Le Japon et la Corée du Sud ont une relation difficile endommagée par la mémoire de la colonisation (1905-1945) régulièrement remise d’actualité par les actions des uns et des autres. Ces deux pays ont pourtant des intérêts communs et coopèrent sur plusieurs plans mais s’ignorent en tant que voisins. Les difficultés entre ces deux pays si proches ne datent cependant pas de l’époque contemporaine, les relations entre le Japon et la Corée remontent à l’aube des deux pays et interroge sur le rapport du Japon avec son seul voisin immédiat.
La définition d’une frontière : la naissance du Japon et de la Corée (IV-XIIe siècles)
Culture matérielle et identité
La péninsule coréenne et l’archipel japonais sont séparés par 200 km d’une mer aux courants violents et parcourue de tempêtes et de typhons selon les saisons. La traversée de la mer de Genkai était considérée comme dangereuse avec des embarcations à voile, aujourd’hui les ferries ne mettent que 6 heures à relier Hakata et Busan. Entre le Kyûshû et le sud de la péninsule, les îles Iki et Tsushima font fonction d’étapes entre les deux rives, Tsushima ne se trouve qu’à 50 km de Busan et peut être aperçue par temps clair. Cette frontière maritime nous apparaît comme claire mais en réalité il ne s’agit pas de la ligne de démarcation que l’on imagine. Malgré les périls le trajet a été effectué dès les époques les plus anciennes. Dès le Ve siècle av. J-C, le Japon vit l’arrivée de nouvelles techniques venues du continent par son point le plus proche : riziculture sèche puis inondée (en casiers), bronze puis fer, nouvelles techniques de poterie puis de céramique. Au IIIe siècle av. J-C, ces avancées firent entrer le Japon dans le néolithique avec la culture Yayoi.
Si vous vous rendez au Musée National de Tokyo et au Musée National de Séoul vous pourrez voir dans les galeries consacrées à ces périodes les plus anciennes des objets identiques : cloches, lances cérémonielles, céramiques, éléments d’armures etc. Les anciens rois des royaumes coréens se faisaient enterrer sous des tumuli circulaires de terre tandis que durant la période Kôfun (à partir du IIIe siècle ap. J-C) des rois ou des nobles se faisaient enterrer sous des tumuli de terre circulaires avec une terrasse cérémonielle. Ces tombes possèdent dans chaque cas des couloirs horizontaux de pierre construits de manière similaire. On trouve au Japon, dans le Nord du Kyûshû et à Okayama, des restes de forteresses de montagnes (yamajirô) aux murs en pierre sèche semblables à ce qui pouvait se trouver en Corée à la même époque.
On a attribué ces ressemblances à l’arrivée régulière de populations venues de la péninsule. Aux époques postérieures Asuka et Nara on parlait de Toraijin pour désigner ces nouveaux venus dont les compétences étaient recherchées. Dans certains cas ces familles étaient même intégrées dans la noblesse, le clan Hata par exemple, spécialiste des rites et de la sériculture (production de la soie), est censé être venu depuis la Corée et descendre du premier empereur de Chine lui-même !
Les sources chinoises justement, venant de la dynastie Han, se font l’écho de ces contacts aux I-IIe siècles ap. J-C. Les souverains chinois auraient ainsi reçu la visite et le tribut de petits royaumes du Japon, qualifié de « pays des Wa » et mentionne en particulier un royame de Na (Nakoku) à qui les Hans auraient envoyé des cadeaux. Du point de vue chinois, la grande puissance civilisatrice, Corée et Japon n’étaient encore qu’une collection de petites chefferies barbares à intégrer et civiliser sous la protection de l’empereur. La Corée elle-même fut en partie occupée par l’empereur Wu Di avec la fondation de la commanderie de Lelang (aux alentours de Pyongyang ?), point de départ de la diffusion de la culture chinoise qui allait devenir commune aux Coréens et aux Japonais.
L’archéologie nous permet de comprendre que de part et d’autre de la mer, les populations partageaient une culture matérielle semblable. Cela ne veut cependant pas dire qu’il s’agissait du même peuple partageant une langue et des croyances (par comparaison les pays européens partagent la même culture matérielle à peu de choses près mais forment des peuples différents). Cela indique que les contacts étaient suffisamment développés et suivis pour permettre cette homogénéité. Au début de notre ère, la mer entre le Japon et la Corée n’était pas une frontière mais un axe de communication et d’échanges entre les populations.
La construction des Etats : Yamato et royaumes coréens
Les liens les plus anciens entre le Japon et la Corée restent difficiles à préciser, l’écriture s’impose lentement en Corée sous l’influence chinoise et n’arrive réellement au Japon qu’au VIe siècle ap. J-C. Nous devons donc compter sur des récits postérieurs. Dans la mythologie japonaise rédigée au VIIIe siècle. Le Nihon Shôki raconte comment Ninigi-no-Mikoto, petit fils de la déesse Amaterasu serait descendu de Takama-ga-hara avec sa suite du domaine céleste pour s’imposer sur le domaine terrestre, Asahira-no-Nakatsukuni, soumettant au passage les divinités précédentes, les Kunitsukami. Cet évènement, le Tenson Kôrin, a parfois été interprété comme la conquête de l’archipel par une population extérieure mais peut aussi s’interpréter comme le récit de la cour impériale imposant l’ordre sur le chaos, ce qui était l’objectif des chroniques impériales du VIIIe siècle. Du côté coréen nous disposons du Samguk Sagik, une chronique mise dans sa forme définitive au XIIIe siècle et qui remonte aux temps mythologiques mais ne fait pas mention du Japon avant l’époque historique des Trois Royaumes.
D’un point de vue historique, pour nous replacer dans le contexte des deux pays, la Corée a vu l’émergence des premiers Etats plus tôt que le Japon. Aux alentours du début de notre ère se formèrent différentes confédérations régionales qui rassemblaient des villages, des clans ou des chefferies variées. Ces confédérations se transformèrent progressivement en royaume au cours du IVe siècle ap. J-C. Au Nord, le plus puissant de ces royaumes était le Goguryeo, royaume dominé par une aristocratie militaire à cheval. Au Sud, le royaume de Baekje à l’Ouest et le royaume de Silla à l’Est se partageaient se qui constitue aujourd’hui la Corée du Sud. Le Baekje, plus ouvert sur la mer et la Chine était plus cosmopolite et avancé que le Silla, formé de manière plus tardive. Ces trois royaumes se combattaient pour l’hégémonie sur la péninsule, le plus puissant du moment faisant généralement face à l’alliance éphémère des deux autres.
De son côté le Japon avait vu la formation de royaumes locaux dont le légendaire Yamatai de la reine Himiko est le plus célèbre mais au cours du Ve siècle il est déjà clair qu’une puissance hégémonique est en train de les unifier du Nord du Kyûshû jusqu’au Kantô. Les chroniques de la dynastie des Wei mentionne des rois des Wa qui ont été identifiés à des rois du Yamato élevés ensuite au titre d’empereurs par leurs descendants. Les rois du Yamato contrôlaient le Nord du Kyûshû sans doute dès la fin du IVe siècle, il était dans leur intérêt de permettre le commerce de produits plus avancés du continent et d’entretenir des liens diplomatiques avec les royaumes coréens et la Chine. Le Samguk Sagik mentionne des ambassades des Wa au Silla au Ve siècle ap. J-C.
