Et si on réécrivait l’histoire du Japon. Faire de l’histoire avec des « Et si? » qu’est-ce que cela peut apporter à notre connaissance de l’histoire japonaise et quels seraient les grands tournants à distinguer. Je vous propose quelques scénarios plus ou moins probables mais, je l’espère, intéréssants.
De l’intérêt des histoires alternatives
Ecrire des histoires alternatives, ou des uchronies, c’est réimaginer le déroulement des évènements historiques à partir d’un point de divergence, le fameux « et si? ». La question est aussi ancienne que l’histoire puisque déjà Hérodote d’Halicarnasse (Ve siècle av. J-C) se laissait aller à s’interroger à ce qui se serait passé si les Perses avaient vaincus durant la Deuxième Guerre Médique (livre VII, 139). Plus proche de nous l’historien Raymond Aron résumait ainsi le rapport de l’historien avec l’imagination : « Tout historien, pour éxpliquer ce qui a été, se demande ce qui aurait pu être », mais aussi « Le passé de l’historien a été le futur des personnages historiques ».
Autrement dit, l’histoire alternative, même si elle est parfois vue comme un passe-temps ou un artifice littéraire de la fantasy, a un intérêt pour l’étude et la compréhension de l’histoire.
Considérer les alternatives permet de remettre les enjeux d’une époque en lumière. Les évènements et les évolutions sont souvent issues de faisceaux de causes variés et retirer, artificiellement, une de ces causes peut permettre de mettre en évidence son importance particulière. Le vide ou le changement provoqué entraîne des objections de la part de l’historien et permet de mettre en lumière des liens qui n’étaient pas évidents. Ce n’est certainement pas un outil commun de l’historien et il a ses limites (le recours à l’imagination) mais il est utile. Comme l’a dit Raymond Aron, à un moment ou un autre la question est toujours venue à l’esprit d’un historien raisonnablement curieux.
« Le passé des historiens a été le futur des personnages historiques » est peut-être une affirmation plus importante. L’histoire est étudiée comme un résultat fini et non reproductible et on a tendance à voir ses résultats comme inévitables, déterminée parfois par une vision téléologique de l’histoire. La « marche vers le progrès » par exemple se termine inévitablement par son supposé pinnacle : nous. L’histoire alternative a le mérite de remettre les évènements dans leur contexte et de leur redonner leur part naturelle d’incertitude (parfois limitée par les grandes évolutions sociales et économiques mais toujours présente). C’est rien de moins que la question de la liberté de l’individu qui est replacée dans l’histoire. Cette contextualisation est précieuse et de nos jours on la retrouve même jusque dans les manuels d’histoire qui n’hésitent plus à évoquer le genre littéraire uchronique (au lycée) ou même à proposer des activités : j’ai déjà rencontré une activité de classe de première où les élèves partaient de l’hypothèse d’un refus population de la mobilisation en 1914 pour retrouver les éléments historiques qui ont rendus ce refus difficile et finalement impossible.
Tout cela fait partie des raisons qui me poussent à l’intéresser à l’uchronie (outre le simple divertissement, qui est aussi important) dans le cas de l’histoire japonaise, très peu abordé.
Le genre existe au Japon, il a été exploité dans les romans et les mangas tout aussi bien qu’en Occident. On pourrait ainsi citer Zipang de Kaiji Kawaguchi qui essaye de reconstituer (du point de vue d’un auteur notoirement nationaliste) un cours différent de la guerre du Pacifique. De son côté Fumi Yoshinaga a, avec Ôoku, imaginé une histoire où une maladie a drastiquement réduit le nombre d’homme par rapport aux femmes, avec à la clef un renversement des genres et un intéressant développement sur les rôles des hommes et des femmes à l’époque Edo (le manga est d’ailleurs actuellement adapté en série animée pour Netflix). Le film animé Jin-Roh se déroule aussi dans un contexte uchronique d’un Japon autoritaire. Aux Etats-Unis, le roman de Philipp K. Dick puis la série éponyme, Le maître du haut-château, essaye de dépeindre un Japon sorti victorieux de la Deuxième Guerre Mondiale.
On a cependant assez peu d’histoires alternatives concentrées sur le Japon ancien et développées de manières un peu moins fantasque ou orientée. J’ai voulu ainsi imaginer quelques scénarios.
Avertissement : l’histoire alternative est toujours le fruit de son auteur, elles sont souvent limitées par ses propres connaissances mais aussi par ses propres convictions sur l’histoire. On aura ainsi des uchronie optimistes, pessimistes, pacifistes etc. Kim Stanley Robinson dans son roman The Years of Salt and Rice n’hésite pas à utiliser l’idée du « choc des civilisations » dans son alternatives. Les scénarios que j’ai imaginé ne sont pas à prendre comme des reconstructions complètes et irréfutables. Elles sont ouvertes à la critique et, si possible, je vous invite à imaginer votre propre développement.
Deuxième avertissement : Aucun des scénarios suivants ne décrit l’histoire réelle du Japon. Ce sont des uchronies, des histoires réimaginées par l’amusement pervers de l’auteur. Ne les prenez pas pour argent comptant. Ne me demandez pas combien de fois il m’est arrivé de devoir l’expliquer à des lecteurs en ligne.
Un japon sans samurais (VIIIe siècle, période Heian)
A propos des premiers siècles de l’histoire japonaise les exemples d’uchronies pourraient être nombreux. Par exemple le royaume du Yamato, qui a ensuite évolué dans le régime de la cour impériale, aurait pu être supplanté par un autre des royaumes protohistoriques japonais. Les royaumes coréens, dont le Baekje et le Silla aurait pu tenter de s’étendre vers l’archipel japonais encore non organisé. Le bouddhisme aurait pu ne pas s’implanter au Japon. Le problème avec ces propositions antiques c’est qu’elles contraignent à pratiquement créer à partir de rien. Les sources pour ces époques sont incomplètes et partiales, issues des différentes chroniques du VIIIe siècle. En retirant le cadre historique décrit par ces chroniques il ne resterait plus grand chose à développer. Autant dire qu’à partir d’une idée séduisante l’auteur en viendrait à créer un Japon de fantasy. La reconstitution devient faisable à partir de l’époque Nara puis Heian quand les connaissances et les enjeux sont un peu mieux compris. C’est à partir de ce moment aussi que l’on peut développer sur certaines caractéristiques japonaises, comme les samurais. La caste guerrière emblématique du Japon était-elle inévitable?
Contexte historique
Les samurais au sens d’un groupe social bien défini de guerriers n’a pas existé avant le milieu de l’époque Heian et est le produit d’une longue évolution. Le royaume du Yamato, devenu la cour impériale, disposait d’une armée de levée instaurée à partir du code Taihô. Cette levée, le Gundan-sei, était composée de soldats qui s’équipaient eux-mêmes et étaient dirigés par des fonctionnaires de cour issus de la noblesse. Ils ne sont cependant pas encore des samurais, ce sont surtout des fantassins, levés temporairement par la cour et sans existence sociale à part.
Le point de départ de la formation des samurais à proprement parler doit être cherchée plus tard, sous le règne de l’empereur Kanmu au VIIIe-IXe siècle, le fondateur de Kyôto. C’était un souverain actif qui régnait effectivement sur son pays au moyen d’une administration centralisée modelée sur le modèle chinois. Toujours selon ce modèle chinois l’empereur Kanmu voulut appliquer un programme idéologique confucéen strict basé sur l’imitation de la dynastie Tang. Il fut un centralisateur et un réformateur mais il eut un règne mouvementé. Parmi les obstacles qu’il rencontra un des plus marquants fut la longue guerre contre les Emishi du Nord du Japon.
Les guerres contre les Emishis
Les tribus emishi (dans les provinces de Mutsu et Dewa) n’étaient pas ethniquement si différentes des Japonais mais leur culture n’avait rien à voir. Ils n’étaient pas organisés en royaumes centralisés inspirés de la Chine mais en peuples dont la culture était probablement héritée des peuples de l’époque Jômon. Ils étaient réputés pour être d’excellents archers et cavaliers. Ils occupaient le Nord du Japon depuis le Kantô jusqu’au Nord du Honshû et certains historiens les considèrent encore comme les ancêtres des Aïnous (ce qui n’est pas forcément accepté). Au VIIIe siècle leur territoire se réduisit progressivement à mesure qu’avançait le front de colonisation mené par la cour impériale. Les nouveaux venus prenaient possession des terres pour les mettre en culture et les partager. La cour impériale tenta de soumettre les Emishi pendant des générations, passant par des phases d’expéditions militaires, d’alliances locales et de révoltes, les Emishi ne constituaient pas un ensemble unique et les différents peuples n’avaient pas tous les mêmes rapports avec la cour impériale.
En 773 débuta une révolte généralisée des Emishi contre la pénétration toujours plus accrue. Les forts tenus par les Japonais, comme le château de Taga (près de l’actuelle Sendai), furent pris et incendiés, expulsant l’armée impériale des terres qu’elle contrôlait. En 776 une armée impériale de peut-être 20 000 hommes fut mise en échec et les Emishi commencèrent à lancer des raids vers le Sud jusque dans le Kantô. En 789, le chef des Isawa Emishi, Aterui, anéantit une nouvelle armée lors de la bataille de la rivière Koromo. Aterui devint rapidement le principal chef ennemi aux yeux de la cour impériale et l’unificateur des Emishi dans leur lutte contre la cour.
A ce stade la cour impériale commença à paniquer face à l’échec de ses troupes. Les Emishi se battaient selon des tactiques de guérilla et profitaient de leur mobilité accrue à cheval pour harceler une armée impériale composée de fantassins équipés de cuirasses lourdes. Les arcs et les épées emishi étaient aussi considérées de meilleure qualité. Cette armée de levée, équipée de manière disparate et surtout composée paysans mal entraînés et commandés par des nobles de cour, n’était pas à même de faire face à la situation. L’empereur Kanmu dut réagir et supprima la levée nationale pour instaurer une levée locale dans les régions menacées permettant de réunir des troupes plus motivées par la défense de leurs biens. Cette levée concernait des propriétaires terriens capables d’enrôler leurs propres hommes et s’équiper eux-mêmes. Ils bénéficiaient en échange d’exemptions fiscales. Ces hommes des frontières avaient adopté l’armement et les techniques emishi en combattant à cheval et se spécialisant dans le tir à l’arc. Ce sont les ancêtres des premiers samurais. L’épée emishi est aussi considérée comme l’ancêtre du sabre japonais.
Vers les premiers samurais
L’empereur Kanmu nomma aussi un nouveau chef, Sakanoue no Tamuramaro (le fondateur du temple Kiyomizu de Kyôto) comme Seii Taishôgun, généralissime avec une autorité étendue sur tout le Nord du Honshû. Ce commandant était nommé à titre temporaire pour la durée de sa mission et recevait directement une épée des mains de l’empereur, une pratique encore copiée de la Chine. Le nouveau shogun changea rapidement de tactique en négociant pour diviser les tribus emishi, il réussit ainsi à gagner à sa cause les Shiwa Emishi, une tribu importante qui permit de renverser la situation militaire. En 801, à la tête de son armée Sakanoue no Tamuramaro occupa les terres des seuls Isawa et y construit un fort, mettant Aterui en fuite. L’année suivante Aterui et les chefs de son armée ainsi que 500 guerriers durent se rendre au shogun, mettant ainsi fin à la résistance des Emishi. Sakanoue no Tamuramaro put ainsi déclarer sa victoire à l’empereur.
Le Nord avait été pacifié et plus rien ne s’opposa à la pénétration japonaise, dans les siècles suivants les descendants des chefs emishi ralliés s’intégrèrent progressivement dans les rangs de l’administration locale et surtout au sein des familles locales de samurais. La défense du Nord était désormais entre les mains de familles de propriétaires influents, des barons, apparentés ou clients de membres de la noblesse de cour et disposant autour d’eux d’une famille élargie et de dépendants armés qui se transformèrent en milices privées. Ces groupes guerriers, les bushidan, ne firent que se renforcer et s’organiser avec le temps. Au Xe siècle, au moment de la révolte de Taira no Masakado (1 siècle et demi après Sakanoue no Tamuramaro), on peut déjà parler de samurais avec leur propre culture et organisation sociale, étrangère et éloignée de la culture « civile » de la cour. Les bushidan les plus puissants et les mieux connectés à la cour comme les Seiwa Genji et les Kanmu Taira (descendants de Kanmu) devinrent les forces militaires de la cour au XIe siècle alors que celle-ci se désinteressait de plus en plus de ce qui se passait dans les provinces pourvu que les impôts rentrent. Ce désengagement laissa le champ libre aux samurais pour imposer leur puissance grâce à leur contrôle des terres, leurs liens avec les fonctionnaires locaux et leurs relais à la cour. Ils devinrent les puissants des campagnes. Au XIIe siècle, profitant des luttes politiques au sein de la cour, les clans Minamoto et Taira se disputèrent le pouvoir. Minamoto no Yoritomo imposa finalement sa domination sur les provinces après avoir éliminé ses rivaux Taira et fut récompensé par l’empereur Go-Shirakawa du titre de shogun, inaugurant le premier régime des guerriers.
Le développement
La question de savoir comment sont apparus les samurais est plus complexe que le contexte que j’ai présenté et pour bien s’en rendre compte il faudrait lire l’ouvrage de Pierre-François Souyri, Les guerriers dans la rizière. Le règne de Kanmu semble cependant avoir été comme un moment crucial dans l’apparition des guerriers dans les provinces puisqu’on voir apparaître des groupes d’hommes en armes fortement liés à la possession de la terre et obéissant à des hiérarchies sociales locales qui n’ont qu’un rapport indirect avec l’Etat centralisé. Ces premiers guerriers, déjà armés de leurs arcs emblématiques, semblent à partir de là exister parallèlement à l’autorité centrale de la cour impériale.
Se doter d’une armée de métier?
On peut reconnaître que Kanmu a répondu aux circonstances du moment mais en allant à l’encontre de son ambition centralisatrice d’une société confucéenne ordonnée où le pouvoir seul devrait avoir le monopole de l’usage de la force par des officiers de cour. Plutôt que de recourir à des levées locales entre les mains de chefs locaux, l’empereur Kanmu aurait pu, s’il en avait eu les moyens, préférer la création d’une armée de métier à manière de l’empire chinois. L’armée aurait été commandée par des officiers de cour avec des charges militaires spécialisées. Cette armée aurait été commandée par Sakanoue no Tamuramaro dont la charge de shogun se transformerait en chef, temporaire puis permanent d’une armée impériale. Cela aurait nécessité pour la cour impériale de créer des charges militaires permanentes, mais leurs modèles existaient en Chine, avec une administration adaptée pour ravitailler, armer et entretenir ses soldats. Cela impliquerait aussi des casernes et des forts à maintenir sur le long terme. Sur le modèle de la France de Charles VII cette évolution aurait pu commencer par quelques compagnies avant de s’étendre. En plus de l’infanterie à la chinoise le shogun Sakanoue no Tamuramo aurait sans doute créé aussi des compagnies d’archers et une élite à cheval capables de rivaliser avec les Emishi.
