L’aube des guerriers : Hôgen no Ran (1156)

Le 28 juillet 1156 débutait la rébellion d’Hôgen, un court mais violent conflit entre factions à la cour impériale qui fut le premier pas vers la naissance de l’âge des samurais, le Musha no Yo.

Querelles de famille autour du trône du Chrysanthème

Le Japon Heian résumé en une peinture, la richesse de la cour et la délicatesse de son art de vivre touchaient à leur fin.

En 1156, le Japon se trouvait à la fin d’un cycle, celui de la période Heian où l’empereur et les grandes familles aristocratiques de la cour dominaient le pays. A ce moment-là la cour était divisée en factions opposées. La cause de cette division était la rivalité entre l’empereur régnant Shirakawa et l’ancien empereur Sutoku, son frère. Selon les pratiques du temps les empereurs avaient pris l’habitude d’abdiquer pour assumer la direction directe des biens de la famille impériale, l’In-No-Chô, et disposaient du pouvoir de nommer leurs candidats aux fonctions de cour, dans les faits c’était l’empereur retiré qui gouvernait. Ce système avait permit aux empereurs du XIe siècle de prendre politiquement l’avantage sur les régents de la famille Fujiwara qui avaient gouverné entre le IXe et Xe siècle. La puissance de l’empereur retiré était fondée sur sa richesse, ses domaines se trouvaient dans toutes les provinces et il pouvait exercer une influence privée parallèle à l’autorité de la cour, et débarassée des règles et des interdits de celle-ci.

L’empereur Toba est représenté ici en tant que souverain retiré, le crâne rasé montre qu’il a prononcé ses voeux bouddhistes et il porte les vêtements des prêtres. Cela ne l’empêchait de mener une vie mondaine.

Pour comprendre ce qui va suivre il faut s’intéresser aux histoires de familles des empereurs. L’empereur Toba avait été forcé d’abdiquer encore jeune (20 ans) par son père l’empereur retiré Shirakawa, celui-ci plaça son jeune petit-fils Sutoku sur le trône. En 1129, à la mort de Shirakawa, Toba put enfin gouverner par lui-même en tant qu’empereur retiré. Il força l’abdication de Sutoku au profit de son autre fils Konoe. Toba avait une préférence pour Konoe qui était né d’une épouse secondaire qu’il aimait. Sutoku se retrouva à son tour privé de pouvoir sous la tutelle de son père et sa haine de Konoe devint le coeur de tous les ragôts de Kyôto.

Son fils, l’empereur Sutoku, encore représenté en tant qu’empereur régnant.

En 1555, le jeune Konoe (16 ans) succomba rapidement à une maladie. Dans le microcosme fermé de la cour impériale, toute mort soudaine faisait l’objet de spéculation et on commença à répandre le bruit que le souverain était décédé par des maléfices invoqués par Sutoku. Les rumeurs tombaient à pic pour Toba, il fallait choisir un nouvel empereur, Sutoku voulait imposer son propre fils et gouverner mais Toba voulait voir monter sur le trône son troisième fils (et frère de Sutoku). La mauvaise presse entourant Sutoku permit à Toba d’imposer son choix et Go-Shirakawa monta sur le trône. Sutoku était furieux mais pour son bonheur son père s’éteignit le 20 juillet 1156.

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Les couteaux s’aiguisent

Théoriquement Sutoku étant le seul empereur retiré survivant il devait pouvoir gouverner à sa guise et il avait l’intention de forcer l’abdication de son frère pour y mettre son propre fils. Go-Shirakawa lui-même n’entendait pas le laisser faire et avait à sa disposition une importante faction d’officiers et de nobles qui, par calcul ou superstition, croyaient que Sutoku était un personnage maléfique. Au delà de la querelle familiale le conflit était d’autant plus important qu’il touchait au pouvoir de récompenser et de faire et défaire des clientèles. Les familles kuge de la noblesse se divisèrent, parfois au sein du même clan, en faveur de l’un ou de l’autre. Le fils du régent, Fujiwara no Tadamichi, soutenait Go-Shirakawa mais son frère Yorinaga devint le porte-parole des opposants en faveur de Sutoku, la rivalité tourna rapidement à l’aigre dans les familles.

Minamoto no Tameyoshi, il s’agit de la seule représentation connue (et sans doute postérieure) du chef des Minamoto. C’est le personnage en haut de l’image avec une flèche cassée enfoncée sur son armure.

