Le bouddhisme japonais (1/2) : La diversité des écoles japonaises (VI-XIIe siècles)

Le bouddhisme japonais est très évocateur pour le public occidental mais peut se résumer au zen, passé dans le langage courant comme un état émotionnel. Le bouddhisme japonais est cependant très complexe avec un grand nombre de courants, de temples ou d’ordres, le vocabulaire lui-même n’est pas toujours clair. Chacun de ces courants correspond à des époques, des contextes mais aussi des mentalités religieuses et des modes de vie différents qui continuent à avoir une influence au Japon. Essayons d’en identifier les principaux courants et écoles.

Note de traduction : le japonais utilise le kanji 宗 (shû) pour désigner des groupes religieux organisés (le Tendai-shû) et 派 (ha) pour le groupe auquel on s’attache ou on s’identifie. En français ces subtilités passent mal à la traduction et on désignera les groupes religieux bouddhistes selon le contexte par « secte » ou par « école » ou encore « ordre » mais ne correspond pas vraiment au sens d’origine. Nous éviterons d’utiliser le terme de secte qui indique un type d’organisation qui ne correspond pas toujours aux courants religieux et est très négativement connoté. Le terme d’école est plus approprié même s’il n’est pas totalement satisfaisant. Les temples bouddhistes ne portent pas les mêmes noms que les sanctuaires shintô. Le temple se reconnaît par le suffixe 寺 (-ji / -dera) on retrouve aussi parfois 山 (-san, la montagne) dans un sens plus symboliques (les Gozan, les 5 montagnes du zen) mais aussi pour désigner un lieu (Kôyasan, le Mont Kôya).

目次

Le temps des grands temples de Nara

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Quelques repères : les périodes Asuka et Nara (538-794) Les périodes Asuka et Nara ont été le creuset de l'histoire japonaise, quand ses principales caractéristiques furent forgées au fil des luttes de pouvoir.

L’introduction du Bouddhisme (VIe-VIIe siècle)

Le point fondamental du bouddhisme au Japon est qu’il ne s’agit pas d’une croyance indigène. Les Japonais ont donc de tout temps fait la distinction entre les croyances japonaises (le shintô) et la foi bouddhiste importée et étrangère. Le bouddhisme provient du Tenjiku (l’Inde), une terre sainte pratiquement mythique jusqu’à l’époque moderne. Cette croyance fut transmise au Japon au travers le Shintan (le monde civilisé, la Chine et la Corée) vers l’Honchô (le Japon). Les croyances bouddhistes arrivant au Japon étaient déjà transcrites en idéogrammes (kanji), les lettres sanscrites étaient connues mais d’un usage exclusivement religieux dans certaines écoles et rarement utilisée au-delà de l’écrit par une élite intellectuelle des temples (mais elle se retrouve notée sur les pierres tombales ou les stèles).

La statue Kudara (nom japonais du Baekje) Kannon est sensé être la première statue bouddhiste du Japon, cadeau direct du roi du Baekje à son allié du Yamato. Elle est aujourd’hui conservée au musée de l’Hôryû-ji.

C’est à dire que le bouddhisme arrivant au Japon a été passé au tamis de la Chine et va de paire avec la culture lettrée chinoise. Les courants religieux japonais se fondèrent toujours sur une origine chinoise, suivant des préceptes, des maîtres et des textes venus du continent. Les écoles japonaises prirent souvent leur nom d’une école chinoise à laquelle elles se rattachaient spirituellement. Les maîtres chinois venus dans l’archipel et les étudiants japonais partant vers le continent ont été les principaux flux de personnes entre les deux pays durant l’essentiel de leur histoire commune avant l’époque contemporaine. Du point de vue religieux, cette croyance appartient au Grand Véhicule, le Mahâyâna qui est encore aujourd’hui le bouddhisme de la Chine et de la Corée arrivé par l’Asie Centrale au travers la route de la soie (différent du bouddhisme tibétain ou du Petit Véhicule de l’Asie du Sud-Est).

Le bouddhisme lui-même n’est cependant pas arrivé au Japon directement depuis la Chine mais depuis la péninsule coréenne. Les premières traces du bouddhisme apparaissent dans les fouilles au cours du Ve siècle ap. J-C mais le Kojiki et le Nihonshoki font remonter l’introduction du bouddhisme au règne de l’empereur (ou plutôt du roi du Yamato) Kinmei au début du VIe siècle, peut-être en 532. Il aurait été introduit par l’envoi de moines et de statues bouddhistes par le roi du Baekje, un royaume coréen florissant qui entretenait de bonnes relations commerciales avec le Yamato et la Chine.

Représentation d’Epqoue Edo du prince Shôtoku foudroyant les Mononobe. La légende indique que lors de la bataille de Shigisan le prince grava une statuette des 4 Rois Célestes (Shitennô) qui remobilisa les troupes favorables aux Soga bouddhistes, une flèche opportune tuant le chef des Mononobe.

Les premiers lieux de cultes décrits par les chroniques étaient installés au coeur des demeures de la noblesse convertie. Les moines du Baekje visaient à convertir par la tête à commencer par l’empereur et sa noblesse, de ce fait ils s’introduisaient dans des luttes de faction au sein de la cour du Yamato. Une faction bouddhiste émergea rapidement autour du clan Soga, fortement liée à la dynastie royale et opposée à une faction « polythéiste » autour du clan Mononobe. Cette rivalité religieuse doublait une lutte d’influence qui déboucha sur plusieurs luttes de succession. Elles débouchèrent sur la guerre de 587 où les Mononobe attaquèrent les demeures des Soga, détruisant les lieux de culte et jetant les statues de culte dans des canaux.

Cette première guerre civile japonaise fut remportée par Soga no Umako et le prince Umayadô et on peut dès lors considérer que tous les rois du Yamato furent ensuite bouddhistes. Soga no Umako fonda le premier temple bouddhiste véritable en 594 (Asukadera) tandis qu’Umayadô, le régent Shôtoku fit construire le Shitennô-ji d’Osaka et l’Hôryû-ji d’Ikaruga. Ce dernier, (un des plus anciens bâtiments de bois encore débout au monde) était directement associé au palais du prince et de sa famille tandis que d’autres temples étaient fondés par des empereurs ou les Soga. Ces temples étaient construits avec l’aide d’artisans venus directement de Corée selon un plan venu du continent : le garan, une cour fermée par des colonnades centrée sur une pagode et un hall principal. La statuaire suivait le style venu de la Chine du Nord (dynastie des Wei).

