Quelques repères : l’époque Kamakura (1192-1333)

L’époque Kamakura marque la naissance du Moyen-âge japonais (Chûsei) non seulement sous la forme du régime des samurais mais aussi par la naissance d’une véritable culture guerrière et de rapports entre les groupes de la société radicalement différents de l’époque Heian précédente. La période pourrait être comparée à la chute de l’empire romain avec le passage d’une société fondée sur un droit ancien à celle fondée sur les traditions et les rapports directs entre hommes, à ceci près qu’au Japon l’empereur reste encore sur le trône, même s’il est progressivement neutralisé. C’est pour replacer cette période japonaise dans un contexte qui nous est familier que je présente un parallèle avec la chronologie de la France. Les deux régions du monde n’ont évidemment aucun contact et ne s’influencent pas mais depuis longtemps l’historiographie japonaise a voulu établir des points de comparaison entre les figures mythiques du samurai et du chevalier.

Mon (blason) des Minamoto

C’est par choix personnel que la comparaison entre les chronologies françaises et japonaises se fait sur la base des dates de règnes des rois, shôguns et régents. Ce choix n’est pas forcément le plus justifié, surtout si on considère que la dynastie Minamoto proprement dite s’éteint en 1219 et est remplacée par des princes impériaux sans pouvoir « adoptés » dans le clan shogunal selon les besoins. C’est pour cette raison qu’il était important d’ajouter la succession des régents Hôjô qui exercèrent la réalité du pouvoir durant la presque totalité de la période. Cette démarche permet cependant de découper l’époque en périodes ayant leur cohérence (l’esprit du règne pour ainsi dire). Attention : les dates des shôguns Minamoto et des régents Hôjô ne sont que leurs dates de règne. Plusieurs d’entre eux ont abdiqué tout en continuant à diriger au travers de leur successeur.

目次

La naissance du shôgunat, la fin des Minamoto (1185-1226)

Parler de la fin de la dynastie Minamoto alors que vient de débuter leur régime peut sembler paradoxal mais il faut se souvenir que les descendants directs de Minamoto no Yoritomo, le fondateur, ne dépassent pas la seconde génération. La plus grande partie de l’époque Kamakura voit la succession de shôguns adoptés dans le clan Minamoto mais n’ayant aucun lien de sang avec celui-ci. Il existe dans les chroniques de l’époque la conscience de cette « chute » des Minamoto. Elle est rapprochée de celle de leurs ennemis traditionnels Taira sous le concept de « Inga« , une destinée marquée par l’hybris et la punition qui s’ensuit, qui fut un thème récurrent dans les morales mises en avant par les chroniqueurs.

La naissance du shôgunat (1185-1199)

Estampes du XIXe siècle représentant la bataille de Dan no Ura (Minamoto Yoshitsune au centre)

Yoritomo, chez du bushidan, de la vassalité, des Minamoto, s’impose à la fin d’un conflit contre le clan rival des Taira avec la bataille de Dan no Ura (1185). A ce moment Yoritomo exerce un contrôle militaire de fait mais n’a pas de titre reflétant cette autorité. Depuis le début de la guerre du Genpei en 1180, il gouvernait en son nom propre les provinces de l’Est dans le Kantô mais sans pour autant prendre un titre de roi indépendant. La cour impériale à Kyôto, dirigée par l’empereur retiré Go-Shirakawa, était une alliée objective des Minamoto pour se débarasser des Taira mais n’avait dans les premiers temps d’intentions de passer d’une tutelle à une autre. Cette intention se vit avec les maladroites tentatives de Go-Shirakawa pour opposer Yoritomo à son demi-frère Yoshitsune qui fut finalement éliminé. Le passage au régime politique des guerriers se fit donc par une transition lente et négociée respectant un état de fait qui va au-delà de l’attribution officielle du titre de shôgun à Yoritomo en 1192. Le titre lui-même n’est pas sensé donner un pouvoir politique. Cette transition se fait à partir de 1183, lorsque les Taira abadonnent Kyôto, avec la délégation de la levée des taxes à Yoritomo, ce détail est important puisqu’il fait des Minamoto des agents de l’Etat reconnus par la cour (qui a bien besoin de ces fonds qui sinon seraient allés dans les mains de Yoritomo). En 1184, la cour reconnaît que les Minamoto et leurs guerriers sont les seuls abilités à porter les armes, faisant des vassaux des Minamoto l’équivalent d’une armée officielle. En 1185, cette autorité militaire et le besoin d’assurer les rentrées fiscales mène l’empereur à reconnaître le droit de Yoritomo de nommer des gouverneurs militaires dans les provinces, les shûgo. Ces décisions fondent ce que l’on surnomme le « compromis de 1185 », jamais clairement exprimé à l’époque : l’empereur assure la légitimité de la puissance des Minamoto en échange de la protection (sécurité et taxes) accordée. L’attribution de l’ancien titre militaire de shôgun apparaît dès lors comme une récompense plus symbolique, dans les sources le chef des Minamoto est surtout qualifié de « seigneur de Kamakura » (Kamakura-dono) ou de Taikun.