L’empereur retiré disposait d’une garde composée des membres des deux principaux clans de samurais du pays, les Minamoto et les Taira. Ces derniers normalement ne s’impliquaient pas dans les querelles de cour et se contentaient de servir qui les payait. Là encore cette apparente neutralité avait été secouée par les empereurs retirés. Les Minamoto avaient longtemps été les favoris des régents Minamoto avant d’être soudoyés par l’empereur Shirakawa. Celui-ci avait cependant pris ses précautions en favorisant l’ascension des Taira, de plus petite noblesse et donc plus aisément dépendants de la faveur impériale. Sous l’empereur retiré Toba les Taira avaient cependanr vu leur étoile décliner au profit des Minamoto, de chaque côté les rancoeurs et les ambitions frustrées étaient vives mais les samurais n’existaient que pour servir. Cette fois-ci pourtant chaque faction courtisa les clans guerriers avec des promesses de récompenses, ouvrant pour la première fois aux samurais la perspective de s’élever à la cour en négociant leur ralliement, eux qui n’étaient considérés que comme des chiens de chasse. La division toucha les samurais selon leurs intérêts, le chef des Minamoto, Tameyoshi, se rangea du côté de Sutoku mais son propre fils Yoshitomo prit parti pour Go-Shirakawa, il devint l’allié de Taira no Kiyomori, le chef des Taira qui devait lui-même affronter des opposants dans sa famille. Chaque camp commença à se préparer à un coup de force, rassemblant les hommes en armes dans Kyôto.

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La capitale n’avait jamais connu de guerre civile, la dernière guerre de succession d’ampleur remontait à quatre siècles auparavant (guerre de Jinshin), quand Kyôto n’existait pas encore. Il y avait bien eu des luttes de pouvoir mais elles étaient généralement restées limitées à la cour et sans violences, ou presque. Les guerres, quand elles avaient lieu, concernaient des régions lointaines des périphéries vers l’Est contre les barbares Emishi. Kyôto avait connu des violences mais il s’agissait surtout d’actes de banditisme pour lesquels les samurais au service des nobles agissaient en tant que police privée. Tout changea en juillet 1156.

Déchainement de violence

Le 28 juillet, chaque camp se réunissait de son côté. Les partisans de Sutoku en conseil se mirent à réfléchir à une attaque nocturne contre le palais impérial pour s’emparer de Go-Shirakawa et le forcer à entrer dans les ordres. L’idée fut rejetée car jugée indigne et extrême. De son côté Minamoto no Yoshitomo suggéra la même chose aux partisans de Go-Shirakawa, qui n’eurent pas les mêmes scrupules.

Durant la nuit, Kiyomori et Yoshitomo chevauchèrent ensemble dans les rues désertées de Kyôto avec 600 cavaliers en direction du Shirakawa-den, le palais où résidait l’empereur retiré Sutoku. Ils ne pouvaient certainement pas être discrets, honneur de samurai oblige, et furent donc accueillis aux portes du palais par des archers de la garde du palais qui repoussèrent Kiyomori. Yoshitomo attaquant les défenseurs menés par son propre frère Tametomo fut repoussé aussi, le cadet avait battu l’aîné et cela ne pouvait pas se passer ainsi. Furieux, Yoshitomo ordonna d’incendier le palais et reprit l’attaque à la lumière des flammes. Les défenseurs furent désorganisés par la fuite des courtisans et dames de cour présents sur les lieux. La panique se changea en déroute alors que les forces de Go-Shirakawa abbataient les fuyards tentant de quitter l’enceinte du palais et forçaient les portes. Sutoku fut prit et Go-Shirakawa avait gagné. L’attaque ne fut pas brève mais elle fut particulièrement violente, une violence jamais vue à Kyôto.

Les illustrations ci-dessus constituent un paravent en six panneaux réalisé à l’époque Edo et représentant la guerre d’Hôgen. Il s’agit de l’illustration du récit transmis par le Heike no Monagatari, le récit épique des Taira et de leur chute. Dans ce type de représentation on ne représente pas un instant précis comme une photographie aérienne. la composition résume des évènements étalés sur une période mais facilement reconnaissables. En bas des panneaux centraux on peut voir l’empereur et ses partisans conférer dans le palais impérial et prendre la décision de l’attaque. La même attaque qui est représentée au dessus. Sur les panneaux de droite on voit représenter la chevauchée des Taira et Minamoto dans les rues de Kyôto avant l’attaque. Les panneaux de gauche représentent des évènements postérieurs lors d’arrestations et de purges des opposants en août 1156.

Malheur aux vaincus

Les choses ne s’arrêtèrent pas là pour autant, la noblesse pouvait s’incliner avec grâce devant le vainqueur mais les samurais avaient d’autres pratiques. Taira no Kiyomori avait mis la main sur Tametomo, le chef des défenseurs du palais et lui fit couper les tendons du poignet afin de l’empêcher à jamais d’utiliser un arc, l’arme du samurai par excellence, il fut ensuite exilé et se suicida en 1170. Sa mort est l’un des premiers exemples de seppuku, suicide rituel, accompli par un guerrier. Yoshitomo, son propre frère n’avait pas bronché.