L’Hôryû-ji d’Ikaruga est de nos jours le plus ancien bâtiment de bois encore debout au monde. Il s’agit pourtant d’une reconstruction après un incendie au VIIe siècle. Son style architectural établit le modèle de l’architecture de l’époque Asuka et fait le lien direct avec l’architecture coréenne du Baekje dont les artisans furent probablement employés.

L’alliance du trône et de l’autel : l’empereur et le bouddhisme

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Les réincarnations du prince Shôtoku Le prince régent Shôtoku est l’une des figures dominantes de l’histoire japonaise, considéré comme le propagateur du bouddhisme et le premier homme d’Etat du pays, on lui devrait des écrits bouddhistes de grande portée mais aussi la première constitution écrite. Sous un aspect ou un autre, il a été un personnage central sans cesse réinterprété. Les débats autour de sa personne entre historiens sont encore aujourd'hui passionnés.

Le prince Shôtoku édicta en 604 la constitution en 17 articles fondées sur une morale bouddhiste et fut le premier véritable patron du bouddhisme japonais, à ce titre il est vénéré comme un saint bouddhiste faiseur de miracles. Cette morale bouddhiste d’Etat encouragea par exemple le végétarianisme dans la population japonaise, la consommation de viande se réservant désormais à certaines situations précises. La famille du régent fut cependant éliminée par les Soga, eux-mêmes éliminés par le prince Naka no Oê devenu ensuite l’empereur Tenji. C’est à cette époque, dès 630 que les premières ambassades (kentôshi) vers l’empire chinois (alors la dynastie Tang) sont envoyés pour obtenir plus de connaissances politiques, culturelles et religieuses à la source.

Avec Tenji puis son frère Tenmu, le bouddhisme entre dans un projet politique plus large : constituer une monarchie absolue organisée sur le modèle chinois où le bouddhisme servirait de relais de l’autorité d’un empereur-Bouddha. Le Chingo Kokka, l’idéologie dominante, enseignait que les rites bouddhistes apporteraient la stabilité et la paix au peuple. La bonne conduite des rites devait donc devenir une prérogative de l’action de l’empereur, garant de la prospérité du pays. Les temples étaient alors surtout des fondations impériales (Yakushi-ji) associées à quelques fondations aristocratiques des principaux clans comme les Fujiwara et le Kôfuku-ji. La construction de temples patronés devint alors le moyen d’exprimer la puissance d’une famille.

Les 4 saints du Tôdai-ji réunissent l’empereur Shômu avec les moines Gyôki, Genbô et Bodhisena.

Dans cette alliance du trône et de l’autel, les principales figures religieuses comme le moine Genbô (…-746) ou son élève Gyôki (668-749) servaient aussi de ministres et conseillers influents. L’influence de Genbô lui-même trouve sa source dans son voyage en Chine d’où il rapporta des textes religieux et des connaissances, le voyage en Chine était perçu comme un gage de sagesse et d’importance. Le poids de la Corée dans ces échanges disparut avec la conquête du Baekje par son voisin Silla avec qui le Japon entretenait des relations hostiles. Les seuls personnages disposant d’un plus grand prestige étaient évidemment les moines étrangers venus directement du continent. Le moine Ganjin (Jianzhen) était un personnage de haut rang en Chine avant qu’il entreprenne, alors déjà âgé et aveugle, de voyager vers le Japon. Il y apporta des disciples, des textes, des statues et ses connaissances sur la foi mais aussi la culture chinoise. Ganjin est ainsi considéré comme celui qui introduisit les véritables préceptes bouddhistes au Japon débarassés des erreurs de traduction et de compréhension accumulés avec les influences shintô locales. Autre « expatrié », le moine Bodhisena venait directement d’Inde, issu d’une famille de brahmanes il fut accueilli comme un guide spirituel qui apporta son appui au puissant Gyôki. Ces voyageurs étaient alors considérés comme le pinacle de la civilisation.

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5 étrangers au coeur du Japon ancien L’image du Japon ancien est celle d’un pays fermé aux étrangers dont la situation aux marges de l’Asie a permis de garantir son isolement volontaire. Le Japon a effectivement été longtemps isolé du reste du monde et son histoire est en grande partie vierge de références à ses voisins, même ses voisins chinois et coréens. C'est pour cette raison que les jeunes japonais apprennent l'histoire japonaise et l'histoire mondiale comme deux matières séparées. Cela ne veut cependant pas dire que le Japon n’a jamais vu d’étrangers venir et même s’installer dans ses îles avant l’époque moderne. Certains de ces étrangers ont laissé une marque durable, d’autres non. Prêtres, marchands, missionnaires, mercenaires tous ont eu des destins passionnants.

La gloire des temples de Nara

Schéma simplifié d’Heijô-kyô (Nara) indiquant ses principaux temples. Le plan carré d’origine a été déformé pour inclure les grands temples de l’Est et finalement le Tôdaiji symbolisant le poids des écoles bouddhistes dans le processus d’affirmation du pouvoir impérial.

Au début du VIIIe siècle, les descendants de Tenmu fondèrent Nara (Heijô-kyô). La nouvelle capitale, construite sur le modèle chinois, était constellée de grands temples dans le style garan. Le plus important d’entre eux étant le Tôdai-ji construit sur ordre de l’empereur Shômu et terminé par sa fille Kôken en 752, Bodhisena y officia lors des rites d’inauguration. Le Tôdai-ji renferme encore aujourd’hui le grand Bouddha de bronze (Daibutsu), une représentation du Bouddha Vairocana, le principe universel du Bouddha (différent du Bouddha historique Sakyamuni). Le choix du Vairocana allait de paire avec la centralisation croissante du pouvoir impérial à Nara. Le Tôdai-ji était sensé centraliser les rites d’une série de temples provinciaux kokubunji associés aux kokuchô (les manoirs des gouverneurs, centres administratifs des provinces) par l’édit de 741 par Shômu (kokubunji konryû no mikotonori). Ces temples pouvaient aussi servir de relais de l’autorité centrale dans les provinces.

Le Tôdai-ji est encore aujourd’hui la plus vaste structure de bois du monde mais le temple est une reconstruction aux deux tiers de l’original du VIIIe siècle, détruit deux fois durant la guerre du Genpei (1181-1185) et durant le Sengoku Jidai au XVIe siècle.