La nature des liens unissant les deux rives ne peut pas être entièrement précisée mais les chroniques japonaises font intervenir la figure de l’impératrice Jingû. Figure mythique, elle serait la veuve de l’empereur Chûai, lui aussi mythique. Elle aurait assuré la régence pour son fils à naître (le futur empereur Ôjin, que l’on considère peut-être comme le premier empereur historique) et aurait conduit une vaste armée à travers la mer pour conquérir un territoire qui ne peut être que la Corée, qu’elle soumit en trois années avant de rentrer au Japon. L’épopée de Jingû est généralement située au cours du IIIe siècle ap. J-C sans qu’aucune preuve archéologique vienne la confirmer. Depuis l’époque Meiji Jingû n’est plus comptée comme souveraine (parce que le régime de Meiji voulait affirmer la continuité de la lignée impériale par les hommes) mais elle resta un personnage très utilisé dans l’imaginaire impérial. On a considéré qu’elle a pu être la transposition de la reine Himiko, historiquement attestée, ou un montage historique fait pour justifier les expéditions de l’impératrice Saimei au milieu du VIIe siècle contre la péninsule. Il en ressort cependant l’idée qu’il existait des rapports étroits entre les royaumes de la péninsule et de l’archipel et que des expéditions militaires ont eu lieu, de quelle ampleur et dans quel sens, cela reste à préciser.
La stèle du roi Gwanggaeto du Goguryeo racontant des évènements de 390-391 narre comment les royaumes Baekje et Silla furent soumis par le Yamato mais furent finalement vaincus par le Goguryeo de ce roi conquérant. Découverte à la fin du XIXe siècle dans l’actuelle Mandchourie, cette stèle pose problème car elle peut être interprétée de plusieurs manières allant de la conquête du Yamato par le Goguryeo à la vassalisation de Silla et Baekje au Yamato. Cette stèle fut utilisée pour prouver les théories les plus nationalistes que ce soit au Japon et en Corée au point que les chercheurs ne s’y réfèrent plus qu’avec la plus extrême prudence. La théorie la plus acceptée veut qu’il s’agisse d’une propagande royale visant à justifier l’expansion du royaume contre ses voisins du Sud. Il est cependant hors de doute que le Yamato se mêla des affaires de la Corée, en tant qu’envahisseur ou allié, dès son époque protohistorique. Une des théories sur la période veut que ce soit lors de ces luttes contre Silla et Goguryeo que les Japonais apprirent les techniques de cavalerie. Les sources du Goguryeo et ensuite du Silla présentant le royaume insulaire comme un ennemi lointain mais ancien.
A cela il faut ajouter l’existence d’un « quatrième royaume » coréen, le Gaya (appélé Mimana par les sources japonaises). Contrairement aux autres royaumes, le Gaya était resté une confédération sans sauter le pas vers le royaume unifié et sinisé comme ses voisins. Cet Etat mal connu semble avoir eu des relations commerciales pacifiques avec le Yamato et leurs liens sont attestés par l’archéologie et les sources japonaises. Le Yamato semble avoir cherché au Gaya des ressources en minerai de fer et avoir secouru militairement le Gaya à plusieurs reprises contre les menaces du Silla en pleine expansion.
Nous parlons d’époques sans sources littéraires et aux sources archéologiques sujettes à l’interprétation. Ce que nous en savons a été écrit, d’un côté comme de l’autre, des siècles plus tard. Les vides et les questions sur les relations politiques entre le Yamato et les royaumes coréens ont laissé un vaste espace pour des interprétations nationalistes. Ce furent d’abord les historiens japonais du XXe siècle qui reconstruisirent la période selon leurs besoins, Le Japon cherchait alors à justifier sa mainmise sur la Corée, la présentant comme un retour à un ordre antique et donc légitime. Les expéditions de l’impératrice Jingû, la stèle de Gwanggaeto et les points communs des trouvailles archéologiques étaient autant de preuves que la Corée avait été autrefois dominée militairement et culturellement par le Yamato. La confédération de Gaya était vue même comme une colonie de peuplement japonais dans la péninsule, confondant culture matérielle et identité. Le caractère sensible de ces interprétations rend le travail difficile pour les archéologues contemporains, depuis 1976 le Japon a interdit les fouilles sur les tombes considérées comme renfermant des dépouilles impériales dont le kôfun de Gosashi attribué à l’impératrice Jingû (même si un assouplissement a été opéré en 2008) ce qui tarit en partie l’arrivée de nouvelles découvertes permettant d’affiner nos connaissances.
Après l’indépendance de la Corée les historiens coréens, à la recherche d’une identité ancienne antérieure au Japon, eurent le réflexe inverse. Les trouvailles dans les tombes royales du Baekje et du Silla ainsi que les sources étaient le signe que le Yamato trouvait son origine dans la péninsule. Ils s’appuyaient sur la théorie existante d’une invasion de cavaliers venus de la péninsule au début de l’époque des Kôfun, une théorie aujourd’hui largement abandonnée car là encore elle confond la culture matérielle avec l’arrivée d’une nouvelle population. Il n’est pas rare de trouver encore certaines théories devant démontrer que le Yamato fut conquis à un moment ou à un autre par les royaumes coréens. Que ce soit dans un sens ou dans l’autre, le débat historiographique reste miné par l’histoire contemporaine et le manque d’informations plus précises. On peut cependant en conclure que même si les royaumes semblent avoir eu conscience de la différence de l’autre, ils ne considéraient pas la mer comme une barrière et que les relations diplomatiques et militaires furent parfois intenses.
La naissance d’une frontière
La période suivante explique pourquoi cette frontière maritime ouverte devint une barrière jusqu’aux époques les plus récentes. Le Yamato jouissait de rapports fructueux avec le Baekje. Ce royaume était le moins puissant des trois royaumes coréens mais sa position sur la mer Jaune face à la Chine en faisait une étape incontournable pour les marchands, les principales épaves fouillées en Corée faisaient la liaison entre le Baekje et la Chine. Avec ces marchands affluèrent aussi les techniques, les connaissances, les arts. Baekje est crédité pour avoir établi les rapports diplomatiques les plus suivis avec les dynasties chinoises, avoir adapté sur son sol son organisation politique, son écriture, son idéologie confucéenne et même le bouddhisme, ses rois furent les premiers à s’y convertir.
Ce royaume entretint avec le Japon durant deux siècles les échanges d’ambassades les plus intenses, plus de 160 au total. Ces ambassadeurs/otages passaient des années sur place et les récits postérieurs racontent même qu’au Ve siècle le futur roi Muryeong (dont le règne fut l’apogée du Baekje) était né alors que sa mère faisait le voyage de retour depuis le Japon. Au VIe siècle ap. J-C, c’est par le Baekje que l’écriture fut introduite au Yamato. C’est à l’instigation du roi Seong (fils de Muryeong), en 538 ou 552, que des moines apportèrent à Asuka des textes sacrés bouddhistes et des statues de culte comme le Guze Kannon afin de propager leur croyance et avec elle l’ensemble de la culture chinoise.
Avec l’affirmation du bouddhisme, la monarchie japonaise à partir du prince Shôtoku s’appuya sur le Baekje, source de textes sacrés et de richesses, pour adapter sur son sol le modèle d’une cour impériale centralisée à la chinoise. Les ambassades servaient alors à transmettre des écrits et amener des spécialistes. Ce furent des artisans du Baekje qui construisirent les premiers temples japonais comme le Hôryû-ji dont la pagode est souvent comparée à celle du temple Beopju-sa. A tout point de vue il semble que Baekje et Yamato aient entretenu des relations particulières, peut-être renforcée par la présence de communautés de chacun des royaumes sur le sol de l’autre et le rôle mal défini de Gaya / Mimana.