Il faut dire que le conflit familial était allé trop loin pour s’arranger avec une tape dans le dos. Lorsque Minamoto no Tameyoshi fut capturé, son fils le fit amener et lui coupa la tête lui-même. Le choc fut grand parmi tous les guerriers et installa Yoshitomo comme chef incontesté du clan. Il avait aussi prouvé sa fidélité indéfectible à l’empereur. C’était aussi la première fois qu’avait lieu une exécution sommaire à Kyôto sans procès ni condamnation confirmée par le souverain comme cela devait être légalement le cas. D’autres exécutions eurent lieu, au premier rang desquels celle de Fujiwara no Yorinaga, le propre fils du régent, tué comme un voleur après avoir été débusqué. Les purges ensanglantèrent Kyôto jusqu’à la mi-août. Les Taira et les Minamoto fouillaient les maisons, agressaient les habitants sans aucun contrôle, plongeant la ville dans la stupeur et la terreur. Pour la première fois les guerriers faisaient la loi dans les rues, avec l’accord tacite de l’empereur.

L’ancien empereur Sutoku sous sa forme démoniaque, estampe du XIXe siècle.

L’empereur retiré Sutoku, tombé entre les mains de ses ennemis, fut exilé dans l’île de Shikoku où il vécut pauvrement. Vaincu, il passa son temps à récopier des sutras bouddhistes pour les envoyer à son frère et lui souhaiter un règne prospère. Go-Shirakawa se laissa convaincre que le texte était en fait une malédiction destinée à le faire mourir comme son frère Konoe avant lui et il fit retourner les sutras. Sutoku succomba peu après, rongé par le dépit et la haine. Les esprits superstitieux de l’époque Heian croyait qu’une telle mort transforma l’ancien empereur en fantôme vengeur, voir même en démon et Sutoku devint connu comme le roi des démons tengus, responsable des malheures qu’allait connaître le Japon.

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Vers le régime des guerriers

Go-Shirakawa triomphait malgré les flaques de sang. Il se retrouvait le seul maître du jeu politique. L’étape suivante pour lui fut d’abdiquer le trône en 1158 pour prendre sa place d’empereur retiré. Il prit le contrôle de l’In-No-Chô et mit sur le trône son fils de 15 ans, l’empereur Nijô. Il put distribuer les charges laissées vanquantes par les vaincus comme bon lui semblait, accumulant influence et reconnaissance. Parmi les bénéficiaires se trouvaient évidemment les jeunes loups des clans Taira et Minamoto. Kiyomori et Yoshitomo s’emparèrent de leurs maisons respectives et reçurent honneurs et récompenses de la part de Go-Shirakawa.

Minamoto no Yoshitomo, parricide par fidélité au souverain, commença cependant à trouver que ces honneurs n’étaient pas la hauteur du sacrifice qu’il avait fait à la cause, que les Minamoto méritaient d’être placés au-dessus des Taira, ces parvenus. Son mécontentement le porta à se rapprocher des opposants survivants qui se réunissaient déjà en secret. Go-Shirakawa gouvernait avec trop de désinvolture et de nombreux nobles n’acceptaient pas la violence de 1156. Ils commencèrent à carresser l’idée d’un coup d’Etat pour s’emparer de l’empereur retiré. Les barrières sur l’utilisationd e la violence politique avaient toutes sautées.

Night Attack on the Sanj™ Palace, from the Illustrated Scrolls of the Events of the Heiji Era (Heiji monogatari emaki) second half of the 13th century Handscroll; ink and color on paper * Fenollosa-Weld Collection * Photograph © Museum of Fine Arts, Boston — 19GreatestPaintings

Leur projet culmina en 1160 par la rébellion d’Heiji, qui fut un désastre. Yoshitomo fut vaincu puis tué par son rival Kiyomori, désormais le seul garant de la sécurité de l’empereur, la seule épée de la cour. Le retour à l’ordre et à la légitimité impériale qui suivit masquait mal que le Japon glissait vers une nouvelle réalité. La cour ne s’aperçut pas que les clans de samurais étaient devenus les seuls dépositaires de la force militaire et donc de la légitimité d’un Etat où les violences politiques étaient désormais admises. Il ne fallut pas longtemps à Taira no Kiyomori pour prendre conscience de sa force.

Taira no Kiyomori (en rouge) annonce son intention de faire abdique l’empereur Takakura pour place son petit-fils sur le trône. estampe du début du XXe siècle.

A partir de 1160 Taira no Kiyomori augmenta progressivement ses demandes, qui devinrent progressivement plus impérieuses. Dans les années 1170, les Taira pouvaient se permettre de mener des purges contre les éléments « dangereux » de la cour dont les postes étaient ensuite attribués à des Taira. Kiyomori lui-même finit par être nommé Daijô-Daijin, l’équivalent de premier ministre. Il força Go-Shirakawa à marier son fils, l’empereur Takakura, à Taira no Tokuko, sa propre fille. Jamais un guerrier aux pieds sales n’auraient pu rêver une telle ascension surpassant l’antique noblesse et marginalisant même l’empereur, qui n’avait qu’à s’en prendre à lui-même. Une véritable dictature militaire s’était imposée sur Kyôto, c’était la première étape à l’établissement d’un régime politique des guerriers qui fut parachevé en 1185 avec la revanche des Minamoto.

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