Le Nord du Japon, le Tôhoku, est la partie la plus provinciale du Japon. Moins urbanisée et moins peuplée, plus froide, sa population est de tout temps apparue au reste du Japon comme étrange, voire étrangère. Le dialecte local est différent et son histoire aussi, au point d’avoir souvent été à l’écart du reste du pays. Il fut pourtant un temps où les fiers et sauvages habitants du Nord avaient leur propre dynastie de chefs, les Fujiwara, régnant depuis Hiraizumi, la ville de l’or.
Le Nord barbare : l’Ôshû
Les terres des Emishis
Le Nord du Japon a une particularité par rapport au reste du pays, ce sont des territoires qui n’ont été intégrés que bien après le reste de l’archipel. Quand la monarchie japonaise émerge, au cours du VIe siècle, on la découvre déjà maîtresse d’un territoire allant du Nord du Kyûshû jusqu’au Kantô inclus. Les terres plus au Nord sont alors peuplées par les tribus Emishi (parfois aussi appelées Ebisu) qualifiées de barbares. Ces tribus sont considérées comme les héritières de la culture Jômon tardive qui se serait repliée face à l’avancée de la cutlure Yayoi. leur culture matérielle était différente de celle des Japonais et leur apparence physique aussi par leurs barbes qui leur donnaient un aspect farouche. Les guerriers emishiq étaient des archers montés redoutables, combattant selon les tactiques de guérilla et disposant d’armes d’acier de bonne qualité. Ces tribus, très variées et sans organisation commune, vivaient de chasse, de pêche et d’agriculture mais rarement de la culture du riz. Ils sont considérés comme apparentés, bien que différents, des Aïnous qui n’apparaitront que plus tard à Ezo (Hokkaïdô).
Ces tribus ne se considéraient pas comme sujettes de le monarchie du Yamato, très éloignée vers l’Ouest mais cette dernière les considéraient comme des peuples à soumettre. Les premières expéditions japonaises vers le Nord remontaient au VIIe siècle. Le Nord est alors établi comme province sous le nom de Mutsu no kuni (陸奥国) ou Ôshû (奥州) plus tard séparé de la province de Dewa (sur le côté Mer du Japon). Mutsu et Dewa étaient les deux plus grandes provinces du Japon couvrant un immense territoire sur tout le Nord du Honshû, elles reflétaient une réalité : c’étaient des terres à conquérir et les provinces s’étendirent au fur et à mesure de leur intégration au reste du Japon.
Intégration et résistance : la révolte d’Aterui (VIIIe siècle)
Sur place, l’avancée japonaise prit la forme d’une véritable colonisation. L’armée impériale fonda des forts, surveillant les villages fortifiés emishis et protégeant des villages de colons mettant en culture les terres des tribus dépossédées. Certaines tribus jouèrent l’alliance avec la cour impériale, recevant privilèges et titres, d’autres s’y opposèrent farouchement. En 773, un révolte généralisée des Emishis éclata face à la pression japonaise, elle débuta avec la prise et la destruction du fort de Taga (près de l’actuelle Sendai) et le massacre de ses colons. En 776, une armée impériale de peut-être 20 000 hommes fut mise en échec, permettant aux Emishis de lancer des raids aussi loin que dans le Kantô, semant la terreur.
En 789, Aterui, le chef des Isawa, une des plus importantes tribus, dispersa une nouvelle armée ennemie à la bataille de rivière Koromo. Il devint ensuite le principal chef des Emishi, une sorte de Vercingétorix japonais que la cour à Kyôto érigea en ennemi numéro 1. Dans la capitale, l’empereur Kanmu dut tirer les leçons des échecs. Les troupes japonaises étaient surtout des fantassins lourdement armés de cuirasses qui répondaient mal aux attaques brèves et meurtrières des archers à cheval emishis. Ces derniers avaient l’avantage de la mobilité et de la connaissance du terrain. Les soldats japonais n’étaient aussi que des troupes de levée expédiées loin dans ces terres étrangères, ils ne faisaient pas le poids face à des guerriers-chasseurs spécialisés.
