Sakamoto Ryôma est le héros japonais par excellence. De nos jours les Japonais vouent un véritable culte au jeune révolutionnaire de la fin de l’époque Edo, même s’il est resté oublié pendant longtemps. Il fut assassiné dans des circonstances mystérieuse à 31 ans juste à la veille de la restauration Meiji pour laquelle il avait tant sacrifié. Sa mort prématurée est devenue un des mystères de l’histoire japonaise concluant une vie héroïque.
Sakamoto le révolutionnaire
Un samurai de Tosa, parcours d’un éveil politique
Le parcours de Sakamoto Ryôma peut se comprendre en voyant le milieu dont il vient. C’est un samurai du domain de Tosa (Shikoku), un domaine appartenant aux daimyôs Yamauchi assez puissant mais très enclavé et provincial. Même s’il faisait partie de la caste des samurais Ryôma venait d’une famille de gôshi, samurais de village, le rang le plus bas dans la hiérarchie dans un domaine qui appliquait une stricte ségrégation entre les guerriers de haut rang (joshi) et les subalternes (kashi). Les Sakamoto étaient à l’origine des brasseurs de saké qui avaient acheté (par adoption) leur entrée dans la caste des samurais trois générations avant. La famille disposait donc de revenus en dehors du salaire (versé en riz) qu’ils touchaient pour leur service au seigneur (service de garde). Sakamoto Ryôma devait donc être considéré comme venant d’une famille de parvenus de bas rang, il avait reçu l’éducation d’un samurai tout gardant en mémoire que sa famille s’était élevée par le travail, il n’eut jamais donc l’orgueil du samurai et l’habitude de s’intégrer dans une hiérarchie indiscutée.
Ryôma n’était pas un intellectuel et ses études le portèrent à se perfectionner dans le maniement du sabre. C’est pour cette raison qu’il eu la possibilité de quitter le fief de Tosa pour étudier dans une meilleure école de sabre à Edo en 1853. Ces études apportent deux changements majeurs pour le jeune Ryôma : à Edo il entre en contact avec une culture urbain cosmopolite réunissant des guerriers de tout le Japon, il en deviendra moins provincial. Il arrive aussi juste au moment où les navires américains du commodore Perry forcent l’ouverture du Japon. Ryôma se retrouve ainsi directement au contact au bouillonnement politique et intellectuel provoqué par la menace extérieure. Après un bref retour à Tosa il revint ensuite à Edo comme instructeur de sabre, shihan. Il retourna ensuite à Tosa en 1858 mais il s’est déjà fait une opinion politique et milite en faveur de l’expulsion des étrangers et de la restauration impériale, le Sonno Joi.
Sakamoto Ryôma devait apparaître encore comme un marginal parmi les autres membres du Sonno Joi de Tosa. La plupart n’étaient jamais sortis de leur fief et n’envisageaient le monde et la situation qu’à leur petite mesure. Ryôma avait vu les étrangers et il connaissait. A cette époque les dôjô étaient devenus des lieux de sociabilité permettant à des guerriers de plusieurs statuts et d’horizons différents, parfois même des non-samurais, d’entrer en contact. A Tosa, Ryôma suivit le mouvement de son ami Takechi Hanpeitai qui fonda en 1862 le Kinno-tô, un mouvement xénophobe qui voulait prendre le pouvoir à Tosa et prépara l’assassinat de Yoshida Toyo, principal conseiller du daimyô Yamauchi. Le Kinno-tô se concentrait sur le seul Tosa alors que Ryôma pensait que le mouvement devait englober tout le Japon. C’est sans doute pour cette raison qu’il prit la décision de déserter Tosa en 1862.
Le vagabond du Bakumatsu
Déserter son fief d’origine, dappan, était un crime pour l’époque qui aurait pu lui valoir une condamnation à mort (sa propre sœur se suicida en réaction) et qui fit de Sakamoto Ryôma un fugitif et un samurai sans maître, un rônin. Ryôma retourna à Edo où il gravita au sein des mouvements xénophobes avant d’entrer en contact avec Kaïshu Katsu, partisan de la modernisation du Japon (dans le but avoué de l’assassiner). Kaïshu Katsu était un officier du shôgun qui avait commandé le Kanrin Maru, premier navire moderne japonais à traverser le Pacifique, il avait visité les Etats-Unis et en était revenu avec la conviction que le Japon devait se moderniser pour rester indépendant. On ne sait pas comment et pourquoi Kaïshu Katsu s’intéressa à Ryôma mais celui-ci devint un de ses disciples. De Kaïshu Katsu, Ryôma tira son intérêt pour le commerce (déjà présent par ses origines familiales), la navigation, la conviction de devoir ouvrir le pays et aussi l’ouverture à des idées venues d’Amérique comme l’égalité naturelle entre les hommes (une idée qui devait avoir son attrait pour un jeune samurai venant d’un domaine particulièrement réputé au Japon pour être inégalitaire), il perdit aussi ses vues xénophobes.