Les véritables puissances religieuses étaient cependant grands temples de Nara formant les Six Grandes Ecoles (Nanto Rokushû) : Sanron, Jôjitsu, Hôsshô, Kusha, Kegon et Ritsu. Parmi celles-ci l’école Hôsshô, centrée sur le Kôfuku-ji, était la plus influente avec la production de plusieurs moines-ministres (Genbô, Gyôki). Ces écoles se différenciaient par leur enseignement basé sur des interprétations différentes des sutras bouddhistes par des maîtres chinois. Les moines de ces ordres se concentraient sur l’étude de ces textes mais devaient d’abord obtenir le tokudô (une certification des pratiques ascétiques) et recevoir le jukai (l’initiation) de la part d’un maître. Les laïques pouvaient obtenir l’initiation sans pour autant entrer dans les ordres.

Les principales pratiques de ces moines étaient la copie des sutras à des fins de prières et une étude par paliers du corpus bouddhiste (tripitaka). Par nature il s’agissait de pratiques réservés à des moines aphabétisés, si possible lettrés, et donc s’adressant plutôt aux membres de la noblesse et des élites. Le peuple lui-même apparaît alors comme un spectateur passif de grands rites officiels de la cour et des temples. Le bouddhisme est une affaire des élites, le peuple restant à ses croyances ancestrales. Pour concilier la coexistence des deux, les temples établirent le shinbutsu-shûgô, la croyance que les kamis sont des émanations de personnages et de principes du bouddhisme, donc vénérables pour le commun du peuple qui ne pouvait étudier et connaître la loi bouddhiste (le dharma). Cette religion élitiste et politique était cependant critiquée par des moines isolés qui s’engagèrent dans les pratiques ascétiques en tant qu’ermites des montagnes. 

Au-delà de la piété personnelle, les empereurs, principalement Shômu et Kôken, démontrèrent une volonté de centraliser le culte dans la capitale en s’appuyant sur les 6 écoles, seuls les temples de Nara avaient la possibilité d’ordonner de nouveaux moines sur autorisation impériale par un kaidan (une plateforme d’ordination). Seul le Tôdai-ji disposait d’un kaidan officiel plus deux autres kaidan provinciaux dans le Kyûshû et dans le Kantô. Les grandes écoles de Nara et leurs temples bénéficiaient de donations de terres par les empereurs et de privilèges judiciaires et fiscaux. Ces avantages entraînèrent la prolifération des moines cherchant à échapper au poids des taxes même au prix de remettre ses propres terres cultivées entre les mains du temple. Cette prolifération devint rapidement un problème pour le pouvoir impérial.

Estampe d’époque Edo représentant le moine Dôkyô tiré par la manche par l’impératrice Kôken sous le regard stupéfait d’un spectateur. Ce genre de scène fantaisiste est loin de représenté la réalité de l’époque et correspond plus à une propagande hostile à l’impératrice.

Plus que le contrôle de la cour sur les temples, la période Nara vit s’accroître le poids des grands temples sur la cour, rivalisant avec celui des grandes familles aristocratiques. L’exemple emblématique de ce poids se retrouve avec le rôle du moine Dôkyô auprès de l’impératrice Kôken. Ce favori devint son principal ministre avec le titre de Daijôdaijin zenji (ministre suprême et maître de méditation) puis Ho-ô (roi du dharma). Ces titres étaient essentiellement religieux  et Dôkyô mena une politique reposant sur les principes religieux. Le favori fut accusé de chercher à usurper le trône en se faisant nommer héritier et fut renversé à la mort de Kôken en 770, il semble avoir fini sa vie au Yakushi-ji.

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La lignée de Tenmu s’acheva là et le trône revint à la branche de Tenji avec l’empereur Kônin. A partir de là l’influence des temples fut perçue comme un frein à l’autorité impériale. Les privilèges et le poids financier de la construction des temples aggravaient les finances de la cour tandis que le train de vie des moines de Nara devenait de plus en plus luxueux. Ils furent ainsi accusés de genzeriyaku (recherche des biens de ce monde). Puissances politiques et économiques, les temples avaient de quoi financer la construction de grands ensembles de temples. C’est ainsi que la totalité des oeuvres d’art de la période Nara sont des oeuvres bouddhistes : statuaire, peinture, architecture, la plupart de ces trésors sont encore conservés dans les temples comme le Shôsôin, le trésor du Tôdai-ji qui conserve des oeuvres, parfois importées, du VIIIe siècle dans leurs conditions d’origine.

Nara était devenue la ville des temples, les écoles bouddhistes formaient des centres de pouvoir rivaux du palais et manoirs aristocratiques. Pour le fils de Kôkin, Kanmu, il était devenu nécessaire de se détacher de Nara en déménageant la capitale. C’est en partie pour des raisons religieuses que Kanmu déplaça la capitale en 794 avec la fondation de Kyôto (Heian-kyô).

La bouddhisme impérial d’Heian : l’essor des montagnes

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Tendai et Shingon, le bouddhisme des mystères sacrés

Cette reconstitution ne correspond sans doute pas à la réalité de l’époque Heian mais plutôt du plan d’origine de l’empereur Kanmu. La palais impérial est au Nord de la ville tandis que des deux seuls temples bouddhistes autorisés dans les murs étaient le Tôji et le Saiji avec leurs grandes pagodes gardant la porte principale de la capitale (Rashômon). La plupart des grands temples actuels de Kyôto se situent à l’Est (Higashiyama comme le Kiyomizudera ou le Ginkaku-ji) ou au Nord (Daitokuji, Ryôanji, Ninna-ji, Kinkaku-ji) ces derniers, plus proches des quartiers nobles étaient souvent des refuges fondés par l’aristocratie de cours et guerrière.

Le but de l’empereur Kanmu en fondant Kyôto était de s’éloigner de l’influence des temples de Nara, c’est pour cette raison que le plan originel de Kyôto ne prévoit pas d’emplacement pour de grandes temples hormis les temples Tôji (encore existant) et Saiji (disparu) à l’entrée Sud de la capitale. Durant le reste de la période Heian et pratiquement jusqu’à l’époque Edo il n’y eu pas de fondation de temples importants dans le périmètre de la cité et encore aujourd’hui les temples les plus connus et visités de Kyôto se situent en dehors de ses limites traditionnelles. Mais Kanmu et ses successeurs n’entendaient pas se passer d’une politique religieuse.

