Les guerres ninjas d’Iga, 1579-1581

Le 7 octobre 1579, Oda Nobukatsu envahissait la province d’Iga et s’aventurait à entrer en guerre contre les ninjas. Cette guerre est plus sobrement intitulée Guerre d’Iga de l’ère Tenshô (Tenshô Iga no Ran). Il s’agit d’un conflit qui empoissonna les plans du terrible Oda Nobunaga et coûta la vie à de nombreux vassaux de son clan. Une guerre qu’il n’avait pourtant pas souhaité.

目次

La « république » d’Iga

Iga était une province enclavée entre Ise, Ômi et Yamato, une région très rurale et peu convoitée. A la fin du du XVe siècle elle s’était organisée en une confédération de ligues locales de villages, le Iga Sôkoku Ikki. Cette ligue était en soi une anomalie dans le paysage japonais, un cas à part. désigne une sorte de commune villageoise autonome qui ont commencé à apparaître au XIVe siècle alors que le shogunat perdait le contrôle du pays et que les guerres entre clans samurais devenaient omniprésentes. Ces communes prenaient leurs décisions en rejetant le contrôle d’un seigneur et en s’opposant au passage d’armées sur leur territoire. Certains de ces sô se réunissaient dans un ensemble plus large, le sôson, une confédération locale de sô. Iga avait la particularité d’être un sôkoku, un sô qui s’étendait à l’ensemble de la province, la seule à ne pas avoir de daimyô ou de clan régnant.

La province d’Iga telle que représentée par Hiroshige à l’époque Edo

Ces ligues étaient fondées sur l’idée de défense commune et unissaient les petits guerriers locaux (jizamurai, samurais attachés à la terre) et et les communautés agricoles des villages. Les guerriers formaient un ikki, une ligue guerrière jurée qui était associée au sô. La plupart de ces ligues étaient fondées sur un serment d’égalité prononcé dans un sanctuaire shintô significatif. Elles étaient organisées selon des institutions : des assemblées locales des chefs de familles qui discutaient et prenaient les décisions et des assemblées des samurais. Ces assemblées locales semblent avoir constitué une assemblée provinciale de 66 membres dans un temple, le Heirakuji. Les modalités de fonctionnement ne sont pas claires selon les sources, on parle de 10 magistrats ou d’un conseil de 12 volontaires pour superviser la ligue. Un impôt égalitaire, le kuji, devait permettre de financer la défense commune. La plus grande partie de ces ligues se trouvaient dans la province de Yamashirô, autour de Kyôto mais aussi à Iga ou encora à Kôga (au Sud du lac Biwa). Iga semble même avoir rédigé une constitution dès 1560 pour définir les termes de son alliance avec la ligue de Kôga.

Les « instruments de l’art » conservés au musée d’Iga-ryû

On pourrait avoir l’impression de voir une sorte de république villageoise (et beaucoup d’historiens marxistes japonais du XXe siècle l’interprétaient ainsi) qui avait rejeté ses gouverneurs Shugô (du clan Niga). Les assemblées mentionnées étaient loin d’être démocratiques même si elles étaient ce qui s’en rapporchait le plus à l’époque. Tout porte à croire qu’elles ne réunissaient que les chefs de famille de propriétaires et étaient dominées par les plus riches. Les guerriers semblent avoir été organisés en clans très hiérarchisés autour de grandes familles : Hattori, Momochi, Fujibayashi, ils sont qualifiés de Jônin et semblent avoir eu un contrôle territorial sur une partie de la province.

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Les ninjas contre Nobunaga

La province d’Iga était jugée pauvre car ses terres étaient inadaptées à la culture en rizière et elle était enclavée, cela explique en partie pour elle ne fut jamais unifiée par un clan guerrier mais resta l’enjeu de batailles entre petits clans locaux, justifiant la création de la ligue. La pauvreté des terres et le morcellement de la province explique aussi peut-être pourquoi les habitants d’Iga se firent mercenaires dès l’époque Kamakura, vendant leurs services au plus offrant. Les guerriers d’Iga étaient cependant faibles face aux armées seigneuriales et utilisaient volontiers des tactiques de guérilla pour surprendre leurs adversaires dans un environnement qu’ils connaissaient bien. D’autres tactiques incluant l’infiltration, l’assassinat et les attaques surprises firent que les hommes d’Iga furent bientôt connus comme des ninjas et les clans seigneuriaux voisins évitaient de les affronter même s’ils ne dédaignaient pas les engager.