L’ampleur de la tâche nous permet de comprendre pourquoi une solution plus « économique » fut finalement choisie mais l’urgence de la guerre contre les Emishi aurait pu permettre de surpasser les oppositions au sein de l’aristocratie pour ce qui aurait été une véritable révolution militaire. Sakanoue no Tamuramaro n’a pas vaincu Aterui uniquement par la force militaire mais surtout par la négociation et sa stratégie de division, plusieurs tribus ralliées pouvaient finalement être intégrées en devenant des troupes auxiliaires installées sur leurs terres pour assurer la sécurité. Le recours à une levée locale n’a pas été la condition de la pacification et les Emishi se seraient soumis en fin de compte.
Une telle évolution militaire ne pouvait cependant pas se faire sur le seul règne de Kanmu (781-806), heureusement ses fils (Heizei, Saga, Junna) lui succédèrent, assurant une cour forte et stable sur une génération ou plus avant que les premières disputes de cour apparaissent à l’époque de l’empereur Ninmyô. L’empereur n’aurait pas pour autant été un souverain soldat, la charge des décisions militaires aurait été entre les mains d’une administration conduite par des nobles de cours spécialisés, nous y reviendrons.
Transformations d’un Japon militarisé
Une armée impériale permanente, même réduite en temps de paix, aurait changé beaucoup de chose durant l’époque Heian. Une des caractéristiques de cette période fut le repli de la cour sur elle-même avec un désintérêt croissant au IXe et Xe siècle des affaires des provinces. La cour continuait à envoyer des gouverneurs et à traiter les demandes des provinces mais sa gestion était surtout préoccupée par le maintien du paiement des impôts et le respect des règles édictées à Heiankyô. Cette gestion passa de plus en plus par le maintien de relations personnelles entre les nobles de la cour, qui disposaient de domaines en province, le shôen, et des familles locales, souvent les chefs de bushidan. Le problème récurrent devint rapidement le maintien de la sécurité face au banditisme provoqué par les nombreuses mauvaises récoltes ou la mauvaise gestion. L’insécurité ambiante est presque généralisée au Xe siècle et les familles guerrières furent employées par les nobles ou missionnées par la cour pour l’enrayer sans succès.
L’existence d’une armée régulière aurait pu servir de force de police pour sécuriser les domaines et les villages ainsi qu’un débouché pour les paysans ruinés cherchant à s’enrôler. L’administration militaire, parallèle de l’administraton civile comme cela se voyait ailleurs en Chine et en Corée aurait affermi la présence de l’Etat, son contrôle mais aussi son implication dans les provinces. La cour d’Heian n’aurait pas eu la possibilité de se retrancher loin des aléas que connaissait le pays. La capacité à gérer des magasins pour l’entretien de l’armée aurait aussi augmenter ses capacités de gestion des ressources et des revenus en cas de disette. Point négatif pour les paysans, cela se serait probablement accompagné d’impôts plus lourds.
Il est fort à parier que l’existence de familles nobles spécialisées dans les carrières militaires aurait entraîné des monopoles avec des transmissions pratiquement héréditaires des charges comme cela se vit dans les charges civiles de l’administration. Le IXe siècle vit la mainmise croissante de la famille Fujiwara sur la cour jusqu’à s’assurer, par les femmes, d’une régence quasiment ininterrompue. Dans ce contexte les Fujiwara se seraient aussi assurés du contrôle de l’administration militaire en accaparant ses hautes fonctions au profit des membres du clan ou de ses alliés. Avec une telle évolution, des familles nobles mineures comme les Seiwa Genji ou les Taira Kanmu auraient effectivement existé mais se seraient retrouvées bloquées dans des charges subalternes dans une armée dirigée par de hauts fonctionnaires, souvent absentéistes. Il n’y aurait pas eu de place pour le développement de dynasties guérrières détachées de la cour. Rien ne permet d’indiquer que les empereurs auraient conservé leur rôle actif sur le gouvernement comme à l’époque de Kanmu et de ses fils.
Où arrivons-nous finalement avec ces raisonnemment? Le Japon Heian que nous dépeignons ressemble beaucoup plus à ce qui pouvait se rencontrer dans les monarchies voisines, la Corée de la période Silla ou la Chine des Tang. On peut imaginer des évolutions semblables, surtout en tenant compte des ambitions des chefs militaires qui finirent par renverser les Tang et se partagèrent les dépouilles du Silla au Xe siècle. Il est cependant une autre conséquence à examiner, les Tang et le Silla utilisèrent leurs armées pour la sécurité à leurs frontières et pour mener des expéditions militaires. Le Japon Heian « militarisé » n’aurait pas eu cette opportunité d’un ennemi à maîtriser à ses frontières et l’entretien de l’armée aurait représenté un poids financier important, sans parler là encore des ambitions d’officiers. Il est facile d’envisager que le Japon d’Heian aurait finalement envisagé d’utiliser sa force militaire pour s’étendre et prendre du butin.
A la conquête du monde
La direction d’une éventuelle expansion militaire du Japon aurait été simple à trouver. Le Silla était le seul Etat voisin du Japon avec des richesses notables. C’est de là que venaient les marchands étrangers qui y transitaient au départ de la Chine. Le Japon Heian de notre véritable histoire tenta de contrôler l’accès à ses îles par le Dazaifu dans le Kyûshû. Il s’agissait d’un véritable bureau de contrôle des étrangers chargé de gérer leur arrivée et de rapporter leurs intentions à la cour. Mais dans notre alternative la cour aurait pu être tentée par une politique plus proactive en s’implantant dans les ports coréens. La dynastie impériale pouvait même se targuer de liens avec l’ancienne famille royale du Baekje (royaume coréen rival et conquis par le Silla au VIIe siècle) puisque la mère de l’empereur Kanmu était une descendante des Kudara (la branche exilée au Japon de la famille royale déchue du Baekje). De plus le Japon pouvait être tenté de profiter du déclin du Silla qui au IX-Xe siècle était en train de se dissoudre (et vit la résurgence temporaire du royaume du Go-Baekje).
Le Japon Heian « militarisé » serait-il devenu un acteur dans les luttes de la péninsule coréenne à la chute du Silla. Des historiens nationalistes japonais assurent que le petit Etat intitulé « Gaya » avant l’unification de la Corée était une « colonie » japonaise et les chroniques du Silla considèrent les Japonais comme des ennemis dont les pirates ravageaient les côtes. Par ces exemples historiques, l’idée d’une implantation militaire agressive de la cour impériale dans la péninsule n’est pas si difficile à imaginer. La Corée a connu une période d’anarchie de 892 (début des séparatismes locaux) jusqu’en 936 (émergence de la nouvelle dynastie du Goryeo), une période durant laquelle le Japon aurait pu se mêler des affaires de la péninsule. Quant à savoir si le Japon Heian aurait été capable de conquérir une partie ou toute la péninsule coréenne au Xe siècle, est difficile à juger et nous mène au bout de ce que l’on peut raisonnablement imaginer.
Paradoxalement, un Japon sans samurai aurait donc pu déboucher sur des visées expansionnistes au Xe siècle. Les guerriers japonais auraient-il débarquer en Corée avec plus de 5 siècles d’avance? Ce Japon Heian, plus compatible avec ses voisins, ne serait pas resté isolé des évolutions du continent mais aurait pu en devenir un acteur à part entière. La Chine (alors en cours de rétablissement sous la nouvelle dynastie Song) n’aurait probablement pas manquer de réagir à une présence japonaise en Corée. La cour d’Heian aurait-elle été capable de représenter une menace pour le continent et pour la Chine elle-même? Les implications d’un Japon actif et intégré dans les vicissitudes de l’aire chinoise sont à partir de là trop étendues et complexes pour être décrites. A ce stade ce ne serait déjà plus le Japon tel que nous pouvons nous le figurer.
Chronologie fantaisiste
773 : Début de la révolte des Emishis dans les provinces de Dewa et Mutsu. Prise du château de Taga.
781 : Montée sur le trône de l’empereur Kanmu, il s’occupe cependant d’abord de l’affaire du transfert de la capitale depuis Nara.
789 : Victoire Emishi à la bataille de la rivière Koromo, Aterui, chef des Iwasa emishi prend la tête de la révolte.
794 : Transfert de la capitale à Heian-kyô (Kyôto), Début de la réforme militaire avec la création d’une armée permanente, Sakanoue no Tamuramaro en est nommé commandant avec le titre de Seii Taishogun.
801 : Tamuramaro obtient la soumission des Emishi en intégrant certaines tribus dans l’armée impériale parmi lesquels le clan Abe. Exécution d’Aterui.
806 : Décès de l’empereur Kanmu, son fils Saga lui succède.
811 : Mort du shogun Tamuramaro qui devient un personnage révéré dans les provinces du Nord.
IXe siècle : poursuite de la colonisation militaire du Nord sous la conduite de Chinjufu shogun (généraux du Nord). l’administration militaire est étendue à tout le pays. A partir du règne de Seiwa les membres de la famille Fujiwara assument le contrôle héréditaire de l’armée, laissant les officiers locaux une vaste autonomie.
900 : En plein déclin, le royaume coréen du Silla laisse le rebelle Gyeon Hwon restaurer l’ancien royaume du Baekje (Hubaekje).
918 : le général coréen Wang Geon fonde le royaume de Gôryeo au Nord de la péninsule et attaque le Hubaekje. Gyeon Hwon fait appel à l’empereur du Japon pour l’aider à tenir. L’empereur Daigo, au nom d’anciens liens de famille accepte et ordonne l’envoi de troupes en Corée.
922 : Les troupes du Hubaekje et du Japon prennent et saccagent l’ancienne capitale du Silla et en ramènent un énorme butin d’or dont la majeure partie est envoyée à Kyôto. Gyeon Hwon est renversé par son fils Gyeon Singneom qui jure fidélité à l’empereur du Japon.
934 : Mort de Wang Geon face aux Japonais, le royaume de Gôryeo s’effondre et la majeure partie de la péninsule (hors le royaume du Balhae au Nord) devient province de l’empire japonais.
940 : Révolte de Taira no Masakado, officier provincial qui tente de se rendre indépendant. La répression de la part de l’armée centrale permet de purger l’armée de ses officiers les plus indépendants et restaurer l’ordre dans les provinces.
Xe siècle : Avec la conquête de la Corée le port de Hakata se développe pour devenir la deuxième ville du pays autour de l’administration du Dazaifu. les richesses affluant du commerce avec la Chien encouragent l’ubrnaisation du Nord du Kyûshû et le long de la mer intérieure. Fondation du port de Naniwa (Osaka) qui ravitaille la capitale. Renforcement de la marine japonaise.
960 : Taizu devient le premier empereur chinois de la dynastie Song. La réunification rapide de la Chine limite les ambitions japonaises. l’empereur Murakami signe un traité avec Taizu pour lutter ensemble contre la menace des nomades du Nord. L’empire japonais installe des colons-soldats à ses frontières, ces combattants à cheval fonderont de véritables seigneuries locales avec le temps.
1005 : Les troupes nippo-song remportent la victoire contre la dynastie barbare Liao et sécurisent leur frontière Nord. Début des échanges fructueux entre les deux cours qui se reconnaissent comme égales.
XIe siècle : Face au brigandage causé par les mauvaises récoltes et la lourdeur des taxes la cour mène une politique sévère, les récalcitrants sont envoyés coloniser les terres coréennes tandis que l’armée mène de vastes opérations contre les brigands. Kyôto se dote de murailles. Minamoto no Yoriyoshi est nommé shogun (généralissime).
1063 : Minamoto no Yoshiie mate la révolte du clan Abe dans le Nord du Japon. Issus des anciens Emishis, les Abe s’étaient érigés en princes autonomes de la cour. Le pouvoir central reprend ainsi le contrôle de ses provinces les plus lointaines. Yoshiie prend la suite de son père comme shogun. Début de la mainmise héréditaire des shoguns Minamoto. Ils prennent parti pour l’empereur Go-Sanjô pour l’aider à restaurer l’indépendance de l’autorité impériale face aux régents Fujiwara.
1125 : Expédition Song-Japon contre la dynastie Liao en déclin avec l’aide d’alliés Jurchens. L’empire Liao est détruit mais les Jurchens trahissent et envahissent le Nord de la Chine.
1127 : Intervention des troupes japonaises en Chine contre l’envahisseur jurchen. Les Jurchens sont repoussés par la cour impériale de l’empereur Qinzong tombe sous le contrôle du général japonais Minamoto no Tameyoshi. Refusant le protectorat un empereur rival, Gaozong, se proclame au Sud et fonde les Song méridionaux. Le Nord de la Chine tombe sous le contrôle militaire de l’empire japonais. L’armée, sous les Minamoto est auréolée du prestige des victoires militaires et du butin
1156 : Guerre civile de Hôgen. La cour impériale se divise entre l’ancien empereur Sutoku et l’empereur Go-Shirakawa. L’armée prend parti pour Go-Shirakawa et devient l’arbitre des luttes politiques à Kyôto.
1160 : Guerre civile de Heiji. Le shogun Minamoto no Yoshitomo se révolte contre Go-Shirakawa mais est vaincu par son rival Taira no Kiyomori. Purge du clan Minamoto mais début de la tyrannie militaire de Kiyomori. Le contrôle sur les vassaux continentaux est renforcé.
1161 : Mort de l’empereur Song Qinzong. L’empereur Go-Shirakawa se proclame empereur de Chine avec Kiyomori comme généralissime sur le continent. Début de la dynastie Wa en Chine.
1181 : Mort de Kiyomori, Guerre du Gempei. Les Minamoto reprennent le pouvoir et Yoritomo se proclame shogun sur le Japon, la Corée et la Chine, en dépit de la cour. Début du Moyen-âge japonais.
1205 : Les Mongols de Gengis Khan envahissent pour la première fois l’empire de la dynastie Wa. Déclin de l’empire japonais sur le continent.
Un Japon sans Kamikaze (XIIIe siècle, période Kamakura)
Le Kamikaze en question (avec la majuscule) est le fameux typhon qui aurait repoussé les invasions mongoles sur le Japon en 1273 et 1281. Ce « vent divin », qui est entré dans le récit national japonais, n’est d’ailleurs pas certain mais il s’agit de représenter un Japon où l’invasion du Japon par la dynastie mongole Yuan aurait entièrement ou partiellement réussi à conquérir l’archipel et d’imaginer un Japon sous la botte continentale.
Contexte historique
A la fin du XIIIe siècle le Japon est dirigé par la famille Hôjô avec la fonction de régents pour le compte des shoguns Minamoto qui n’ont cependant aucun pouvoir. Parallèlement la cour impériale continue à exercer une forte influence culturelle, politique et économique. A ce moment les deux pouvoirs, Kamakura et Kyôto, coopèraient encore même si leurs relations étaient en train de s’envenimer. La mort du régent Hôjô Tokiyori en 1263 laissait un enfant trop jeune pour lui succéder, le futur régent Tokimune. Hôjô Nagatoki et Masamura, les deux régents suivants devaient permettre de laisser à Tokimune le temps d’accéder à l’âge d’homme mais ils représentaient un pouvoir instable que d’autres vassaux du shogunat s’empréssèrent de mettre au défi, menant des complots avec l’assentiment discret de la cour impériale. Hôjô Tokimune, qui était officiellement le patriarche (bien jeune), Tokusô, des Hôjô assuma finalement la régence en 1268 mais dû s’imposer lors de la révolte de février 1272 (appelée aussi le Nigastu-sodo) contre des branches rivales de sa propre famille. A partir de là le Tokusô put imposer son autorité de manière absolue sur le shogunat.