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Comment Kyôto a-t-elle été fondée? Kyôto signifie littéralement la "ville capitale", elle a été fondée pour pour être la résidence des empereurs du Japon depuis le VIIIe siècle et elle a tenu ce rôle pendant mille ans. La ville s'identifie à l'histoire du Japon de part son patrimoine intact mais aussi ses liens entremêlés avec la plupart des grands moments de cette histoire. Raconter l'histoire de la fondation de Kyôto, c'est raconter le temps de l'époque Heian lorsque les empereurs et la cour gouvernaient le pays.

Les temples de Nara étaient fondés sur l’idée que l’enseignement et les pratiques ascétiques pouvaient mener à l’éveil. Ces enseignements « apparents », kengyô, demandaient du temps mais devaient rester compréhensibles par tous. Le bouddhisme de l’époque Heian, peut-être du fait de l’importance de l’aristocratie sur la société et son caractère exclusif, évolua vers des enseignements « secrets », le mikkyô. L’idée du mikkyô étant que certaines connaissances avancées du bouddhisme ne peuvent être révélées que par des rites réservés. Ces initiations mènent à un bouddhisme plus mystique. Il se pratique par des méditations tantriques utilisant des syllabes (le « a » dans le shingon). C’est pratiquement un bouddhisme à mystère qui se développa alors et attira la noblesse de cour à la recherche d’un sens plus profond que les enseignements arides et sans trop doute trop complexes des écoles précédentes. Ce bouddhisme à mystère reçut le soutien de Kanmu et ses successeurs directs.

La lettre « a » en sanscrit est coeur de la récitation tantrique utilisée dans la méditation du Shingon.

Les moines de Nara et leurs abbés avaient cessé d’être des conseillers de l’empereur, remplacés par la haute aristocratie des Fujiwara, mais l’empereur favorisa des moines selon ses propres inclinaisons. C’est de là qu’émergent les premières grandes figures religieuses japonaises : Saichô (767-822) et Kûkai (774-835), les fondateurs du Tendai-shû et du Shingon-shû. Saichô était un moine d’Ômi qui avait rompu avec son temple pour s’isoler sur le Mont Hiei à l’Est de Kyôto, il faisait partie de ces moines ermites qui critiquaient les grands ordres traditionnels. Kûkai de son côté était issu d’une famille aristocratique et ses talents de lettrés, reconnus par le Daigaku (l’académie impériale), le portaient vers une brillante carrière civile avant qu’il n’entre dans les ordres. Leur réputation attira l’attention de l’aristocratie et ils furent invités à donner des lectures à la cour. Ces jeunes prodiges servaient les desseins de Kanmu, ils furent tous deux sélectionnés pour partir en 804 avec une ambassade vers la Chine des Tang. Saichô étudia auprès de l’école Tiantai tandis que Kûkai étudia dans la capitale à Chang’an.

Saichô (Dengyô Daishi)

Comme leurs aînés de l’époque Asuka, le voyage en Chine leur offrit une aura et un prestige inégalés. Ils rapportèrent aussi des connaissances sur le mikkyô qui étaient déjà plus avancé en Chine qu’au Japon. Saichô reçut son enseignement directement du patriarche Daosui du Tiantai tandis que Kûkai étudia le sanskrit directement d’un maître indien et la récitation de psalmodies tantra par le moine Huiguo. Proprement initiés aux mystères ésotériques par ces maîtres ils purent rentrer au Japon pour propager leurs enseignements. Saichô revint le premier après 9 mois passés en Chine et Kûkai seulement en 806. Ils avaient désormais la protection impériale et la légitimité religieuse pour fonder leurs propres écoles.

Kûkai (Kôbô Daishi)

Saichô retourna dans son pavillon d’ermite sur le Mont Hiei et fonda l’Enryaku-ji tandis que Kûkai s’éloigna de Kyôto pour fonder le Kongobu-ji sur le mont Kôya, il reçut cependant aussi le temple Tôji pour enseigner à Kyôto. Les deux montagnes sont aujourd’hui des lieux sacrés du bouddhisme, de véritables villes de temples qui à leur apogée accueillaient des milliers de moines et de dépendants sur des centaines de temples éparpillés sur les flancs de la montagne. Ces temples n’étaient pas seulement consacrés aux rites mais aussi à l’enseignement grâce à de vastes bibliothèques de textes ramenés de Chine et leurs commentaires. Ils devinrent des centres d’éducation non seulement pour tous les moines du Japon mais aussi pour les laïques.

Ils reçurent à leur tour le droit d’ordonner des moines, brisant le monopole des écoles de Nara. Les disputes religieuses avec ces derniers furent intenses mais le soutien de l’empereur et de la cour avantagea toujours le Tendai et le Shingon. L’Enryaku-ji, plus proche de Kyôto, attira rapidement les familles aristocratiques qui y envoyèrent leurs fils cadets pour apprendre mais aussi devenir des moines de haut rang, les abbés de l’Enryaku-ji furent souvent des princes impériaux et leurs rites les plus importants étaient constitués de prières pour la prospérité et la protection de la capitale. Tendai et Shingon pratiquaient aussi des rites appelés kajikitô pour augmenter la force et le bonheur d’une personne, des rites recherchés par les nobles. Situé en dehors de la capitale mais la dominant, Hieizan devint rapidement un centre intellectuel et une puissance politique, plus que Kôyasan qui devint plus un lieu de retraite et d’exil pour les nobles tombés en défaveur.

Un moine shingon circule entre les tombes de l’Okunoin, le plus grand cimetière du Japon, qui entoure les restes de Kôbô Daishi.

Saichô décéda en 822 et se vit accorder le titre de Dengyô Daishi. Ses successeurs Ennin et Enchi développèrent encore sa doctrine mais avec des disputes qui entraînèrent un schisme entre l’Enryaku-ji et ses dissidents du Mii-dera, devenant des ennemis héréditaires. Kûkai décéda en 835 après avoir obtenu que son Shingon dispose d’une chapelle à l’intérieur même du palais, il reçut le titre de Kôbô Daishi. Les fidèles du Shingon assurent qu’il n’est pas mort mais seulement dans une transe méditative profonde dont il pourrait sortir. Ces mêmes fidèles partent du Mont Kôya pour accomplir le Ohenrô michi, le pèlerinage des 88 temples du Shikoku (île de naissance de Kûkai).

