Naka no Oê ne semble pas s’en être formalisé. Face au refus impérial il poursuivit les préparatifs de déménagement. Lorsque le départ fut prêt le prince retourna dans le Yamato en emportant avec lui la quasi-totalité des officiers de la cour, tous membres de sa faction, et jusqu’à l’impératrice Hashihito, qui était sa propre sœur. L’empereur Kôtoku fut purement et simplement abandonné à son sort dans un palais déserté, accompagné par quelques serviteurs et fidèles à peine. L’opposition de Kôtoku n’avait même pas provoqué de réaction, uniquement de l’indifférence. L’injure fut si profonde, le désarroi si grand, que Kôtoku en mourut. Il s’éteignit de maladie un an à peine après le départ de la cour dans un palais qui commençait déjà à tomber en ruine. Ses funérailles furent une affaire privée sans grandes cérémonies.

Le Hyakunin Isshin est un recueil de cent poètes à travers l’histoire japonais incluant des poèmes de l’empereur Tenji. L’illustration remonte cependant à l’épode Edo et nous n’avons pas de portrait des protagonistes de ces évènements.

On pourrait croire que sa mort ouvrait la voie du trône à son neveu mais Naka no Oê refusa encore le trône et poussa sa mère à reprendre une nouvelle fois le pouvoir sous le nom d’impératrice Kyôgoku. Il ne devint empereur qu’à la mort de celle-ci, sous le nom d’empereur Tenji. Il fut un des grands empereurs de l’histoire du Japon et celui qui poussa le pays sur la voie de la modernisation sur le modèle chinois. Kôtoku fut oublié de l’histoire comme il l’avait été de ses contemporains.

Shôtoku (749-758 / 764-770, période Nara), l’impératrice séduite

Pour des dates aussi anciennes il n’existe pas de portraits des souverains de l’époque, uniquement des illustrations très postérieures et totalement inventées.

Montée sur le trône en 749, alors sous le nom de Kôken, la future impératrice Shôtoku marqua une rupture durable dans l’histoire de la famille impériale. Son règne troublé vit un ancien conflit arriver à son terme et son histoire fut totalement réécrite pour cacher la vérité et exclure les femmes du trône.

Kôken est montée sur le trône à 36 ans, après l’abdication de son père l’empereur Shômu. C’était alors l’apogée de l’époque Nara. Shômu était un bouddhiste fervent, trois mois à peine avant son abdication il s’était proclamé disciple du Bouddha face à la statue géante du Tôdai-ji, encore en cours de construction. Shômu se retira ensuite dans un monastère pour devenir un simple moine, une première dans l’histoire du Japon. La nouvelle impératrice venait de la lignée de l’empereur Tenmu (le frère et successeur de Naka no Oê / Tenji) qui avait toujours poussé à centraliser le pouvoir impérial et renforcer l’autorité du souverain. Cette sorte d’absolutisme sur le modèle chinois s’accompagnait d’une faveur du clergé bouddhiste qui devait servir d’auxiliaire au pouvoir impérial et relier son autorité dans les provinces. Cette évolution allait contre la volonté de la vieille aristocratie de cour dont elle menaçait le pouvoir. Kôken manqua ainsi d’être renversée une première fois en 757 par une révolte nobiliaire.

Les tensions à la cour étaient fortes et Kôken n’avait pas d’héritier mâle à qui transmettre le trône. Les luttes de faction la poussèrent à l’abdication en 758 en faveur d’un jeune homme de 25 ans, l’empereur Junnin, qui était son lointain cousin. Officiellement Kôken devint alors une nonne mais elle continua à influencer la cour face à la faction aristocratique qui soutenait Junnin. Le jeune empereur s’appuyait en particulier sur Fujiwara no Nakamaro, qui était le chef de cette faction aristocratique. C’est à peu près à cette époque que l’on voit apparaitre la figure trouble de Dôkyô.

L’époque Edo, qui aimait les scandales, n’a pas manqué de s’emparer du récit du moine Dôkyô en y ajoutant sa dose de détails rocambolesques. Sur cette estampe en trois pages le pauvre moine est traîné vers la perdition par une impératrice plus qu’enthousiaste.

Dôkyô était un moine qui avait fait son chemin à la cour avec la réputation d’un guérisseur et d’un maître à penser. La rumeur en fit rapidement l’amant de Kôken malgré les 64 ans de l’ancienne souveraine. Par l’influence de Kôken, Dôkyô s’était vu attribuer des fonctions de plus en plus importantes à la cour. C’est sur cette faveur que Junnin et Nakamaro décidèrent d’attaquer l’influence de leur rivale. L’empereur critiqua sa cousine et lui demanda de chasser son protégé, ce à quoi Kôken répondit par la fermeté. Une cabale aristocratique semble alors avoir été montée par Nakamaro qui, prétextant de la faiblesse féminine de Kôken envers son amant, souhaitait anéantir la faction de l’ancienne impératrice.