La menace mongole
Cette séquence de troubles internes coïncida avec le début de la menace mongole. En 1260, Kubilay Khan était devenu le 5e empereur mongol. Il avait encore à finir la conquête de la Chine dont le Sud était toujours dirigé par la dynastie Song, plus au Nord la conquête de la Corée de la dynastie Goryeo était encore à compléter. C’est vers 1266 que l’empereur mongol envoya une première ambassade vers le Japon, on estime alors qu’il ne s’agissait pour lui que de s’assurer que les Song n’obtiendraient aucun soutien de ce côté. Les ambassadeurs eurent des difficultés à aborder le Japon et durent faire plusieurs tentatives pour être admis au Dazaifu qui était alors littéralement la porte d’entrée officielle du Japon. Une fois arrivés sur place en janvier 1268, les missives envoyées à Kamakura restèrent lettre morte. Il faut y voir de la part des Hôjô l’assurance que procurait l’éloignement du continent, la méconnaissance et les préoccupations politiques locales plus urgentes. Les demandes suivantes se firent plus pressantes en 1271, l’affront diplomatique et l’insistance du Goryeo à poursuivre les missions aidant, Kubilay demandait désormais une soumission formelle au grand Yuan. Cette fois-ci Kamakura dut convenir avec la cour impériale de ne pas donner suite et de résister. Tokimune semble encore avoir espéré que rien ne suivrait mais la cour ordonna tout de même des prières pour repousser l’ennemi. A partir de là une flotte fut mise en chantier en Corée par des réquisitions et le travail forcé, de son côté le shogunat commença à préparer la surveillance des côtes confiée aux clans Shoni et Ootomo.
La première invasion, appelée la guerre de Bunei, vit traverser une flotte transportant peut-être 30 000 hommes, Coréens, Hans de Chine, Jurchens et Mongols sous un commandement tout aussi diversifié. Ils arrivèrent sur la côte du Nord du Kyûshû en novembre 1274 après avoir ravagé l’île de Tsushima et les îles Iki. Les différents récits du côté japonais rapportent les exactions commises sur les populations locales. La fameuse tentative d’invasion est un évènement bien connu mais relativement bref puisque les Mongols ne restèrent guère plus d’une semaine sur place. Les récits montrent que dans un premier temps les samurais tentèrent de combattre selon leur pratique habituelle du duel avec des résultats désastreux face à une armée organisée mais qu’ils commençèrent rapidement à s’adapter. L’essentiel des combats furent des affrontements d’archers et les Mongols brulèrent Hakata sans pour autant installer de têtes de pont. Les troupes rembarquaient le soir pour se mettre à l’abri. Rapidement elles firent face au manque de flèches et aux attaques nocturners de samurais sur de petits navires. La décision de repartir fut prise semble-t-il assez facilement, aucune tempête particulière n’est mentionnée dans les sources qui justifierait l’idée que la flotte mongole fut détruite mais à leur retour en Corée le nombre de navire était plus réduit, ce qui est généralement imputé aux dfficultés de la traversée de retour. Cette première tentative n’est plus aujourd’hui interprétée comme une réelle tentative d’invasion, après tout les Mongols n’étaient que 30 000, trop peu pour conquérir et trop peu équipés (comment expliquer qu’ils aient été à cours de flèches en à peine deux jours?) Si on considère les pratiques des Mongols il semble que la guerre de Bunei ait été une reconnaissance pour s’informer sur les côtes et les forces de l’ennemi. Ils n’avaient aucune intention de rester.
La guerre de Kôan
Kubilay Khan avait alors toute son attention concentrée sur les dernières phases de la conquête des restes de l’empire Song au Sud. L’ambassade suivante vers le Japon n’arriva qu’en 1275, menée par Du Shizong, un important officier de la cour du Yuan. Hôjô Tokimune le fit exécuter avec sa suite. Une autre ambassade fut exécutée en 1279. La perte d’un officier de cour important n’était plus pardonnable et en 1278 les Song ayant été soumis, Kubilay pouvait dès lors s’occuper du Japon. La conquête de l’archipel devait permettre aussi d’utiliser l’ancienne armée des Song passée au service du Yuan. Sur les 140 000 hommes envoyés cette fois-ci, 100 000 étaient des Hans venant du Sud de la Chine. Les fouilles de navires mongols montrèrent la présence de matériel agricole sur les navires qui laisse penser que ces soldats devaient être installés comme colons sur les terres conquises. La déportation ou les transferts de population était une autre pratique courante chez les Mongols. Ils embarquèrent en 1281.
De son côté le shogunat s’était préparé. Les défenses avaient été construites dont le Genko Borui, un mur côtier devant empêcher le débarquement. Parfois haut de deux mètres il devait permettre aux samurais se défendant avec des boucliers de bois d’avoir une position dominante sur l’adversaire. Tout montre que les leçons de 1274 avaient été retenues, il n’était plus question de se battre selon les us des samurais mais en tant que force unie. Des gokenins (vassaux directs du shogunat) furent mobilisés depuis le Kantô tandis que des clans du Kyûshû étaient à titre exceptionnel intégrés dans la vassalité du shogun. Prières et incantations se multipliaient du côté de la cour impériale. 40 000 Japonais s’opposèrent à l’arrivée des Mongols en juillet 1281. La guerre de Kôan fut un désastre pour les Mongols. Il semble bien cette fois-ci qu’un typhon, ou au moins une tempête (signalée par des sources indépendantes) détruisit une bonne partie de la flotte mais d’autres raisons s’y ajoutent. D’une part toute l’armée mongole n’était pas arrivée, la force principale venue de Chine (100 000 hommes) n’arriva qu’après les 40 000 hommes venus de Corée. Ceux-ci subirent de nombreuses attaques nocturnes surprises par des samurais embarqués sur des barques difficiles à repérer. Les Samurais avaient la protection de leurs défenses et une meilleure connaissance de leur ennemi. La tempête ou typhon semble avoir détruit peut-être les 2/3 de la flotte mongole qui dut repartir.
Pour les Japonais la victoire n’était pas encore acquise. Hôjô Tokimune resta toute sa vie convaincu qu’une troisième invasion restait possible, les défenses furent maintenue. Kubilay Khan lui-même semble l’avoir envisagé avec des ordres dans ce sens donnés en 1287 mais il décéda en 1294 sans qu’une nouvelle expédition ait été réellement mise sur pieds. Des navires chinois égarés sur les côtes japonaises en 1301 furent interprétés comme une tentative de débarquement et repoussés. La peur des Mongols resta dans les mémoires et peut être retrouvée dans des chansons et même des comptines. La victoire, finalement considérée comme telle, fut mise sur le compte de la protection des dieux du Japon et ancra la croyance de l’inviolabilité des îles japonaises. Les prières de la cour impériale renforçèrent le prestige de l’empereur, vu comme intermédiaire avec les dieux, descendant de ceux-ci et protecteur du pays. Au contraire la régence de Hôjô commença à décliner face à des évolutions sociales directement liées à la guerre (notamment l’impossibilité de récompenser les vassaux par du butin dans une guerre purement défensive).
Le développement
Qu’est-ce qui aurait pu faire dérailler l’histoire à ce point du récit? La guerre de Bunei n’ayant été probablement qu’un essai il est exclu d’en faire le coeur du changement. Comment faire pour faire réussir l’invasion de la guerre de Koan? L’absence du vent divin en juillet 1281 serait déjà une condition indispensable mais cela ne suffit pas. Une des causes de la défaite semble avoir été une mauvaise coordination entre la flotte arrivant de Chine et celle venant de Corée. Elles n’ont pas débarqué au même moment ni au même endroit. Une idée courante veut que les navires aient été inadaptés ou construits trop vite, pilotés par des sujets Hans et Coréens réquisitionnés de force et peu entousiastes, même si c’est discutable. Disons que l’expédition ait été mieux coordonnée, mieux préparée avec un délai d’une année supplémentaire ou plus simplement plus chanceuse?
La conquête du Japon
Le 140 000 hommes de Kubilay Khan auraient débordé les défenses japonaises et ses 40 000 hommes. Le Genko Borui n’était qu’un mur et non une muraille fortifiée, rien à avoir avec la Grande Muraille de Chine. Ce mur était aussi discontinu, pouvant laisser passage en certains points. Sans vouloir faire de la reconstitution militaire dans un fauteuil, le mur passé les Mongols auraient utilisé leur cavalerie et auraient pu se répandre plus rapidement. Dans le même temps une politique de terre brulée et de terreur dans le Nord du Kyûshû aurait poussé les populations à fuir, répandant la crainte dans les provinces avoisinantes. La bataille d’Hakata gagnée les Mongols n’auraient pas eu de peine à s’emparer du reste du Kyûshû, beaucoup de clans samurais se seraient simplement ralliés dans l’espoir d’étendre leurs domaines et de toucher des récompenses d’un maître qui, de toute manière, était aussi lointain que l’empereur ou le shogun. Les Mongols eux-mêmes avaient l’habitude d’accueillir de tels ralliements dans leurs rangs. Et la suite?
On peut à partir de là utiliser un exemple proche, celui de la Corée. Le royaume du Goryeo résista héroïquement en son temps contre Ogodei Khan à partir de 1231 mais six campagnes militaires, utilisant souvent l’arme de la terreur et les destructions systématiques eurent raison de la résistance coréenne. La monarchie s’était réfugiée dans des îles inaccessibles des Mongols mais dut finalement s’incliner et se soumettre. Un résistance militaire persista pendant des dizaines d’années, particulièrement dans les montagnes mais ne put empêcher la soumission du pays et se transforma souvent en simple banditisme. A la veille de l’invasion du Japon la révolte de Sambyeolcho continuait à entretenir l’espoir de libération. La dynastie coréenne soumise perdit la moitié de son territoire au Nord dont les provinces furent intégrées à l’empire yuan et colonisées par des peuples d’autres régions de l’empire. Le fils du roi Wonjong, le futur roi Chungnyeol, fut envoyé à la cour de Kubilay pour y être éduqué et parvint à obtenir la main d’une princesse mongole (honneur peut-être dû à son rôle d’intermédiaire indispensable à l’invasion du Japon qu’il poussa de son influence). La cour coréenne se « mongolisa » en adoptant le vêtement et les coutumes de l’envahisseur. La domination mongole se payait par un lourd tribut en biens de Corée, en particulier du ginseng et des chevaux de l’île de Jeju pour la cavalerie mongole.
On peut dès lors imaginer qu’entre 1281 et 1294 Kubilay Khan aurait eu le temps de lancer plusieurs campagnes de pacification d’abord dans le Kyûshû puis le long de la mer intérieure jusqu’à rejoindre Kyôto puis finalement arriver à Kamakura. Dans une guerre de longue haleine sur terre les samurais japonais qui ne disposaient pas de logistique n’auraient pas été en mesure de s’opposer longtemps aux Mongols. Ceux-ci auraient bien sûr surtout contrôlé le grand axe Ouest-Est et les plaines. Les montagnes seraient restées longtemps le refuge de clans samurais hostiles et le Nord du Japon serait resté peut-être trop éloigné pour y imposer un contrôle. Il faut cependant parier que les clans ralliés aux Mongols auraient été tout aussi nombreux, récompensés par des terres, des charges et plus simplement par les biens de leurs voisins. Pour le bien de notre reconstruction partons du principe qu’en 1300 l’essentiel du Japon entre le Kyûshû et Kamakura serait tombé entre les mains du grand Yuan.
Le Japon mongol
Quel aurait été le statut du Japon conquis? Toujours sur le modèle de la Corée on peut envisager que le Nord du Kyûshû (voir toute l’île) aurait détaché du Japon dans une province de l’empire yuan où les soldats hans ainsi que des Coréens auraient été installés comme colons parallèlement aux domaines des clans samurais ralliés. Les îles d’Iki et Tsushima pourraient être attribuées aux rois du Goryeo comme récompense. Hakata, port ouvert vers la Corée et la Chine, aurait été la capitale naturelle de cette province et se serait transformée en ville commerçante dynamique et cosmopolite. La population du Kyûshû aurait été totalement transformée en une génération. Mais le reste du pays?
La dynastie des régents Hôjô, s’ils ont survécu à la conquête, auraient probablement payé le prix de la défaite en étant éliminés par leurs rivaux au sein des gokenins du shogunat (Ashikaga ou Nitta par exemple avaient des raisons de se considérer comme plus légitimes pour gouverner les guerriers). En Corée les généralissimes de la dynastie Choe, qui dirigeaient de fait la Corée alors avaient été de la même manière déposés après la conquête. La question centrale aurait été bien sûr que faire de l’empereur lui-même. Pour gouverner le Japon vassalisé, le grand Yuan aurait eu besoin de la dynastie légitime en poste et obéissante. De la même manière qu’en Corée on peut supposer que le roi du Japon (il aurait pu difficilement conserver le titre d’empereur face au seul véritable empereur en Chine) aurait été maintenu. L’empereur sur le trône à cette période, Go-Uda, est resté dans notre version de l’histoire comme celui qui par ses prières mobilisa les dieux du Japon à protéger l’archipel. Dans cette version, abandonné par les Hôjô et les samurais, face à l’invasion des terrifiants Mongols, il se serait soumis.
La dynastie impériale était alors divisée en deux branches rivales qui alternaient sur le trône. Go-Uda appartenait à la branche Daikakuji-tô et, selon la pratique convenue d’alterner les deux branches, devait laisser le trône à l’empereur Fushimi de la branche Jimyôin-tô. Dans cette alternative les Mongols auraient conservé une seule branche sur le trône et le futur empereur Go-Nijô, fils de Go-Uda, aurait probablement été envoyé à Pékin pour y devenir un bon vassal du Yuan. Il y aurait peut-être été marié, pas à une princesse (sauf si les circonstances le nécéssitait) mais une fille de grand officier de cour mongol ou han. Les Mongols se seraient assurer d’une dynastie « mongolisée » sur le trône au Japon qui aurait gouverné avec des agents de la cour mongole, des darugachi, fidèles qui auraient contribué à « civiliser » la cour de Kyôto. On peut imaginer cependant que la branche Jimyôin-tô de la dynastie incarnée par Fushimi aurait pu se réfugier loin au Nord pour établir une cour impériale parallèle défendue par des samurais fidèles sur le modèle de notre période Namboku-chô durant laquelle deux cours impériales coexistèrent pendant plus de 50 ans.
Transformations sociales et économiques
Le Japon pouvait avoir un intérêt pour les Mongols, comme pour la Corée un tribut aurait été prélevé selon les besoins de l’empire et le principal besoin était d’avoir des chevaux. Les samurais japonais montaient des chevaux de petite taille de race Kiso qui auraient parfaitement convenus aux cavaliers mongols. La province d’Owari et la vallée de Kiso en particulier seraient devenus des haras importants pour l’administration mongole. D’autres produits de valeur auraient été l’artisanat du laque ainsi que les sabres japonais déjà réputés pour leur qualité. Le Japon aurait dès lors été ouvert aux échanges commerciaux avec l’empire yuan et la Corée beaucoup plus que dans notre version de l’histoire, le pays se seraient pratiquement orienté vers l’Ouest avec l’urbanisation d’Hakata et le développement de ports le long de la mer intérieure jusqu’à Kyôto et l’équivalent de notre port d’Osaka. Au-delà de la province d’Owari (Nagoya), le Kantô et Kamakura n’auraient été qu’un arrière pays provincial et une marche militaire excentrée.