L’empereur nomma un nouveau général contre Aterui, Sakanoue no Tamuramaro fut nommé Seii taishôgun, « général en chef chargé de l’éradication des barbares ». Le titre existait déjà mais Tamuramaro en fut le premier dépositaire de renom, un chef militaire temporaire à qui l’empereur avait délégué la conduite des opérations. Le titre de shôgun trouve ses origines dans les luttes contre les Emishis depuis le VIIe siècle mais évoluera ensuite pour devenir le chef des samurais que nous connaissons à l’époque féodale. Tamuramaro réforma son armée en faisant appel à des levées locales dans les régions menacées. Plus motivés, ces guerriers vivant dans les périphéries sauvages avaient aussi plus d’expérience dans les tactiques emishis et avaient adopté aussi leurs armes et le combat à cheval. Il furent les ancêtres des premiers samurais, quelques siècles plus tard (l’épée emishi est aussi considérée comme l’ancêtre du sabre japonais). Tamuramaro parvint aussi à diviser les Emishis par la diplomatie en ralliant certaines tribus comme les Shiwa.
En 801, L’armée de Sakanoue no Tamuramaro occupa les terres des Isawa et y construisit un fort, mettant en fuite Aterui. Cibler uniquement Aterui diminua suffisamment son prestige auprès des siens pour le pousser à la reddition avec 500 de ses guerriers. Contrairement à la tradition de déporter les vaincus vers d’autres provinces, ils furent condamnés à mort, témoignage de la frayeur qu’ils avaient provoqué. Décapité le 19 mai 802, Aterui fut enterré honorablement par Tamuramaro dans le sanctuaire de Katano. Après la révolte d’Aterui, les tribus emishi furent intégrées progressivement. Les chefs devenant les maîtres de leurs propres domaines avec une large autonomie sous le terme de Gôzoku. La culture emishi commença à disparaître mais pour les siècles suivants le Nord, le Michinoku (autre terme pour le Mutsu), garda la réputation de produire des guerriers terrifiants aux moeurs barbares. Les Emishis, de plus en plus japonisés, gardaient un farouche esprit d’indépendance et n’hésitaient pas à recourrir à la violence face aux prétentions des gouverneurs civils nommés par Kyôto. Parmi les grandes familles de samurais de l’Ôshû des siècles suivants, nombreux étaient ceux qui revendiquaient leurs ancêtres emishi, c’était aussi le cas des clans Kiyohara et Fujiwara.
Les Fujiwara du Nord
La naissance d’une dynastie
Parmi les gôzoku d’Ôshû la famille Abe disposait d’une autorité plus importante, réunissant l’autorité militaire sur une grande partie des districts de Mutsu. Les Abe étaient issus d’une branche du clan aristocratique Abe de la cour mais leur installation ancienne et les mariages avec les clans locaux les avaient proprement naturalisés emishis. L’affaiblissement du pouvoir central à l’époque Heian les favorisaient et leur permettait de défier régulièrement les ordres du gouverneur civil (souvent absentéiste) tandis que ce clan, comme d’autres, assumait de plus en plus l’apparence et le mode de vie des guerriers, les bushi.
Le chef du clan, Abe no Yoritoki, finit par refuser de payer les taxes dues à la cour ou de fournir les contributions requises, il en profitait aussi pour confisquer les terres et les redistribuer à sa guise, cela pratiquement une déclaration d’indépendance. En 1051, le gouverneur de Mutsu demanda de l’aide à Kyôto qui nomma Minamoto no Yoriyoshi comme Chinjufu Shôgun, général chargé de la défense du Nord. Les Minamoto étaient déjà une famille de samurais implantés dans le Kantô et disposant de leurs vassaux, leur bushidan, ils étaient en mesure de mener cette guerre par délégation alors que le pouvoir central n’en avait pas les moyens. Cela faisait déjà plus d’un siècle que les guerriers formaient un groupe social à part entière dans le Kantô.
Yoriyoshi mena une guerre de douze ans appelée Zenkunnen no Eki, la « Guerre antérieure de 9 ans ». Une guerre difficile faite de coups de main et de guérilla. Abe no Yoritoki fut tué en 1057 à la bataille de Kawasaki mais son fils Sadato continua à résister jusqu’à la prise du château de Kuriyagawa en 1062. Yoriyoshi n’était qu’un étranger en Mutsu, son succès ne s’expliqua que par l’aide apportée par le clan local Kiyohara, dont était issu le gouverneur civil, et leurs vassaux. Yoriyoshi pouvait aussi compter sur la bravoure de son fils Yoshiie, héros de guerre que ses vassaux commençaient alors à surnommer Hachimantarô (fils du dieu de la guerre Hachiman). Yoriyoshi punit les Abe en éliminant ce clan, leurs responsabilités sur les districts de Mutsu passèrent entre les mains des Kiyohara et s’assurèrent le gouvernorat (il n’y avait d’ailleurs pas beaucoup de nobles pour accepter de s’exiler jusque dans le Mutsu pour assumer la charge). Une alliance née de la lutte commune se forma dès lors entre Kiyohara et Minamoto.