En Chine, la dynastie Sui réunifia les royaumes rivaux avant d’être rapidement remplacée au début du VIIe siècle par la dynastie Tang. Sui comme Tang avaient pour ambition de réimposer leur autorité sur le Nord de la péninsule contre le Goguryeo qui était alors la puissance dominante entre les royaumes Coréens. De son côté, la reine Seondeok du Silla avait fait le pari de l’alliance avec les Tang, allant même jusqu’à evoyer son prince héritier, le futur roi Muyeol (qui participa aussi à une ambassade au Japon) à Chang’an pour y être éduqué auprès du futur empereur Gaozong et être son obligé. L’alliance Tang-Silla mena dès 660 à une campagne commune qui écrasa le Baekje qui fut occupé et intégré au Silla et renversant son dernier roi Uilja. En 668, les armées Tang et Silla marchèrent contre le Goguryeo et mirent fin à son indépendance. A partir de ce moment l’histoire coréenne parle de la dynastie du Silla unifié qui mena ensuite une longue guerre pour se défaire de l’influence Tang en utilisant les armées de ses anciens rivaux vaincus.
Pour le Baekje cependant l’annexion n’allait pas de soi. Le fils de Uilja, le prince Buyeo Pung, avait été envoyé comme ambassadeur au Japon pour y résider plusieurs années et devint le prétendant auquel se rallièrent les fidèles de la dynastie encore présents dans la péninsule. Le Japon était alors dirigé par l’impératrice Saimei mais dans les faits c’était son fils, le prince Naka no Oê (futur empereur Tenji) qui gouvernait. Le prince, homme énergique et autoritaire conçu le projet de restaurer le Baekje, sans doute en y imposant son protectorat. Dès 661, Abe no Hirafu fut envoyé avec 5000 hommes pour rallier les fidèles du prince en exil. Ils furent suivis de 25 000 hommes en 662 et sans doute d’autant en 663. Signe de l’importance de ce projet et des efforts fournis, la résidence impériale fut déplacée temporairement à Asakura dans le Nord du Kyûshû, le palais provisoire voisinant les chantiers navals.
Malgré ces sacrifices, les tentatives militaires de restauration échouèrent. En 663, les forces restantes du Baekje et du Japon affrontèrent les Tang et le Silla à la bataille de Baekgung / Hakusukinoe alors que les Japonais tentaient de reprendre l’ancienne capitale du Baekje. La bataille face aux troupes Tang se révéla un désastre pour les Japonais qui subirent des pertes importantes. Le prétendant du Baekje, Buyeo Pung, fut par la suite capturé et c’est son frère Zenkô qui maintint au Japon la lignée des rois du Baekje. Le prince coréen et ses descendants, par respect pour leur sang, se firent offrir des terres et des charges, intégrant la noblesse japonaise sous le nom de clan Kudara no Kinokishi (qui était le nom japonais du Baekje).
Ce clan perdura pendant l’époque Heian jusqu’au Xe siècle et au VIIIe siècle l’empereur Kanmu, fondateur de Kyôto, était lui-même issu du mariage de son père avec une princesse du clan Kudara, Takano no Niigasa. Ce fait d’une goutte (ténue) de sang coréen chez les empereurs japonais déplait encore à certains au Japon mais a été reconnu par l’ancien empereur Akihito, après tout le fait est facilement vérifiable dans le Nihon Shôki. Il ne fut pas le seul, toute une classe de nobles et de guerriers coréens suivirent leur prétendant en exil et firent souche au Japon, non intégrés à la noblesse mais distingués et disposant de privilèges. Des siècles plus tard, le clan samurai Oûchi faisait remonter sa généalogie jusqu’à un certain prince Imseong du Baekje et ses représentants actuels continuent à visiter les tombes royales du Baekje pour y honorer leurs ancêtres.
La Corée unifiée par le Silla concevait évidemment le Japon comme un royaume ennemi cherchant à semer la révolte. La mer devint un lieu de péril où la piraterie commençait à faire son apparition, source de menace d’invasion. A la fin du VIIe siècle le roi Munmu (le successeur de l’unificateur Muyeol) se fit construire une tombe sous-marine justement dans le but de fournir une protection spirituelle contre les périls venant de la mer. Le Japon de l’époque Nara hérita des mauvaises relations avec le Silla. Dès 727, Nara s’allia avec le Balhae (un royaume successeur du Goguryeo situé dans l’actuelle Mandchourie) avec qui ils échangèrent des ambassadeurs et des marchandises. En 758, le Japon demanda au Balhae de former une alliance dans le but d’attaquer le Silla. Les rapports diplomatiques ne firent que se distendre, la dernière ambassade du Silla vers le Japon est datée de 779 tandis que le dernier message vers le Silla fut envoyé vers 838.
Cette alliance fut conclue mais ne déboucha jamais sur une expédition conjointe mais mena le Silla à fortifier ses côtes. Le Japon fit de même dès la fin du VIIe siècle en créant le Dazaifu près de Hakata. Le Dazaifu était l’unique bureau provincial de la cour impériale dont le gouverneur contrôlait les venues des marchands et devait assurer la sécurité contre les incursions. Dazaifu était protégé par deux petites forteresses de montagne construites dans le style des exilés du Baekje et suffisamment éloigné de la côte pour éviter les surprises. Des gardes (sakimori) s’y trouvaient en garnison. Une forteresse semblable fut érigée à Tsushima, l’actuel château de Kaneda. Un bureau et des entrepôts sur le littoral permettaient le contrôle des marchandises pour laquelle la cour imposait son droit de préemption pour s’assurer les biens de luxe venus du continent. C’est de Dazaifu que partaient les ambassades (kentôshi) qui se rendaient chez les Tang, utilisant désormais une route de pleine de mer directe mais plus dangereuse pour éviter le passage par la Corée.
Les passages étaient contrôlés mais aussi découragés. La cour de Kyôto imposa au début du IXe siècle le système de nenki qui obligeait les marchands venant à Hakata à respecter un délai de 2 ans avant d’y revenir. Les bateaux venant du continents ne devaient pas dépasser la dizaine par an. L’immigration elle-même fut proscrite et sévèrement punie à partir de 842, mettant fin à un fait établi depuis plus de cinq siècles. De mer ouverte et accueillante, la mer de Genkai était devenue une frontière fermée, surveillée et fortifiée séparant non seulement deux Etats mais deux peuples concevant l’autre comme une menace.
Echanger, combattre, s’ignorer (XIII-XVe siècles)
Changements de dynastie, continuité des relations
Le Japon d’Heian représente une première période de fermeture du Japon sur ses voisins, principalement vers la Corée mais ensuite aussi vers la Chine. Il ne s’agit pas seulement d’une volonté de se replier mais aussi d’une réaction au sentiment d’insécurité. Dès le milieu du VIIIe siècle, le déclin de la dynastie Tang entamé avec la révolte d’An Lushan marquait le retour des désordres sur le continent. Le déclin des Tang entraîna celui de son allié du Silla qui perdit le contrôle progressif de ses frontières face aux nomades et de ses provinces périphériques au profit d’aristocraties locales. Les effets se firent sentir sur le Kyûshû. Les îles Iki et Tsushima furent attaquées par des pirates dès 811 et 814. Les attaques se poursuivirent jusqu’à la plus importante incursion contre Hakata même en 869 qui vit la destruction de ses entrepôts et l’incapacité de la cour de réagir rapidement. Ces pirates venaient des côtes coréennes, de l’île de Jeju mais aussi de plus au Nord où les nomades Jurchens envoyèrent une flotte razzier les côtes coréennes et japonaises en 1019 (invasion de Toi, le nom vient du coréen Doe signifiant barbare).