L’apport de populations han, mongole et coréenne aurait aussi profondément modifié la composition ethnique du Kyûshû et des centres urbains avec l’installation de marchands, de propriétaires terriens, de fonctionnaires et de soldats venus de tous l’empire. Avec eux, et comme dans le reste de l’empire yuan, ce sont des savoirs, des techniques nouvelles qui auraient été importées, permettant un décollage de l’agriculture japonaise souvent encore tributaire de son environnement. Comme en Corée, une fois passé le choc de la conquête la population aurait augmenté. Les élites de Kyôto et les samurais ralliés se seraient non seulement mongolisés mais auraient aussi eu un accès beaucoup plus intense à la culture chinoise classique et à la doctrine confucéenne, se calquant sur les modèles du continent. La cour du grand Yuan voyait aussi l’arrivée de marchands et de savants d’autres régions, les chrétiens nestoriens et les Persans musulmans n’étaient pas inconnus à Pékin, certains auraient pu faire le voyage jusqu’au Japon, notamment un certain Marco Polo qui aurait alors eu l’occasion de visiter son mythique Cipango. Le Million qu’il rédigea plus tard serait alors devenu une nos sources sur la chute pathétique des samurais dont il aurait été le contemporain.
La chute des Mongols
La domination mongole n’a cependant pas été éternelle. De nombreuses rebéllions internes et le déclin de la dynastie ont mené à un repli progressif dans la première moitié du XIVe siècle. La Corée du roi Gongmin a été en mesure de se défaire de l’influence mongole à partir de 1350. Par extension, une région plus excentrée comme le Japon aurait pu commencer à secouer son joug un peu plus tôt. La personnalité d’un empereur actif et indépendant comme Go-Daigo (1318-1339) et son fils Go-Murakami (1339-1368) aurait pu coïncider avec un début d’émancipation et une évacuation de l’archipel au milieu du XIVe siècle. La dynastie coréenne du Goryeo n’a de son côté pas profité de sa libération, jugée incompétente et corrompue elle fut finalement renversée par une nouvelle dynastie militaire qui prit le nom de Joseon. Cette dynastie entreprit de redonner à la Corée sa grandeur et d’effacer l’influence mongole (tout en étant un fidèle vassale de la Chine de la dynastie Ming). De la même manière les descendants de Go-Daigo auraient probablement à faire face à l’opposition de la branche parallèle installée au Nord et soutenue par des samurais fidèles.
Cette dynastie restaurée n’aurait probablement pas été délivrée de toute influence. Dans notre version de l’histoire la victoire sur le Mongols eu un impact important sur le prestige de l’institution impériale, faisant de l’empereur un être à part, intermédiaire avec les dieux. Dans cette evrsion l’effet contraire se serait produit, l’empereur, incapable de défendre le pays pas ses prières aurait perdu une partie de son aura sacrée de descendant des dieux. On peut raisonnablement imaginer que ces « empereurs du Nord » durant leur exil seraient tombés sous la coupe d’une famille de samurais portant le titre de shoguns, peut-être les mêmes Ashikaga que dans notre version de l’histoire. La question aurait été résolue à la fin du XIVe siècle en 1392 par Ashikaga Yoshimitsu qui aurait imposé son candidat, l’empereur Go-Komatsu, sur le trône à Kyôto dans le même mouvement de restauration nationale que le Joseon en Corée ou les Ming en Chine.
Ce nouveau shogunat aurait eu à faire avec une société japonaise très différente, plus urbaine, plus cosmopolite, plus ouverte sur le monde. Le Kyûshû, ancienne province mongole, serait-il devenu une province de la Chine des Ming ou de la Corée du Joseon, plus proche? Serait-il devenu un royaume autonome avec sa propre dynastie guerrière locale? Il est probable que des guerres auraient été menée pour restaurer le contrôle complet du shogunat sur l’archipel sans pour autant modifier les nouveaux équilibres sociaux et économiques. Le Japon n’aurait plus jamais pu se couper du reste de l’Asie. La dynastie restaurée ne se serait probablement pas considérée comme vassale de la Chine Ming à l’instar de la Corée Joseon mais si elle aurait pu s’impliquer dans les affaires du continent. On peut imaginer que l’intégration du Kyûshû dans les réseaux commerciaux du continent aurait fait augmenter les liens économiques avec la Corée qui aurait alors eu un avantage à s’assurer le contrôle de l’île, le Japon aurait-il mené des guerres contre le Joseon avec presque deux siècles d’avance pour la reconquête de ses îles?
Chronologie fantaisiste
1231 : Le Khan mongol Ogödei donne l’ordre de soumettre le royaume coréen du Goryeo.
1258 : Après 5 campagnes militaires dévastatrices, la roi du Goryoe se soumet, la Corée devient un protectorat mongol.
1260 : Kubilay Khan devient empereur de l’empire mongol de Chine, la dynastie Yuan.
1266 : Kubilay envoie la première mission diplomatique vers le Japon.
1268 : Hôjô Tokimune devient régent du shogunat de Kamakura
1271 : Une ambassade mongole arrive à Dazaifu dans le Kyûshû, ses lettres pour l’empereur et le shogun restent sans réponse. Face à l’affront, Kubilay ordonne au Goryoe de préparer une flotte.
1272 : Tokimune élimine ses rivaux lors de la révolte de Nigatsudô.
1273 : Elimination de la dernière résistance coréenne après la défaite de la révolte de Sambyeolcho.
1274 : Guerre de Bunei. Une flotte mongole dévaste les îles de Tsushima et Iki mais rebrousse chemin après acoir débarqué à Hakata, dans le Kyûshû. Le shogunat commence les préparatifs pour une seconde invasion.
1279 :Fin de la conquête de l’empire des Song méridionaux par les Mongols qui dominent désormais toute la Chine. L’ancienne armée Song est réutilisée pour le projet d’invasion du Japon.
1281 : Guerre de Kôan. Les Mongols et leur troupes coréennes et hans débarquent dans le Kyûshû et submergent les samurais Japonais. Toute l’île de Kyûshû passe entre les mains mongoles dans l’année.
1282 : Les Mongols passent dans le Honshû en traversant le détroit de Shimonseki. Leur flotte remonte la mer intérieure et incendie les ports jusqu’à la baie d’Osaka. Des troupes sont débarquées mais ne restent pas.
1284 : Troisième invasion du Japon. Cette fois-ci l’armée mongole poursuit vers l’Est et ramène sa flotte jusque dans le Kansai. Kyôto est prise et l’empereur Go-Uda est capturé par les Mongols qui le traitent avec égards. Les troupes du shogunat sont vaincues et peu de temps après Hôjô Tokimune est assassiné par les gokenins des clans Ashikaga et Nitta. Le shogunat se maintient mais connaît le chaos tandis qu’une branche latérale de la famille impériale se réfugie à Kamakura.
1286 : Quatrième campagne contre le Japon. Les Mongols remontent désormais jusqu’à Kamakura qui est abandonnée par les samurais. Ils emportent avec eux celui qu’ils ont proclamé empereur sous le nom de Fushimi et se réfugient dans les provinces de Mustu et Dewa. A Kyôto, l’empereur Go-Uda réçoit officiellement le titre de Roi du Japon de la part de Kubilay Khan et accepte de se déclarer son vassal. Le Kyûshû devient une province de l’empire Yuan tandis que les îles Tsushima et Iki sont données au roi coréen Chungnyeol.
1290 : Cinquième campagne mongole. Elle est surtout dirigée vers les périphérie de la mer du Japon et le Shikoku qui continuent à résister. Marco Polo accompagne l’armée en campagne et donne une description de la destruction de Cipango dans ses récits.
1294 : Mort de Kubilay Khan. Son successeur Temur Khan ne partage pas l’intérêt de son père pour le Japon et annule une nouvelle campagne militaire pour conquérir le Nord de l’archipel. Kamakura reste la limite Nord de l’influence mongole au Japon. Le royaume japonais vassalisé se voit confié à l’administration de conseillers mongols et coréens. Développement du port d’Hakata et du nouveau port d’Osaka. Les anciens soldats des Song se voient attribuer des terres à cultiver au Japon et fondent leurs villages.
1300 : Le Japon est désormais globalement pacifié malgré la persistance de la soi-disante cour du Nord désormais installée à Hiraizumi sous la protection d’une nouvelle dynastie shogunale incarnée par son chef, Ashikaga Ietoki. L’empereur du Nord dispose cependant des insignes impériaux et se considère comme légitime, il est cependant peu populaire auprès des guerriers qui lui reprochent la faiblesse de ses prières aux dieux. Au Sud, à Kyôto, la dynastie des rois du Sud gouverne sous la houlette des Mongols et modifie ses lois et ses poids pour correspondre aux standards mongols. Fort développement du commerce et de l’artisanat.
1328 : Après l’assassinat de Yesün Khan, l’empire Yuan sombre dans les rébellions et les désordres. A Kyôto, le roi du Japon Go-Daigo en profite pour évincer ses conseillers mongols et reprendre une totale liberté d’action.
1333 : Go-Daigo obtient l’évacuation des garnisons mongoles, rapellées vers le continent pour participer aux luttes de pouvoir et à la répression des révoltes paysannes. La même année cependant des navires hans venant de Chine apportent avec eux une épidémie de peste qui ravage le continent.
1336 : Go-Daigo ordonne aux Ashikaga du Nord de se rallier à lui et déposer son cousin et rival. Les samurais du Nord refusent et exigent l’abdication du roi « mongol » de Kyôto. Début de la période des cours du Sud et du Nord (Namboku-chô), une longue guerre civile qui durera jusqu’en 1392. Dans le même temps Go-Daigo ordonne la reconquête du Kyûshû qui s’était érigé en royaume indépendant sous la dynastie d’un prince coréen. Le royaume du Goryeo revendique le Kyûshû comme faisant partie de son royaume. C’est le point départ d’une guerre de 50 ans entre Japonais et Coréens pour le contrôle du Kyûshû. D’un côté comme de l’autre les communauté de soldats-colons chinois et mongols sont largement utilisés lors des différentes campagnes.
1395 : Ashikaga Yoshimitsu, shogun du Japon, signe un traité avec le royaume coréen du Joseon et la Chine des Ming. Les trois puissances font la paix et le Kyûshû redevient japonais, le commerce libre et sans entraves est garanti. Yoshimitsu se voit aussi reconnaître le titre de roi du Japon et décide enfin de se débarasser de la dynastie impériale, discréditée depuis son incapacité à empêcher la conquête mongole et ses compromissions durant leur occupation. déposition du dernier empereur du Japon.
Un Japon sans les Tokugawa (XVIIe siècle, période Edo)
Cette histoire alternative pourrait être dédiée à tous les fans du jeu Shogun : Total War (I ou II) puisqu’il prend sa source directement dans la période des guerres civiles du Sengoku Jidai. Cette période laisse une part importante aux individus charismatiques et à des évènements représentant des charnières de plusieurs tendances et époques, il en devient difficile de faire un choix sur l’altération à apporter. Certains ont leurs favoris : Oda, Takeda, Date etc. Pour ma part je considère que l’alternative la plus probable au shogunat d’Edo aurait été un Japon gouverné par les régents, kampaku, Toyotomi. Ce serait aussi l’alternative la plus porteuse de changements sur le long terme.
Contexte historique
On pourrait être tenté d’imaginer un Japon dirigé par les descendants d’Oda Nobunaga, sans doute le personnage le plus emblématique et controversé de la période, plutôt que son général Hashiba (Toyotomi) Hideyoshi. La différence entre Nobunaga et Hideyoshi est que le premier, malgré son prestige, n’est pas parvenu à fonder un régime stable et institutionnalisé. C’est peut-être parce qu’il est mort avant d’avoir pu le faire lors du coup d’Etat d’Honnô-ji en 1582. Toujours est-il qu’à sa mort Nobunaga n’avait pas de titre justifiant une autorité sur le Japon pour lui et ses descendants. Il n’avait pas créé d’institutions pour gouverner sur la longue durée et ne contrôlait pas encore tout le Japon. C’est l’une des raisons pour lesquelles Hideyoshi parvint à supplanter les Oda aussi rapidement après la conférence Kiyosu.
L’hégémonie des Toyotomi
De son côté Toyotomi Hideyoshi est parvenu à imposer sa paix sur tout le Japon après la conquête du Kyûshû en 1587 et la prise du château d’Odawara en 1590. Sans ennemis capables d’être de véritables rivaux il put réorganiser le pays selon ses souhaits, distribuant ou échangeant les domaines pour récompenser les familles alliées et vassales ainsi que punir les autres (les Tokugawa eux-mêmes reçurent les provinces du Kantô au terme d’un échange de ce genre). Alors qu’il progressait vers l’hégémonie militaire sur le Japon, Hideyoshi parvint aussi à instituer un régime politique cohérent. N’ayant pa pu se faire adopter par Ashikaga Yoshiaki, il ne pouvait prétendre devenir shogun. Il fut donc adopté en 1585 par Konoe Sakihisa et promut par l’empereur au rang de noble avec le nom de Toyotomi. La cour créa exceptionnement un honsei (nom de clan) nouveau pour lui et sa famille, le faisant rentrer dans la plus haute noblesse. Muni de ce nouveau statut il put se faire attribuer le titre de régent de l’empereur. Les régents impériaux étaient traditionnellement pris au sein du clan Fujiwara dont faisaient partie les Konoe mais le titre avait été vidé de tout pouvoir depuis la fin de l’époque Heian au XIIe siècle.
Hideyoshi s’insérait donc dans la hiérarchie traditionnelle de la noblesse de cour tout en étant à la tête de la hiérarchie des guerriers. Son autorité était légitimée par la victoire mais par le consentement de l’empereur même si ce dernier ne gouvernait pas. Etre noble n’empêchait pas Hideyoshi de gouverner comme un shogun, exerçant sa domination sur ses vassaux et ses alliés parfois convoqués directement à Kyôto, au palais Jurakudai (puis à Fushimi ou Osaka quand ces châteaux furent construits). Pour l’aider dans sa tâche il disposait autour de lui d’un cercle restreints de membres proches de sa famille comme son frère Hidenaga ou son neveu Hidetsugu. Les Toyotomi étant une famille récente ses membres n’étaient pas nombreux, pas assez pour gouverner à tous les niveaux, il fallut faire appel à des membres éloignés de cousins et frères de Nene, l’épouse d’Hideyoshi.