En 764, Fujiwara no Nakamaro tenta un coup d’Etat à Nara. Il s’empara des insignes impériaux et s’enfuit de Nara pour soulever les provinces. L’armée de Nakamaro fut cependant rattrapée par les troupes loyalistes à Kôken. Dans la bataille qui s’ensuivit aux bords du lac Biwa, Nakamaro fut tué et les insignes impériaux furent retrouvés. Ayant éliminé la figure de proue de ses opposants, Kôken accusa l’empereur Junnin de complicité et le força à abdiquer. Il fut tué un plus tard lors d’une tentative d’évasion de l’île Awaji où il avait été exilé. Kôken remonta sur le trône sous le nom de Shôtoku et put s’entourer cette fois-ci de collaborateurs fidèles.

Restée seule maîtresse de la cour, elle nomma Dôkyô Daijô-Daijin, premier ministre, en 765. La faveur de Dôkyô ne connut plus de limites et il est souvent représenté comme le véritable pouvoir derrière l’impératrice. En réalité la majorité de ses titres étaient purement religieux, comme Hô-ô (« roi » bouddhiste) et concernaient une politique de propagation et de prosélytisme bouddhiste. Au contraire l’influence des grandes familles fut fortement réduite.

Dôkyô fut plus tard accusé par les Fujiwara d’avoir voulu usurper le trône et de s’être fait nommé héritier du trône. L’accusation est extraordinaire et absolument unique dans l’histoire japonaise puisque le moine n’avait aucun lien avec la famille impériale, ce qui était indispensable. Il en ressort que Dôkyô aurait provoqué une série d’oracles favorables à sa succession. Aucun document d’époque ne vient confirmer cette accusation, il est possible que cela soit une version propagée par ses ennemis Fujiwara après sa chute. Toujours est-il que Dôkyô était véritablement le bras droit de l’impératrice dans sa politique religieuse. Leur politique allait sans doute vers la transformation du pouvoir impérial vers une idéologie entièrement bouddhiste et la création d’une administration centralisée du culte, un clergé dévoué au trône.

L’impératrice Shôtoku décéda de maladie en 770, elle avait alors 57 ans. Elle n’avait pas d’héritier clair à ce moment et la cour, encouragée par les Fujiwara sélectionna un cousin lointain, l’empereur Kônin. La nomination de Kônin reposa sur la « découverte » d’un testament de Shôtoku qui est considéré aujourd’hui comme un faux. Kônin était un fonctionnaire de la cour de 62 ans qui avait déjà une carrière derrière lui et était proche des Fujiwara. Etant un cousin éloigné de l’impératrice il ne faisait officiellement plus partie de la famille impériale. Le testament le réintégra dans celle-ci, officiellement il avait été adopté par la défunte impératrice. Son règne marqua le retour des Fujiwara et une réaction rapide qui exila tous les collaborateurs de Shôtoku, au premier rang desquels Dôkyô qui termina exilé dans un monastère.

C’est dans les années suivantes, avec la rédaction des chroniques impériales, que le récit de la tentative d’usurpation de Dôkyô, amant de l’impératrice, se propagea. Kôken/Shôtoku fut présentée comme une souveraine faible qui se laissa, par sa nature de femme, manipuler par un moine ambitieux qui manqua de peu de renverser la dynastie. Ce récit devint une vérité historique si fortement implantée qu’elle engendra un rejet fort des femmes sur le trône. Durant les 1000 années suivantes aucune femme ne fut autorisée à devenir impératrice. La lignée de Tenmu s’éteignit et celle de Kônin débuta, elle allait conduire au début de la période Heian et au règne des régents Fujiwara, une réaction aristocratique qui contrôla l’empire pendant plus de deux siècles.

Yôzei (876-884, période Heian), l’empereur fou

Rome a eu Caligula (et quelques autres), la France a eu Charles VI, le roi fou. Il aurait été surprenant que le Japon n’est pas au moins un souverain « excentrique ». C’est Yôzei, au IXe siècle, qui resta dans les mémoires comme un empereur aux penchants tellement sadiques que la cour préféra le faire enfermer !

Malgré ses penchants l’empereur Yôzei est tout de même crédité d’un poème du Hyakunin Isshin. Ils n’ont cependant pas souhaité le représenté.

Yôzei s’inscrit dans la lignée directe des grands empereurs du début de l’époque Heian ayant succédé à Kanmu, le fondateur de Kyôto. Il s’agissait encore de souverains qui gouvernaient réellement, leur époque s’acheva avec Ninmyô, le grand-père de Yôzei. Sous les règnes de Montoku puis Seiwa le pouvoir passa progressivement aux mains de l’aristocratie dominée par les Fujiwara. Fujiwara no Yoshifusa s’était institué régent de l’empereur Seiwa et assuma la réalité du gouvernement. Son fils Mototsune lui succéda sous ce titre. Yôzei était le fils de l’empereur Seiwa et de la sœur de Fujiwara no Mototsune, il aurait dû régner sous la tutelle bienveillante de son oncle.