Le nouveau bakufu (le gouvernement de la tente) ne remplace pas le régime de la cour impériale qui coexiste parallèlement, sur un plan différent. Les Minamoto, par la puissance militaire, assurent la sécurité du pays, le respect des lois et la subistance de la cour impériale tandis que cette dernière gère les nombreux domaines des provinces et assure le bien être du pays par les rites religieux. Cette double administration transparaît dans les provinces : les gouverneurs nommés par la cour impériale sont toujours présents et représentent encore l’autorité publique mais ils sont secondés par des shûgo, des gouverneurs militaires qui sont chargés de l’application de la justice, de la levée des taxes, de la sécurité et de la gestion des guerriers Minamoto de la province. Les provinces, divisées en domaines de la noblesse et des temples voit aussi s’imposer la présence du jitô, l’intendant militaire qui, au nom du shôgun, assure le contrôle du domaine et en viendra à en usurper une partie à son profit. Les Minamoto restent essentiellement un groupement de guerrier, ses agents sont les vassaux du shogun, les gokenin, tandis que les guerriers non vassaux (souvent au service d’une famille noble, d’un temple ou d’une vassalité locale), les higokenin, n’ont aucune autorité. Les seules institutions prévues par Yoritomo étaient celles gérant les litiges entre vassaux et les attributions des récompenses sous forme de terres, cette administration nommée le Samurai-dokoro, était installée à Kamakura. Un conseil de 13 membres, le Hyôjô, réunissait aussi les principaux vassaux et compagnons d’arme autour du shôgun en un conseil de gouvernement. Tout le reste relevait des relations personnelles entre le suzerain, Yumiya no Chôsha (le maître des arcs et des flèches) et ses hommes, Yumiya no Tomogara (ceux qui portent l’arc et les flèches). Aussi, lorsque Minamoto no Yoritomo meurt dans un accident de cheval en 1199 rien ne garantit le maintien du pouvoir des Minamoto.

Les débuts instables du nouveau régime (1199-1226)

Estampe di XIXe siècle représentant le clan Minamoto et ses principaux vassaux

Le shogunat à peine né va faire face à deux problèmes dans les années qui suivent la disparition de Yoritomo : l’ambition de l’empereur retiré Go-Toba de se débarasser sur shôgunat et les luttes de pouvoir au sein même du clan Minamoto. A la mort de Yoritomo le gouvernement est entre les mains de Hôjô Tokimasa, beau-père de Yoritomo et d’Hôjô Masako, sa veuve. Tokimasa gouverne alors en tant que régent du nouveau shôgun Minamoto no Yoriie. Yoriie conteste la mainmise des Hôjô sur le clan et préfère s’appuyer sur le clan rival Hiki d’où provient son épouse. Cela entraîne rapidement en 1204 un coup d’Etat qui mène à l’élimination des Hiki et à la déposition violente de Yoriie au profit de son frère Sanetomo, il sera assassiné un an plus tard, sur ordre de sa mère dit-on. Tokimasa et Masako n’ont cependant pas les mêmes objectifs, la veuve de Yoritomo s’est faite la garante de l’héritage politique de son époux contre les ambitions de son propre père. Tokimasa est donc rapidement contraint à abdiquer son titre de régent, shikken, au profit du frère et allié de Masako, Hôjô Yoshitoki. Le jeune shôgun Sanetomo, dépossédé du gouvernement effectif, se réfugia dans la poésie et l’alcool. Il fut assassiné par son neveu Kûgyô dans le sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu de Kamakura, mettant fin à la lignée directe des Minamoto et laissant les Hôjô seuls aux commandes. Cette chute brutale et l’évidente instabilité des Minamoto servit alors les intérêts de l’empereur retiré Go-Toba (depuis 1198).