Le bouddhisme de l’époque Heian

Le bouddhisme de l’époque Heian était donc une religion à mystère favorisée par l’aristocratie dont le centre de gravité se situait autour de la capitale et bénéficiant de la protection du pouvoir. Le contexte culturel de l’époque voyait aussi une fusion plus avancée du modèle chinois et de son contexte japonais : développement de la poésie et de la littérature en langue japonaise, émergence de l’écriture hiragana etc. Pour le bouddhisme cela signifiait un mélange accru avec le shintôisme. Les temples disposaient de Jingû-ji, des autels shintô, dans leur enceinte tandis que certains personnages du bouddhisme étaient vénérés comme des kami. La cour impériale pratiquaient les rites shintô et bouddhistes de manière indiscriminées dans son calendrier rituel destiné à assurer la prospérité de l’Etat. Ce syncrétisme est théorisé dans le Honji Suijaku qui développe l’idée que les kamis peuvent être identifiés dans le bouddhisme, Amaterasu Ômikami, déesse du soleil et ancêtre de la famille impériale est ainsi identifiée à Dainichi Nyôrai, la figure centrale du Tendai et Shingon.

Au cours de l’époque Heian, alors que les régents Fujiwara gouvernaient effectivement le pays, les empereurs étaient régulièrement poussés à l’abdication et à l’ordination, se retirant alors dans de grands temples fondés sous leur patronage. La tendance se renforça au XIe siècle lorsque ces empereurs retirés réussirent à reprendre le pouvoir des mains des régents et à gouverner la cour en dehors de sa hiérarchie administrative. Ces empereurs retirés financèrent la construction de six temples impériaux dotés de vastes domaines, les Rokushô-ji, obtenant le titre de Hô-ô (roi du dharma) et conduisant de fastueuses cérémonies.

Si les empereurs de l’époque Nara recevaient déjà l’initiation bouddhiste et entraient formellement dans les ordres l’empereur Seiwa du IXe siècle fut le premier à devenir réellement moine, se retirant dans un temple pour suivre la pratique régulière des rites tout en continuant à influencer la cours. Cette pratique devint traditionnelle ensuite pour les empereurs jusqu’au XIXe siècle.

Le succès du Tendai et du Shingon marqua aussi celui du Shugendô, une pratique alternative favorisant les ermites des montagnes, appelés yamabushi, pratiquant ascétisme poussé et attirant à eux les prières populaires. Ces yamabushi avaient des origines sociales très variées et représentent une alternative aux écoles aristocratiques de Hieizan et Kôyasan. On les retrouvaient en particulier sur le Mont Ômine de Yoshino ou sur le Mont Haku (Dewa Sanzan) plus au Nord dans l’Hokuriku où des yamabushi pratiquent encore aujourd’hui des rites ésotériques centrés sur le feu. Les temples de Kumano furent aussi en leu temps un centre d’attraction des hijiri, les moines-pèlerins, attirés par le shûgendô.

Immanquablement les arts furent influencés par le bouddhisme ésotérique. Le modèle du garan s’effaça, mal adapté aux temples de montagne. On vit apparaître des mandalas et des images de personnages mythologiques comme le Fudô Myô-ô. La richesse de ces oeuvres s’explique par la richesse croissante du Tendai et du Shingon qui captèrent en leur faveur les donations en terres de l’aristocratie. Au cours du IXe-Xe siècle, les terres des temples, défrichées et cultivées forment des domaines, shôen, similaires à ceux de l’aristocratie. Ces domaines religieux étaient dispensés d’impôts et voyaient régulièrement des propriétaires consacrer leurs terres au temple, passant de propriétaire à bénéficiaire de la terre, afin d’échapper aux prélèvements. Les écoles de Nara et de Kyôto devinrent des puissances foncières avec des domaines éparpillés dans toutes les provinces du Japon et soutenus par des temples locaux affiliés aux temples-mères, formant ainsi des ordres puissants.

Le Taizokai est un mandala de l’époque Heian, une représentation de l’univers selon le bouddhisme du Tendai.

La peur millénariste : le Mappô

Parallèlement l’époque Heian du Xe siècle vit le déclin progressif du pouvoir de l’empereur face à l’aristocratie puis de l’aristocratie elle-même incapable de gérer les provinces. La cour impériale, repliée sur elle-même et engoncée dans des rites figés, laissa se développer l’instabilité économique et sociale et avec elle la violence et le banditisme. Pour protéger leurs richesses temples et domaines, les différentes écoles commençèrent à s’armer. Les moines-guerriers sôhei firent leur apparition tandis que les temples de plaine et de ville s’entouraient de murs épais. Les sôhei étaient souvent issus de la classe guerrière émergente des provinces. Les écoles bouddhistes étaient désormais aussi des puissances militaires notable dans un Japon sans armées permanentes où les samurais n’étaient pas encore organisés en clans. Les sôhei permirent aux temples de faire pression sur les élites provinciales voir sur la cour impériale elle-même. Les grands temples avaient recours au gôso, un droit de pétition officiel mais renforcé par le défilé des moines guerriers armés descendant de la montagne entourant des autels portatifs ou des arbres sacrés sous prétexte de procession. Les sôhei de Hieizan (Yama-hôshi) ou de Kôfukuji à (Nara-hôshi) forcèrent à plusieurs reprises la main de la cour pour obtenir gain de cause dans des disputes ou de simples revendications fiscales. Les rivalités entre les factions armées existaient aussi et les sôhei de Hieizan s’opposèrent à plusieurs reprises par la force à leurs rivaux du Mii-dera.

Représentation sur rouleau (ê-maki) des moines-guerriers sôhei de l’Enryaku-ji, source : British Library.

La richesse des temples, toujours dénoncée et jamais réformée, leurs liens mondains avec la cour, l’insécurité et la violence ainsi qu’un certain sentiment de déclin favorisa un état d’esprit inquiet appelé le Mappô. Le bouddhisme considère qu’après la mort du Bouddha Sakyamuni son enseignements passerait par trois étapes : le shôbô (l’âge du véritable dharma où l’enseignement bouddhiste serait encore pur), le zôbô (l’âge du dharma copié où l’enseignement bouddhiste serait reproduit mais non compris) et enfin le mappô, c’est à dire la disparition de l’enseignement du Bouddha. Les aristocrates et les moines de la fin de l’époque Heian vivaient dans l’idée qu’ils étaient entrés dans le mappô, une fin de cycle. Pour conjurer le mappô furent produites des compilations d’enseignements et des oeuvres sensées préserver l’enseignement religieux. Le temple Byôdo-in d’Uji fut ainsi construit par Fujiwara no Yorimichi sur sa villa dans l’idée de repousser le mappô, le temple fut inauguré en 1052 justement parce que de savants lettrés avaient calculé le début du mappô à cette date. Il devint commun de construire des Kyôzuka, des tumuli de sutras où les textes sacrés étaient rassemblés et enfermés comme autant de capsules temporelles pour préserver le savoir.