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Kanmu, le plus puissant des empereurs japonais L'empereur Kanmu régna de 781 à 806, un long règne marqué par les luttes et l'affirmation du pouvoir impérial. L'histoire des empereurs japonais est souvent vue comme une succession calme de souverains sans pouvoir, Kanmu fut tout l'inverse et son règne nous permet de découvrir l'intensité des luttes et des défis que devaient affronter les souverains japonais du VIIIe siècle.

C’est pour maintenir cette régence bien pratique que Mototsune fit abdiquer Seiwa en 876 pour installer Yôzei, âgé de 7 ans, sur le trône. Tout était pour le mieux aux yeux de Mototsune si ce n’est la personnalité de son impérial neveu.

Le jeune Yôzei, âgé de 14 ans, commença à montrer des signes inquiétants de sadisme. Il prenait plaisir à nourrir ses serpents avec de petits animaux capturés. Il faisait organiser des combats de chiens. Progressivement il s’enhardissait en assistant à des exécutions capitales. Il commença à menacer son entourage en tirant son épée quand il entrait en colère. L’inquiétude commença à se répandre à la cour alors que le régent se révélait incapable de cacher les humeurs du souverain.

Représentation tardive de Fujiwara no Mototsune, le premier sesshô (régent d’un empereur mineur) de l’époque Heian. Son titre devint par la suite héréditaire.

Un jour, l’empereur ordonna à des hommes de monter aux arbres du palais puis fit venir les gardes pour qu’ils les en fassent tomber avec leurs lances puis les achever. Cette distraction avait causé la mort d’hommes et rien ne permettait d’espérer un changement dans les plaisirs de l’empereur de 15 ans. Il est aussi question dans les chroniques d’un meurtre direct de l’empereur sur l’un de ses serviteurs mais sans précision de date. Ces actions, en plus d’être choquantes, introduisaient dans le palais une souillure morale et physique qui risquait de provoquer des cataclysmes selon les croyances de l’époque. Le fait que l’empereur lui-même soit la source de la souillure rendait le problème encore plus grave.

En 884, Mototsune décida, avec semble-t-il l’accord de la famille impériale et de l’ensemble de l’aristocratie, de déposer l’empereur. C’était une chose jamais vue auparavant, les empereurs pouvaient abdiquer (parfois de force) mais jamais purement et simplement être renversés. Le régent organisa la déposition en secret et vint un jour proposer à l’empereur d’assister à une course de chevaux en dehors de la capitale. Le gissha (chariot à bœufs) de l’empereur à peine sorti du palais, il fut entouré par une forte garde et escorté dans un palais retiré. Là, Mototsune lui notifia sa déposition en la justifiant, Yôzei réagit par les larmes et les cris mais fut finalement envoyé dans un monastère pour y entrer dans les ordres.

On pourrait penser que cette déposition servait un but politique secret de Mototsune mais l’évènement représenta plutôt un grave échec pour les Fujiwara. A la place de Yôzei, ils durent aller chercher un oncle éloigné déjà âgé de 54 ans. Le nouvel empereur Kôkô était un fonctionnaire expérimenté mais aussi hostile aux Fujiwara. Son règne et celui de son fils Uda représentèrent une longue bataille d’influence pour contrer le pouvoir des régents, un retour en arrière incontestable pour les Fujiwara qui mirent des dizaines d’années à réparer les dégâts. Il faut donc en conclure que la présence de Yôzei sur le trône représentait un tel risque politique et religieux que le régent préféra encore aller contre ses propres intérêts plutôt que de fermer les yeux. Cela en dit long sur la peur qu’engendra ce Caligula japonais.

Le sanctuaire Heian de Kyôto permet de se donner une idée approximative de ce à quoi devait ressembler le Dairi, le palais impérial de l’époque de Yôzei et sa grande salle du trône.

Que devint l’ancien empereur Yôzei ? Il était jeune et il eut une longue vie. Apparemment ses tendances ne firent que s’aggraver avec l’âge. Il disposait encore d’une certaine liberté de mouvement et échappa à ses gardes en 889, à 20 ans. Il pénétra dans le palais impérial et attaqua des courtisans. On rapporte qu’il étrangla deux femmes de la cour avec les cordes d’instruments de musiques. A une autre occasion il s’empara d’un cheval et renversa des passants pour les piétiner. Mis sous bonne garde il parvenait encore régulièrement à s’enfuir dans les montagnes entourant Kyôto pour y chasser et tuer des animaux dont des daims shika que la religion shintô considère pourtant comme des messagers des kamis.