En 1221, éclate la guerre de Jôkyû qui voit la cour impériale, aidée par des clans guerriers du Japon central, tenter de vaincre militairement les Minamoto. L’empereur Go-Toba profitait alors du trouble chez les vassaux des Minamoto qui hésitaient à suivre les Hôjô qui n’avaient fondamentalement pas de droits à diriger la vassalité Minamoto, d’autant que depuis la mort de Sanetomo, Hôjô Masako remplissait de fait les fonctions de shôgun dans l’attente de l’adoption d’un héritier noble. La guerre de Jôkyû voit le triomphe des guerriers de Kantô sur toutes les forces que Kyôto pouvait leur opposer et l’exil de Go-Toba et de ses proches. La cour impériale soumise, Masako et Yoshitoki purent réimposer le compromis de 1185, connu dès lors sous le terme de Kenmon Taisen, qui instaure un équilibre durable entre Kyôto et Kamakura. Ce qu’il faut retenir de ces 25 années de troubles fut d’une part que les Hôjô étaient consacrés, par droit de victoire, comme les régents héréditaires de shôguns sans pouvoir (un membre de la noblesse, Kûjô Yoritsune fut sélectionné pour le poste), d’autre part le bakufu était confirmé comme un régime stable capable de survivre à son souverain au nom du bien supérieur du clan. Il faut noter aussi passage le rôle fondamental de Masako, la « nonne-shôgun », seule femme de l’histoire japonaise a avoir endossé un tel pouvoir et une telle responsabilité. Jien, abbé de l’Enryaku-ji sur le Mont Hiei, théorisa cette victoire pour en tirer l’idée d’un âge des guerriers, vu comme le sens de l’histoire, le dôri, assurant la stabilité du pays dans une diarchie où l’empereur et le shôgun (son régent) se partagaient les devoirs. Cette idée allait être la base idéologique du shôgunat pour le siècle suivant.

En France : La période s’étendant de l’instauration du shôgunat à la mort d’Hôjô Masako correspond dans une chronologie française à la majeure partie du règne de Philippe II et à celui de son successeur Louis VIII. Tandis qu’au Japon le pouvoir du souverain est confisqué par les guerriers en France débute la construction d’un Etat monarchique centré autour d’un roi sacré. Il faut noter aussi une autre grande différence : l’Europe du début du XIIIe siècle est une société entièrement féodale alors qu’au Japon les samurais n’ont encore qu’un contrôle partiel du pays. De vastes régions restent encore entre les mains de la noblesse et des temples sous forme de grands domaines. Les nombreuses communautés villageoises vivent généralement en dehors du pouvoir d’un guerrier et sont sous la protection d’un patron (noble ou temple). Les guerriers n’ont pas de seigneuries sur lesquels ils possèdent des droits de justice et de taxes. Les guerriers ne dominent pas la société et il faudra attendre l’époque suivante au XIV siècle pouvoir voir naître une véritable féodalité japonaise comparable à celle de l’Europe.

L’édification d’un nouveau régime stabilisé (1226-1281)

Mon du clan Hôjô (toute ressemblance avec une référence à un certain jeu vidéo est une coïcidence amusante)

En 1226, Kûjô Yoristune (membre de l’une des familles issues des anciens régents Fujiwara) est adopté pour devenir le chef du clan Minamoto et le shôgun. A partir de ce moment la figure du shôgun est de fait neutralisée au profit des régents héréditaires de la lignée Hôjô. Yoristune tentera bien de maintenir une indépendance face aux Hôjô mais sera finalement déposé avec son fils en 1252 au profit d’une série de princes impériaux adoptés selon les besoins. Le shôgun n’a plus alors qu’un rôle symbolique. Les Hôjô gouvernaient par leur droit de victoire en 1221 mais ils étaient loins de disposer de la légitimité et du prestige d’un Minamoto pour diriger les clans de gokenin. Cela conduisit à la nécessité à la fois de s’imposer face aux clans les plus ambitieux et fonder un gouvernement juste qui légitimera leur pouvoir. Le principal artisan de la consctruction du nouveau régime fut Hôjô Tokiyori. Le shôgunat avait été fondé sur la promesse de maintenir la sécurité et la prospérité en échange du pouvoir, les différents régents Hôjô reprirent cette idée pour justifier leurs gouvernement.