Le hall du Phoenix du Byôdo-in reflété dans l’étang artificiel qui l’entoure et inséré dans un jardin devait représenter la Terre Pure sur laquelle le Bouddha Amida qui se trouve l’intérieur règne. Il s’agit d’un des rares bâtiments authentique d’époque Heian à nous être parvenu.

Dans ce contexte inquiet et misérable la recherche de la salvation devint un question centrale, non seulement pour l’aristocratie et les moines mais aussi pour l’ensemble du peuple jusque là resté dans les rangs des spectateurs. Le bouddhisme était à la veille d’une explosion réformatrice. 

L’explosion de l’époque Kamakura : à chacun son bouddhisme

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Fin des temps et transformations politiques

Par leurs pratiques et leur recrutement, les grands ordres étaient aristocratiques avec une base de moines issus d’heimin, de gens du peuple. Ce peuple était peu susceptible de comprendre les enseignements et les initiations des religieux lettrés issus de la noblesse mais ils percevaient la dimension sacrée et le richesse des cérémonies et des prières même si eux-mêmes en étaient exclus. Depuis son introduction au VIe siècle le bouddhisme était resté une religion des élites et les couches plus basses de la société n’étaient pas sensées être éduquées ou participer aux croyances et aux rites. Les temples s’appuyaient cependant sur de nombreux dépendants dans leurs domaines et les abords des temples étaient le refuge des déclassés et des vagabonds vivant au service des temples et bénéficiant de leur protection.

Les temples du Xe-XIe siècles sont principalement des halls en l’honneur du Bouddha Amida comme le hall d’or du Chûson-ji à Hiraizumi. Ils doivent donner une idée de la Terre Pure promise aux fidèles.

Les couches non instruites de la population s’accrochaient par défaut à des croyances ou des superstitions plus simples destinées à obtenir des bénéfices concrets : la protection, la stabilité, l’abondance et recherchait de moyens de les assurer par des prières et des charmes. Pour cela une croyance plus simple et directe émergea, le Jôdô-kyô, la croyance en la Terre Pure. Cette Terre Pure est un paradis bouddhiste où les âmes renaîtrées, illuminées et débarassées des souffrances. La Terre Pure est gouvernée le Bouddha Amithaba (Amida). Dès le Xe siècle des moines s’adressèrent directement aux couches les plus basses de la société pour en répandre l’idée et une partie de l’aristocratie était aussi attirée par ces croyances auxquelles il était plus facile de se rattacher. Le moine Kûya préchait ainsi sur les marchés tandis que d’autres cheminaient sur les chemins et attiraient à eux des foules curieuses. La principale pratique religieuse du Jôdô-kyô est le nenbutsu, c’est à dire le chants du nom du Bouddha Amida sensé faciliter le passage vers la Terre Pure au moment du décès.

Ces nouvelles pratiques étaient encouragées par le déclin du pouvoir central qui favorisa l’émergence de centres religieux provinciaux. Les grandes familles émergentes de samurais finançant leurs propres fondations comme le Chûson-ji à Hiraizumi. Le développement des familles de guerriers allaient de paire avec une société plus violente où les conflits se résolvaient par la force, le développement des moines guerriers sôhei en étant un autre signe. A la cour, les luttes de factions menèrent la famille impériale à se déchirer au XIIe siècle et à faire appel aux guerriers pour résoudre leurs différents. En 1160, Taira no Kiyomori imposa sa tyrannie sur la cour à la suite de ces conflits et en 1181-1185 la guerre du Genpei vit l’effondrement de ces mêmes Taira au profit des Minamoto qui fondèrent le premier shogunat. Les temples eux-aussi, puissances mondaines, furent impliquées dans ces luttes. Taira no Kiyomori massacra au nom de la cour un gosô des moines de l’Enryaku-ji descendus protester à Kyôto. En 1181, le prince Mochihito, en fuite face aux Taira, fut protégé par les sôhei du Mii-dera qui s’opposaient à Kiyomori. Le sôhei Benkei, véritable Hercule japonais, resta célèbre comme le compagnon de route de Minamoto no Yoshitsune.

Scène de la première bataille d’Uji (1181) montrant un sôhei défendant le pont d’Uji d’où les planches avaient été retirées pour retarder l’avancée des Taira. Les sôhei du Mii-dera s’étaient mobilisés à l’appel du prince Mochihito et l’escortaient lorsqu’ils furent rattrapés. La bataille fit rage dans l’enceinte même du Byôdo-in.

La guerre civile et les mauvaises récoltes encouragèrent encore les attentes inquiètes et favorisèrent de nombreux précheurs (hijiri) itinérants, parfois issus des grands temples eux-mêmes, parfois des moines obscurs convaincus de leurs idées. Le pratique religieuse change, d’abord fondée sur l’étude et les rites elle se déplace vers l’introspection et un souci de salvation étendu à tous les êtres humains.

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Sauver les âmes : le Nenbutsu

Scène de prêche d’Hônen à ses disciples incluant le futur Shinran. Source : British Museum.

Le premier à exprimer ces changements fut le moine Hônen (1133-1212), originaire du Tendai il développa sa foi dans le nenbutsu. La récitation du mantra « Namu Amida Butsu » devant permettre à tout un chacun d’accéder à la Terre Pure (Gokuraku Jôdô). Peu importe le niveau d’éducation ou même les actions, pour lui c’est la foi et la volonté qui permettent d’accéder à la Terre Pure. Son enseignement dépassait les classes sociales, ses prédications rencontraient le succès aussi bien parmi les nobles que parmi les guerriers et le petit peuple de Kyôto. Prostituées, voleurs, mendiants autrefois exclus de toute pratique religieuse étaient acceptés au grand scandale des moines. Certains de ses fidèles rejetant toutes les autres pratiques bouddhistes vandalisèrent des statues et perturbèrent les rites. Ses prêches attirèrent des foules bigarrées et agitées provoquant l’inquiétude des autorités que les temples attisèrent pour combattre le nenbutsu. Hônen fut exilé dans le Shikoku après une purge en 1207 qui vit l’exécution de certains disciples. Revenu à Kyôto en 1211 il décéda l’année suivante. Comme beaucoup d’autres précheurs du nenbutsu, Hônen rejeta l’idée de fonder à son tour une école, mettant l’accent sur la pratique personnelle. Ce sont donc ses disciples qui mirent en ordre ses enseignements pour former l’école Jôdô-shû.