A la même période, à partir de 828, la cour coréenne laissa prospérer sur ses côtes un marchand-pirate du nom de Jang Bogo qui fut le principal partenaire commercial du Dazaifu et semble avoir été en mesure de juguler la piraterie. Il fut assassiné en 846, laissant un vide du pouvoir qui provoqua l’explosion de la menace sur les mers et le déclin du commerce. Ce fut probablement la mort de Jang Bogo qui poussa Kyôto à sécuriser sa frontière en interdisant toute immigration. La mer était devenue une zone de non droit où les habitants des hameaux et des îles pratiquaient la piraterie comme un complément de revenus, le Silla les accusant d’être Japonais et inversement. Les habitants des îles Iki et Tsushima s’en firent rapidement une spécialité. Le Japon ne disposait pas à l’époque Heian de marine pour protéger ses côtes et devait commissionner la construction de navires neufs pratiquement à chaque mission. De toute manière la cour de Kyôto perdait elle-même le contrôle direct de ses provinces et n’assurait plus la sécurité sur sa mer intérieure comme le prouva la révolte de Fujiwara no Sumitomo en 941 qui prit et occupa le Dazaifu avant d’être vaincu. Le Silla disposait d’une marine mais sa situation politique était pire.
Le déclin politique et militaire des rois du Silla, accompagné avec l’émergence de la menace Jurchen qui avait déjà détruit le Balhae, permit en 892 la révolte qui mena à la fondation du royaume d’Hubaekje (Baekje tardif) puis à la prise et au sac de Gyeongju, la capitale du Silla en 927. Le dernier roi du Silla fut finalement renversé par Gwangjong, rebaptisé roi Taejo, fondateur de la nouvelle dynastie du Goryeo (d’où nous tirons le nom de Corée) qui réunifia le pays avec la conquête de l’Hubaekje en 936. La nouvelle dynastie, tournée vers la défense de sa frontière Nord face aux nomades, déplaça sa capitale vers Hanyang (au Nord de l’actuelle Séoul). Pour le Goryeo, les liens avec le Japon ne semblent jamais avoir été une priorité ou un sujet de préoccupation. Les relations n’étaient pas inexistantes, seulement jugées inutiles du côté japonais, les deux tentatives d’ambassades de Taejo du Goryeo furent purement et simplement ignorées par Kyôto. Après l’invasion de Toi de 1019, le gouvernement du Goryeo arma una flotte pour contrer les pirates jurchens et libéra plusieurs centaines de Japonais capturés qu’elle restitua sans compensation et ramena au Japon à titre de geste amical. Le Japon de la fin de l’époque Heian continua dans son isolement et son propre affaissement jusqu’à la prise de pouvoir des samurais et l’instauration du premier bakufu en 1192.
Le tournant des invasions mongoles
En 1231, la dynastie du Goryeo fut finalement touchée par la vague de l’expansion mongole qui déferlait sur l’Eurasie. Les Mongols entreprirent 5 campagnes contre la monarchie coréenne qui se réfugia dans ses îles et resista héroïquement jusqu’à sa capitulation en 1270. Le Goryeo vassalisé avait perdu de nombreuses provinces annexées par les Mongols (devenus la dynastie Yuan en Chine) tandis que ses rois recevaient un statut peu élevé dans le système impérial yuan. La soumission de la Corée poussa le nouveau roi Chungnyeol à chercher à s’élever dans le nouvel ordre mondial avec la prétention d’épouser une princesse mongole. Il adopta le vêtement et le mode de vie mongol et surtout mis son pays à disposition de Kubilay Khan pour son grand projet d’invasion du Japon.
A partir de 1268, le Khan ordonna au Goryeo d’envoyer des émissaires au Dazaifu pour prendre contact avec le Japon et demander une soumission formelle aux Mongols. Le Japon, depuis longtemps ignorant des choses venant du continent était alors dirigé par Hôjô Tokimune, régent des shoguns de Kamakura pour le compte de la cour impériale. Les Hôjô gouvernaient les guerriers déjà depuis 1221 et jouissaient d’un contrôle stable. Comme avait fait le Japon d’Heian, Tokimune ignora les demandes étrangères. Le Khan envoya d’autres émissaires pour demander au Japon de reconnaître sa supériorité et menaçant de guerre dans le cas contraire. Cinq missions furent ignorées qui conduisirent finalement à la première tentative d’invasion mongole en 1274. Les Mongols ravagèrent les îles de Tsushima et d’Iki puis débarquèrent dans la baie d’Hakata (aujourd’hui Fukuoka). Tokimune s’était contenté d’ordonner aux vassaux locaux de se préparer à repousser les envahisseurs, ils étaient peut-être 6000 face à une armée de 30 000 hommes.
Au coeur de ce grand projet utilisant les ressources de plusieurs peuples, les Coréens furent les plus mis à contribution. Ils construisirent la majorité des navires, fournirent la main d’oeuvre et les fonds pour les construire et les équiper. L’effort financier menaça la stabilité de la Corée même et entraîna un déboisement notable mais ne pouvait être refusé. La chronique du Goryeo, le Goryeosa, ajoute que les Coréens fournirent une part non négligeable des troupes commandées par le général Kim Bang Gyeong aux côtés de commandants mongols et chinois. Les estimations donnent 6000-8000 soldats coréens et 7000 marins coréens complétant 15 000 autres hommes d’origines variées. Même si ces chiffres sont exagérés ils dénotent l’importance du contingent coréen. Ces troupes ravagèrent l’île de Tsushima commandée par le clan samurai Sô, puis l’île d’Iki avant de débarquer à Hakata. Cette première invasion, la guerre de Bunei, fut violente mais brève (une semaine tout au plus). Les samurais japonais se battaient surtout en duel sans réelle stratégie face à une armée disciplinée et organisée disposant même des premières armes à feu, leur capacité limitée à s’opposer aux Mongols n’explique pas le retrait mongol. Cette première « invasion » devait servir de reconnaissance des forces et faiblesses de l’ennemi.
Une dernière mission menée en 1275 par un officier chinois important mena à l’exécution de ce dernier. Il fallut plusieurs années pour préparer la nouvelle attaque, notamment parce que les Mongols terminaient la conquête des Song méridionaux dont ils se servirent ensuite pour former le gros de leurs troupes envoyées contre le Japon en 1278. Cette nouvelle invasion de 1281, la guerre de Kôan, vit le shogunat réagir de manière plus énergique. Hôjô Tokimune avait fait ériger un mur de défense le long du littoral et déplacé des vassaux de Kamakura à grands frais, intégrant aussi les guerriers du Kyûshû pour les faire entrer dans la vassalité du shogunat en tant qu’higokenin. Une administration shogunale fut instaurée avec le Chinzei Bugyô installé au Dazaifu qui fut ainsi revitalisé. A cela s’ajoutèrent des prières dans les temples et particulièrement des prières impériales auprès du grand sanctuaire d’Ise. Le shogunat mena une politique qui peut cette fois-ci être définie comme une mobilisation dans ce qui n’était jusque là qu’un Etat féodal. Une véritable urgence nationale répondant à une peur non moins répandue.