Le gouvernement juste, entendu comme le maintien de la satisfaction des gokenin : les terres concédées au titre de récompense aux guerriers (et souvent usurpées sur les domaines de la noblesse) devaient être garanties et maintenues par des décrets, la justice entre les guerriers fut placée sous la juridiction d’un tribunal, l’Hikitsuke fondé en 1247, appliquant les lois et traditions du clan réunies dans la compilation du Goseibai Shikimoku en 1232. Le Goseibai Shikimoku rassemble les jurisprudences basées sur les décisions de Yoritomo, ses articles établissent les règles régissant le Sôryôsei, ce dernier étant la base de l’organisation des clans vassaux sous la conduite d’un patriarche de la branche principale (honke) disposant de l’autorité sur les branches cadettes (bunke) qui travaillent souvent au profit de la famille élargie en gérant les différentes terres de la famille, éloignées les unes des autres. Ce système imposait un contrôle strict des familles et de leur hiérarchir sur laquelle le shôgunat pouvait intervenir en confirmant les successions. Les membres de brnches cadettes en trop grand nombre furent aussi envoyées vers l’Ouest, autour de Kyôto et jusque dans le Kyûshû pour prendre posséssion de terres distribuées à la suite de la guerre de Jôkyû, réalisant une véritable colonisation guerrière des terres éloignées des bases Minamoto. Le Goseibai Shikimoku définissait aussi pour la première fois par écrit la voie du guerrier, le Kyûba no michi (la voie de l’arc et des flèches) fondé sur ce respect strict des hiérarchies et sur la récompense du service par un bénéfice (onkyû, souvent une terre). Les Hôjô affirmèrent aussi eur contrôle politique sur la cour impériale en instaurant une administration guerrière à Kyôto chargée de surveiller la cour, le Rokuhara, dirigée par le Tandai, véritable vice-shôgun à Kyôto, toujours attribué à un Hôjô. A Kamakura même, Hôjô Tokiyori parvint à mettre au pas les clans les plus ambitieux, d’abord les Nagoe en 1246 (qui soutenaient le shôgun Yoritsune) puis les Miura en 1247. A la suite de ces coups d’Etat manqués Tokiyori fut suffisamment puissant pour cesser de réunir le conseil Hyôjô et gouverner seul. C’est à partir de cette date que le rôle de shikken lui-même perd de son importance face à celui de Tokusô, titre porté par le chef de la famille Hôjô, rendant plus évidant encore l’identification du régime politique à la seule famille Hôjô. Garants de la stabilité, de la sécurité et du gouvernement vertueux, les Hôjô pouvaient se considérer comme les maîtres légitimes de la vassalité Minamoto.

Le choc des invasions mongoles (1274-1281)

Rare illustration d’un combat entre Mongols et Japonais (avec la première représentation connue au Japon de l’utilisation de la poudre avec l’explosion de la grenade).

Les deux tentatives d’invasion mongoles sur ordre de Khubilay Khan sont des évènements particuliers, c’est la première fois que des évènements extérieurs au Japon ont une influence directe sur l’archipel et qu’une menace extérieure se profile. Ce moment fut important dans les siècles suivants pour définir les Japonais comme peuple ayant une identité propre et une volonté de rester indépendants, en bref une nation. Il joua aussi le rôle d’un accélérateur des évolution du shôgunat qui allait rompre les équilibres établis par les régents Hôjô. L’ensemble de cette période se déroule sous le gouvernement de Hôjô Tokimune, tokusô et shikken et donc à ce titre disposant de tous les pouvoirs dans le shogunat. Les récits des deux invasions manquées furent reprises et popularisées jusqu’à nos jours, notamment au travers du mythe du « Vent Divin » (kami kaze), ce typhon qui dispersa la flotte mongole en 1281. Ce qui est intéressant à noter ce sont surtout les conséquences intérieures insoupçonnées de la menace mongole qui resta présente en fait jusqu’en 1294 puisque jusqu’à la mort de Khubilay Khan, une troisième tentative d’invasion était toujours crainte.