Shinran, fondateur du Jôdô Shinshû

Parmi ses disciples, Shinran (1173-1262) fut exilé lors des mêmes purges en 1207 mais fut envoyé en Echigo (Hokuriku), défroqué, il se maria et continua à précher le nenbutsu. C’est à partir du Nenbutsu que les moines japonais commençèrent à avoir le droit de se marier (à la différence de la Chine et de la Corée). Les pratiquants actuels du Jôshô Shinshû se démarquent aussi car ils peuvent exercer une activité professionnelle en plus de leurs activités religieuses et ils ne se rasent pas le crâne. L’exil des disciples d’Hônen fut une erreur car elle permit à ceux-ci de ses répandre dans les provinces et toucher un public plus vaste. Shinran poussa la doctrine d’Hônen en disant que les personnes ayant commis des erreurs et des péchés étaient les plus à même de recevoir le pardon d’Amida si elles étaient sincères, plus que les nobles et les guerriers privilégiés. Il mettait aussi plus l’accent sur la foi par rapport à la pratique. Il meurt en 1262 mais ses descendants directs et disciples formèrent le Jôdô Shinshû particulièrement présent dans le Kantô.

Ippen (1239-1289) alla encore plus loin, refusant les distinctions sociales et affirmant que l’acceptation et la récitation personnelle du nom d’Amida suffisait à assurer d’être sauvé. Enseignant une morale plus égalitaire il développa les institutions de charité qui devint le principale pratique des moines le suivante. Les laïques de son école Jishû pratiquaient l’odori nenbutsu, des danses populaires pouvant mener à la transe qui se propagèrent comme de véritables épidémies. Elles provoquèrent des désordres à Kyôto et Kamakura, menant guerriers et civils à abandonner leur travail et toute restriction.

Détail de scène d’Odori Nenbutsu par des moines du Jôdôshû.

Le courant Nenbutsu peut apparaître comme purement religieux, abandonnant les pratiques traditionnelles pour se reposer uniquement sur la foi. Il fut aussi considéré comme révolutionnaire, brisant les barrières sociales et la morale traditionnelle. Les disciples des fondateurs formalisèrent cependant leurs enseignements, portant à un assagissement de leurs croyances. Ces écoles se divisèrent souvent en courants séparés fondés sur des variations infimes de la foi même elles ne se considéraient pas toujours comme séparées du Tendai traditionnel. Les écoles du nenbutsu étaient cependant plus orientées vers la foi populaire et l’aide aux plus humbles.

Atteindre l’éveil : le Zen

Séance de méditation assise zazen dans un temple sôtô. Cette méditation collective se fait sur la surveillance d’un supérieur. Elle peut aussi se pratiquer au moyen de la copie de sutras, de l’ikebana, de la cérémonie du thé et des entraînements martiaux comme l’arc (kyûdô) ou le sabre (kendô).

Un changement tout aussi radical se développait en parallèle de l’essor du nenbutsu. Sur le continent, le bouddhisme chan (autour du temple shaolin) se développait selon l’idée que l’éveil était à la portée de tous par la méditation et l’introspection. Le nenbutsu croyait que l’éveil ne pouvait être apporté que par la bienveillance extérieure du Bouddha Amida, que la grâce était reçue, cette interprétation était appelée le Tariki. Les fidèles du Chan croyaient plutôt que cette grâce était obtenue par les efforts personnels : étude, méditation, charité, c’était le Jiriki. Comme dans les siècles précédents, l’exemple chinois fut transmis vers le Japon, le premier être crédité de ce transfert est le moine Eisai (1141-1215) à son retour de Chine en 1181. Le Chan qu’il avait étudié auprès de l’école Linji fut dès lors appelé le Zen et l’école qu’il fonda devint le Rinzai.

Représentation de Dôgen, fondateur du Sôtô.

Les premiers temples zen fondés au Japon se trouvent à Fukuoka et Kyôto mais c’est à Kamakura, la capitale des guerriers, que le zen prospéra. Protégé par Hôjô Masako, la nonne-shôgun. Eisai ne rompit jamais réellement avec ses origines du Tendai et son Rinzai apparaît comme une version intermédiaire incomplète du zen. Dôgen (1200-1253) est considéré comme le véritable propagateur du zen au Japon. Lui aussi voyageur revenu de Chine, il ne voulait pas créer une école séparée mais réformer les autres courants, dénonçant les pratiques du Tendai, des écoles de Nara et les superstitions du nenbutsu. Lui aussi protégé par le pouvoir de Kamakura, il quitta Kyôto pour s’implanter sur une terre vierge où il fonda le temple Eihei-ji (moins connu que les temples de Kyôto ou Kamakura, l’Eihei-ji reste l’un des temples les plus importants du Japon).

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La pratique prescrite par Dôgen est centrée sur la méditation zazen mais aussi l’introspection à l’aide de kôan (textes courts ou poèmes qui ne doivent pas être vus comme des charades à déchiffrer pour obtenir un message mais comme un point de départ fixant l’attention et menant à la méditation). Les moines zen restaient ouverts sur le monde, ils enseignaient et pratiquaient la charité. Dôgen enseigna le zen au régent Hôjô Tokiyori avant de s’éteindre à Kamakura en 1252, pour le remplacer le régent fit chercher le moine chinois Lanxi Daolong (Rankei Dôryû) dont il fit le fondateur et l’abbé du temple Kenchô-ji à Kamakura. Les successeurs de Dôgen organisèrent ses enseignements dans l’école Sôtô. Aujourd’hui la plupart des écoles bouddhistes sont plus ou moins influencées par le zen. Il s’agit cependant d’un courant religieux et non d’un état émotionnel tel qu’il est interprété en Occident. « Etre zen » n’a pas de sens au Japon de même qu’il semblerait étrange qu’un Japonais vous dise qu’il se sent très cistercien aujourd’hui.

Le régent Hôjô Tokimune (vénéré au Kenchôji) dans ses habitas ecclésiastiques. Les anciens régents avaient pris l’habitude d’abdiquer et prendre la robe au sein de l’école Rinzai tout en continuant à gouverner pour leur successeur avec le titre de Tokusô (patriarche du clan Hôjô).