Dans cette nouvelle invasion, 100 000 hommes envoyés par les Mongols provenaient de l’ancienne armée Song remobilisée tandis que les Coréens fournirent jusqu’à 40 000 hommes, soldats et marins confondus, le 2e contigent en ordre d’importance. Le résultat est connu puisque le fameux kamikaze, un typhon qui arriva à point, détruisit sans doute les deux tiers de la flotte mongole. La menace mongole ne s’arrêta pas là puisque le shogunat resta convaincu de la venue d’une troisième invasion même après la mort de Kubilay Khan, jusqu’en 1304 le moindre navire de Chine ou de Corée fut suspecté d’être l’avant garde d’une flotte d’invasion. Dans les mémoires japonaises, en particulier à Tsushima, Iki et dans le Kyûshû on garda longtemps le souvenir des massacres de populations perpétrés par les Mongols qui se retrouvèrent jusque dans les comptines pour enfants.
Le shogunat avait repoussé les Mongols mais n’en toucha pas les bénéfices, au contraire puisque les efforts consentis nourrirent l’instabilité sociale chez les vassaux du shogunat et renforcèrent le prestige de la cour impériale, menant indirectement à la chute des Hôjô en 1333. La dynastie impériale, par ses prières, fut créditée du kamikaze, protection divine évidente qui nourrit l’idée nouvelle que le Japon était « le pays des dieux ». Les deux invasions mongoles, le Genkô, furent une des bases idéologiques du Kokutai, développé par Kitabatake Chikafusa au XIVe siècle, qui faisait de l’empereur, descendant des dieux, la personnification du Japon et le garant de stabilité par son lien particulier avec Amaterasu. Cette idéologie fut reprise ensuite au XXe siècle pour nourrir l’idéologie impériale contemporaine. Elle contribua aussi à installer l’idée du danger extérieur pour le Japon et à placer les Coréens aux côtés des Mongols en tant qu’ennemi juré des Japonais. La mer de Genkai n’était plus seulement une frontière mais une douve défensive contre le danger des barbares étrangers.
Commerce et piraterie : une affaire de diplomatie
La Corée elle-même ne profita pas de ses efforts pour conquérir le Japon. L’échec du projet refit de la péninsule un finisterre d’importance secondaire pour les Mongols. La Corée fournissait des chevaux et du ginseng et cela resta à peu près l’étendue de son importance aux yeux du Yuan. Le Goryeo reprit finalement son indépendance en 1356 lorsque le roi Gongmin chassa les Mongols et purgea sa cour de leur influence. Le Goryeo rétablit ses relations avec le Japon de la dynastie Ashikaga en envoyant des missions diplomatiques dès 1367 puis 1375 et 1377 avec des effets relativement peu importants mais en 1392, la dynastie du Goryeo fut renversée par Yi Songgye qui proclama la naissance d’une nouvelle dynastie, le Joseon.
Par rapport au Goryeo, le Joseon marque une réaction au déclin culturel et aux désordres nés de l’influence mongole. Le mot d’ordre était le retour à l’ordre et la purification guidée par les lettrés yangban suivant à la lettre le néoconfucianisme le plus strict. Les rois du Joseon étaient des administrateurs et des politiciens entourés d’une classe de lettrés rigoureux. Le retour à l’ordre à l’intérieur devait être suivi d’un retour à l’ordre extérieur hors sur les côtes coréennes le chaos le plus complet régnait. Dans les siècles précédents la piraterie était devenue un mal endémique nourrie par l’absence de contrôle naval par les Etats de la région, zone de non droit, la mer était permettait tout. A partir du XIV siècle, à la suite du déclin de la dynastie yuan et du désintérêt de la dynastie Ming pour les affaires maritimes avait émergé une nouvelle catégorie de pirates : les Wakô / Wokou.
Les Wakô sont littéralement appelés « pirates japonais » car leurs principales bases étaient situées dans l’île de Tsushima ou de Gotô mais la réalité était bien plus complexe. Ces pirates japonais recrutaient sur toutes les côtés misérables délaissées par les monarchies. On y retrouvait aussi des Coréens de Jeju et des côtes méridionales de la Corée, voir des habitants des Ryûkyû (Okinawa) et des côtes chinoises. Cette internationale de la piraterie ravageait les côtes jusque dans le Sud de la Chine menant l’empereur Hongwu à déclarer officiellement la fermeture de la mer et le déplacement des populations littorales vers l’intérieur des terres.
Pour le Joseon cependant le danger était beaucoup plus précis, leurs assaillants provenaient de Tsushima. Le roi Sejong le grand (encore considérés en Corée comme un père de la patrie, inventeur de l’hangeul, l’alphabet coréen) considérait sur des bases historiques que Tsushima faisait partie d’une province coréenne et devait payer des impôts. Des expéditions avaient déjà eu lieu en 1389 et 1396 pour imposer l’ordre et libérer les captifs des pirates tandis des missions diplomatiques envoyées aux shoguns Ashikaga tentaient de convaincre le shogun d’agir contre ses vassaux locaux.
Sur place, à Tsushima, l’autorité était incarnée par le clan Sô qui régnait sur l’île au nom du clan Shôni du Nord du Kyûshû, lui-même vassal du shogun. Les Sô avaient une longue tradition diplomatique d’intermédiaires entre le Japon et la Corée puisqu’ils étaient une étape naturelle sur le trajet entre les deux Etats. Les Sô n’hésitaient d’ailleurs pas à se proclamer sujets de la cour coréenne tout en étant les vassaux fidèles du shôgun. Les Sô profitaient du commerce légitime et autorisé et protégeaient pas si discrètement les agissements des pirates.
En 1418 justement, Sô Sadashige venait de mourir et son successeur était encore un enfant. Un chef pirate aventurier du nom de Soda Saemontarô en profita pour prendre le contrôle de Tsushima au nom du jeune Sô Sadamori et lancer ses pirates dans une série de raids dévastateurs contre les Ming, sur le retour ils ravagèrent aussi plusieurs localités coréennes qui avaient refusé de les ravitailler. Le Joseon décida de répondre par la manière forte en conquérant Tsushima, fort de son bon droit. En 1419, l’invasion d’Ôei (Gihae dans les sources coréennes) vit près de 227 navires transportant 17 000 soldats commandés par le général Yi Jongmu débarquer à Tsushima. Ils brûlèrent bon nombre de navires et de village, massacrèrent les pirates et libérèrent des Coréens et des Chinois retenus en captivité. Ils durent cependant faire face aux samurais du clan Sô qui ripostèrent. Les combats qui s’ensuivirent firent peut-être jusqu’à 2500 victimes du côté coréen (180 selon les sources coréennes) et obligèrent la flotte à rembarquer.
L’invasion d’Ôei n’a pas duré longtemps mais elle laissa une forte impression. Du côté japonais, renforcé par une narration alarmiste de Shôni Mitsusada, l’évènement réactiva les peurs d’invasion et les souvenirs des invasions mongoles, poussant le shogunat à ordonner des préparatifs de défense sur les côtes du Kyûshû. Le shôgun Yoshimochi n’était pas en bons termes avec la Chine des Ming et l’idée d’une invasion étrangère trouva un fort écho chez lui. Il fallut cependant se rendre vite à l’évidence, Mitsusada avait crié trop fort au loup alors que les Coréens étaient déjà repartis. Le roi Séjong préféra ne pas reproduire l’aventure qui avait été bien coûteuse pour un résultat mitigé. Le reste fut une affaire de diplomatie.