Malgré tout son existence fut protégée en tant qu’ancien empereur, membre de la famille impériale, membre du clan Fujiwara. Aucun de ses crimes ne fut puni. Dément et dangereux, Yôzei survécut pourtant aux 4 empereurs suivants, s’éteignant à l’âge de 80 ans.

Sutoku (1123-1142, période Heian), maléfices à la cour

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Go-Kashiwabara (1500-1526) et Go-Nara (1526-1557), les empereurs mendiants,

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Après la fin de l’époque Heian le Japon était entré dans l’ère des guerriers. Le pouvoir avait été confisqué par les shoguns successifs, laissant l’empereur sur son trône mais sans pouvoir réel sur le pays. Malgré les siècles de guerre civile connu par le Japon la cour impériale et son souverain étaient parvenu à maintenir leur influence morale. C’est presque comme si la cour avait vécu un vase clos sans être affectée par les évènements extérieurs. Il est vrai que les différents clans guerriers rivaux ne se sont pas beaucoup souciés de l’empereur, il n’était pas un guerrier, n’avait pas de troupes et ne représentait pas un danger pour eux. Il est cependant faux de croire que les empereurs ne furent jamais affectés, Go-Kashiwabara eu particulièrement à souffrir des difficultés de son temps.

Au XVe siècle le contrôlé exercé par les shoguns de la famille Ashikaga s’était progressivement affaibli. Durant le règne du shogun Yoshimasa on constate la progression d’une véritable anarchie féodale. A partir de 1467, la rivalité entre les Yamana et Hosokawa provoqua la guerre civile d’Ônin qui dura dix ans durant lesquelles Kyôto devint un champ de bataille permanent puis une ville ruinée. Personne ne sortit vainqueur de cette guerre et le shogunat entama son déclin irréversible. La cour et le palais eux-mêmes n’avaient pas été touchés directement par la guerre mais en subirent les conséquences.

Scène de combats lors de la guerre d’Ônin. Cette guerre marqua une rupture fondamentale dans l’histoire japonais mais aussi dans l’organisation de la ville de Kyôto et la répartition de la population japonaise.

La cour et la noblesse tiraient leurs revenus de domaines fonciers dans les provinces ainsi que de la protection qu’ils accordaient à certains temples ou communautés marginales (les pécheurs notamment, les familles féodales ne s’intéressant qu’aux paysans producteurs de riz). Depuis l’instauration du régime des guerriers les shoguns devaient assurer les rentrées des taxes et des revenus fonciers dus à la cour en échange de la légitimisation de leur autorité. Le problème récurrent était alors les usurpations de terres et les détournements mais un pouvoir fort permettait de les freiner.

Avec l’anarchie militaire les domaines de la noblesse et de la cour elle-même passèrent de plus en plus entre les mains de ceux qui pouvaient les défendre ou imposer leur force sur place. On entrait alors dans le Sengoku jidai où les daimyôs locaux devinrent les véritables propriétaires des terres, en violation de tout droit préexistant. La cour ne touchait plus ses revenus, ses caisses se vidèrent. Il fallut dépendre de la générosité des donations faites par les grandes familles samurais. A la fin du siècle les Hosokawa et les Ashikaga furent les premiers contributeurs mais ces deux familles furent bientôt engouffrées dans des luttes de succession et des guerres sans fin. Kyôto passant sous le contrôle d’une famille ou de l’autre à un rythme rapide.

En 1500, l’empereur Go-Tsuchikamado décéda et son fils monta sur le trône en tant que Go-Kashiwabara. A ce moment le shogun Yoshitane s’était enfui de Kyôto, chassé par les Hosokawa qui régnaient en maîtres mais étaient occupés par leurs propres guerres locales. Les fonds manquaient pour organiser les funérailles de l’empereur défunt selon les cérémonies traditionnelles. Il fallait réunir des fonds et Go-Kashiwabara en fut réduit à quémander auprès de tous les clans importants. Sa seule monnaie d’échange étaient les titres de courtoisie de la cour qu’il pouvait attribuer, confiant sa survie à la gloriole des samurais. Les funérailles furent finalement organisées en 1501, plus d’un an après le décès du vieux souverain !

On avait pu payer les funérailles, piétié filiale oblige, mais il fallut faire l’impasse sur les rites d’intronisation du nouvel empereur. Go-Kashiwabara, bien qu’empereur légitime et reconnu, ne fut pas « couronné » empereur avant 1521 ! 20 ans avant de pouvoir se mettre en conformité avec les dieux. Même alors l’intronisation ne fut possible que par les donations et les récompenses. Les Ashikaga venaient de chasser une énième fois les Hosokawa de Kyôto et leur camp avait besoin que l’empereur nomme officiellement le nouveau shogun Yoshiharu. La légitimité conférée par l’empereur méritait bien un peu d’argent de poche pour les cérémonies. Dès 1525 cependant toutes les cérémonies de la cour furent suspendues sine die par manque de fonds, les conditions politiques ayant encore changé.  