La province d’Iga à l’époque de la guerre

La première guerre d’Iga

A la fin du XVIe siècle, Oda Nobunaga, seigneur de la guerre en pleine ascension, s’était emparé de la province voisine d’Ise dès 1576 en faisant assassiner la famille des Kitabatake. Il n’avait cependant pas fait de geste hostile envers Iga qui n’était pas ses plans à une époque où il était plus préoccupé par les Takeda, les Uesugi et l’Ouest en général. Ce n’était pas le cas de son fils, Oda Nobukatsu, à qui la province d’Ise avait été confiée. Nobukatsu était un fils cadet de Nobunaga. Etant un cadet Nobukatsu servait les plans de son père mais n’était qu’un faire-valoir qui avait été relégué sur un front moins important. Il devait faire ses preuves dans la gestion de la province d’Ise pour pouvoir plus tard devenir un soutien de l’héritier en titre, Nobutada. C’est pour se couvrir de gloire aux yeux de son père et arrondir ses domaines qu’il décida d’attaquer Iga, croyant avoir affaire à une proie facile. Il fut peut-être convaincu de cela par un transfuge d’Iga appelé Shimoyama Kai.

Oda Nobukatsu, 2e fils de Nobunaga, pas son préféré.

Nobukatsu entreprit en 1578 de faire construire un château à Maruyama, au coeur de la province d’Iga, comme point d’appui pour une future conquête mais les samurais d’Iga, bien informés, réagirent à leur manière habituelle en montant une attaque surprise et en brûlant le château. Un tel affront ne pouvait rester impuni et Nobukatsu réagit comme un Oda, il prépara une invasion punitive pour asservir Iga. Le 6 octobre 1579 l’invasion débuta avec trois colonnes différentes avançant dans la province d’Iga. Les guerriers locaux étaient cependant au courant de ces plans depuis longtemps et leur chemin était bien repéré. Les trois armées furent attaquées en embuscade lorsqu’elles traversèrent les passes menant à la province. Les 8000 hommes commandés directement par Nobukatsu s’enfuirent et se dispersèrent, les autres colonnes ne firent pas mieux. Le fils de Nobunaga fut contraint à une retraite humiliante jusqu’à Ise. On appelle cette tentative infructueuse la 1e guerre d’Iga.

La deuxième guerre d’Iga

Nobunaga entra évidemment dans une grande colère, son fils ne l’avait pas consulté avant d’entreprendre son aventure et il en résultait un des pires désastres militaires connu par les Oda. Non seulement il avait perdu des milliers d’hommes mais en plus son contrôle sur Ise était affaibli et l’aura d’invincibilité des Oda en sortait sérieusement écornée. Nobukatsu manqua de peu de devoir se suicider sur ordre de son père mais il fut finalement pardonné. Nobunaga n’était pas connu pour laisser passer une insulte et l’affront fait à son nom devait être réparé, ne serait que pour décourager ses adversaires qui y verraient un acte de faiblesse. C’est ainsi qu’il fut contraint de modifier ses plans pour soumettre Iga, une province pour laquelle il n’avait aucun intérêt particulier.

Modèles de shuriken présentés au musée Iga-ryû à Iga-Ueno.

La Deuxième guerre d’Iga fut déclenchée en 1581 avec une invasion utilisant cette fois-ci toutes les forces disponibles des armées Oda, probablement plus de 42 000 hommes face aux 10 000 défenseurs d’Iga. Nobunaga était alors au sommet de sa puissance et disposaient de moyens exceptionnels et d’arquebuses en grand nombre. Il parvint de plus à s’adjoindre l’aide de Tarao Mitsuo, un personnage important de la ligue de Kôga, eux-mêmes disposant de mercenaires ninjas. Kôga devait normalement fournir son aide à Iga au nom de la défense commune mais Tarao fut apparemment capable de détacher Kôga d’Iga et même de récupérer deux transfuges d’Iga qu’il confia à Gamo Ujisato pour servir de guides et forcer les passages sans encombres.