En 1864, Kaïshu Katsu fonde l’école navale de Kobe, Kobe Kaigun Sôren-jo, qui tente de former des officiers pour une marine nationale japonaise dont Ryôma fit partie. Ryôma se déplace alors selon les besoins de son maître et se rend souvent à Nagasaki où se trouve une autre école navale, il y rencontre probablement des hommes des fiefs hostiles de Satsuma et Chôshû ainsi que des marchands étrangers comme le britannique Glover. A Kobe il se trouve aussi proche des évènements de son temps avec l’incident de Kinmon en 1863 qui voit les samurais de Chôshû être repoussés par ceux de Satsuma et les Tokugawa dans leur tentative de prise du pouvoir. Il voit aussi les navires européens partir pour bombarder Satsuma et Chôshû en 1863 et 1864. Il se marie en 1864 avec Narasaki Ryô, fille d’un médecin éliminé durant les purges de l’ère Ansei.
En 1865, l’évole navale de Kobe est fermé sur ordre du shogunat qui y voit un repaire d’opposants, Ryôma, libéré de son service se rend à Nagasaki et y fonde avec des proches la première compagnie privée du Japon, spécialisée dans le transport maritime, la Kameyama Shachû, devenue ensuite la Kaientai. La Kaientai opère surtout pour acheter des armes et les vendre à Chôshû et loue ses services comme marine privée avec ses propres bateaux. On retrouve ici l’esprit d’entreprise de Ryôma, plus marchand que samurai. Il a alors pris les traits qu’on lui connaît : habillé à la japonaise mais avec de chaussures occidentales, expert du sabre mais préférant désormais un revolver Smith et Wesson. On voit là les particularités qui rendirent Sakamoto Ryôma unique en son genre : il n’est pas lié à un fief, il peut se déplacer très librement, il dispose de son propre navire et de ses fonds propres, il a des contacts avec tout le monde, il n’est pas éduqué et politiquement très engagé mais a des convictions enracinées dans un pragmatisme marchand. Contrairement aux samurais de Chôshû partis étudiés en Europe il est toujours resté au plus près des évènements du Japon à faire un travail plus pratique que théorique. Il fut un vagabond et un artisan pour le mouvement qui voulait renverser le shogunat pour restaurer l’empereur.
Une vision du futur du Japon
C’est cette indépendance qui fit de Ryôma l’intermédiaire évident pour tous les opposants aux Tokugawa. Il fut l’entremetteur entre les deux fiefs ennemis de Chôshû et Satsuma pour leur réconciliation. Les deux fiefs voulaient s’opposer aux Tokugawa mais leurs vues et leurs intérêts divergeaient : Chôshû avait une vue radicale et xénophobe, ses guerriers étaient prêts au combat mais n’avaient pas d’accès aux armes modernes, Satsuma avait des vues plus modérées fondées sur la modernisation du Japon et avait de nombreux contacts avec les marchands étrangers. Leur alliance devait permettre de construire un parti fort contre les Tokugawa. Ryôma semble déjà être identifié comme opposant par le shogunat qui tente de l’assassiner lors de l’incident de l’auberge Terada (9 mars 1866), il ne doit sa vie qu’à son épouse qui le sauve alors. Il est à Chôshû pour combattre sur mer contre l’avancée de la deuxième expédition punitive du shogunat. En juin 1866 il parvient enfin à mettre d’accord Saigo Takamori de Satsuma et Kido Tadayoshi de Chôshû pour former une alliance baptisée Sat-Chô. Cette alliance permet à Chôshû de résister aux Tokugawa et le shogunat commence à perdre pied. Sakamoto Ryôma peut être crédité comme l’un des pères de la chute du shogunat.