Le premier coup porté au régime des Hôjô toucha au coeur des relations vassaliques, la base même de la puissance militaire Minamoto. Le lien entre un seigneur et son vassal (On) dans la relation féodale japonaise impliquait un service (Hôkô) et une fidélité (Chû) qui devait être récompensée par un bénéfice (Onkyû), le plus souvent une terre ou une part de butin, cela avait été le cas après la guerre de Jôkyû. Face aux Mongols, les Hôjô se retrouvèrent dans une guerre défensive se déroulant sur le sol japonais, cette guerre ne produisait aucun butin ou aucune terre à redistribuer. Le shôgunat recruta en grand nombre des guerriers des terres menacées en faisant d’eux des vassaux (gokenin), un grand honneur, mais pour les autres clans envoyés à garder le littoral pendant de longues périodes l’aventure fut ruineuse. Un guerrier devait partir avec son approvisionnement, ses gens d’armes, son matériel de guerre, de quoi subsister, sur une longue période il pouvait s’agir d’une dépense trop grande à supporter sans possibilité d’être récompensé ou de se payer sur le pays. En conséquence certaines familles durent vendre leurs terres, leurs armes, éloigner les cadets et vivre de peu, il en résulta un mécontentement et un affaiblissement du lien vassalique chez les gokenin. Le Hôjô avaient profité de l’occasion pour étendre le contrôle direct du shogunat sur le Kyûshû au travers d’un office de Chinzei Tandai qui devait, depuis Dazaifu, protéger les côtes, cela entraîna cependant de nouvelles dépenses et des frictions avec les clans locaux.

La menace étrangère eu aussi un rôle important dans la relation entre la cour impériale et le Bakufu. Lors deux invasions, Kamakura demanda à l’empereur d’accomplir des rites et prières pour la sauvegarde du pays. Le Bakufu lui-même se prépara et lutta mais le résultat apparemment miraculeux du Vent Divin fit attribuer la victoire à l’intercession de l’empereur. Le souverain était resté depuis la guerre de Jôkyû comme une figure importante mais lointaine et sans pouvoir réel, avec cet épisode commença à germer l’idée que l’empereur faisait le lien entre le peuple et le divin, protégeant le pays par la bonne conduite des rites. Cette idéologie allait prendre forme sous le nom de Kokutai (essence de la nation) sous la plume de Kitabatake Chikafusa et servir de base aux revendications de l’empereur Go-Daigo de restaurer l’âge d’or des empereurs régnants. La victoire sur le Mongols se révèle avoir été porteuse des conflits mêmes qui allaient causer la chute de Kamakura.

En France : la même période recouvre entièrement les règnes de Saint-Louis et de Philippe III. Il est intéressant de noter qu’à la même époque les Hôjô, comme les rois de France, ont à coeur de démontrer qu’ils administrent, pour des raisons différentes, un gouvernement juste. Dans les deux cas les institutions renforçant l’autorité centrale et des agents de l’Etat voient le jour et imposent une stabilité. L’Europe comme le Japon eurent aussi à affronter le péril mongol. L’Europe ne fut sauvée que par le décès d’Ogodei Khan en 1241 mais des raids sur la Pologne, la Hongrie et même les Etats allemands se produisirent jusqu’à la fin du XIIIe siècle. Les Européens n’entendirent jamais en ce temps de l’échec mongol contre le Japon, même si exactement à la même époque Marco Polo se trouvait à la cour de Khubilay Khan et fournit ensuite les premiers détails sur le lointain « Cipango ».

La perte de contrôle progressive (1281-1333)

Le sanctuaire du dieu des guerriers Hachiman à Tsurugaoka (Kamakura) était le coeur de la capitale des Minamoto durant toute la période.