Go-Kashiwabara ne manquait pas d’argent que pour les cérémonies mais pour son quotidien même. En 1509, le malheur de la famine vint s’ajouter aux guerres civiles. Cette famine en particulier fut particulièrement meurtrière à Kyôto. Les récits de l’époque racontent que la ville compta de nombreux morts dont plusieurs membres de la cour impériale, pourtant nobles. Les domestiques et serviteurs de la noblesse et de l’empereur, mourants de faim s’enfuirent et délaissèrent leurs offices. L’eau laissée dans le palais se transformait en glace par manque de chauffage.

L’empereur aussi eu faim cet hiver-là, les familles de samurais ne donnèrent rien, vivant sur leurs propres réserves. A cours de solutions, Go-Kashiwabara en vint à vendre ses calligraphies pour obtenir de quoi subvenir aux besoins de la cour. Il ne s’agissait pas d’une vente directe, indigne d’un noble. L’empereur récompensait tel marchand ou samurai d’une calligraphie ou d’une peinture de sa main, un honneur immense. En remerciement de cet honneur, le bénéficiaire faisait en retour l’offrande de cadeaux à l’empereur, fournissant ainsi les fonds tant recherchés.

L’empereur Go-Nara, le fils de Go-Kashiwabara, peut être lui aussi considéré comme l’un de ces « empereurs mendiants » qui, sur toute l’histoire de la dynastie, marquèrent le point le plus bas de l’influence et de la richesse des empereurs japonais.

L’empereur n’avait rien d’autres, des titres de courtoisie, des calligraphies, il n’avait pas d’autres ressources. L’empereur n’avait aucun pouvoir en dehors de son palais et sa pauvreté firent que le prestige de l’institution qu’il représentait s’amenuisa à presque rien. L’empereur Go-Kashiwabara mourut dans la pauvreté en 1526, s’effondrant alors qu’il se trouvait dans les archives dit-on. Son fils, Go-Nara connut les mêmes difficultés que lui. Son couronnement fut retardé de 10 ans et il dut lui aussi vivre de sa plume, au moins parvint-il à payer des funérailles à son père.

L’ère des empereurs mendiants s’acheva seulement quand le Sengoku Jidai laissa la place à la période Azuchi-Momoyama. Les unificateurs du Japon, Oda Nobunaga, Yoyotomi Hideyoshi puis Tokugawa Ieyasu, comprirent l’importance de s’assurer le contrôle de la cour impériale en prenant en charge ses dépenses. De cette manière ils pouvaient justifier leur puissance militaire par le retour à l’ordre et par la reconnaissance impériale. L’empereur Ogimachi se fit pensionner par chacun d’eux, payant les cérémonies et reconstruisant le Dairi, le palais impérial, qui était tombé en ruine. Son fils, Go-Yôzei, nomma Tokugawa Ieyasu comme nouveau shogun après avoir reçu d’importantes donations et l’assurance que la cour ne manquerait de rien. Avec le début de l’époque Edo la cour était entièrement passée sous la tutelle financière des shoguns Tokugawa. L’empereur était neutralisé et soumis pour longtemps.

Oda Nobunaga est le premier à avoir massivement investi dans la restauration de la cour et du palais de Kyôto. Il y voyait un moyen de se passer de son autre pantin, le dernier shogun Ashikaga, qui était difficilement malléable.

Kômei (1846-1867, période Edo), l’empereur a-t-il été empoisonné ?

En près de 15 siècles d’histoire familiale on pourrait s’attendre à compter plusieurs assassinats d’empereurs mais contrairement à Rome, où c’était un sport national, les cas furent rarissimes. En fait on ne peut compter comme véritable assassinat que le cas de l’empereur Sushun au VIe siècle. Quelques autres sont morts au combat mais dans la très grande majorité les empereurs du Japon sont morts paisiblement dans leur futon.

Dans certains cas cependant on a pu avoir des doutes. L’exemple le plus récent et le plus connu est sans doute celui de l’empereur Kômei. Cet empereur a régné au XIXe siècle et il s’agit du propre père de l’empereur Meiji et donc l’ancêtre à la 5e génération de l’empereur actuel, autant dire la famille proche à l’échelle de la dynastie japonaise.

Portrait de 1902 de l’empereur Kômei. Représenté en costume traditionnel, l’empereur refusa toujours de rencontrer les étrangers ou de laisser pénétrer leur influence dans les moeurs.