Il se rapproche ensuite de son fief de Tosa qui lui pardonne sa désertion pour pousser à une fin négociée du shogunat, Ryôma semble avoir voulu modérer la puissance du couple Sat-Chô en faisant de Tosa un intermédiaire (comme lui) avec le shogunat pour maintenir un équilibre et éviter une guerre civile. Il a aussi la particularité, par rapport à d’autres de ces révolutionnaires, d’avoir pensé à ce qui viendra ensuite. En 1867, il évoque avec son ami Gôto Shôjirô (de Tosa) ses vues pour le Japon du futur, Shôjirô prends des notes pour ce qui deviendra le Senchû Hassaku (8 vues sur un bateau) où Ryôma détaille ses idées pour une constitution instaurant l’égalité et un parlement à deux chambres qui moderniserait le Japon, renforcerait son armée et sa marine pour préserver l’indépendance. Ryôma ne semble pas croire que l’empereur et ses soutiens seront capables de gouverner seuls, d’où son recours à un modèle plus démocratique inspiré de l’Amérique. Ces 8 vues seront reprises dans le Shin Seifu Kôryô Hassaku, le plan en 8 points présenté à l’empereur qui s’en inspirera pour le Gokajô no Goseimon, le serment en 5 points qui allait fonder la politique du Japon moderne jusqu’à l’instauration de la constitution en 1889 et justifier la politique de modernisation accélérée du Japon. Sakamoto Ryôma n’est alors pas loin de devenir un des Pères Fondateurs du nouveau Japon alors que le 9 novembre 1867, Tokugawa Yoshinobu, le dernier shôgun, abdique et restitue le pouvoir à l’empereur Meiji. Sakamoto Ryôma n’a plus qu’un mois à vivre.
L’assassinat
Les faits
Le 10 décembre 1867, Sakamoto Ryôma est à Kyôto, le shôgun a abdiqué depuis un mois mais reste à la tête du pays, un conseil des daimyôs les plus importants doit diriger le pays sous sa présidence. Ryôma représente le fief de Tosa qui souhaite les conflits entre les Tokagawa et le couple Satsuma-Chôshû pour maintenir un équilibre dans lequel il aurait un mot à dire, les opposants aux Tokugawa voudraient au contraire une suppression pure et simple de la puissance de l’ancien shôgun. Kyôto est à ce moment l’endroit où il faut être pour peser sur les évènements. C’est aussi une ville dangereuse avec des partisans de l’empereur cherchant le conflit avec les hommes de l’ancien shôgun. Les milices shogunales Shisengumi et Mimawarigumi, qui surveillaient les opposants, ont alors perdu toute autorité pour agir mais ne se sont pas dispersées et continuent à œuvrer en faveur des Tokugawa. Sakamoto Ryôma loge à l’auberge Ômiya, en plein de la ville, avec son associé Nakaoka Shintarô, il est aussi accompagné de Yamada Tôkichi, ancien sumo chargé de sa protection.
A la nuit tombée, un groupe d’hommes non identifiés se réunit près de l’auberge, frappèrent à la porte et demandèrent à rencontrer Ryôma. Yamada Tôkichi fut tué d’un coup de sabre après leur avoir demandé d’attendre. En entendant le bruit des assaillants pénétrant dans l’auberge, Ryôma cria à Tôkichi de faire moins de bruit, ce qui les guida jusqu’à la pièce à l’étage où Ryôma et Shintarô discutaient ensemble. Dans la confusion qui s’ensuivit les deux hommes furent blessés et laissés au sol tandis que leurs assaillants s’enfuyaient. Ryôma était encore conscient lorsqu’il mourût, regrettant de n’avoir pas été prêt, Shintarô décéda quelques jours plus tard, reprenant conscience trop brièvement pour identifier ses assaillants. Selon le calendrier lunaire japonais traditionnel, c’était le jour anniversaire de Sakamoto Ryôma. Quelques jours plus tard Sakamoto Ryôma fut incinéré et déposé dans un cimetière de Kyôto.
Suspects et condamnés
Dans la situation tendue et complexe que connaissait Kyôto à ce moment, le meurtre de Sakamoto Ryôma et ses deux compagnons représenta un évènement secondaire même s’il fut fortement ressenti parmi les opposants aux Tokugawa. La question de l’identité des meurtriers n’était pas soulevée mais il semblait à tous qu’il s’agissait d’une vengeance des partisans du shôgun (bien que Yoshinobu lui-même ait regretté la mort de Ryôma). Deux groupes furent accusés de porter la responsabilité de sa mort.