La guerre reprit cependant une génération plus tard en 1083. Les Kiyohara n’administrèrent pas mieux le Mutsu que les Abe et les trois héritiers du clan se disputaient l’autorité sur celui-ci. Minamoto no Yoshiie, nommé gouverneur de Mutsu la même année, échoua à les faire se réconcilier et la rivalité fraternelle dégénéra en guerre ouverte. Le Gosannen no Kassen (« Guerre postérieure de 3 ans ») vit le clan Kiyohara se déchirer et Yoshiie tenter de maintenir l’autorité officielle. Il était aidé par un quatrième héritier des Kiyohara, Kiyohira.
Ce dernier n’était qu’un membre adopté, il était le fils de Fujiwara no Tsunetoki et d’une Abe. Tsunetoki était apparenté à une branche cadette du puissant clan Fujiwara par Fujiwara no Hidesato, un noble guerrier passé dans la légende par les contes populaires racontant ses combats contre démons et onis divers (historiquement il fut aussi Chinjufu shôgun au Xe siècle). Tsunetoki n’en était qu’un parent éloigné et il avait déserté ses fonctions lors de la guerre antérieure pour se rallier aux Abe. Son fils avait été élevé par les Abe comme un Emishi. Tsunetoki avait été exécuté en 1062 par Yoriyoshi lui-même mais sa mère s’était remariée dans le clan Kiyohara, emportant son fils, proprement adopté.
La guerre s’acheva en 1089 avec la prise du château de Kanezawa. Les différents prétendants des Kiyohara furent punis laissant la place à Kiyohara no Kiyohira qui reprit plus tard son véritable nom de Fujiwara no Kiyohira, fondateur des Fujiwara du Nord (Ôshû Fujiwara-shi).
Hiraizumi, la ville de l’or
Entre 1090 et 1100, Kiyohira déplaça sa résidence et le centre de son pouvoir dans un lieu nouveau, le long du principal axe vers le Sud mais à la limite entre les terres des Emishis au Nord et les terres colonisées du Sud, à Hiraizumi. La ville devint ensuite connue comme la ville de l’or, deuxième ville du Japon après Kyôto.
C’est que les Fujiwara étaient riches. Ils disposaient de la plus grande province du Japon qui produisait son propre artisanat et disposait de ressources importantes. Mutsu exportait les chevaux qui avaient fait la force des guerriers emishis. Ces chevaux étaient envoyés en tribut à la cour de Kyôto mais la noblesse et les classe guerrière naissante étaient prêtes à débourser des fortunes pour des coursiers ou des destriers selon les cas. L’élevage des chevaux resta la principale activité patronnées par les Fujiwara. Mutsu était aussi l’antichambre menant vers Ezo (Hokkaïdô) où les ancêtres des Aïnous chassaient et vendaient des peaux rares et d’autres produits locaux considérés comme un luxe à Kyôto. Mutsu disposait enfin de mines d’or et de cuivre dont les Fujiwara encouragèrent l’exploitation. Les Fujiwara avaient les moyens de leurs ambitions.
Cette richesse explique la croissance rapide d’Hiraizumi, leur capitale. Plutôt que capitale il faut imaginer la ville comme une bourgade entourant les palais des membres des Fujiwara et les dépendances de leurs bâtiments officiels. La présence de vassaux et d’administrateurs, d’entrepôts et de magasins nourrissait le développement de marchés locaux et l’installation d’une population vivant près de ce centre de pouvoir et composée de marchands, artisans et domestiques, sans parler des vassaux. Kiyohira établit aussi des contacts commerciaux avec les peuples de Mandchourie comme les Jurchens qui commençaient à pratiquer le commerce maritime (et la piraterie plus au Sud) ainsi que des marchands chinois de la dynastie Song attirés par les ressources du Nord du Japon à un moment où le reste du Japon commerçait peu. La période Heian représente plutôt une période de fermeture, les Taira tenteront eux-aussi peu après de développer le commerce avec la Chine.