Durant la période Edo les empereurs étaient restés les marionnettes des shoguns. Ils furent parfois forcés à l’abdication selon les manipulations des Tokugawa mais en règle générale ils furent laissés en paix du moment qu’ils fournissaient l’appui politique nécessaire. Au début du XIXe siècle beaucoup de choses avaient changé. Le shogunat était entré en déclin et faisait face à de plus en plus de mécontents. Dans le même temps un courant de pensée, le Kokugaku (les « études nationales ») menait à une réinterprétation du passé du Japon. Les penseurs de ce courant réévaluaient les mythes et l’histoire japonaise afin de définir la spécificité du peuple japonais. Au centre de cette identité japonaise ils placèrent la religion shintô, la langue mais surtout l’empereur, fil directeur et incarnation du Japon depuis ses origines. Ce mouvement de pensée gagna en popularité dans de nombreuses couches de la société, en particulier chez les clans de samurais qui s’opposaient aux Tokugawa. Ceux-ci y voyaient le moyen de remettre en question le pouvoir du shogun en réclamant le retour du pouvoir entre les mains de l’empereur.

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Quelle est la différence entre l’empereur et un shogun? La question peut paraître évidente à tous ceux qui connaissent l’histoire japonaise mais beaucoup de débutants ou de visiteurs m’ont posé la question. Ils ne sont pas les seuls : La question posait déjà des problèmes aux Européens du XIXe siècle étudiant le Japon. Comment comprendre la cohabitation durant plusieurs siècles de deux souverains qui auraient dû s'exclure mutuellement? Pourquoi n'y-a-t'il pas eu tout simplement de changement de dynastie?

Ce mouvement n’aurait cependant pas connu un tel développement si en 1853 les navires américains du commodore Perry n’étaient pas venus forcer l’ouverture du Japon. Face à la menace extérieure le shogunat d’Edo chercha à temporiser, à négocier et s’aliéna une grande partie de l’opinion qui réclamait l’expulsion des étrangers. Le shogunat eu une mauvaise réaction en 1858 en consultant directement l’empereur Kômei sur l’ouverture des ports demandée par les Occidentaux. C’était la première fois que le shogun demandait à l’empereur de trancher une décision. Dans l’esprit des Tokugawa il s’agissait de se débarrasser de la responsabilité d’une décision difficile. Le résultat fut qu’ils montrèrent que face à une crise nationale le shogun n’avait pas assez d’autorité pour décider seul et que son droit de gouverner ne provenait que la délégation des pouvoirs du véritable souverain, l’empereur. A partir de là la restauration impériale n’était plus qu’une question de temps.

L’empereur Kômei joua son rôle dans cette évolution et assuma volontiers l’autorité qu’on lui abandonnait. Il était lui aussi influencé par les études nationales. Il refusa de signer les premiers traités avec les étrangers et publia même un ordre d’expulsion de tous les « barbares », que le shogunat n’appliqua pas. A mesure que son autorité inflexible le démarquait de l’hésitation des Tokugawa il gagna de plus en plus de soutiens auprès des rivaux des Tokugawa : Satsuma, Chôshû ou Tosa. En 1863 cependant le domaine de Chôshû tenta un coup d’Etat pour s’emparer de l’empereur et proclamer de force sa restauration. Kômei dénonça ces extrémistes qui avaient porté la guerre littéralement aux portes de son palais (incident des portes Hamaguri). Cela le poussa à négocier une alliance avec les Tokugawa et à autoriser la même le mariage de sa sœur Chikako (princesse Kazu-no-Miya) avec le jeune et nouveau shogun Iemochi.

C’est non loin de ces portes que les rebelles de Chôshû tentèrent de kidnapper l’empereur, portant la guerre dans Kyôto pour lapremière fois depuis plus de deux siècles. Kômei ne leur pardonna jamais.

En échange de cette politique d’union des cours (impériale et shogunale) Iemochi se rendit à Kyôto pour rendre hommage à l’empereur et l’accompagna en pèlerinage au sanctuaire de Kamo. Lors de la procession le jeune shogun resta en retrait par rapport à son souverain théorique. L’équilibre des forces changeait rapidement et Kômei avait réussi à montrer qu’il n’était l’homme de paille d’aucune faction.

Croquis d’époque représentant les combats de rue lors de l’incident des portes Hamaguri en 1863.

C’est là que se posa le problème. Les partisans de la restauration impériale étaient avant tout des membres des familles de l’Ouest du Japon qui rêvaient de renverser les Tokugawa. Avoir un empereur régnant était pour eux l’occasion de gouverner à travers lui puisqu’aucun empereur n’avait gouverné depuis l’époque de Go-Daigo, sept siècles auparavant. Or ces impérialistes se trouvaient face à un empereur difficile à manipuler, actif et passablement têtu. Pire, un empereur qui était prêt à s’allier avec leur pire ennemi s’il y trouvait son compte. Ils soutenaient plus l’institution impériale qu’un empereur précis qui avait le défaut d’être un individu pensant.

Tokugawa Yoshinobu, le dernier shogun, tenta en vain que conserver l’équilibre entre Edo et Kyôto mais dans les faits, les changements d’équilibres politiques lui interdirent de quitter Kyôto et Osaka durant son règne, signe d’un nouveau centre de gravité politique incarné par l’empereur.