Le Shinsengumi est extrêmement célèbre au Japon pour avoir réuni certains des meilleurs combattants de l’époque au service du shôgun. Cette milice rassemblait des rônins et des samurais de bas rang chargés de maintenir l’ordre à Kyôto et réprimer les opposants. Ils étaient commandés par Kondô Isami. Le Shinsengumi participa à tous les combats de la guerre civile du Bôshin qui éclata en janvier 1868. Lorsque les Tokugawa furent vaincus, Kondô Isami fut capturé, jugé rapidement et condamné à mort le 30 avril 1868. L’acte d’accusation n’était pas clair mais il fut accusé, entre autres, d’avoir commandité le meurtre de Sakamoto Ryôma. D’un point de vue légal il fut le seul condamné pour ce crime, les personnes ayant porté les coups n’ont pas été identifiés.
Le Mimawarigumi est une autre milice shogunale qui, à la différence du Shinsengumi, réunissait des samurais de rang plus important, ils avaient cependant la même mission. En 1870, un de ses anciens membres, Imai Nobuo, confessa devant un tribunal militaire avoir participé au meurtre avec d’autres sur ordre de Sasaki Tadasaburô. Ce dernier avait cependant été tué à la bataille de Toba-Fushimi en 1868 et aucune autre enquête ne fut ordonnée.
Un jeune homme du nom de Matsugoro Okuda fut impliqué par des rumeurs. Il servait à l’époque d’agent de liaison pour Kondô Isami et membre du Shinsengumi. Il ne fut cependant jamais inquiété et continua sa carrière de spécialiste des arts martiaux jusqu’à sa mort en 1931. Si sa participation était avérée on pourrait penser que des membres des deux milices, désormais officiellement dissoutes, s’étaient réunis, peut-être sans ordres, pour se venger sur une figure de l’opposition dont ils savaient qu’elle se gardait peu.
Conséquences directes de l’assassinat
A peine deux semaines après l’assassinat de Ryôma, le 4 janvier 1868, la restauration impériale en faveur de l’empereur Meiji fut formellement proclamée. Le conseil devant assister le jeune empereur de 15 ans fut rapidement dominé par Saigo Takamori, Okubo Toshimichi et Kido Tadayoshi qui étaient en faveur d’une confrontation directe contre Tokugawa Yoshinobu. Les gens de Tosa favorables à un équilibre au sein du conseil furent impuissants à empêcher la confrontation, on peut se demander si l’absence d’un médiateur comme Sakamoto Ryôma ne conduisit pas directement à cette situation. Satsuma et Chôshû dénoncèrent auprès de l’empereur les actions de l’ancien shogun et obtinrent que les Tokugawa soient privés de leurs titres et de leurs terres. Le 27 janvier, Tokugawa Yoshinobu tenta de faire pression sur la cour en envoyant son armée d’Ôsaka à Kyôto au prétexte de porter une pétition et libérer l’empereur des factieux. L’armée des Tokugawa fut arrêtée par les troupes de Satsuma, Choshû et Tosa lors de la bataille de Toba-Fushimi, premier affrontement de la guerre du Bôshin. Cette dernière guerre civile s’acheva en mars 1869 avec la reddition des derniers partisans des Tokugawa en Hokkaidô. En mai 1868, Kaïshu Katsu avait négocié la reddition pacifique de la ville d’Edo. L’empereur était désormais le chef de l’Etat et son conseil proclama le serment en 5 articles, directement inspiré des idées de Sakamoto Ryôma.
La fabrique du héros
L’héritage politique de Sakamoto Ryôma
Entre 1868 et 1873, le Japon fut gouverné par les ordonnances d’un conseil composé des principales figures importantes des fiefs de Satsuma, Chôshû et Tosa. Parmi eux, Saigo Takamori, Kido Tadayoshi et Ôkubo Toshimichi assumèrent l’essentiel des décisions et menèrent à marche forcée la modernisation du pays et la fin du régime féodal avec l’abolition des fiefs en 1871. Ils mirent l’accent sur la formation d’une bureaucratie autoritaire et d’une armée forte. Dans les premiers temps des assemblées consultatives furent créées mais rapidement abandonnées au profit d’un fonctionnement plus hiérarchique. Pendant ce temps-là, les gens de Tosa, souvent d’anciens proches de Sakamoto Ryôma, s’opposèrent toujours plus à cette conduite des affaires, revendiquant la formation rapide d’assemblée, une constitution et des élections.