Outre sa résidence palatiale, Kiyohira favorisa la construction de temples bouddhistes. Ces temples suivaient le culte du Bouddha Amida qui se développait à l’époque, une version plus religieuse du bouddhisme pour laquelle il invita des moines pour établir ses institutions. Il invita aussi des lettrés, poètes et artistes pensionnés pour réaliser les oeuvres de sa demeure et développer l’artisanat. Le plus célèbre de ces temples, le Chûson-ji, est connu pour le Konjikidô, son pavillon d’or, un bâtiment recouvert de feuille d’or et contenant la statue du Bouddha Amida. Trois siècles avant Kyôto Hiraizumi disposait de son propre pavillon d’or qui est aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Humanité.
Ce développement n’est pas que le fruit de la richesse et de la puissance des Fujiwara. La fin de l’époque Heian est marquée par le déclin de Kyôto, autrefois la seule agglomération du Japon. Les provinces voyaient se développer des pouvoirs locaux issus des clans guerriers ou des familles de courtiers présents dans les provinces. Ces familles autonomes et riches recherchaient à implanter chez elles la culture et le mode de vie de la cour, référence absolue en terme de civilisation. Elles recherchaient non seulement le confort, la protection de leur âme mais aussi la reconnaissance de leur raffinement par l’oeil dédaigneux de la cour.
De tels centres de pouvoirs marqués par les temples d’Amida se retrouvent dans les périphéries du Japon, du Kyûshû jusque dans le Mutsu jusqu’à Kamakura, le fief des Minamoto. La comparaison avec la capitale n’était pas fortuit, les Fujiwara construisirent une véritable petite Kyôto du Nord. Dans leurs palais construits dans le style de cour (Shinden-zukuri) ils pouvaient admirer les vastes jardins élégants dans le style des demeures aristocratiques et imitant des modèles de Kyôto. Leurs appartements étaient ornés de l’artisanat le plus fin et peu avares d’exposer l’éclat de l’or. Hiraizumi se gagna ainsi le surnom de la ville de l’or qui fit une vive impression sur les visiteurs étrangers, marchands jurchen et song venus. Des historiens japonais ont même suggéré que le mythe de Cipango aux toits d’or véhiculé par Marco Polo un siècle et demi plus tard pourrait être un vague souvenir d’Hiraizumi conservé dans les archives chinoises.
La puissance des rois du Nord
Les Ôshû-Fujiwara bénéficiaient de plus d’un réseau d’alliés et de parents étendu. Etre des Fujiwara leur permettait de conserver des contacts directs avec leurs cousins éloignés de Kyôto. Les Fujiwara étaient divisés en plusieurs branches dont la principale, le Hôkke, avaient contrôlé la régence pendant des siècles. Le clan avait perdu le contrôle du gouvernement face aux empereurs retirés mais ses membres colonisaient toujours toutes les branches du gouvernement et de la cour. Les cadeaux réguliers venant du Nord leur rappelait avec émotion leurs liens familiaux avec leurs étrangers cousins du Nord. Plus près d’eux, les Fujiwara pouvaient aussi compter avec leur alliance traditionnelle avec les Minamoto dont la puissance en tant que maison guerrière ne faisait que croître au début du XIIe siècle. Ils s’étaient aussi apparentés avec un autre clan guerrier, les Taira d’où provenait l’épouse de Kiyohira (qui finit cependant par fuir le Nord barbare pour retrouver la douceur de la capitale).
Les Fujiwara étaient en tous points les rois du Nord. Kiyohira décéda en 1128, laissant son autorité à son fils Motohira, fils d’une de ses épouses emishi et par conséquent bien accueilli par les chefs locaux. Il cosntruisit le temple Môtsu-ji, un immense temple de 500 bâtiments et chapelle constuites en bois précieux et ornés d’un jardin représentant la Terre Pure (Jodô, le paradis amidiste). Il décéda en 1157, laissant la place à son fils Hidehira qui compléta et étendit encore Hiraizumi et ses temples. La fortune d’Hiraziumi peut se résumer à la capacité des Fujiwara à s’être tenus éloignés des luttes du centre du pays. En 1156, Kyôto était ensanglantée par de violents combats de la guerre d’Hôgen entre les partisans de différentes factions de la cour d’où les guerriers émergèrent vainqueurs en la personne de Minamoto no Yoshitomo et Taira no Kiyomori. En 1160, Kiyomori éliminait les Minamoto lors de la guerre d’Heiji. Les Fujiwara perdaient leurs alliés traditionnels mais conservaient leurs appuis à la cour, pendant toute la durée de la tyrannie de Kiyomori jusqu’en 1180, Hiraizumi resta indépendante et prospère, maintenant ses liens avec les Taira, protégée par la distance.