Le prestige de la victoire et l’inquiétude lié au mécontentement des vassaux pousse les Hôjô dans la voie du pouvoir personnel. L’heure n’est plus au gouvernement juste mais au gouvernement fort. Le régent Hôjô Sadatoki commence ainsi à privilégier en priorité ses propres vassaux, les miuchibito, face aux vassaux des Minamoto, provoquant le mécontentement des principaux gokenin. Cela mène aux luttes de faction et au coup d’Etat de 1285 qui permet aux Hôjô d’éliminer Adachi Yasumori et 500 de ses vassaux dans des combats au coeur de Kamakura. A partir de ce point les Hôjô se sont coupés des principales familles vassales du Kantô comme les Nagoe, Nitta ou les Ashikaga qui craindront dès lors pour leur sécurité. Cette concentration du pouvoir se voit aussi par l’érosion des institutions, le conseil du Hyôjô n’était plus réuni depuis longtemps mais à partir de 1293, le tribunal Hikitsuke n’est plus utilisé, faisant du régent le seul juge es affaires des samurais. Cette volonté d’imposer l’ordre dénote une nervosité lié à la situation sociale des vassaux. Les successions dans les familles samurais se faisaient alors par les partage des biens et des terres, même si la direction du clan restait à une branche principale tout puissante. Cela veut dire que sans apport de butin ou de récompenses, un clan ne pouvait que s’appauvrir et se diviser. Le manque de récompense après les invasions mongoles avait donc appauvri et affaibli les branches principales, provoquant éventuellement des luttes violentes avec les branches cadettes. La solution était pour ces clans de se maintenir au détriment de leurs voisins en annexant, confisquant les terres voisines à leur profit. Le nombre de guerres privées augmenta alors que des luttes de succession éclataient dans les familles les plus dispersées. Une autre solution était aussi de se débarasser des cadets superflus qui pouvaient alors rejoindre les rangs de guerriers mercenaires et de bandits. Autour de Kyôto se développèrent des bandes de guerriers hors-la-loi, les akutô, de plus en plus nombreux et organisés à mesure que leur impunité devint évidente. Ils trouvaient refuge dans les montagnes mal contrôlées et échappaient aux poursuites du shogunat.

Pour contrer cette violence guerrière grandissante, les Hôjô tentèrent d’annuler les effets négatifs de l’absence de guerre en prenant un édit « de gouvernement par la vertu », tokusei, qui interidisait la vente des terres des domaines, annulait les dettes ainsi que les ventes de terres sur les 20 années précédentes. La solution n’était au mieux qu’un répit pour les guerriers et fut répétée régulièrement à partir de ce moment. Pire, l’annulation des ventes et les restitutions qu’elle entrainait provoqua des contestations, des plaintes devant le tribunal de Kamakura ainsi que des violences sur les domaines. Cette situation favorisa la remise en cause du modèle de la féodalité de l’époque Kamakura, à la stricte hiérarchie des clans succéda au début du XIVe siècle l’eprit basara. Le Basara désigne d’abord une mode vestimentaire voyante et provocatrice des jeunes samurais mais recouvre aussi une autre idée de la société guerrière. A la place d’une hiérarchie familiale on trouve des groupements de guerriers unis par l’intérêt commun autour d’un chef, ces groupements de combattants sont efficaces et se démarquent par un culture littéraire différente (les poèmes en commun nenga), ils ont aussi tendance à ne pas reconnaître d’autre autorité traditionnelles hors de leur groupe. Ils furent donc considérés comme dangereux par Kamakura.

La chute du shôgunat (1331-1333)

L’empereur Go-Daigo

Il faut ajouter à cette perte de contrôle une modification radicale dans les relations entre Kamakura et la cour impériale. Depuis 1275, après la mort de l’empereur Go-Saga, la famille impériale s’était scindée en deux branches rivales (Jimyô-in et Daikaku-ji) que Kamakura contraignait à alterner sur le trône en espérant affaiblir l’empereur. Cette solution bancale ne pouvait qu’amener à l’accumulation de tensions à Kyôto. Si l’on ajoute à cela le développement d’une idéologie faisant de l’empereur un personnage sacré et à la fin de la sécurité dans les provinces, on obtient un contexte favorable à la révolte contre le shôgunat discrédité. Ainsi, l’empereur Go-Daigo (de la branche Daikaku-ji) refusa purement et simplement de laisser le trône à la branche rivale, il fut déposé et exilé mais revint en 1333 pour déclarer les Hôjô ennemis de la cour. Go-Daigo rassembla une armée dirigée par Kusunoki Masashige, lui-même ancien hors-la-loi akutô extrêmement fidèle à l’empereur. De nombreux guerriers rejoignirent les rangs de Go-Daigo ne serait que dans l’espoir d’en tirer un profit. Hôjô Takatoki envoya contre les rebelles une armée commandée par Ashikaga Takauji qui décida de passer à l’ennemi avec l’ensemble de ses vassaux et de nombreux vassaux des Minamoto qui n’étaient plus disposés à obéir aux Hôjô. le gokenin Nitta Yoshisada changea de camp pour la même raison. En 1333, les armées rebelles assiègent et prennent Kamakura. Hôjô Takatoki, l’ensemble de sa famille et un grand nombre de leurs vassaux se suicident, mettant fin de fait à la régence. le shôgun Morikuni, princie impérial et simple figure symbolique fut autorisé à déposer sa charge et se retirer dans un temple. L’empereur avait repris le pouvoir.