Une diplomatie horriblement complexe faite de double, voir triple jeu. La cour du Joseon reçut un envoyé du clan Sô pour négocier leur soumission et leur intégration dans une province coréenne pour finalement se rendre compte en 1420 que le fameux envoyé ne représentait absolument pas les Sô et que toutes les discussions avaient été vaines (de faux ambassadeurs profitant des évènements pour recevoir cadeaux et bons traitements apparaissent ainsi régulièrement dans l’histoire des relations nippo-coréennes). Une mission fut finalement envoyée directement vers le Japon, elle put négocier avec Soda Saemontarô, Sô Sadamori, Shôni Mitsusade et finalement le shogunat à Kyôto avant de rentrer à Séoul. Première surprise, de taille, pour les Coréens, les Sô n’étaient pas des sujets coréens mais des vassaux japonais du clan Shôni. Il était temps de s’en rendre compte. Pour le reste les Coréens rassurèrent le shogun Yoshimochi qu’ils n’avaient pas l’intention d’envahir le Japon, ce dernier se désintéressa alors de la question et laissa les Sô négocier par eux-mêmes. Ils le firent au nom du shôgun.
Du point de vue des sources japonaises un accord fut trouvé en 1423 pour échanger des captifs. Les Sô obtinrent des privilèges commerciaux en échange de leur promesse de renforcer leur contrôle sur les activités des pirates contre les ports coréens. Les sources coréennes de leur côté affirment qu’en 1420 Sô Sadamori demanda officiellement à ce que Tsushima, Daemado dans sa version coréenne, soit intégrée au royaume de Corée. Séjong accepta avec bienveillance, plaçant Daemado sous l’autorité du gouverneur de la province du Gyeongsang. Dans le même temps le roi envoya des cadeaux au shogun japonais (des copies de textes sacrés bouddhistes) pour montrer ses intentions bienveillantes.
Par la grande efficacité de la diplomatie internationale et la capacité des Sô à jouer sur plusieurs niveaux, on en revint à la situation de départ. Daemado était coréenne tandis que Tsushima restait japonaise, les pirates infestaient encore les eaux mais sous la bonne garde des Sô ils faisaient attention à ne pas trop embêter la Corée. La menace des pirates contre la Corée ne déclina qu’avec le traité de Gyehae en 1443 qui offrait aux Sô le monopole du commerce entre le Japon et la Corée mais permettait un contrôle accru des bateaux utilisant les ports coréens. Le traité assurait aussi aux Sô la gouvernance des Japonais installés dans trois ports francs définis sur la côté coréenne, la première installation notable d’étrangers à travers la mer de Genkai en cinq siècles. De manière générale cependant, ces accords profitèrent de chaque côté de la mer avec une augmentation des échanges et une coopération, notamment pour secourir les naufragés. Tsushima, de repère de pirates, se transforma progressivement au XVIe siècle en carrefour commercial important et prospère. A partir de la fin du siècle, le commerce passa cependant entre les mains des marchands de Hakata et de Sakai sous la protection de grandes familles samurais telles que les Oûchi et les Hosokawa.
Cela n’empêchant pas les tensions avec les « marchands » de Tsushima dès que la cour du Joseon s’avisait d’augmenter ses taxes ou de limiter l’accès de ses ports. Ce fut l’Incident des Trois Ports de 1510 (Sanbo no Ran / Sampo Waeran) où les marchands japonais installés en Corée et propriétaires de terres refusèrent de payer leurs taxes au gouvernement coréen et provoquèrent de véritables émeutes. Une troupe de 5000 hommes soutenus par des navires des Sô attaquèrent Busan et ravagèrent la région avant d’être soumis par l’armée. En réaction à ces agressions le Joseon expulsa tous les ressortissants japonais de son territoire et interdit le commerce avec l’archipel. Le shogunat y répondit par la punition de Sô Yoshimori et la restitution des prisonniers coréens menant à la signature d’un traité de paix en 1512 qui réduisit cependant le commerce à 25 navires japonais maximum par an. Ce traité intervient cependant alors que le Japon est déjà entré dans la période du Sengoku Jidai où l’action du shogunat était limitée par les pouvoirs locaux des daimyôs, autant dire que ses ordres eurent une portée limitée et ne furent appliqués que dans la mesure où les clans Oûchi et Hosokawa, disposant d’intérêt locaux, y consentirent. Devenus pratiquement autonomes, les Sô et d’autres clans de samurais reprirent la piraterie à leur compte, menant à un renforcement de la marine coréenne tout au long du XVIe siècle. Pour Séoul, le morcellement du Japon en principautés représenta une perte pour les échanges mais une sécurité face à la perspective de voir les samurais si agressifs être unifiés et tentés par une conquête extérieure.
La naissance de deux ennemis héréditaires?
La guerre d’Imji, la folie d’Hideyoshi
Au milieu du XVIe siècle, Yi Hwang, un yangban (lettré confucéen) influent de la dynastie Joseon mettait déjà en garde la cour royale contre le danger représenté par un Japon réunifié. Séoul, certaine du soutien de la dynastie Ming et de ses propres forces ignora l’avertissement et ne s’intéressa que très peu aux évènements de l’archipel. La cour coréenne fut prise par surprise par l’avènement de Toyotomi Hideyoshi et ses ambitions pour la péninsule. Que voulait Hideyoshi à la Corée, neuf siècles après la dernières grande expédition japonaise en dehors de ses îles?
L’explication la plus courante veut qu’Hideyoshi aurait recherché à unifier les samurais japonais dans une guerre extérieure mais cela ne tient pas. Durant l’invasion Hideyoshi ne mobilisa jamais l’ensemble des clans japonais, uniquement ses vassaux et alliés les plus utiles. Les Tokugawa restèrent uniquement en réserve tandis que d’autres clans importants comme les Date ne furent pas importunés. Hideyoshi n’envoya pas une armée nationale sous son commandement mais des ost féodaux répartis en huit corps commandés par des vassaux importants et parfois rivaux entre eux qui avaient pour mission de se tailler des fief en faisant la conquête de la Corée. A aucun moment l’idée d’une union nationale contre un ennemi commun n’émergea. Il est cependant possible que la guerre de Corée soit due à l’incapacité d’Hideyoshi d’imaginer la place des guerriers dans un Japon en paix. Son successeur Ieyasu parvint ensuite à établir une société pacifiée mais pour Hideyoshi se posait la question de maintenir les liens vassaliques fondés sur le service du guerrier récompensé par le butin ou les terres prises.