En janvier 1867, Kômei tomba malade d’une forme de variole, une maladie qui n’était pas épidémique à ce moment à Kyôto même si elle circulait avec virulence cette année. L’empereur était réputé en très bonne santé et n’avoir jamais été malade mais son déclin fut pourtant rapide, il décéda le 30 janvier 1867. Le moment était incroyablement favorable pour les partisans de l’empereur. En août 1866 Tokugawa Iemochi était lui aussi décédé et avec lui l’alliance des cours. Le nouveau shogun Yoshinobu concentrait les critiques de la part de la cour impériale mais restait l’interlocuteur privilégié de l’empereur qui refusait d’avancer contre les Tokugawa. A sa place ce fut son fils de 14 ans, Mutsuhito, qui monta sur le trône. Il fut couronné en septembre et fut rapidement entouré par les éléments les plus radicaux de la cour, alliés aux clans rebelles de l’Ouest. Parlant au nom du jeune empereur ils poussèrent à la confrontation avec les Tokugawa. Le shogun Yoshinobu tenta de leur couper l’herbe sous le pied en abdiquant en décembre 1867 pour former un gouvernement d’union nationale mais il échoua. En janvier 1868 il fut déclaré ennemi public et la courte guerre civile de Bôshin s’acheva avec le renversement du shogunat. L’empereur était désormais le souverain régnant du Japon. Du fait de sa jeunesse, la charge de ce gouvernement passa à l’union des nobles de la cour et des révolutionnaires anti-Tokugawa qui furent ensuite connus comme le « gouvernement Meiji ».

La bataille de Toba-Fushimi en janvier 1868 marqua la naissance du nouveau gouvernement Meiji.

Tout de suite des rumeurs apparurent couvrant la mort de l’empereur d’un doute. Le moment était trop opportun. Les chancelleries occidentales conservent encore les lettres des diplomates s’interrogeant sur ce qui s’était passé derrière les murs du palais. Il est probable que Tokugawa Yoshinobu facilita la propagation de ces doutes qui désignaient ses ennemis politiques comme coupables d’un régicide. Des versions des évènements circulèrent racontant comment des vêtements destinés à l’empereur avaient été contaminés volontairement par des malades de la variole, des vêtements qui auraient été ensuite brûlés pour éviter la contagion, ou éliminer les preuves. Aucune enquête ne fut jamais ouverte, les personnes ayant le plus profité de la mort de Kômei étant désormais le gouvernement. Un gouvernement impérial qui était en train de construire une idéologie où le souverain devenait le corps même de la nation. Ce souverain ne pouvait pas succomber à une intrigue de palais ou avoir été éliminé par les propres partisans de la cause impériale.

La mort de Kômei reste considérée comme naturelle, laissant juste l’ombre d’un soupçon jamais éclairci.

Taishô (1912-1926), l’empereur caché

La famille impériale contemporaine semble éloignée des scandales de ses ancêtres mais la famille a eu aussi ses secrets, le moins commenté fut sans doute celui entourant l’empereur Taishô, l’arrière-grand-père de l’empereur actuel. Il reste lié dans les mémoires japonaises à une Belle Epoque nippone qui vit émerger la première expérience démocratique du pays.

Le fils du glorieux empereur Meiji, resta toujours perçu comme incapable d’assurer son héritage. Son règne ne fut qu’une transition aux yeux de tous, l’empereur lui-même resta une ombre dans l’attente du passage à un souverain plus satisfaisant. L’empereur Meiji tenait fermement à donner l’image d’une institution impériale moderne et digne d’être comparée aux maisons souveraines d’Europe. Il fallait donc éviter tout ce qui pourrait être jugé scandaleux ou faible aux yeux occidentaux. Le jeune Yoshihito était né d’une concubine appelée Yanagahira Naruko mais fut officiellement présenté comme le fils de l’épouse légitime de l’empereur, l’impératrice Shôken.

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Une histoire politique de l’ère Meiji (1867-1912) Le règne de l’empereur Meiji a été la période de l’histoire japonaise la plus riche en changements que l'on peut résumer en deux mots : restauration et modernisation. Restauration de l’autorité de l’empereur et modernisation (ou plutôt occidentalisation) dans le domaine politique, militaire, économique, social et culturel. L’ère Meiji fut le grand bond en avant du Japon vers la modernité et la reconnaissance internationale. Ses transformations sont aussi à la base d'un régime politique et de pratiques politiques qui vont rester inchangées jusqu'en 1945 et continuent aujourd'hui à influer sur les comportements politiques. Pour comprendre le Japon du XXe siècle il convient de revenir sur les étapes de l’histoire politique de Meiji.