De manière artificielle, Hideyoshi attribua aussi avec libéralité à des proches l’usage des noms Hashiba et Kinoshita qu’il avait porté ainsi que l’usage de l’honsei Toyotomi qui faisait des bénéficiaires de véritables membres honoraires du clan, soumis à l’autorité du patriarche (Tokugawa Ieyasu reçut lui-même cet honneur et son propre fils Hideyasu avait été donné en adoption à Hideyoshi qui l’avait ensuite placé à la tête du clan Yûki pour le gouverner). Au delà de ces premiers cercles se trouvaient aussi une catégorie de serviteurs spécialisés dans les tâches administratives et fiscales, en particulier la gestion des magasins et des ressources du gouvernement, les bûgyô. Ces « commissaires » étaient issus de familles vassales mais souvent aussi de familles d’hommes nouveaux, des « nari-agarimono ». Toyotomi Hideyoshi était lui-même un homme nouveau mais la promotion de ces hommes répondait plutôt au besoin d’avoir des agents fidèles mais surtout dépendants de sa faveur et non influencés par des fidélités passées et des liens familiaux encombrants.
Le gouvernement des Toyotomi fut certainement une époque de prospérité économique qui fut permise par le retour de la paix. C’est aussi un début de remise en ordre de la société avec le début de la fermeture de la classe samurai, dès 1588, Hideyoshi ordonne des « chasses au sabre » afin de débusquer les faux guerriers sans pédigré (un comble si on se souvient qu’il était le fils d’un humble fantassin guère différent d’un paysan armé). De la même manière la grande réforme du cadastre fut lancée afin de déterminer une bonne fois pour toute la possession de terres et leur valeur fiscale. Les marchands de Sakai, déplacés vers Osaka devaient permettre de créer un nouveau centre marchand directement sous le château d’Osaka et donc sous le contrôle direct du gouvernement des Toyotomi. Le shogunat des Tokugawa, même s’il eu ses particularités, notamment l’accent mis sur l’idéologie néo-confucéenne, poursuivit les réformes et la remise en ordre lancée par les Toyotomi.
Les difficultés d’un règne
Le règne d’Hideyoshi après la pacification complétée en 1590 achoppa cependant sur deux dossiers. Le premier fut la guerre en Corée. Hideyoshi imposa littéralement une guerre d’agression contre la péninsule coréenne. On dit souvent que cette guerre avait pour but d’unifier les différents clans de samurais forcés à la paix mais en réalité une bonne partie des clans ralliés récemment, notamment les Tokugawa, ne participèrent pas directement à la guerre, les samurais envoyés sur place étant surtout issus des vassaux des Toyotomi. Il semble bien que la raison principale pour Hideyoshi soit à chercher vers la mégalomanie et un fumeux projet international, peut-être inspiré par Nobunaga, où la Corée aurait dû être un passage pour s’en prendre ensuite à la Chine des Ming. Dans la réalité la guerre en Corée, bien qu’initialement un succès foudroyant en 1592, devint un bourbier sanglant et destructeur qui poussa Hideyoshi à ordonner une deuxième invasion encore en 1597 alors qu’il était déjà affaibli et conscient de son décès prochain.
L’autre grande question du règne fut la succession d’Hideyoshi. La nièce de Nobunaga, O-cha, avait donné à Hideyoshi un fils prénommé Tsurumatsu en 1588 mais ce dernier était décédé en 1591. Sans héritier direct alors qu’il installait sa dynastie, Hideyoshi se résolut à adopter son neveu Hidetsugu et en 1592 lui céda la charge de régent. Hideyoshi lui-même devint Taikô (régent retiré) avec toute la réalité du pouvoir. Le problème fut que dès 1593 un nouvel enfant naquit. Hideyoshi revint sur ses projets de succession et finit par contraindre Hidetsugu au suicide en 1595 (avec l’ensemble de sa famille). Le jeune Kunimatsu (futur Hideyori) devait naturellement succéder à son père mais il était très jeune alors que la santé du Taikô était déjà déclinante. En 1598, Hideyoshi était mourant et dut se résoudre à aménager une régence pour son fils. N’ayant plus de parents directs il devait faire en sorte que son rival le plus puissant, Tokugawa Ieyasu, n’en profite pas pour s’imposer. Ieyasu fut coopté dans un conseil de régence composé de soutiens forts du régime des Toyotomi dont il aurait la préséance honorifique. Ce conseil des 5 régents, Go-Tairô, était accompagné d’une conseil de commissaires chargés de gérer les tâches administratives, les Go-bugyô, parmi lesquels se trouvait Ishida Mitsunari. De cette manière les Tokugawa devaient se trouver suffisamment entourés et surveillés pour mettre en échec Ieyasu, ce ne fut pas le cas. Ieyau utilisa son influence pour gagner les faveurs de nombreux alliés et vassaux des Toyotomi, multipliant les dons et les prêts, il traça son chemin par la corruption et les empiètements que les équilibres au conseil ne parvinrent pas à limiter. Il profita aussi de l’antipathie que provoquait Ishida Mitsunari envers des généraux importants du clan Toyotomi comme Katô Kiyomasa, Fukushima Masanori, Kuroda Nagamasa ou Hosokawa Tadaoki. Mitsunari, administrateur sévère, ne cachait pas dédain pour ces généraux et avait rédigé des rapports très critiques sur leurs actions en Corée.
Après la mort d’Hideyoshi en 1598, l’influence croissante d’Ieyasu profita de l’hostilité croissante contre Mitsunari. Ce dernier fut carrément expulsé de Fushimi après une explosion de violence en 1599 qui vit ses adversaires chercher à attaquer sa demeure, seule l’influence pacificatrice de Maeda Toshiie les ramena à la raison mais Mitsunari fut envoyé gouverner son château de Sawayama, officiellement disgracié. A Osaka le jeune Hideyori restait sous la garde de mère, dame de Yodo et de la veuve d’Hideyoshi, Kôdai-in. Les évènements qui conduisirent à la bataille de Sekigahara ne les impliquaient pas directement. Mitsunari parvint à monter une coalition de fidèles des Toyotomi, d’alliés du clan et d’opposants aux Tokugawa rassemblant la majeure partie des Go-Tairô. Homme de faible naissance, sans grande domaine ou parentèle, Mitsunari laissa le commandement de cette coalition à Morî Terumoto d’Hiroshima. Ce fut Uesugi Kagekatsu, autre Go-Tairô, qui dénonça publiquement les agissements de Tokugawa Ieyasu et provoqua ainsi la guerre en 1600. Elle déboucha sur la bataille décisive de Sekigahara.
Le développement
Sekigahara a été une victoire pour l’armée de l’Est dirigée par Tokugawa Ieyasu mais elle n’a pas été une victoire facile. Les combats de la journée furent longtemps indécis et dans les jours précédents Ieyasu avait été mis en difficulté. Il lui manquait près de 30 000 hommes que commandait son fils Hidetada et qui étaient retenus par les Sanada au siège du château de Ueda. De son côté Ishida Mitsunari avait aussi rencontré aussi des retards fâcheux. En quittant Osaka avec l’armée il ne fut pas accompagné par le chef théorique de cette armée, Môri Terumoto, qui répugnait à affronter directement Ieyasu. L’armée de l’Ouest fut aussi retardée par plusieurs étapes proches d’Osaka. Il fallut une partie de la fin du mois d’août à Ishida Mitsunari pour prendre le château de Fushimi où Torii Mototada, vassal de Ieyasu, s’était retranché. Il fallut conquérir le château qui fut défendu jusqu’au bout, entraînant une perte de temps et d’hommes. Plusieurs milliers de guerriers furent aussi contraints de participer au siège de Tanabe contre Hosokawa Yûsai, les commandants de cette armée étaient des élèves de Yûsai et répugnèrent à prendre le château d’assaut. Yûsai ne se rendit que 19 jours avant Sekigahara en ayant fixé pour une durée décisive des troupes qui auraient été précieuses.
Gagner la bataille de Sekigahara
Plus que tout, le sort de la bataille de Sekigahara dépendit du travail d’approche et de corruption mené en amont par Tokugawa Ieyasu. Sa principale cible fut Kobayakawa Hideaki. Ce jeune homme qui s’était distingué en Corée était un parent de Toyotomi Hideyoshi par l’épouse de ce dernier. Il s’était rangé du côté de l’armée de l’Ouest contre la promesse d’être nommé kampaku durant la minorité d’Hideyori. Il faisait cependant partie de ces généraux qui conservaient une forte hostilité contre Ishida Mitsunari pour ses rapports critiques sur les actions en Corée et avait négocié son ralliement à Ieyasu. Une fois la bataille commencée il se montra hésitant à prendre partie, restant l’arme au pied pendant plusieurs heures. Il entendait ainsi distinguer un vainqueur clair pour réduire les risques de se tromper de camp mais la confusion l’empêcha de se décider. Il fallut que Ieyasu fasse avancer des arquebusiers contre ses positions pour qu’il décide se retourner contre ses alliés. De la même manière les troupes des Môri, avantageusement situées sur les hauteurs ne participèrent pas à la bataille. Au moment décisif de la bataille ce furent presque 30 000 hommes qui changèrent de camp rapidement tandis que d’autres encore refusèrent de bouger pour Ishida Mitsunari.
Parmi eux se trouvaient les troupes des Shimazu de Satsuma. Shimazu Yoshihiro refusa de bouger au motif qu’il ne respectait pas Mitsunari qui avait repoussé peu avant sa proposition d’attaque nocturne contre le camp adverse, la jugeant peu honorable. De manière générale l’attitude cassante et peu encline au compromis coûta la victoire à Ishida Mitsunari. Imaginons donc que dès le départ le château de Tanabe ait été laissé de côté (il ne représentait que 500 hommes) et que le château de Fushimi soit tombé plus vite. L’armée de l’Ouest renforcée à Sekigahara aurait pu avoir plus tôt l’avantage. Shimazu Toyohisa n’aurait pas eu besoin de proposer son attaque nocturne et n’aurait pas été insulté par le refus de Mitsunari. Le jour de la bataille l’évolution aurait plus nettement tournée en faveur de Mitsunari, poussant Hideaki à intervenir à ses côtés ainsi que les autres troupes hésitantes. L’armée de Tokugawa Ieyasu, numériquement plus faible, pouvait alors être vaincue et même voir à son tour apparaître des défections. A la fin de cette journée, Tokugawa Ieyasu aurait été contraint au suicide pour ne pas être pris tandis que les restes de son armée étaient dispersés. Ishida Mitsunari triomphait. Et après?
Comme après la plupart des victoires à l’époque du Sengoku Jidai le temps du partage et des récompenses serait venu. Ishida Mitsunari lui-même n’aurait pas pu s’en charger de par son statut mais en accord avec Môri Terumoto et la mère de Toyotomi Hideyori il est probable que les alliés des Tokugawa auraient vu leurs terres confisquées ou réduites puis distribuées à des combattants méritants, notamment Uesugi Kagekatsu qui, au Nord avait retenu les forces de Date Masamune. Tokugawa Hidetada, face au suicide de son père n’aurait eu d’autre solution que de se soumettre et dénoncer les pratiques de celui-ci. Ses domaines auraient été réduits, amputés d’une partie de la plaine du Kantô, mais il aurait probablement gardé l’essentiel ainsi que le château d’Edo, il est même possible de le voir succèder à son père parmi les Go-Tairô, étant désormais inoffensif, après amende honorable auprès de la cour impériale. Des clans alliés des Tokugawa mais qui étaient redevables aux Toyotomi comme les Fukushima ou les Ikeda auraient tout perdu mais les Kuroda s’en seraient probablement accomodés. Kuroda Nagamasa avait combattu à Sekigahara mais son père était resté à guerroyer dans le Kyûshû sans prendre officiellement parti, un ralliement tardif aurait été négociable. Kobayakawa Hideaki aurait été nommé Kampaku avec des pouvoirs limités par les régents, une situation temporaire puisqu’il décéda en 1602. Au final l’après Sekigahara en cas de victoire de Mitsunari aurait été un retour à la normale.
La régence de Mitsunari
Ishida Mitsunari, auréolé de la victoire, serait devenu une puissance politique libre ou presque de gouverner pendant le reste des années de la minorité de Toyotomi Hideyori. Ces années auraient vu un renforcement de l’autorité centrale et de ses institutions d’autant plus rapide que cette fois-ci ce renforcement n’aurait pas été troublé par les ordres intempestifs du vieux Taikô. La paix avec la Corée aurait été négociée, ou simplement reconnue comme un état de fait. Cela aurait été l’occasion de voir fleurir la société telle qu’Hideyoshi en avait posé les bases. Une des différences entre les Tokugawa et les Toyotomi était que les premiers étaient des néo-confucéens stricts, provinciaux enrichis mais attachés aux valeurs et à la sobriété. Durant les 15 premières années du shogunat Ieyasu s’employa à ramener les classes de la société à l’ordre ancien fondé sur les 4 classes de la société confucéenne.
Les fêtes excessives, le foisonnement populaire d’Osaka et de Kyôto tel qu’illustré par la naissance du Kabuki selon la danseuse Okuni fut sévèrement contrôlé et ramené dans les limites de la décence telle que définie par le vieux shogun. Les représentations des rues de Kyoto au début du XVIIe siècle montrent une foule bigarrée de marchands, de paysans, de samurais en goguette et même de nombreux marchands étrangers (Portugais et Chinois). Les fêtes étaient splendides et de grandes danses entraînant la foule marquaient les évènements (comme le premier anniversaire de la mort d’Hideyoshi en 1599). Symbole de cette société bigarrée était le kabukimono, le samurai voyou issu d’une jeunesse guérrière dépouillée de ses perspectives de promotion par la fin de la dernière guerre. Le kabukimono s’habillait de manière voyante, menait une vie outrancière et défiait les codes, Hideyoshi lui-même, à la suite d’Oda Nobunaga, avait aimé les excès et le luxe (il n’y a se rappeler sa salle de thé entièrement dorée à la feuille). Le Japon extravagant des Toyotomi aurait peut-être mérité le sobriquet de « baroque japonais ».
Toyotomi Hideyori le grand
Ishida Mitsunari, bon administrateur mais strict et craignant le désordre aurait probablement tenté d’y mettre un coup d’arrêt, tout comme Ieyasu le fit, mais son gouvernement ne pouvait qu’être temporaire. Au début des années 1610, Toyotomi Hideyori serait entré en pleine possession de son héritage. Secondé par sa mère, l’ambitieuse dame de Yodo, il n’aurait pas eu d’autre choix que de se passer de l’encombrant Ishida Mitsunari. Mitsunari renvoyé sur ses terres, Hideyori aurait profité d’un regain de popularité auprès des daimyôs qui avaient probablement mal supporté le pouvoir d’un homme au statut inférieur. Le jeune Hideyori était lui-même un personnage qui pouvait devenir un chef charismatique, les descriptions de l’époque indiquent qu’il avait un haute stature, peut-être 180 cm, avec la corpulence d’un lutteur. Il avait été élevé dans le luxe du château d’Osaka et le culte de l’oeuvre de son père, le début de son gouvernement serait apparu comme un renouveau après les années du sévère Mitsunari. Hideyori devenu kampaku à son tour il n’aurait pas fallu longtemps pour que la décision d’en finir avec les Tokugawa soit prise.
Dans notre version de l’histoire Tokugawa Ieyasu prit la même décision en poussant Hideyori à la faute et au conflit qui lui permit de mener les sièges du château d’Osaka et déliminer définitivement des Toyotomi. Dans le même raisonnement il est fort probable qu’une paix durable devait passer par l’élimination des Tokugawa. En 1615, la chute du château d’Edo vit le suicide de Tokugawa Hidetada et l’exécution de son héritier, Tokugawa Iemitsu. Les terres des Tokugawa furent intégrées au domaine personnel des Toyotomi même si Ishida Mitsunari fut transféré dans le Kantô, recevant pour lui les restes du château d’Edo. Cela permettait d’éloigner l’ancien ministre toujours influent et le récompenser en même temps.
