Quelques repères : l’époque Heian (794-1192)

L’époque Heian est l’époque de ce que l’on appelle l’antiquité japonaise (Kôdai). Cette période eclipse tout ce qui s’est passé dans les siècles précédents dans une sorte d’introduction aboutissant à une période dorée. Le Japon contemporain de la période Meiji a érigé l’époque Heian au rang d’âge d’or où les empereurs régnaient, avant l’avènement du temps des guerriers qui usurpèrent le pouvoir. Dans cette vision, le Japon d’Heian ‘était plus proche de la nature et de la sensibilité véritable de l’identité japonaise par opposition à celle des samurais. Cette vision est aujourd’hui très datée et beaucoup d’historiens japonais considèrent qu’étudier la période Heian revient à étudier une civilisation presque entièrement différente, et difficilement reconnaissable, de celle du japon des siècles suivants. C’est aussi une longue période de 4 siècles, quels repères pourrait-on distinguer pour en faciliter la compréhension?

Le Mon de la famille Fujiwara qui va fournir durant l’époque Heian les régents qui gouverneront le Japon durant deux siècles.

C’est par choix personnel que la comparaison entre les chronologies française et japonaise se fait sur la base des dates de règnes des rois et empereurs. Ce choix n’est pas forcément le plus justifié, surtout si on considère que la tradition dans la famille impériale d’abdiquer le trône tout en conservant la réalité du pouvoir. il ne faut pas oublier non plus que sur une grande partie de la période l’autorité était entre les mains des régents de la famille Fujiwara. Cette démarche permet cependant de découper l’époque en périodes ayant leur cohérence (l’esprit du règne pour ainsi dire). Attention : les dates des empereurs japonais ne sont que leurs dates de règne. Plusieurs d’entre eux ont abdiqué tout en continuant à diriger au travers de leur successeur.

目次

L’apogée des empereurs régnants (794-850)

Les empereurs gouvernaient déjà par eux-mêmes avant 794 et leur déménagement de Nara, même si leur règne n’avait pas été sans limites ni rivaux. Ils continuèrent ensuite à gouverner après 850 car le système de régence mis en place par les Fujiwara ne fut pas instauré du jour au lendemain. Cette courte période de 794 à 850 correspond cependant à la période de plus grande autonomie des empereurs qui purent alors gouverner sans être limités par la noblesse ou les régents. Elle correspond principalement au règne de l’empereur Kanmu (souvent considéré comme l’empereur aux pouvoirs les plus étendus avant Meiji) et ses successeurs jusqu’au règne de Ninmyô, soit le règne de 5 empereurs.

La fondation d’Heian-kyô

Portrait postérieur de l’empereur Kanmu, le portrait montre l’influence chinoise et ne prendra des caractéristiques japonaises que plus tard.

Kanmu succèda à son père Kônin, qui avait abidqué en 781, dans le contexte de la période Nara où l’empereur se trouvait concurrencé dans sa capitale par la puissance des temples bouddhistes. La volonté de Kanmu se déménager la capitale correspond au mouvement d’affirmation et de centralisation du pouvoir impérial qui était en cours depuis le VIIe siècle et la régence de Shôtoku Taishi (600-622). Le projet de déménagement suscita de fortes oppositions, le premier site choisi, Nagaoka-kyô (aujourd’hui dans la périphérie Ouest de Kyôto) fut contesté et l’un des responsables du chantier, Fujiwara no Tanetsugu, fut même assassiné dans des circonstances qui ne nous sont pas claires. Le règne de Kanmu n’était d’ailleurs guère paisible puisque la construction des capitales nécessita la réquisition d’ouvriers par la corvée et de grandes dépenses alors que dans le Nord du Japon l’opposition violente des peuples Emishi à l’extension du pouvoir de la cour impériale nécessitait une levée pour réunir une armée. Le deuxième déménagement de la capitale jusqu’à Heian-kyô permit cependant à Kanmu d’obtenir ce qu’il souhaitait : un lieu vierge de tout influence, n’appartenant à aucun temple ou aucun clan où l’empereur resterait incontesté. Heian-kyô, la capitale de la paix, aujourd’hui Kyôto, allait donner son nom à la période et rester la résidence des empereurs jusqu’en 1868.