La faction de Tosa, dirigée par Itagaki Taisuke en vint à quitter le gouvernement en 1873 après la dispute du Saikenron. Pendant les 10 années suivantes, Itagaki Taisuke et ses proches allaient mener une importante lutte politique en faveur des droits du peuple, fondant les premiers partis politique d’opposition. D’autres comme Nakae Chômin, toujours de Tosa, allaient approfondir leur modèle démocratique inspiré de l’Amérique et de la France, Nakae Chômin fut le traducteur de Rousseau en japonais. Leur lutte allait obliger le gouvernement de l’oligarchie de Meiji à promettre une constitution finalement promulguée en 1889 (mais suivant un modèle allemand autoritaire), suivie d’élections en 1890. L’héritage politique de Sakamoto Ryôma est donc à situer dans cette opposition politique centrée sur les droits du peuple et une vision du Japon plus conciliatrice et moins hiérarchique. S’il avait vécu, Sakamoto Ryôma aurait eu sa place parmi les leaders du nouveau Japon et il aurait peut-être en mesure de continuer son rôle de médiateur et de concilier les factions rivales, empêcher la révolte de Saigo Takamori, il aurait naturellement dirigé la faction de Tosa pour instaurer une constitution et des institutions plus libérales. Un Japon où un Sakamoto Ryôma aurait vécu aurait été très différent du Japon de Meiji que nous avons connu, moins autoritaire, moins oligarchique, plus conciliateur et ouvert.
La création d’une icône populaire
La grande force du symbole Sakamoto Ryôma tient sans doute à ce qu’il soit mort jeune avant d’avoir pu gouverner. Tous les autres révolutionnaires de Meiji ont accédé aux charges les plus hautes : généraux, amiraux, ministres, premiers ministres etc. Tous ont mené de longues carrières et ont été anoblis. Tous ont été critiqués pour leurs décisions, leurs compromissions, leurs affaires personnelles. Saigo Takamori s’est suicidé après s’être révolté en 1877, Ôkubo Toshimichi fut assassiné en 1878, Itagaki Taisuke fut contraint à l’exil en 1884 et ainsi de suite. Sakamoto Ryôma a gardé au contraire la pureté et l’image de la jeunesse et n’a pas été entaché par les erreurs de Meiji. Peu reconnu sur le plan officiel il resta cependant populaire et un premier film muet lui fut consacré dès 1928. Sakamoto Ryôma tomba cependant peu à peu dans l’oubli tandis que le régime de Meiji s’était affirmé et se glorifiait de ses victoires. Après la chute du Japon impérial en 1945, le Japon était à la recherche de modèle non contaminés par l’impérialisme et le militarisme, le romancier Shiba Ryôtarô ressuscita Sakamoto Ryôma dans son grand roman Ryôma ga Yuku publié en feuilleton entre 1863 et 1866. Ce roman fonda durablement l’image de Ryôma, présenté comme le héros solitaire et proche du peuple faisant oublier les oligarques de Meiji. Le roman s’écoula à plus de 21 millions d’exemplaire et fut adapté à la télévision par le Taiga Drama de la NHK. Nous avons aussi l’avantage d’avoir une importante correspondance de sa part qui permet de connaître non seulement les évènements de sa vie mais aussi ses intentions et sa psychologie, ce qui a contribué à le rendre accessible à travers les travaux des historiens. Depuis cette époque Sakamoto Ryôma devint une icône populaire identifiée au héros sans peur et sans reproche auquel tous voulaient s’identifier et dont les Japonais pouvaient se sentir fiers sans tomber dans le nationalisme. Une nouvelle version du Taiga Drama de la NHK, Ryômaden en 2010, devint le plus grand succès télévisé des dernières années. Sakamoto Ryôma reste aussi un personnage très souvent évoqué et représenté dans les romans historiques et les nombreux mangas dans lesquels il apparaît, il est considéré comme un des trois personnages de l’histoire japonaise les plus populaire dans les enquêtes d’opinion.
Les lieux liés à Sakamoto Ryôma sont depuis devenus des hauts lieux touristiques. Sa ville natale de Kôchi lui a élevé une statue tandis que l’aéroport local porte son nom. L’auberge Terada où il manqua d’être assassiné en 1866 fut restaurée et transformée en musée (Fushimi, Kyôto), deux musées lui sont consacrés à Kôchi et à Hakodate. Des sites liés à sa Kaientai sont visitables à Nagasaki et à Tomonoura et n’importe quelle maison ayant peut-petre servi de cachette au fugitif dispose de sa plaque commémorative, un astéroïde fut même baptisé de son nom. Sakamoto Ryôma est effectivement devenu un héros de légende pour les Japonais et l’un des noms les plus connu et aimé de son histoire.