Le Momoyama jidai
Après 1615 le Japon aurait été en paix et stabilisé sur le long terme avec une dynastie régnante incarnée par un jeune chef charismatique. Osaka se serait alors développée comme la capitale politique du pays et sa ville la plus peuplée, formant une ville double avec la capitale de la cour impériale à Kyôto. Kyôto où, d’ailleurs, aurait été préservé le temple funéraire de Toyotomi Hideyoshi, le Hôkoku-ji, qui renfermait une statue géante de Bouddha comparable à celui de Nara et de Kamakura et qui serait encore aujourd’hui le 3e Grand Bouddha du pays. Entre Osaka et Kyôto le château de Fushimi serait resté la villégiature des Taikô Toyotomi, embelli génération après génération. Du lieu où a été construit ce château l’époque aurait conservé son nom, le Momoyama-jidai. De son côté Edo serait restée une cité de province sous son château mais essentiellement une ville contrôlait la forte production agricole du Kantô, destinée à être exportée vers Osaka.
Toyotomi Hideyori serait devenu Taikô dans les années 1630 lorsqu’il aurait passé la charge à son fils (que nous appelerons par convenance Toyotomi Hidemistu) mais aurait continué à gouverner jusqu’à sa mort vers 1650 ou plus tard. Disposant d’une vaste autorité il aurait été secondé par un conseil des Go-Tairô plus ou moins institutionnalisé et composé de membres héréditaires pris parmi les grands daimyôs ralliés, une chose que les Tokugawa ne firent jamais, se contentant de gouverner avec leurs propres vassaux sans consulter d’autres familles. Ces familles seraient restées les Môri, Uesugi, Maeda, Ukita et peut-être Date si on imagine que Date Masamune se serait définitivement rallié contre une concession importante permettant de ramener le Tohôku dans le giron du pouvoir central. Les Toyotomi auraient été en outre les principaux propriétaires terriens avec les revenus agricoles et marchands les plus importants, capables de rivaliser avec les revenus de l’ensemble des autres daimyôs du pays. Des mesures de contrôle des déplacements des samurais auraient été prise dont la pratique des otages dans l’équivalent du Sankin Kôtai. Dans le but d’ordonner la société un code du guerrier aurait probablement été imposé aux samurais mais celui-ci aurait été moins fortement influencé par le confucianisme et son esprit de frugalité, au contraire, l’étalage des richesses serait devenu la norme. Parallèlement le commerce, notamment maritime aurait été encouragé et la classe marchande d’Osaka serit devenue une puissance économique dès le milieu du XVIIe siècle.
La 2e guerre de Corée
Il est cependant un domaine où Hideyori aurait probablement imposé sa volonté. Par piété filiale il serait convenu pour lui de finir l’oeuvre paternelle, c’est à dire la conquête du continent et plus particulièrement de la Corée du Joseon. La monarchie coréenne, face à la résurgence des Toyotomi, se serait probablement tenue sur ses gardes, entretenant ses forces armées et sa marine mais dans la première moitié du XVIIe siècle elle faisait face à des crises. Les conséquences de l’invasion japonaise de 1592-1598 se faisaient encore sentir avec une lente reconstruction. La Chine des Ming elle-même était sortie affaiblie de son intervention aux côtés des Coréens, les dépenses de la guerre paralysèrent durablement l’action de l’Etat et contribuèrent à la crise qui éclata à partir de 1620 avec des empereurs faibles mal conseillés par la faction des eunnuques. Il fallait compter aussi avec l’émergence de la menace représentée par les Mandchous. Dès 1635, Huang Taiji, qui s’était proclamé empereur et avait fondé la dynastie Qing, envahit la Chine et en 1644 prenait Beijing où le dernier empereur Ming se suicidait par pendaison. Une telle évolution ne pouvait profiter qu’à des ambitions japonaises. Hideyori aurait eu beau jeu de s’allier avec les Mandchous et les aider en s’occupant du Joseon sur leur flanc. La 2e conquête de la Corée aurait sans doute difficile, le peuple coréen aurait résisté longtemps à l’instar de ses pères mais on peut supposer que les Japonais, mieux équipés en armes à feu et alliés avec les Qing au Nord auraient prévalus. Cette fois-ci il n’y aurait pas eu d’aide chinoise ming à attendre. On peut imaginer une partition avec les Qing au terme de laquelle les Toyotomi se seraient emparé au minimum de la partie Sud de la péninsule coréenne. Il est plus que probable que les relations avec les Qing auraient fini par se refroidir dans la deuxième moitié du XVIIe siècle à mesure que les divergences d’intérêts se seraient fait jour.
Une autre question importante sur cette dynastie alternative des Toyotomi serait leur rapport avec les Européens. Toyotomi Hideyoshi, dans ses dernières années avait initié des persécutions contre les chrétiens convertis jugeant que leur fidélité à leur religion et celle à leur seigneur étaient contradictoires. Hideyoshi, comme Ieyasu semblent avoir pris conscience du lien entre la pénétration religieuse menée par les Jésuites et les Franciscains et l’influence politique de l’empire espagnol. Même si l’entourage des Toyotomi comptait des seigneurs convertis au christianisme il est fort à parier que la méfiance envers les convertis aurait persisté. Dans le même temps les Toyotomi aurait eu comme intérêt de ne pas tarir la venue des marchands ibériques et donc de ne pas trop les froisser par des persécutions. On pourrait envisager des mesures de séparation ou de ségragation pour chrétiens à moins qu’une révolte dans le style de celle de Shimabara en 1637 conduise à pourchasser plus systématiquement les chrétiens. Lors de la révolte de Shimabara les marchands espagnols n’intervinrent pas pour venir en aide à leurs « corréligionnaires ». Des persécutions contre les Kirishitan (les chrétiens japonais) auraient-elles réellement endommagé les relations commerciales entre les Européens et le Japon des Toyotomi?
Une nouvelle société japonaise
Une chose est certaine, le Japon des Toyotomi, tourné avec la conquête extérieure et protecteur du commerce maritime, n’aurait pas fermé le Japon comme le firent les Tokugawa. Le commerce maritime japonais serait resté contrôlé par le système des navires à sceau rouge (signe d’une autorisation officielle de pratiquer le commerce maritime sur des voie prédéfinie) et aurait pu se développer. Les navires japonais étaient déjà présents dans de nombreux ports depuis l’archipel philippin, indonésien et jusqu’en Asie du Sud-Est. Il existait des communautés de marchands et de mercenaires japonais à Manille, dans l’Annam et jusque dans l’actuelle Thaïlande. Dans notre version de l’histoire, ces communautés, coupées du Japon par les édits du Sakoku (la fermeture du pays) déclinèrent avant de disapraître mais ici la diaspora japonaise aurait prospéré. et se seraient durablement implantée.
Les intérêts commerciaux et diplomatiques des Toyotomi se seraient étendus loin au delà de la Chine et Osaka aurait reçu des ambassades des Etats asiatiques venus traités avec les taikô. Pour cette raison les Japonais auraient pu avoir un intérêt à établir des points d’appui à leurs navires hors du Japon, pour cela l’étape par l’île de Formose (Taïwan) aurait été idéale. Les Toyotomi auraient pu déléguer à des clans du Kyûshû comme les Arima de prendre pied à Taîwan et fonder des ports, point de départ à une conquête et colonisation de l’île avant même qu’elle ne fasse partie de l’empire chinois (elle ne fut conquise par les Qing qu’à la fin du XVIIe siècle). En fin de compte l’empire japonais aurait été au centre d’un réseau commercial étendu à toute l’Asie du Sud-Est avec des possessions extérieures en Corée et à Taïwan. Il n’est pas impossible qu’un comptoir commercial soit même fondé de l’autre côté de l’océan Pacifique à Acapulco où les marchands japonais auraient eu des intérêts. Dans notre version de l’histoire les Japonais sont arrivés à Acapulco avec un navire copié des navires européens, le Nihonmaru à l’époque de l’ambassade d’Hasekura Tsunenaga pour le compte de Date Masamune. Dans cette version, Masamune aurait pu agir pour le compte des Toyotomi et se forger une monopole sur la voie commerciale transpacifique avec des navires japonais copiés des Occidentaux.
Le Japon des Toyotomi, ouvert aux influences extérieures aurait vu une société plus cosmopolite émerger à Osaka et dans les ports du Kyûshû comme Nagasaki, Hirado et Hakata. Chinois, Coréens, Annamites, Thaï, Portugais, Hollandais puis Anglais et Français aurait fréquenté ses ports. Un commerce actif aurait encouragé le développement artisanal et l’innovation plutôt que l’accumulation des richesses sur la base de la production agricole. Les grands changeurs de riz pour le compte des domaines seigneuriaux auraient même été capable de fournir des prêts et d’établir des activités proto-bancaires dont des lettres de change. Ce Japon dynamique et innovateur aurait vu arriver plus librement les innovations venues d’Europe. La traduction d’ouvrage européens aurait été une activité majeure permettant la transmission de connaissances et de techniques. Les navires et les armes japonaises auraient évolué au même rythme qu’en Occident, asseyant une avance nette sur la Chine. Le Japon aurait aussi été ouvert aux nouvelles idées et de là il n’y a qu’un pas à imaginer au XVIIIe siècle les idées des Lumières pénétrer jusqu’au Japon et y trouver un public de marchands bourgeois riches et désireux de s’assurer une place plus importante dans le gouvernement. Le Japon aurait-il suivi l’Europe dans les révolutions et le parlementarisme à la fin du XVIIIe siècle? Là nous allons bien au delà de ce qui est prévisible mais on peut se permettre de rêver à un Diderot voyageant jusqu’au Japon plutôt qu’en Russie et trouvant l’oreille bienveillante d’un despote éclairé comme le Taikô Toyotomi.
Dans cette version de l’histoire japonaise c’est toute la culture classique mais fermée du Japon Edo qui aurait été modifiée pour laisser la place à un Japon expansionniste et intégré à ce qui fut considéré comme la première mondialisation.
Chronologie fantaisiste
1582 : Coup d’Etat d’Honnô-ji. Mort d’Oda Nobunaga, vengé peu après par Hashiba Hideyoshi.
1590 : Chute du château d’Odawara, Toyotomi Hideyoshi termine la pacification du Japon et impose son régime en tant que Kampaku puis Taikô. Début officiel de l’ère Momoyama.
1592 : Début de la guerre d’Imji, l’invasion japonaise de la Corée, d’abord un succès foudroyant s’embourbe rapidmeent face à la résistance coréenne.
1595 : Hideyoshi force son neveu Hidetsugu au suicide pour ouvrir la voie de la succession à son fils nouveau-né.
1598 : Décès de Toyotomi Hideyoshi, un conseil de 5 régents, présidé par Tokugawa Ieyasu, est nommé pour préserver les intérêt de l’enfant et successeur d’Hideyoshi. Ishida Mitsunari commence ses préparatifs pour contrer les ambitions de Ieyasu.
1600 : Bataille de Sekigahara, l’armée de l’Est (Tokugawa) et l’armée de l’Ouest (Ishida) s’affrontent. Mitsunari parvient à l’emporter contre Ieyasu qui se suicide à la fin de la journée. Tokugawa Hidetada se soumet mais perd la majorité de ses fiefs.
1610 : Toyotomi Hideyori atteint la majorité et est nommé kampaku. Il épouse la soeur de Tokugawa Hidetada mais son but est l’élimination de ses rivaux. Ishida Mitsunari est remercié de sa décennie de gouvernement et envoyé dans un exil doré.
1615 : Chute du château d’Edo. Les troupes des Toyotomi et leurs alliés mettent un point final aux ambitions de leurs rivaux. Suicide de Tokugawa Hidetada, le château d’Edo en ruine est offert en fief à Ishida Mitsunari. Le pouvoir des Toyotomi ne sera plus remis en question.
1623 : Toyotomi Hideyori dépose sa charge de kampaku et devient le nouveau Taikô. Son fils Toyotomi Hidemitsu assume la charge à sa place mais son père continue de gouverner dans les faits.
1627 : Hideyori obtient la création d’un comptoir japonais à Acapulco d’où il espère tirer différents avantages dont le cuivre et l’argent du Mexique. la liaison est assurée par les navires du clan Date copiés des navires espagnols. Par la même occasion il signe un traité avec le vice-roi de Manille pour obtenir le contrôle de la communauté japonaise présente au Philippines et désormais soumise à un bûgyô (commissaire) nommé par Osaka. De tels arrangements sont réalisés aussi avec les royaumes du Sud-est asiatique qui envoient désormais des ambassafes jusqu’au Japon.
1630 : Toyotomi Hideyori ordonne une nouvelle expédition en Corée pour venger l’échec de son père mais aussi calmer les nombreux rônins laissés sans emploi avec les années de paix. Le royaume coréen du Joseon, pourtant préparé, a du mal à résister. L’absence du soutien des Ming, eux-mêmes en crise, limite leur capacité à repousser des Japonais bien armés et soutenus désormais par des navires copiés des navires européens. Hideyori renforce l’armée et la marine avec les innovations occidentales. Il est d’ailleurs très intéressé à attirer à lui les réprouvés de l’Europe en délicatesse avec l’Eglise. C’est ainsi qu’il invite Galilée à s’installer à Osaka où il fonde un observatoire et enseigne la production des téléscopes et des longue-vues.
1635 : Huang Taiji, fondateur de la dynastie Qing, envahit la Chine des Ming déjà secouée par les révoltes paysannes. Il signe un traité d’amitié avec les Toyotomi qui garantissent ainsi leur liberté d’action en Corée et la sécurité face aux nouveaux arrivants.
1637 : Révolte chrétienne de Shimabara. La révolte, causée par une mauvaise gestion du seigneur local entraîne la mise en place progressive d’une politique de ségrégation. Les chrétiens sont réunis, parfois de force, dans des fiefs réservés dans le Kyûshû sous le contrôle de daimyôs chrétiens mais fidèles. Dans les villes des kirishitan-mura sont fondés avec des accès fermés et contrôlés. Ce sont souvent des centres artisanaux et marchands fréquentés par les étrangers. Ceux-ci se voient confirmer leurs comptoirs d’Hirado (Hollandais), Nagasaki (Portugais) et Hakata (Chinois et Coréens). Plus tard viendront s’y ajouter les Anglais (Kokura) et les Français (Shimonoseki).
1638 : Hideyori obtient la soumission du dernier roi du Joseon et part visiter Keijô, l’ancienne Hansan, devenue la capitale de ses domaines en Corée pour lesquels il obtient le titre de roi. Division de la Corée en domaines confiés à des vassaux des Toyotomi. La Corée est bientôt parsemée de châteaux japonais tandis que ses ports s’ouvrent aux marchands européens. La résistance se maintient cependant dans les montagnes.