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L’affirmation de la cour impériale

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Un des facteurs expliquant la stabilité du pouvoir du souverain durant cette période s’explique sans doute par la stabilité de la succession impériale. Kanmu décède en 806 et laisse le trône la succession de ses fils. La fratrie adulte composée par Heizei, Saga et Junna, va se succéder sur le trône sans régence ni saut dans la succession. Si Heizei meurt rapidement après son abdication, Saga et Junna vont rester influents, sur la cour en tant qu’empereurs retirés jusqu’à leur décès respectifs en 840 et 842. L’empereur Ninmyô lui-même peut être considéré comme le fils de cette fratrie puisqu’il était le fils naturel de l’empereur Saga, adopté par Junna. Dans le même temps le Japon connaît une situation stable. Les peuples Emishi du Nord sont soumis par Sakanoue no Tamuramaro en 811. Ce dernier agit en tant que Sei i Taishogun (shôgun) qui est un titre temporaire de chef de l’armée. Kanmu a déjà à ce moment réformé l’armée, remplaçant la levée de troupes par des levées locales auprès de colons-soldats installés dans le Kantô. Le Kantô était alors une région mal contrôlée par la cour impériale et qui avait été la cible d’incursions de la part des Emishi, une frontière à défendre. A partir de ce moment les Emishi ne représenteront plus un grand problème jusqu’à la révolte de 855. Cette révolte fut doublée de celle, en 857, des Hayato du Kyûshû (une peuplade mal connue mais probablement ethniquement différente, peut-être austronésienne). A la suite de ces révoltes l’archipel (hormis l’Hokkaido dans le Nord) est globalement unifié et en cours d’unification culturelle. La cour impériale durant les règnes de Kanmu, Heizei et Saga entreprend aussi d’affaiblir la puissance des temples de Nara en favorisant de nouvelles écoles, le Tendai et le Rinzai fondés par Saichô (Dengyô Daishi) et Kûkai (Kobo Daishi). Leurs temples respectifs à Hiei-zan et Kôya-san, dépendants directement de la faveur impériale, reçurent le droit d’ordonner des prêtres, un droit réservé aux temples de Nara jusque là, et ensignèrent aux membres les plus importants de la cour. Dans le même temps les empereurs poursuivent leurs ambassades vers la Chine des Tang pour approfondir leurs connaissances du grand modèle politique, culturel et artistique. Le régime de la cour impériale fondée sur le régime des Codes inspiré directement de la Chine dirige alors un Etat centralisé autour de l’empereur, de sa famille et de la noblesse qui l’entoure, parmi lesquels se comptent déjà les Fujiwara.

En France : cette période de grande autorité des empereurs japonais correspond à peu près aux règnes de Charlemagne et de son fils Louis I le pieux. La coïncidence du règne de l’empereur Kanmu et celle de l’empereur des Francs est un point de repère commun à retenir dans ces deux histoires. D’autres parallèles pourraient être faits comme le choix d’Aix-la-chapelle comme siège de l’empire de Charlemagne quelques années à peine avant le déménagement à Heian-kyô. Ou bien la volonté de Charlemagne et Kanmu de renforcer et légitimer leur autorité par un modèle supérieur : la restauration de l’empire romain pour Charlemagne et l’imitation du modèle chinois pour Kanmu. Dans les premiers temps les deux empires bénéficient tous deux de la stabilité.

La régence des Fujiwara (850-1068)

Au centre, Fujiwara no Michinaga, le membre le plus connu de la dynastie qui allait régenter la cour impériale durant deux siècles.