Les Fujiwara prospérèrent ainsi par une stricte neutralité dans les affaires nationales. Pour garantir cette neutralité ils disposaient aussi de la puissance de leurs guerriers, peut-être jusqu’à 170 000 guerriers à cheval dont la réputation de férocité et d’adresse, héritée de siècles de guerres contre les Emishis, suffisait à imposer le respect. Rois du Nord, ils ne se préoccupèrent que de la prospérité de l’Ôshû, traitant avec qui disposait de l’autorité à Kyôto. C’est la rupture de cette neutralité par Hidehira qui entraîna sa chute.
La chute
L’enfant de la vengeance et du malheur, Yoshitsune
Les liens anciens unissant les Minamoto et les Fujiwara ne comptaient pas pour rien, Minamoto no Yoshitomo avait été tué à la suite de sa tentative de coup d’Etat de 1160. Il laissait dérrière lui deux enfants survivants, Yoritomo et Yoshitsune. Ce dernier, placé dans un premier temps dans un temple de Kyôto, parvint quelques années plus tard, vers 1177 alors qu’il n’était encore qu’un adolescent, à s’enfuir vers le Nord où Hidehira l’accueillit. Le jeune homme avait peut-être 17 ans et reçut une éducation, fut armé et protégé par Hiraizumi. Yoshitsune fut considéré comme son aïeul Yoshiie comme un dieu de la guerre, il devait une partie de ses succès à ses tactiques de guérilla et de surprise fondées sur la vitesse et le contournement. Ce type de tactiques n’avait pas la faveur des bushi et pouvait apparaître comme deshonorant. Elles témoignent de l’éducation reçue auprès des samurais du Nord pour qui elles étaient plus familières, héritage des Emishis. Sous pression des Taira, Hidehira laissa partir Yoshitsune en 1180 vers le Sud pour qu’il se réunisse avec Yoritomo alors que la guerre du Gempei. La revanche des Minamoto s’annonçait.
Les Fujiwara ne participèrent pas à cette guerre sanglante, ils refusèrent les appels de Kiyomori en 1180 de faire pression sur le Kantô de même qu’ils n’envoyèrent jamais d’aide ou d’hommes à Yoritomo. Leur neutralité étair néanmoins au profit des Minamoto. Yoshitsune s’illustra durant cette guerre comme l’auteur des victoires d’Ichinotani puis de Dan-no-Ura en 1185 où fut consommée la défaite et la destruction du clan Taira. Yoshitsune, homme de guerre plus que politique, se laissa ensuite courtiser par l’ancien empereur retiré Go-Shirakawa qui lui attribua des honneurs au point de rendre soupçonneux Yoritomo. Dès la fin de 1185, Yoshitsune comprenant que la convocation à Kamakura par son frère ne laissait présager rien de bon, il s’enfuit de nouveau vers son refuge de l’Ôshû. Hidehira l’accueillit de nouveau, preuve de leurs liens personnels cordiaux et refusa de le livrer à Yoritomo. Il décéda cependant en 1187, son héritier, Yasuhira, plus jeune et inexpérimenté, se laissa convaincre : pour protéger l’Ôshû il fallait se débarasser de Yoshitsune.
En avril 1189, Yasuhira fit encercler la demeure de Yoshitsune près de la rivière Koromo. Yoshitsune se suicida avant d’être pris, défendu par le moine-guerrier Benkei dont les récits racontent la mort debout héroïque. Il envoya la tête de Yoshitsune à Kamakura comme preuve de bonne volonté. En septembre 1189 Minamoto no Yoritomo prit néanmoins la route du Nord avec 284 000 hommes pour écraser les Fujiwara. Plus que la tête de Yoshitsune, Yoritomo voulait surtout éliminer tout pouvoir concurrent au sien en tant que chef des guerriers et mettre la main sur les richesses, à redistribuer à ses vassaux, de l’Ôshû. Fujiwara no Yasuhira, vaincu, s’échappa mais fut finalement pris et exécuté, mettant fin à l’indépendance du Nord qui intégra le système féodal naissant. Hiraizumi fut incendiée et ne se releva jamais.