1641 : Expédition à Taïwan. L’armée des Toyotomi débarque à Formose où Hollandais et Espagnols s’affrontent pour le contrôle de l’île. Génés dans leurs échanges par ces querelles et la piraterie européenne, Hideyori décide de s’emparer de l’île. En 1644 il obtient finalement le contrôle de Taïwan, Hollandais et Espagnols obtiennent des comptoirs mais doivent se soumettre.
1644 : Les Mandchous s’emparent de Beijing, en quelques années l’ensemble de l’empire Ming passe entre les mains de la nouvelle dynastie, qui dispose du soutien naval des Japonais.
1646 : Hideyori accepte d’accueillir à Taïwan et d’installer comme colons les soldats ming de Zheng Chengong (Koxinga), un général et pirate lui-même à moitié japonais. Koxinga devient daimyô à Taïwan pour le compte des Toyotomi. Il apporte avec lui un prétendant Ming au trône de Chine. Ce sera le point de départ d’une longue querelle avec les Qing qui débouchera sur la guerre sino-japonaise de 1668-1669 et l’échec de la tentative d’invasion de Taïwan et la domination navale des Japonais sur le côtes, évacuées par les Qing.
1648 : Mort de Toyotomi Hideyori, son fils Hidemitsu lui succède en tant que Taikô et place son propre petit-fils comme kampaku. Il poursuit les politique de son père en renforçant la présence japonaise dans les communautés d’outre-mer, en Corée et à Taïwan. Il continue la pratique paternelle d’inviter savants et artistes européens à sa cours pour témoigner de sa magnificence, ceux-ci parlent d’un « baroque japonais » avec des influences artistiques croisées.
1670 : A la suite de la victoire sur les Qing, l’arrière petit-fils d’Hideyori, Taikô du Japon, envoie une ambassade pour visiter la France de Louis XIV et les royaumes européens. Elle laisse une vivre impression de richesse et de magnificence qui convanquit le souverain français de se faire bâtir à Versailles un pavillon japonais (auquel le Taikô répondra par un pavillon français au château de Fushimi, sa principale résidence).
…
XVIIIe siècle : la présence japonaise en Asie se renforce avec des alliances dans les pays du Sud-Est asiatique. Elles permirent notamment de mettre fin aux révoltes en Annam avec l’aide de samurais et d »empêcher à la fin du siècle la pénétration française. Protecteurs de ces mers, les Japonais entretiennent de bonnes relations avec les Anglais avec qui ils font désormais l’essentiel de leurs échanges. Le Japon est désormais un acteur bien connu du commerce avec les Européens et est très présent dans l’imaginaire collectif comme en témoignent les Lettres Nippones de Montesquieu. Le Taikô Toyotomi Hideharu en particulier fut considéré comme un despote éclairé intéressé par les dernières idées issues du mouvement des Lumières, encouragé en cela par son ministre Tanuma Okitsugu. Il invita même Diderot à lui rendre visite mais refusa ses projets d’assemblée.
…
1794 : Le Japon est secoué par l’influence de la révolution française en Europe. Le Taikô Hidenari tente de fermer son pays à l’influence occidentale jugée désormais pernicieuse et opère un retour à l’orthodoxie confucéenne mais les idées de Voltaire, Rousseau et Didedrot, largement traduites, sont désormais sur toutes les lèvres. On mumure à Osaka que le taikô devrait convoquer une assemblée réunissant samurais et marchands pour lutter contre les effets des crises économiques et du coût de la vie. Certains rêvent d’une marche sur le château de Fushimi et d’une restauration du pouvoir impérial qui serait l’occasion d’un changement politique.
Un autre Japon Meiji, et si Sakamoto Ryôma avait survécu?
Notre dernier scenario est plus compliqué car plus proche. Plus on se rapproche de périodes très bien documentées plus il devient difficile d’écrire une histoire alternative cohérente avec nos connaissances. Dans un premier temps j’avais pensé décrire un Japon qui aurait été colonisé par les puissances européennes, ce qui devait permettre de mettre en lumière les caractéristiques qui avaient permis au Japon d’échapper à cette épreuve. Parmi celles-ci on aurait cité l’existence d’un Etat central fort et hiérarchisé, d’une classe marchande dynamique et prête à adopter de nouveaux modèles et l’existence d’une classe éduquée mais frustrée dans ses ambitions (les jeune samurais de rang inférieur). Le problème est que l’absence de colonisation du Japon s’explique aussi par des causes extérieures. Il aurait donc fallut développer un scénario où, par exemple, la guerre de sécession américaine n’aurait pas eu lieu, nous éloignant d’une histoire alternative centrée sur le Japon.
De plus, un scénario centré sur le XIXe siècle nous permet de remettre en avant le rôle des individus, ce qui n’était pas le cas dans les alternatives précédentes. C’est en particulier la figure de Sakamoto Ryôma que nous pourrions utiliser pour faire dévier l’histoire du Japon.
Le contexte
Durant les dernières années du shogunat, la période du Bakumatsu, la contestation contre le shogunat menée dans les fiefs des seigneurs « alliés » tozama était le fait de samurais aux caractéristiques très similaires. Il s’agissait de jeunes (tous avaient moins de 30 ans en 1868) hommes éduqués dans les écoles de leur fief, parfois « montés » jusqu’à Edo quand leur compétences les faisaient remarquer. Par leur éducation ils tendaient à vouloir promouvoir leur domaine contre le shogunat jugé incapable et hostile mais ils étaient en même temps bloqués dans leur fief même par leur position hiérarchique inférieure. Malgré leurs compétences, même reconnues par le domaine, ils devaient se plier aux règles du vieux sytème féodal qui les plaçaient sous le commandement d’anciens, descendants de familles au statut plus élevé. La contestation du shogunat, l’opposition aux Occidentaux ou la possibilité d’apprendre d’eux a été un moyen de subvertir l’ordre établi des domaines et y prendre de l’importance. Des hommes comme Saigô Takamori à Satsuma ou Kido Takayoshi de Chôshû se retrouvèrent dans des positions d’influence qui ne leur auraient pas été permises une génération auparavant. A ce titre le restauration Meiji peut très bien être considérée comme une révolution.
Esquisse de portrait
Sakamoto Ryôma de son côté provenait du domaine de Tosa dans le Shikoku, un domaine moins puissant que Satsuma et moins ouvertement hostile au shogunat que Chôshû et qui put jouer un rôle modérateur (tout en produisant son lot d’extrémistes du Sonnô Jôi, le mouvement anti-occidental). Le domaine de Tosa avait aussi la particularité d’entretenir une stricte ségrégation sociale au sein de ses vassaux. Cette ségrégation s’expliquait par une différence d’origine entre les vassaux arrivés à Tosa avec leur seigneur du clan Yamauchi et ceux qui étaient déjà présents sur place du temps du clan précédent, les Chôsokabe (ils étaient donc considérés avec suspicion). Ces derniers, les kashi, étaient soumis à des règles humiliantes strictes et il existait parmi eux une forte conscience de ces inégalités. Sakamoto Ryôma provient des couches les plus basses de la caste samurai de Tosa, étant lui-même descendant de marchands de saké qui avaient obtenu leur rang récemment. Eduqué et formé par le fief de Tosa, maître d’arme, Sakamoto Ryôma avait mené son éducation politique jusqu’à décider de déserter le domaine pour rentrer dans une quasi-clandestinité.
Il se retrouva en fin de compte dans une position intermédiaire, proche des mouvements hostiles au shogunat mais en même temps élève de Kaïshû Katsu, l’un des plus influents conseillers du shogunat, favorable à la modernisation du pays. Cette position particulière le rendit capable de négocier l’alliance des domaines de Satsuma et Chôshû, autrefois ennemis, contre le shogunat, alliance qui parvint en 1867 à contraindre le dernier shogun Yoshinobu à l’abdication puis en janvier 1868 à former le noyau d’une armée impériale qui défit les Tokugawa à la bataille de Toba-Fushimi. Peu de temps auparavant Sakamoto Ryôma rédigea une liste de 8 propositions qui servirent de base à la première déclaration politique de l’empereur Meiji, le serment en 5 articles (Gokajô no Goseimon) dans lequel l’empereur et le nouveau gouvernement Meiji s’engageaient dans un programme, vague mais clair, de modernisation avec notamment l’abolition des castes de l’époque précédente et la formation d’assemblées délibératives. Au moment où ces évènement eurent lieu Sakamoto Ryôma n’était cependant déjà plus de ce monde, il avait été assassiné le 10 décembre 1867 peu de temps avant l’abdication du shogun. Son assassinat reste mystérieux et ses auteurs n’ont jamais été clairement identifiés.
Le Développement
Comment se serait poursuivie l’existence de Sakamoto Ryôma s’il n’avait pas été assassiné? Ryôma avait gravité durant les années 1863-1867 au sein du mouvement de restauration impériale et entre les domaines de Satsuma, Choshû et Tosa. Bien qu’il n’ait été qu’un rônin après sa désertion de Tosa ils disposait de connections très étendues, même jusque dans les institutions du shogunat grâce à son maître Kaïshu Katsu et aux élèves officiers de marines qu’il avait contribué à former avec lui. Dans ce contexte il est présenté comme un médiateur capable de réunir les camps opposés. Il est décrit par ses contemporains comme dynamique, curieux, peu éduqué mais ouvert d’esprit ainsi que calme dans la réalisation de ses objectifs. C’est ainsi que lors de la réalisation de l’alliance Satsuma-Chôshû les deux parties s’accordèrent sur le fait que Ryôma soit le garant de l’alliance, autrement dit les deux plus grands clans du Japon de l’Ouest acceptaient que cette garantie soit portée par un personne privée, un rônin qui plus est. La fondation de la Kaientai, une compagnie privée de transport maritime et de commerce (qui lui permettait de faire passer des armes) montre aussi un intérêt pour le commerce et le développement économique, peut-être hérité des origines de sa famille. Les 8 règles qu’il proposa en 1867 et qui donnèrent le serment en 5 points démontrent aussi qu’il avait gagné certaines connaissances politiques occidentales dans ses années de clandestinité et qu’il penchait pour un modèle représentatif avec des assemblées locales à instaurer rapidement.
La restauration, et après?
Où cela le place t-il dans le début de l’époque Meiji? Saigô Takamori, Kido Tadayoshi, Okubo Toshimichi et bien d’autres révolutionnaires de sa génération devinrent des piliers de l’armée, du gouvernement ou de l’administration. Ils formaient un trimuvirat de clans composé de Satsuma, Chôshû et Tosa qui dans les faits se partageaint les nouvelles fonctions de gouvernement avec l’ancienne noblesse et l’empereur. La faction de Tosa était représentée surtout par Itagaki Taisuke, un vassal de rang supérieur de Tosa qui avait mené les troupes du domaines durant la guerre de Bôshin. Aussi important qu’il ait été, Sakamoto Ryôma restait un rônin issu d’une classe inférieure de guerrier de Tosa, il n’aurait pas eu le statut nécessaire pour devenir directement un membre de ce nouveau gouvernement Meiji.
Il est possible que la chose n’ait pas non plus été sa priorité puisqu’il aurait toujours eu à gérer la Kaientai avec ses compagnons. Il aurait pu continuer librement ses activités à partir de l’abolition des domaines et du statut de samurai en 1871, n’étant dès lors plus catalogué comme marginal. Il est aussi possible qu’il soit intégré à la mission Iwakura qui, autour du ministre Iwakura Tomomi, partit en une mission d’information autour du monde entre 1871 et 1873.
La dispute du Seikanron
Quoiqu’il en soit l’année 1873 aurait été un autre moment charnière pour Ryôma. Le gouvernement Meiji était divisé depuis 1871 sur la controverse Seikaron. Cette dispute portait sur les relations avec la Corée voisine. Les partisans du Seikanron voulaient que le Japon force l’ouverture de la Corée pour la moderniser et éventuellement y implanter leur influence. La dispute divisa les opposants et les partisans de cette idée mais aussi au sein des partisans de celle-ci entre ceux qui voulaient procéder par une pénétration militaire ou diplomatique. Itagaki Taisuke et la faction de Tosa étaient partisans de la force, Saigô Takamori souhaitait prendre la voie diplomatique, Iwakura Tomomi et Okubo Toshimichi s’opposaient au Seikanron et ils eurent finalement raison, menant à la marginalisation des gens de Tosa et de Saigpo Takamori. Le gouvernement Meiji devint alors une dyarchie Satsuma-Chôshû.
Sakamoto Ryôma, l’homme qui établissait les ponts et réunissait les opposants ne pouvait qu’avoir un rôle de médiateur officieux dans cette dispute afin de mener à une voie modérée. Un compromis sur la question du Seikanron pouvait être trouvée. En excluant l’approche militaire dure mais en acceptant une certaine forme de Seikanron, Ryôma aurait pu proposer sa propre version, une pénétration économique et commerciale avantageusement menée par sa compagnie, la Kaientai, avec une mission diplomatique pour négocier des traités commerciaux. Il n’est pas rare alors de voir les premières entreprises japonaises impliquées dans ces questions politiques et avoir des intérêts confondus avec ceux de l’oligarchie Meiji. Iwasaki Yatarô, le fondateur de Mistubishi, lui-même venant de Tosa (et peut-être une connaissance de Ryôma) avait prété ses navires pour du transport de troupes en se faisant payer par des avantages et des retours de services.
La question est d’importance. Un compromis de cette sorte sur le Seikanron aurait évité la marginalisation de Saigô Takamori, celui qui est entré dans l’histoire comme le « dernier samurai » connu pour sa révolte de 1877 conclue par son suicide. Saigô Takamori encore vivant sur une longue période aurait constitué en soi une uchronie disruptive (et aurait aussi évité l’assassinat d’Okubo Toshimichi qui avait été rendu responsable de la mort de Saigô). Avec le maintien de la faction de Tosa dans les instances centrales du gouvernement Meiji cela aurait contribué à diminuer l’influence de la bureaucratie naissante voulue par Okubo Toshimichi, ainsi que le poids des politiciens de Chôshû (pour référence on peut rappeler qu’encore aujourd’hui un grand nombre de politiciens de haut rang sont originaires de la préfecture de Yamaguchi, l’ancien Chôshû). Cette classe politique naissante était en faveur du Honken, une idéologie qui pouvait se résumer à la toute puissance de l’Etat face aux revendications populaires. Saigô Takamori, Etô Shimpei ou Itagaki Taisuke auraient contrebalancé par le Minken, l’idéologie mettant plus l’accent sur les droits du peuple.
L’idée d’une ouverture douce de la Corée par l’intermédiaire du Japon dès les années 1873 aurait changé radicalement l’évolution de ce pays qui aurait connu une collaboration avec le Japon plutôt que l’affrontement (sans pour autant garantir que la colonisation aurait été évitée). On peut supposer que les années 1870 auraient été économiquement profitables à Ryôma dans ces conditions, dans notre version Iwasaki Yatarô, dans le même domaine d’activité fonda très rapidement la puissance économique de Mitsubishi jusqu’à en faire un des piliers du Japon et un futur zaibatsu. La Kaientai serait-elle devenue avec le temps un consortium? Sakamoto Ryôma aurait-il rejoint son « compatriote » Iwasaki Yatarô pour bâtir Mistubishi, c’est dans l’ordre du possible.