L’idée de l’invasion de la Corée n’était pas née avec Hideyoshi. L’idée avait déjà été suggérée en 1578 par Oda Nobunaga, qui était encore le suzerain d’Hideyoshi. La Corée elle-même n’était pas l’objectif final puisque il s’agissait de passer par la péninsule afin d’entrer ensuite dans la Chine des Ming pour y imposer l’empereur du Japon. Folie mégalomaniaque? Oda Nobunaga avait très certainement des ambitions hors normes pour son temps et Hideyoshi récupéra le projet à son compte. Il se serait cependant satisfait d’une reconnaissance de soumission et d’un passage libre pour ses armées. Il en fit la demande à la cour de Séoul qui n’en crut pas ses oreilles. Le langage diplomatique permit de gagner du temps en échanges polis et nuancés mais finalement le Joseon ne pouvait pas accepter. Hideyoshi commença ses préparatifs dès 1591 tout en continuant de négocier. Des demandes furent faites au roi de Ryûkyû et même au roi d’Espagne (en 1586 par l’entremise des Jésuites) de soutenir avec leurs navires ou avec leurs marchandises (des projets espagnols contre la Chine partant de Manille et Macao ont existé sans jamais se concrétiser par manque de moyens et de réel intérêt), l’effort d’invasion, sans résultat. La château de Nagoya (dans le Kyûshû, pas la grande ville) fut érigé près de Hakata pour servir de base et d’arsenal et les vassaux des Toyotomi et leurs alliés furent mobilisés. Dans ces préparatifs, les clans Sô et autres clans de pirates furent mis à contribution pour servir de marine aux samurais japonais alors qu’un édit d’Hideyoshi de 1591 bannissait définitivement toute aide aux pirates, mettant un point final aux légendaires pirates Wakô et les forçant à s’intégrer dans la hiérarchie féodale japonaise.
Le 24 mai 1592, Konishi Yukinaga et ses 7000 hommes débarquèrent finalement et occupèrent Busan en Corée marquant le début de la guerre d’Imjin (guerre de l’année du dragon, il s’agit du nom coréen de la guerre, les Japonais parlent du Bunroku no eki). Le Joseon était pris par surprise malgré les avertissements répétés de ses envoyés et espions. Les hommes de Konishi furent suivis par 150 000 hommes dont un tiers de combattants (le reste étant composé de serviteurs et de marins). L’armée royale du Joseon était moins nombreuse, moins bien équipée, depuis longtemps en paix et commandée par des officiers recrutés par concours sur leurs connaissances des classiques confucéens. Ils firent difficilement le poids face aux samurais endurcis par les guerres civiles et disposant d’une quantité incomparable d’arquebuses. Konishi Yukinaga commença par massacrer les garnisons près de Busan afin de forcer les Coréens à se soumettre par la terreur, l’exécution des prisonniers devint ensuite la règle.
Il faut ajouter aussi que les commandants japonais étaient en compétition entre eux pour savoir qui obtiendrait les faits et les prises les plus glorieuses, Yukinaga était à ce titre dans une course permanente face à son rival Katô Kiyomasa. Le résultat fut que les Coréens furent bousculés, plusieurs batailles furent facilement remportées à Sangju et Chungju. Les troupes coréennes avaient des qualités mais s’enfuirent souvent face à la rapidité et la réputation de sauvagerie de leurs assaillants. Le 10 juin 1592, Hanseong (Séoul) tombait entre les mains de Konishi Yukinaga. La ville avait déjà été évacuée par le roi Seonjo sous les accusations et les insultes de la population qui incendia et pilla les palais et entrepôts avant même l’arrivée des Japonais. Le 20 juillet, les Japonais entraient dans Pyongyang, de son côté Katô Kiyomasa alla jusqu’à « tester » les Jurchens dans un affrontement encore plus au Nord.
La guerre éclair de 1592 fut cependant trop rapide. Les armées japonaises laissèrent de nombreuses poches de résistance au Sud qui furent longues à soumettre, la province de Jeolla ne fut jamais conquise. Dans les montagnes en particulier, les restes de l’armée et les paysans armés se réunirent souvent autour de moines-guerriers pour former des « Armées Vertueuses » menant la guérilla contre les envahisseurs. Cette résistance explique l’acharnement japonais sur les temples bouddhistes coréens. En les visitant aujourd’hui il n’est pas rare de trouver mentionné la destruction du temple au temps de la guerre d’Imji.
Le véritable obstacle à la victoire japonaise se trouvait encore plus au Sud, sur les côtes de la province de Jeolla où l’amiral Yi Sun-Shi parvint à organiser la résistance navale malgré l’effondrement de l’Etat. Yi Sun-Shi est pour le Coréens le héros honnête par excellence, à la fois Jeanne d’Arc et amiral Nelson du Joseon. Yi Sun-Shi avait à sa disposition des navires Panokseon armés de 20 canons légers mais aussi d’une nouvelle catégorie de navires appelés les navires-tortues, plus lourdement armés mais très maniables et sans doute carapaçonnés de métal, en faisant les premiers cuirassés de l’histoire. Il connaissait aussi parfaitement la côte accidentée du Sud de la péninsule, ses courants et ses marées. De leur côté les Japonais disposaient de petits navires kobaya pour éperonner et de navires sekibune peu adaptés à la haute mer qui servaient surtout de petits châteaux flottants pour les archers et arquebusiers tandis que les samurais sur les kobaya abordaient l’ennemi. Yi Sun-Shi surclassait ses adversaires de plusieurs époques d’avance, à la bataille d’Hansan le 13 août, il détruisit la flotte de Kûki Yoshitaka et remporta ensuite toutes les batailles qu’il engagea, ne subissant que rarement des pertes. En conséquence il parvint à empêcher le ravitaillement et les renforts de circuler. Il isola les Japonais dans la pénincule, ne leur laissant que la voie terrestre menacée par les Armées Vertueuses, la guerre éclair s’embourba.
L’empereur Wanli en Chine réagit rapidement et dès janvier 1593 le général Li Rusong rencontrait le roi Seonjo et assiégeait ensuite Pyongyang. Les Japonais se retirèrent progressivement après plusieurs combats sanglants et disputés face aux Ming et aux troupes coréennes, perdant Séoul en avril 1593. A la fin de la même année, les Ming et les Japonais s’accordèrent sur une trêve permettant chacun à retourner sur ses bases. Les Japonais se concentrèrent sur la région de Busan et n’engagèrent que peu de combats entre 1594 et 1597.
Les négotiations de paix se firent, comme précédemment, sur des malentendus culturels importants. Du point de vue Chinois, les Japonais avaient été vaincus, ils devaient donc se soumettre formellement pour devenir un vassal de l’empereur qui accorderait volontiers à Hideyoshi le titre de roi du Japon et des accords commerciaux. Hideyoshi de son côté se considérait victorieux et exigeait le contrôle sur le Sud de la Corée, des otages chinois et coréens et une princesse ming comme épouse de l’empereur du Japon. Les termes inacceptables de part et d’autre furent masqués, atténués et délayés. En 1597, excédé Hideyoshi rompit les négociations et ordonna une deuxième invasion, il s’agissait pourtant déjà d’un homme malade conscient de sa disparition prochaine.
La guerre de Chongnyû diffère de la guerre d’Imji en ce qu’elle ne devait plus que assurer le contrôle japonais sur la Corée, oubliant les rêves impériaux sur la Chine. 141 000 hommes débarquèrent de nouveau en Corée. Les Coréens et Ming étaient mieux préparés contre les Japonais mais l’absence de Yi Sun-Shi (arrêté et emprisonné suite à une cabale contre lui) permit aux Japonais de reprendre pied en Corée. Toute l’année 1597 fut une suite de combats sanglants aux succès variés. C’est à cette occasion que Katô Kiyomasa envoya au Japon les nez coupés des soldats coréens tués ou exécutés. Ils furent enterrés dans un tumulus à Kyôto, le mimizuka (mont des oreilles), témoignage sanglant que la Corée du Sud actuelle demande encore à voir disparaître. Pour les chefs japonais les espoirs de gains territoriaux et de butins étaient déjà épuisés depuis longtemps, ne laissant que l’obéissance aux ordres et la crainte de punitions ou de confiscation de leurs domaines. La mort de Toyotomi Hideyoshi leva cette crainte, le décès du Taikô marqua immédiatement la fin de la guerre et le début du rapatriement. La bataille navale de Noryang en décembre 1598 menée par Yi Sun-Shi devait empêcher la retraite japonaise, elle fut une victoire mais n’empêcha pas le départ des derniers samurais, l’amiral lui-même fut tué par une balle lors de ce dernier engagement de la guerre.