C’est surtout auprès des guerriers de Kamakura que le zen rencontra le succès, pour plusieurs raisons. Le zen met l’accent sur l’effort personnel pour atteindre l’éveil, le satori, un état qui n’est d’ailleurs considéré permanent comme chez le Bouddha mais à entretenir par une pratique et des efforts soutenus. Ces efforts ne se résument pas à l’étude de textes poussiereux mais à une pratique qui n’exclut pas de vivre dans le monde. La méditation peut être assise (zazen) mais elle peut se faire par l’étude des kôan ou par l’entraînement physique, encore aujourd’hui la pratique du tir à l’arc, le kyûdô, se fait souvent en lien avec des temples (le Kenchô-ji propose des leçons tous les samedis). Autrement dit, la pratique du zen et l’accès au satori, ne sont pas incompatibles avec la vie du guerrier même si paradoxalement il consacre sa vie à prendre celle des autres. Les entraînements martiaux pouvaient devenir une forme de pratique spirituelle. Le zen était aussi porteur d’une rigueur qui résonnait avec la morale guerrière. Il n’est donc pas étonnant de voir que le shogunat de Kamakura puis celui de Muromachi favorisèrent la construction de temples des écoles zen sous leurs patronage.

Butsuden (Hall du Bouddha) du Kenchô-ji. Les temples zen recherchent une plus grande simplicité spirituelle mais les fondations shogunales devaient aussi exprimer la richesse et la puissance de leurs patrons. Ce hall est le bâtiment authentique de l’époque Kamakura.

Etablir la vérité : le Daimoku de Nichiren

Exemple de calligraphie du sutra du Lotus rédigé par le prince Shôtoku lui-même au début du VIIe siècle. Ce texte était déjà connu depuis longtemps mais ce fut Nichiren qui le plaça au centre de la croyance bouddhiste, à l’exclusion de tous les autres textes.

Aux côtés du Nenbutsu et du Zen il faut encore ajouter un dernier courant plus particulier, tellement particulier qu’il prit le nom de son fondateur, Nichiren (1222-1282). Le nichirénisme cherche aussi à mener à la Terre Pure mais uniquement par la foi dans un texte précis du corpus bouddhiste, le sutra du Lotus, considéré comme le dernier sutra et la synthèse parfaite de tous les enseignements du Bouddha. Sa pratique se caractérise par la récitation daimoku (Namu Myôhô Renge-kyô). Nichiren se démarque de ses rivaux par une critique acerbe des autres mouvements, qu’ils soient du Tendai, du nenbutsu ou du zen. Le premier était accusé d’être deconnecté du monde, le deuxième d’être une superstition populaire et le dernier de n’être qu’une facette de la tyrannie des guerriers. Cette critique allait jusqu’à la volonté de détruire les fausses pratiques et interprétations. Il fallait aussi abandonner les richesses et la puissance, cet abandon pouvait être « encouragé » par la destruction salutaire des richesses et leur redistribution aux nécéssiteux. Ce caractère presque révolutionnaire et hostile aux élites s’explique peut-être par les origines de Nichiren qui était un fils de pécheur. Dans son Risshô Ankokuron de 1260 présenté à Hôjô Tokiyori, il appelait rien de moins qu’à la soumission du shogunat aux enseignements du sutra du Lotus.

Scène d’exil de Nichiren dans l’île de Sadô

Acceptant la confrontation et le débat Nichiren manqua de peu d’être tué par les adeptes des autres écoles et les vassaux du shogunat lors de savenue à Kamakura. Il fut arrêté et exilé dès 1261 mais revint en 1268 pour être de nouveau exilé en 1271 pour de nouvelles remontrances au shogunat. Sa condamnation à mort avait été décidée mais lors de son exécution sur une plage un évènement céleste, interprété comme un miracle, l’aurait sauvé. La foi qu’il engendra, au-delà de l’attrait pour son enseignement radical, trouve aussi sa source dans ces supposés miracles. Nichiren est sensé avoir prophétisé des catastrophes causées par le manque de foi. Parmi ces catastrophes l’arrivée d’une menace barbare extérieure qui fut identifiée de son vivant avec la menace croissante d’invasion mongole, c’est l’explication de son pardon de 1268. Il resta en exil dans l’île de Sadô où il mourrut en 1282 mais ses disciples se répandirent, fondant pas moins de 7 écoles différentes dont la plus importante était le Hokke Shôshû, toutes fondées sur l’infaillibilité de Nichiren et son caractère divin prouvé par ses miracles.

Estampe d’époque Meiji représentant le miracle ayant sauvé Nichiren en 1271. Les représentations de ces miracles sont nombreuses et servent l’hagiographie du fondateur.

Nenbutsu, Daimoku, Zen, autant de courants religieux qui se développèrent parallèlement dans un temps très court entre la fin du XIIe siècle et la fin du XIIIe siècle, nés de l’inquiétude millénariste ils tendirent à diviser le bouddhisme japonais en courants exclusifs rejetant leurs rivaux et souvent liés à certaines classes de la population. Cela ne veut pas dire que les écoles précédentes déclinèrent, le Tendai et le Shingon restaient les grandes puissances religieuses de l’époque tandis que les écoles de Nara (Kegon, Hôsshô et Ritsu) étaient revitalisées par les nouvelles influences, s’ouvrant en particulier aux oeuvres de charité et s’adressant aux guerriers à la recherche d’authenticité spirituelle. Le shogunat avait restauré un grand nombre de temples de Nara détruits pendant la guerre du Genpei, établissant des liens et des influences qui se retrouvèrent ensuite dans la construction du Grand Bouddha de Kamakura. La féodalisation de la société japonaise se retrouvait ainsi au niveau spirituel avec cette fracturation du bouddhisme. 

Le Grand Bouddha de Kamakura a été inauguré en 1252. Il représente le Bouddha Amida dans ce qui était à l’époque un temple du Jôdôshû. Sans patronnage shogunal, le temple a été construit par la réunion des contributions parmi les guerriers et les gens du peuple attachés au courant nenbutsu.

On retrouve cette division dans le dicton disant que le Tendai est pour la famille impériale, le Shingon pour la noblesse, le Zen pour les guerriers et le Jôdô pour les masses. A la fin du XIIIe siècle le paysage religieux bouddhiste est formé et se maintient jusqu’à aujourd’hui. Ses courants et ses préceptes religieux se sont affirmés même si leurs écoles vont connaître ensuite des évolutions politiques et sociales importantes.

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Pour en connaître plus : Pierre-François Souyri, Le Moyen-âge japonais / René Sieffert, 2000, Les religions du Japon / Tamura Yashiro, 2005, Japanese Buddhism, Cultural History.

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