Le mouvement des droits du peuple
Mais c’est encore ailleurs que l’influence d’un Sakamoto Ryôma survivant se serait fait sentir. Au début de la restauration l’empereur Meiji avait concédé un serment (inspiré des idées de Ryôma) prévoyant pour le futur du Japon des assemblées locales élues et une constitution. La décennie qui avait suivi avait vu la construction d’un Etat et d’une armée forte (Fukoku-Kyôhei) avec une administration toute puissante. L’oligarchie Meiji, entre les mains de Satsuma et surtout Chôshû penchait en faveur d’un système où l’Etat et la personne sacrée de l’empereur l’emporteraient sur les droits des citoyens et leur expression parlementaire, les projets de constitution étaient encore maintenus à l’état d’étude au sein d’une assemblée consultative, le Genrô-in établit en 1875, dont les membres étaient nommés et non élus. Il leur fallait cependant compter avec le peuple japonais lui-même.
Les transformations de la société en 10 ans avaient fait de nombreux mécontents et laissés pour compte, en particulier chez les anciens samurais. A cela s’ajoutait une liberté de la presse et une liberté d’édition poussée par le curiosité sur les systèmes occidentaux dont les ouvrages étaient traduits, menant à traduire des termes nouveaux comme démocratie, liberté, égalité. Rousseau fut traduit précisement à cette époque. Tout cela contribua à faire naître au début de 1880 le Jiyû Minken Undô, le mouvement pour les droits du peuple, l’expression de l’éffervescence politique qui couvait. Ce mouvement poussa en 1881 et 1883 à des manifestations, des conférences, publications, pétitions et même à des révoltes avec l’apparition d’assemblées locales ou même de communes autoproclamées (Chichibu, 1884). Les projets de constitution rédigés de manière privée pulullaient. A la tête de ce mouvement se trouvait Itagaki Taisuke et un bon nombre de gens de Tosa marginalisés dix ans plus tôt.
Taisuke, orateur convaincant et convaincu faisait figure de chef charismatique. Il mena à la fondation du premier parti politique de l’histoire japonaise, le Jiyûtô (parti de la liberté) fondé en 1881. Le parti avait une assise nationale et des sections dans toutes les préfectures mais ne dura cependant pas longtemps (dissous en 1883), il fut réprimé par la police tandis qu’Itagaki préféra s’éloigner quand les franges les plus extrêmes du mouvement menacèrent de le déborder (1882). Les modérés menés par Okuma Shigenobu se détachèrent des éléments plus extrêmes en formant le parti Rikken Kaishintô et se rallièrent au gouvernement quand celui-ci accepta finalement de fixer une date limite pour la promulgation d’une constitution à l’horizon 1890. Le mouvement se calma, la censure et la répression firent le reste. Les représentants modérés ce qui fut le Jiyûtô n’avaient cependant pas de rôle dans l’Etat pour pousser leurs idées. La constitution adoptée fut finalement élaborée sur le modèle du Reich allemand avec une forte connotation autoritaire, bien loin des aspirations démocratiques di mouvement pour les droits du peuple.
Deux choses peuvent être retenues sur cette séquence politique. Les gens de Tosa, Itagaki Taisuke en premier mais il n’était pas seul, ont formé les cadres d’un véritable mouvement populaire que le gouvernement Meiji dut ramener à l’ordre et apaiser. Itagaki Taisuke n’était cependant pas un révolutionnaire bien que convaincu de ses idées et rigide dans sa lutte. Il dut s’éloigner du Japon lorsque le mouvement sembla porter la protestation trop loin sans avoir la capacité de négocier une sortie. Okuma Shigenobu, qui put réunir les modérés, obtint plus de résultats sur le long terme et fonda une opposition politique durable jusqu’au début du XXe siècle. Si Sakamoto Ryôma avait vécu à cette époque on ne peut qu’imaginer son rôle dans ces évolutions. Les principes qu’il exprima en 1867 ne laissent pas de doute ses tendances, il aurait approuvé le mouvement pour le Jiyû Minken Undô et en tant que natif de Tosa il aurait eu des liens bien enracinés dans la tête du mouvement. Contrairement à Itagaki Taisuke, Ryôma était cependant un négociateur ouvert, c’est la principale qualité qu’inspire son parcours, avec un « carnet d’adresses » bien rempli et probablement à cette époque des moyens financiers non négligeables. Sakamoto Ryôma aurait pu alors entrer réellement en politique, moins rigide qu’Itagaki Taisuke mais moins modéré qu’Okuma Shigenobu, il aurait pu rendre acceptable le Jiyûtô et porter ses idées, le parti aurait-il survécu sur le long terme?.
Ces idées n’auraient probablement pas été celles d’une démocratie « à l’américaine » comme le souhaitait Itagaki Taisuke mais certainement pas celles d’un modèle autoritaire « à l’allemande ». Il y avait à cette époque une conviction bien ancrée que le peuple japonais n’était pas prêt pour une pleine autonomie politique en tant que citoyens, le gouvernement encore oligarchique de Meiji ne serait pas revenu sur cette croyance, réfutée par de nombreux partisans du Jiyûtô. La plupart des modérés et de ceux prêts au compromis souhaitaient un système parlementaire « à la britannique » avec un souverain disposant de prérogatives et de prestige mais sans influence sur le cours du travail parlementaire. Dans notre version de l’histoire, la « volonté de l’empereur », souvent non énoncée, devait servir de règle directrice au travail parlementaire et au gouvernement. Dans la pratique de la vie politique japonaise après 1890, l’influence morale de l’empereur et les signes de son consentement représentaient des limites à l’exercice des institutions. Même si un homme ne peut sans doute renverser l’ensemble des équilibres politiques, Sakamoto Ryôma aurait pu représenter l’interlocuteur suffisamment rassurant et suffisament maître de ses « troupes » pour tempérer le poids des partisans de la bureaucratie toute puissante.
Ryôma au pouvoir
La constitution de 1890 aurait pu ainsi accoucher d’un système parlementaire plus démocratique ou au moins avec une opposition plus vivace. Dans notre histoire, Itagaki Taisuke se retira de la politique après sa retour mais Okuma Shigenobu eut l’occasion de devenir premier ministre. Il n’est impossible que Sakamoto Ryôma prenne sa place dans cette version et soit à compter parmi les premiers ministres japonais, des chefs de gouvernement avec une marge d’action plus importante que dans notre histoire. Sakamoto Ryôma premier ministre et toujours cohérent par rapport à ses idées précédentes aurait bien sûr encourager les pratiques démocratiques mais aurait orienter son action à l’extérieur vers un développement par le commerce autant que par la force militaire (avec un emphase probable sur la marine). Ce que cela aurait entraîné sur les relations avec la Corée et la Chine devient trop flou pour être développé mais pourrait se révéler radicalemet différent de notre propre histoire. La guerre sino-japonaise de 1894-1895 aurait-elle seulement eu lieu? Le Japon serait-il intervenu aux côtés des Occidentaux durant la révolte des Boxers en 1901, avec les exactions que l’on connaît? Soyons optimistes, il existait au Japon une classe de politiciens japonais sincèrement convaincus que l’opposition aux puissances coloniales passaient par le soutien des modernisateurs en Corée (même en prenant le contrôle du pays si besoin) et en Chine (en favorisant des leaders comme Sun Yat-sen). On peut se permettre de rêver à un Japon qui aurait fait le choix de soutenir un front asiatique plutôt que de s’engager dans la voie de l’impérialisme solitaire.
C’est là aussi où la reconstitution trouve ses limites. On peut considérer les qualités et les idées du jeune Sakamoto Ryôma dans les années 1860 mais elles ne permettent pas de juger les actions d’un Sakamoto Ryôma vieillissant, puissant et enrichi dans les années 1900. Les autres oligarques de Meiji comme Itô Hirobumi, Itagaki Taisuke et bien d’autres ont été aussi des idéalistes, des révolutionnaires mêmes, avant d’exercer eux-même le pouvoir politique et ses compromissions inévitables. Sakamoto Ryôma, de son côté, est mort aux portes du succès. Il aurait immanquablement joué un rôle dans le Japon Meiji mais il est mort trop jeune pour être entâché par les erreurs et les changements d’opinion. C’est ce qui explique aussi le force de son mythe dans le Japon d’aujourd’hui. Popularisé par le romancier Shiba Ryôtarô (après être tombé dans l’oubli durant l’époque Meiji) Sakamoto Ryôma est devenu l’image même du « saint révolutionnaire » du Bakumatsu. Il est auréolé de vertus et crédité d’accomplissements sans doute exagérés par ses différentes incarnations littéraires et cinématographiques. Il est aussi porteur d’une critique sous entendue sur les travers du développement et de la modernisation du Japon Meiji. Les Japonais, mais aussi les autres, fascinés par la figure de Sakamoto Ryôma et de sa mort prématurée portent en eux le début de ce question alternatif : que se serait-il passé s’il n’était pas mort?
Chronologie fantaisiste
1867 : Abdication de Tokugawa Yoshinobu, dernier shogun d’Edo. Sakamoto Ryôma échappe de nouveau à une tentative d’assassinat et se met sous la protection des fiefs de Satsuma et Chôshû. Restauration impériale.
1868-9 : Guerre du Bôshin entre les partisans des Tokugawa et la nouvelle armée impériale.
1871 : Abolition des fiefs des daimyôs et du statut de samurai. Sakamoto Ryôma s’associe à Iwasaki Yatarô fusionnant sa Kaientai avec Mitsubishii. Ils deviennent rapidement les principaux transporteurs maritimes au Japon et se taille une part de lion dans les nouveaux échanges, se diversifianr rapidement.
1872 : Dispute du Seikanron. Face aux tensions au sein du gouvernement Meiji, Sakamoto Ryôma s’offre comme médiateur. Un compromis sur la Corée est obtenu : en plus de la mission diplomatique de Saigô Takamori (qui reste ensuite comme ambassadeur et apprends le coréen) une mission commerciale dirigée par Ryôma est envoyée. Avec l’aide de Mistubishii, Ryôma conclut de nombreux contrats visant à moderniser les infrastructures coréennes, battant les entreprises européennes de vitesse.
1877 : Saigô Takamori revient au Japon, rappelé pour aider à mettre un terme à l’agitation samurai, avec Etô Shimpei il parvient à calmer les esprit. Sakamoto Ryôma, qui a ses entrées au ministère des finances, parvient à débloquer des prêts aux plus nécessiteux, surtout les anciens samurais. la situation sociale reste vive mais se calme.
1881 : Début de l’agitation du Jiyû Minken Undô. Itagaki Taisuke et Sakamoto Ryôma organisent le mouvement au sein du Jiyûtô en 1882, le premier parti politique japonais. Taisuke est un grand orateur et mobilise les foules mais Ryôma sait naviguer dans les cercles du pouvoir et tente de convaincre du bien fondé des intentions du mouvement. Il peut ainsi limiter la répression policière et les atteintes àa liberté de la presse.
1885 : Un conseil appelé Genrô-in, est nommé pour rédiger une constitution, Sakamoto Ryôma, Itagaki Taisuke et Okuma SHigenobu en font partie et poussent pour l’adoption d’un modèle inspiré de la monarchie britannique.
1889 : Promulgation de la constitution japonaise qui assure la souveraineté de l’empereur mais aussi l’indépendance du parlemente à deux chambres (chambres des pairs et chambre des représentants). Des assemblées locales au niveau des préfectures sont élues et la constitution est approuvée à la majorité par les électeurs. Peu de temps après Sakamoto Ryôma est élu premier ministre de l’empire japonais, candidat de compromis entre le Jiyûtô et ses opposants conservateurs.
1893-1894 : Guerre sino-japonaise, le Japon défend sa présence en Corée face aux luttes de factions à la cour coréenne, Sakamoto Ryôma empêche cependant in extremis l’assassinat de la reine coréenne Myeongseong et assure le roi Gojong de son soutien. La Chine est vaincue et cède Taïwan au Japon. Sakamoto Ryôma se rend à Séoul pour signer une alliance paritaire avec l’empire de Corée, nom que vient d’adopter le nouvel Etat coréen sur imitation du Japon.
1898 : Réformes des 100-jours en Chine, l’empereur Guangxu tente de moderniser l’empire contre les tenants de la tradition. Mis en difficulté il reçoit le soutien politique et militaire du Japon qui souhaite une modernisation de la Chine pour l’associer à ses efforts contre la présence coloniale européenne. Le premier ministre Kang Youwei fonde le parti Baohuang Hui (Société pour protéger l’empereur). L’impératrice douarière, âme de la résistance, est arrêtée et l’empereur Guangxu convoque une assemblée pour rédiger une constitution. La firme de Sakamoto Ryôma concède des près avantageux à tous les projets chinois.
1900-1901 : Le Japon pose un ultimatum aux puissances européennes qui souhaitent intervenir dans les affaires internes de la Chine. Elle doivent évacuer Beijing et retourner dans leurs concessions. C’est le premier conflit ouvert entre les puissances asiatiques et les puissances européennes.
1904-1905 : Guerre russo-sino-japonaise. Le Japon défait la Russie sur les mers tandis que les troupes chinoises et japonaises remportent la victoire sur terre. La Russie évacue la Mandchourie. Les souvenirs de la guerre sino-japonaise sont oubliés face à l’aide massive apportée par le Japon dans la modernisation à marche forcée de la Chine.
1908 : décès de Sakamoto Ryôma, alors un des hommes les plus riches du Japon mais aussi l’un de ses politiciens les plus respectés. Il avait été nommé prince par l’empereur.
1910 : Conclusion de l’alliance tripartite Japon-Corée-Chine dans un but clairement anti-occidental. La presse européenne commence à parler du « péril jaune ».
1912 : Décès de l’empereur Meiji. Le Japon entre dans la période Taishô en étant depuis 30 ans une démocratie parlementaire. Un modèle qu’elle a exporté en Corée et en Chin où l’empereur Guangxu règne encore (jusqu’en 1931). Quelques années plus tard l’alliance tripartite refuse de s’engager dans la Première Guerre Mondiale qu’elle considère comme une affaire entre puissances européennes. Quelques années plus tard elle intervient cependant en Extrême-Orient russe qu’elle érige en Etat fantôche sous tutelle des trois puissances avec pour capitale Vladivostock et accueillant de nombreux exilés fuyant le nouveau régime bolschevik. L’alliance (plus tard augmentée de la Thaïlande) commence à s’imposer comme une grande puissance et entre en rivalité avec les Etats-Unis.
Conclusion
Ces quatre scénarios japonais esquissés ici sont bien sûr des exercices d’amateur d’histoire et d’imagination mais en regardant l’ensemble on s’aperçoit que ces versions alternatives pointent presque toute vers la plus grande altération possible de l’histoire japonaise : son intégration et son ouverture en Asie et dans le monde. Le Japon a alterné durant son histoire les phases d’ouverture et de fermeture mais même dans ses périodes les plus ouvertes, il est resté un archipel marginal et peu intégré dans les échanges commerciaux mais aussi les échanges d’idées et d’hommes. Le Japon le plus différent possible ne peut être qu’un Japon qui se serait intégré, d’une manière ou d’une autre, à son aire régionale, nécessitant de définir ses rapports avec ses voisins coréen et chinois. Cela aurait impliqué des changements de mentalité et de perception de l’autre. Considérer ce changement est déjà porteur d’enseignements sur le Japon tel qu’il a véritablement été.