Que restait-il donc de ces six années de guerres? Les destructions en Corée furent extrêmement étendues tant pour les villes que les campagnes et les temples. Nourrir les armées chinoises et subir les pillages japonais ruina durablement les provinces coréennes. La monarchie en sortait restaurée et raffermie avec une armée compétente mais d’importantes difficultés politiques et financières. L’empereur Wanli lui-même vit son règne affiabli par ces dépenses et ces efforts militaires qui laissèrent d’autres révoltes se développer et contribuèrent indirectement à la crise finale de la dynastie à la génération suivante. Au Japon, la folie d’Hideyoshi créa des ruptures entre les vassaux des Toyotomi dont profita Tokugawa Ieyasu pour rassembler les soutiens contre Ishida Mitsunari (qui avait accusé les généraux présents en Corée d’incompétence et de divers crimes, s’attirant leur haine irrémédiable) qui lui permirent d’instaurer le shogunat après Sekigahara.
Le plus important est qu’en Corée les guerres d’Imjin et de Chungnyû devinrent les conflits fondateurs d’un esprit de résistance coréen incarné par Yi Sun-Shi et les Armées Vertueuses. En 1593, après le deuxième siège de Jinju, la gisaeng Nongae (les gisaeng étaient des courtisanes équivalentes des geishas japonaises) attira à elle un général japonais uniquement pour se jeter avec lui d’une falaise dans une étreinte mortelle. Elle devint une héroïne célébrée déjà à l’époque. Cet exemple pourrait être reproduit mais on voit s’affirmer ici un sentiment de résistance proprement national opposant la Corée agressée et l’envahisseur japonais barbare dont les atrocités restèrent dans les mémoires. A l’inverse, l’aventure continentale en Corée n’est généralement perçue au Japon que par ses conséquences sur les évolutions nationales, les évènements nombreux de la guerre sont généralement ignorées même si Yi Sun-Shi est célébré comme un incarnation du dieu de la guerre Bishamonten.
Cela ne veut cependant pas dire que toutes relations étaient exclues. Le clan Sô négocia pour les Japonais, obtenant finalement en 1604 qu’une ambassade soit reçue au nom de Tokugawa Ieyasu. La Corée souhaitait une paix formelle pour obtenir le départ des troupes Ming de son sol et Ieyasu voulait un retour à l’ordre. Le shogunat libéra des prisonniers de guerre mais quand le roi Seonjo demanda une lettre formelle de demande de paix de la part du shôgun, Sô Yoshitoshi dut recourir à un faux. En 1609, la cour du Joseon, prenant comme prétexte la bonne volonté du nouveau régime Tokugawa, dédouané des crimes des Toyotomi, accepta la paix et le rétablissement de relations commerciales et diplomatiques (traité de Giyû). La Corée ne normalisa cependant jamais totalement son rapport avec le Japon. Quand le Joseon fut menacé à partir de 1627 par les Mandchous qui étaient occupés à conquérir la Chine, le shogun Iemitsu proposa d’envoyer une aide militaire contre les barbares, proposition qui fut simplement ignorée.
Les invasions mongoles au XIIIe siècle puis les invasions japonaises en Corée au XVIe siècle eurent le même effet : créer une conscience pratiquement nationale de part et d’autres, du moins chez les élites, mais aussi une mémoire commune des atrocités de l’autre. La menace étant immanquablement définie comme venant de l’autre côté de la mer. Cela n’empêcha certainement pas les contacts et les échanges mais ceux-ci furent toujours soumis au contrôle de l’Etat et maintenus dans un cadre restreint. Il devait en rester ainsi pour longtemps.
Froideur institutionnelle : les missions de l’époque Edo
Pendant toute l’époque Edo les relations entre le shogunat et la dynastie du Joseon sont simples à expliquer. A partir de 1607, le Joseon envoya des missions Tongsinsa jusqu’à Edo. Ces missions, similaires à celles envoyées par le Goryeo au XIV-XVe siècles, devaient porter une communication sur un sujet précis par un diplomate de la cour royale. Ces missions étaient le plus souvent envoyées sur demande du Japon par l’entremise du clan Sô qui accompagnait ensuite les ambassadeurs. Là encore le malentendu était de mise. Les ambassadeurs coréens venaient pour une tâche simple de communiquer avec le shogunat tandis que le shogunat célébrait ces ambassades comme des missions tributaires venant rendre hommage au shôgun. Ces missions étaient reçues avec un faste protocolaire et devaient raffermir la légitimité du shôgun en illustrant sa capacité à contrôler les périls extérieurs et sa reconnaissance internationale. Il en allait de même avec les ambassades des Ryûkyû (Okinawa) qui étaient encore moins libres puisqu’elles étaient ordonnées par les patrons d’Okinawa, le clan japonais Shimazu de Satsuma.
9 missions coréennes vinrent jusqu’à Edo en pratiquement deux siècles jusqu’en 1811. Aucune mission japonaise ne fut autorisée à dépasser Busan durant la même période. C’est là que se trouvait un comptoir officiel où les marchands japonais pouvaient aborder. C’était la résidence des envoyés japonais en attendant que leurs missives soient transmises selon l’ordre administratif de rigueur, qui durait plusieurs mois. Les missions coréennes au Japon remontaient elles jusqu’à Edo. Elles formaient un cortège de 500 à 600 membres coréens et japonais portant bannières et costumes coréen. Ces processions fastueuses étaient entièrement payés par des fonds japonais et représentaient pratiquement une année des revenus du shogunat. Les ambassadeurs et leurs processions étaient visibles par tous en remontant les larges avenues d’Edo et donnaient l’occasion à des célébrations. Les premières missions poussèrent même jusqu’à Nikkô pour rendre hommage au mausolée du défunt Tokugawa Ieyasu et y déposer des offrandes comme la cloche du Joseon qui y est encore visible.
Le shogunat d’Edo maintient ainsi pendant deux siècles l’illusion de relations diplomatiques avec la Corée alors que cette dernière se contentait de communications simples et sans initiative. Etats voisins et proches, le Japon et Joseon s’ignoraient pratiquement, utilisant la mer de Genkai comme un fossé entre deux Etats qui avaient fait de l’isolement la base de leurs politiques extérieures. Le fossé de la mer de Genkai était cependant loin d’être une réalité, la distance infranchissable entre la Corée et le Japon était moins de nature géographique que de nature historique : invasions, pirateries, disputes aggravées par les différences culturelles en avaient fait une véritable frontière imperméable. La péninsule et l’archipel n’entretenaient des relations que sur la base d’un cadre administratif strict, considérant l’autre comme un ennemi héréditaire. Le Japon de l’époque contemporaine se chargea d’empirer encore cette méfiance mutuelle.