Souvenirs et puissance des Nordistes
Après la conquête d’Hiraizumi, le reste des clans nordistes entrèrent dans l’orbite des shôguns Minamoto durant toute la période Kamakura. Différents clans se divisèrent le Mutsu : Iwaki, Satake, Yuki, Date, Sôma etc. On pourrait penser que le Nord était rentré dans la norme des guerriers mais il suffit d’une opportunité pour se rendre compte que leur réputation était intacte. A la fin de l’époque Kamakura, lors des remous de la chute du régime, l’empereur Go-Daigo envoya son propre fils, le prince Norinaga (ensuite empereur Go-Murakami), comme gouverneur du Nord avec Kitabatake Akiie, jeune noble et fils du principal conseiller de l’empereur, comme Chinjufu shôgun. Lorsque Ashikaga Takauji renversa Go-Daigo en 1336 pour imposer un nouveau shôgunat, Akiie sut mobiliser les clans du Nord. Sa grande marche vers le Sud en 1337 le mena jusqu’à Kamakura et aux portes de Kyôto. C’était la première fois que les guerriers du Michinoku descendaient vers les terres « civilisées » du Sud. Ses guerriers, hommes du Nord, sont alors décrits comme des bêtes sauvages s’adonnant au pillage sur les terres civilisées. La terreur des hommes du Nord restait encore vivace même après la mort au combat d’Akiie en 1338.
Pour l’essentiel le Michinoku, représentait encore un monde à part, ses clans se disputaient l’hégémonie locale profitant de leur position ultrapériphérique pour ne pas se mêler des affaires du Sud et menant leurs luttes entre eux. Ce n’est que vers la fin du Sengoku Jidai que le daimyô Date Masamune parvint à s’assurer la prééminence sur ses nombreux rivaux et à construire une principauté comparable à celle des Fujiwara. Les missionnaires parlaients du « royaume de Voxu » (Ôshû) et Masamune est connu pou avoir développé le commerce comme les Fujiwara en leur temps jsuqu’à envoyer une ambassade personnelle jusqu’en Espagne et à Rome. Maître du Nord, Masamune avait des ambitions nationales mais arrivait tard dans le jeu et ne put exploiter ses atouts. Il se fit vassal de Toyotomi Hideyoshi en 1590 avant de devenir celui de Tokugawa Ieyasu, assurant sa position durant la période Edo.
A la fin de l’époque Edo, le Tôhoku conservait encore sa réputation de prouesse guérrière, les domaines du Nord conservaient vivantes la discipline et les obligations militaires de ses samurais alors que ceux de la plupart des autres domaines avaient plus évolué vers le service civil du daimyô. En dehors du clan Date, le domaine le plus actif était le domaine d’Aizu dirigé par une branche cadette des Tokugawa, les Aizu-Matsudaira. Matsudaira Katamori organisa la milice du Rôshigumi (plus tard Shinsengumi) à Kyôto dans les dernières années du shôgunat. Lorsque la guerre du Bôshin éclata en 1868, la nouvelle armée impériale fut contrainte de réduire Aizu par la force, la bataille d’Aizu vit la défaite des loyalistes Tokugawa mais après un long siège où les défenseurs s’illustrèrent.
Le reste du Tôhoku restait en révolte ouverte avec plusieurs domaines dont les Date de Sendai, les Uesugi de Yonezawa et les Niwa de Nihonmatsu réunis au sein du Oûetsu Reppan Dômei. L’alliance se donna même un empereur alternatif à Meiji en la personne du prince Kitashirakawa Yoshihisa (« empereur Tobu »). Le caractère hétéroclite de l’alliance l’empêcha cependant de peser face au gouvernement central. La répression dans le Tôhoku fut sévère pour décourager toute résurgence, mal documentée, cette répression laissa cependant des traces visibles de destructions même une décennie plus tard lors du passage et de la description du Tôhoku par Isabella Byrd.
Que reste-t-il de l’identité du Nord ? Pas grand chose, les chasseurs Matagi en sont un symboles. Ces chasseurs culturellement apparentés aux Aïnous étaient des spécialistes de la chasse aux gros animaux, les ours en particulier alimentant la région en peaux, ils représentaient le côté sauvage de ces terres du Nord. Le Sôma Nomaoi de Fukushima, grand rassemblement équestre en armure remontant au Xe siècle puis poursuivi par le clan Sôma, illustre encore le passé des cavaliers de l’Ôshû issus de la tradition emishi. Le dialecte du Tôhoku (Tôhoku-ben) existe encore dans la diversité de ses anciens domaines. Il est encore considéré comme empreint de provincialisme, lié à une identité rurale un peu archaïque. C’est le Japon des vastes forêts et des merveilles naturelles. C’est aussi là où sommeille encore le Chûson-ji, le temple de l’or de ceux qui furent un temps pratiquement les rois indépendants de cette autre face au Japon.