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Les guerriers d’Iga étaient moins nombreux et surtout ils étaient dispersés à travers la province en petits groupes. Le relief était leur principale défense mais dans la province elle-même Il n’y avait que peu de châteaux. La défense des communautés reposait sur la guérilla et sur de nombreux petits manoirs. Ces manoirs étaient situés au milieu des rizières qui formaient des douves pour les assaillants. Ceux-ci étaient obligés de passer par des chemins étroits et bien contrôlés menant vers l’habitation fortifiée (guère plus que des palissades avec des tours et une entrée fortifiée en bois). Cette défense ne tint cependant pas face à une attaque en règle d’une grande armée. Nobunaga donna l’ordre de tout brûler dans la province : manoirs, temples, villages. La structure très décentralisée de la province rendit probablement cette décision inévitable mais il semble que de nombreuses familels furent autorisées à fuir plutôt que d’être tuées. Momochi Sandayu, un des principaux chefs de familles de la province semble être entré dans la clandestinité après la chute de son château mais on n’entend plus parler de lui par la suite. Face au rouleau compresseur des Oda, les habitants d’Iga résistèrent mais finalement préférèrent se soumettre. En novembre 1581 l’affaire était terminée avec la chute du château de Kashiwabara et Nobukatsu reçut la province.

Représentation d’un manoir fortifié d’Iga durant le Snegoku Jidai.

Les ninjas d’Iga après la chute

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Les familles restantes de guerriers d’Iga firent leur soumissions aux Oda mais dans l’année qui suivit de nombreuses familles d’Iga choisirent l’exil comme les Hattori. Ils se répandirent dans plusieurs provinces pour offrir leurs services à des clans à la recherche d’auxiliaires discrets. Leur résistance féroce face à Nobunaga les avaient rendu célèbres et les clans ennemis des Oda ne manquaient pas. Nobunaga fut tué l’année suivante, en 1582, par trahison et la nouvelle se répandit rapidement jusqu’à Iga qui connut alors une révolte qui parvint à se débarasser de Nobukatsu, qui avait d’autres soucis à ce moment. Dans les remous suivant la mort de Nobunaga, le futur shogun Tokugawa Ieyasu fut contraint de fuir en passant par Iga pour retourner en Mikawa. A cette occasion Hattori Masanari (Hanzô) se mit à son service et recruta une garde de 300 guerriers d’Iga pour l’escorter, ils restèrent ensuite au service des Tokugawa. Dans les années qui suivirent ces ninjas d’Iga furent utilisés contre les ninjas de Kôga, qui étaient au service de Toyotomi Hideyoshi. Il s’agissait d’un autre aspect du conflit plus large entre Tokugawa et Toyotomi mais cette rivalité entre ninjas donna naissance à un mythe durable à l’époque Edo. Kôga contre Iga, la lutte des villages ninjas rivaux se retrouva illustrée dans les romans et histoires dont les gens de l’époque Edo raffolaient. Ainsi naquit la légende des ninjas d’Iga et de leurs prouesses de combattants de l’ombre.

Hattori Hanzô, bien que né en Mikawa il était lié au clan Hattori d’Iga.
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Au début de l’époque Edo, Hattori Hanzô fut placé à la tête du Igagumi Dôshin avec un rôle de police. La province d’Iga fut confiée à Todô Takatora, le plus célèbre bâtisseur de château à qui on doit les impressionantes murailles du château d’Iga-Ueno. Les familles guerrières d’Iga furent incorporées dans un système de redistribution des revenus en riz tandis que les paysans étaient ramenés à leur condition sous contrôle guerrier. La remise en ordre confucéenne de l’époque Edo eu raison des solidarités locales de l’époque de l’Iga Sôkoku Ikki. Des familles guerrières d’Iga conservèrent leurs tactiques traditionnelles ninjas durant toute l’époque Edo et furent probablement discrètement employés selon les occasions, la dernière mention de leurs actions est l’infiltration de Sawamura Yasusuke sur l’un des navires du commodore américain Perry en 1853. Au XXe siècle ces traditions et pratiques (ninjutsu) furent simplifiées, compilées et réunies sous le terme générique de Iga-ryû (école d’Iga).

Entrée du musée « ninja » d’Iga-ryû à l’intérieur du périmètre du château d’Iga-Ueno. Il s’agirait d’une maison ninja déplacée avec ses cachettes et ses chausses-trappes.

Pour en savoir plus : Pierre-François Souyri, 2013, Histoire du Japon médiéval : le monde à l’envers.

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