L’enfant, titré prince Haru-no-Miya, contracta une méningite qui manqua l’emporter. Il guérit mais resta d’une santé fragile, il avait de fréquentes fièvres. C’était un point embarrassant pour le gouvernement, le nouveau régime impérial s’était construit autour de la toute-puissance de l’empereur. Le souverain devait être un exemple de l’homme nouveau japonaise : un soldat et un chef capable de démontrer ses vertus viriles. L’empereur Meiji fut l’incarnation de cet idéal, son fils n’en était physiquement pas capable. Il était cependant le seul fils survivant de l’empereur et sa position ne fut jamais remise en question.

L’empereur Meiji était l’illustration du souverain japonais moderne : un soldat chevauchant et passant les troupes envue. Un homme fort incarnant la nation et les vertus viriles. C’était un lourd héritage à porter.

Au fur et à mesure de son éducation il devint apparent que sa méningite après sa naissance avait aussi provoqué des retards de développement cognitif. Le jeune prince apprenait lentement et n’était pas au niveau des enfants de son âge. Il dut être retiré de l’école pour la noblesse où il étudiait. L’intelligence du prince n’était cependant pas en cause, il avait ainsi un don pour les langues et étonna plus tard les Coréens en étant capable d’exprimer quelques phrases dans leur langue. Il avait une passion pour la culture française en particulier et aimait placer des mots français dans sa conversation. Cela avait le don d’horripiler son père.

Il continua sa formation de futur souverain en recevant des hôtes étrangers, en assistant aux débats de la Diète ou en voyageant dans les provinces pour être vu. On ne lui donna cependant jamais de formation militaire. Il fut marié à une fille de la noblesse, Kujô Sadako, en 1900, et l’année suivante naquit le prince Hirohito, futur empereur Shôwa. C’est à l’occasion de son mariage que fut « inventée » la cérémonie religieuse du mariage shintô, qui n’existait pas auparavant. Yoshihito fut véritablement le premier empereur monogame de l’histoire du Japon puisqu’il n’eut jamais de concubine. Le futur de la dynastie était assuré et le jeune Hirohito, qui était en bonne santé, fut rapidement éduqué dans son futur rôle. Il paraissait évident à l’empereur Meiji et au gouvernement que le prince Yoshihito ne règnerait pas longtemps et ne serait jamais ce qu’on attendait de lui, au pire on pourrait toujours le faire abdiquer.

En juillet 1912, l’empereur Meiji décéda et Yoshihito fut intronisé empereur. Le gouvernement prit soin de limiter au maximum les apparitions publiques du nouveau souverain, totalement à l’inverse de ce qui se faisait au règne précédent. C’est que le nouvel empereur développait progressivement des troubles neurologiques, conséquences de sa méningite. Ses gestes et son élocution devinrent progressivement difficiles. Montrer l’empereur devint rapidement une question politique, sa vue risquait de saper la confiance dans l’Etat et la fierté nationale.

L’empereur Taishô en 1917. 5 ans à peine après le début de son règne l’homme aparaît fatigué, vieilli. Il était aussi maintenu sous bonne garde, pour son propre bien.

Selon la constitution l’empereur était souverain et disposait de larges pouvoirs sur les institutions. La Diète et le gouvernement eux-mêmes travaillaient pour appliquer la volonté impériale toute puissante. Mais que faire quand l’empereur ne pouvait s’exprimer et à peine penser ? Il devint rapidement connu de tous dans l’appareil d’Etat que l’empereur défaillant était manipulé pour exprimer les opinions que souhaitait le gouvernement. Il en résulta qu’à la Diète les opinions, débarassées de la chappe de l’approbation impériale, se libérèrent pour donner naissance à un véritable débat politique. Même si publiquement l’empereur restait en bonne santé, et même populaire, les journaux mais aussi les citoyens prirent le goût du débat et les partis politiques devinrent enfin des entités autonomes avec des programmes affirmés.

A la fin de la Première Guerre Mondiale, il fut décidé que l’empereur n’assisterait plus à aucune cérémonie militaire et politique. Les rites shintô, qui sont au cœur de la fonction impériale, furent aussi confiés au jeune prince Hirohito. L’empereur, totalement déconnecté des affaires politiques, menait alors une vie recluse dans son palais. En 1921, Hirohito fut officiellement proclamé régent et il apparut évident que l’élite politique et militaire attendait anxieusement le début d’un nouveau règne avec un souverain jeune et en bonne santé. L’empereur succomba finalement à 47 ans d’une pneumonie. Ses funérailles d’Etat furent une affaire plus simple que celles de son père 14 ans plus tôt.

Les funérailles de l’empereur Taishô (double carte postale).

Avec l’avènement d’Hirohito s’acheva un intermède de libéralisation de la société. Bientôt le temps des militaires allait venir. L’empereur défunt suscita cependant une émotion et un souvenir intense. Son règne, comparé au suivant, apparut comme un temps de prospérité et foisonnement intellectuel. La population, tenue dans l’ignorance de son handicap conserva une opinion positive de l’époque à défaut de connaître l’homme. On parle aujourd’hui de la « démocratie de Taishô ».

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