En France : Cette période troublée de l’histoire du Japon correspond globalement en France aux règnes de Philippe IV (le roi ayant éliminé les Templiers) et de ses trois fils aux règnes brefs (Louis X, Philippe V et Charles IV, les fameux « Rois Maudits »). Contrairement au Japon, ces règnes sont ceux de rois forts et d’un royaume à l’apogée de sa puissance. La succession rapide des fils de Philippe IV et la fin de la lignée directe des Capétiens en 1328 allait cependant poser les conditions menant à la Guerre de Cents Ans.

Epilogue : la restauration Kenmu (1333-1336)

La bataille de Minatogawa vue par un peintre d’estampe du XIXe siècle.

La brève période de la restauration impériale de l’ère Kenmu est généralement comptée comme faisant partie de la période suivante de Muromachi. Cet évènement charnière allait profondément influencer le reste du XIVe siècle en provoquant la division permanente de la famille impériale en deux cours séparées et en guerre jusqu’au 1392. C’est cependant aussi le moment où les évolutions en cours depuis la fin du XIIIe siècle éclatent au grand jour et permettent de mesurer la distance avec les prétentions de l’empereur Go-Daigo, ancrées dans une vision du pouvoir fondée sur la période Heian. Il s’avéra rapidement que le temps des guerriers ne pouvait pas être annulé pour revenir à un âge d’or passé. Go-Daigo tenta de gouverner en empereur chinois, un souverain régnant prenant des décisions absolues et s’appuyant sur sa noblesse traditionnelle (mais non militaire) plutôt que sur la classe méprisée des guerriers. La plupart des décisions impériales sur ces quelques années reposaient sur des principes théoriques confucéens qui n’avaient pas de poids dans le Japon de ce temps. Go-Daigo fut contraint de faire face aux attentes de plus en plus pressantes de récompenser et distribuer des terres à ses partisans au premier rang desquels se trouvait Ashikaga Takauji. De nombreux guerriers vinrent à Kyôto pour présenter des pétitions, requêtes, dossiers judiciaires en cours, provoquant de graves problèmes de sécurité auxquels l’empereur, ne sut faire face. La succession rapide de lois et décisions parfois contradictoires achevant de détacher les guerriers de l’empereur. La fidélité allait désormais à celui qui pouvait récompenser et au groupe plutôt qu’à la famille ou à l’empereur. En 1335, Ashikaga Takauji, mécontent de ne pas obtenir de position officielle, se révolta, il fut vaincu et contraint à s’exiler mais revint l’année suivante à Kyôto. La bataille qui s’ensuit à Minatogawa est l’une des grandes batailles importantes de l’histoire japonaise et voit la mort de Kusunoki Masashige. Go-Daigo s’enfuit et un empereur du choix d’Ashikaga Takauji lui confit en 1338 le titre de shôgun, débutant ainsi un nouveau régime des guerriers qui verrait l’approfondissement de la société féodale à la japonaise.

En conclusion la période Kamakura est souvent qualifiée de « premier Moyen-âge japonais » par rapport au régime suivant des Ashikaga. Cette période voit la formation du premier régime des guerriers mais reste jusqu’à la fin du XIIIe siècle sur des évolutions engagées à la fin de l’époque Heian. L’empereur, la noblesse et les tempels conservaient alors une grande partie de leur influence sur la société et le Japon, bien que connaissant une classe de guerriers féodaux, n’est pas encore entièrement une société féodale. Si on devait la comparer avec une autre période de l’histoire de France il faudrait probablement regarder vers le Xe-XIe siècles, avant l’affirmation du pouoir royal centralisateur.

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