Les Fujiwara ne sont pas des nouveaux venus dans l’histoire japonaise, on trouve leurs traces dès le VIe siècle sous le nom de Nakatomi. Ils prirent un rôle de premier plan dans le système des rangs de noblesse, les kabane, à la suite de l’assassinat de Soga no Iruka en 645. C’est à cette époque que Nakatomi no Kamatari prit le nom de Fujiwara. Son fils Fujiwara no Fuhito fut le principal ministre des règnes de Jitô, Monmu, Genmei et Genshô au début de l’époque Nara. Les Fujiwara étaient présents aux premiers rangs des fonctions de la cour aux côtés d’autres familles comme les Tachibana ou les Sakanoue, ils fournirent aussi des concubines et des impératrices durant le VIIIe siècle, établissant des liens de sang avec la famille impériale. Il ne faut cependant pas imaginer une volonté d’usurpation du pouvoir par les Fujiwara, leur puissance est née de l’extension progressive de leur vaste parentèle à tous les niveaux des fonctions de cour et leur liens avec la famille impériale, leur autorité n’existait cependant que dans le cadre de la cour et ne pouvait pas remplacer celle des empereurs. Le système de régence fut la répétition d’alliances matrimoniales permettant de légitimer le contrôle sur l’attributions des fonctions et donc la fidélité de leur clientèle. Ce système a connu des pauses et des reculs en fonction des relations avec l’empereur mais n’avait pas besoin d’être formalisé en dehors des règles déjà existantes de la cour.

La régence des Fujiwara commence à se mettre en place sous le règne de Montoku, qui monta sur le trône en partie grâce au soutien du clan Fujiwara et de leurs clients, lui-même étant le fils de Ninmyô et d’une Fujiwara. Montoku épousa une Fujiwara et leur fils, selon la tradition de confier l’éducation au grand-père maternel, fut élevé par Fujiwara no Yoshifusa. Lorsque ce fils, l’empereur Seiwa, monta sur le trône à l’âge de 9 ans, il nomma son grand-père régent, sesshô. Ce schéma se reproduisit à la génération suivante avec une étape supplémentaire. Le fils de l’empereur Seiwa, Yôzei, lui-même né d’une Fujiwara, s’avéra être mentalement instable et Fujiwara no Mototsune devint régent pour un empereur adulte, kampaku, en 884. L’autorité des Fujiwara reposa sur ces deux titres de sesshô et kampaku attribué à chaque génération au chef des Fujiwara selon le même schéma de mariage au sein de la famille impériale et mise sur le trône d’un prince appartenant aux Fujiwara. Cette mainmise rencontra une opposition sous les règnes suivants de Kôkô et Uda (l’empereur Kôkô fut choisi pour remplacer Yôzei devenu dangereux, il était le grand-oncle de l’empereur précédent mais n’était pas lié aux Fujiwara). Uda en particulier tenta de contrer les Fujiwara en gouvernant avec l’aide de membres de la famille impériale et de lettrés reconnus comme Sugawara no Michizane. Ces derniers ne disposaient cependant pas du vaste réseau de membres du clan et de clients dont disposait les Fujiwara et ils ne furent pas en mesure de créer un faction capable de s’imposer durablement. Michizane est disgrâcié à partir de 901 et les Fujiwara retrouvèrent rapidement leur position précédente, à partir du règne suivant de Suzaku le système de régence est reinstauré et ne sera plus remis en question jusqu’au XIe siècle. Le pouvoir des Fujiwara a une conséquence nette, c’est de faire passer la cour du régime des codes à celui d’un régime aristocratique où l’hérédité des charge s’impose progressivement et où les échanges de faveurs l’emportent sur les compétences d’administrateurs. Dans les provinces le pouvoir des gouverneurs kokushi est de plus en plus limité par l’extension des domaines, shôen, des temples et de la noblesse qui bénéficient souvent d’exemptions. Un certain nombre de membres secondaires de la cour, bloqués dans leur avancement par les différentes clientèles échappent à ce milieu en s’installant comme petits fonctionnaires dans les provinces.

Dans les provinces du Kantô, les colons-soldats installés à l’époque de Kanmu, commencent à se percevoir comme des guerriers réunis en groupements autour de familles majeures disposant de l’influence et de la richesse. En 939, l’un de ces chefs, Taira no Masakado tente de se créer un Etat indépendant dans le Kantô avec l’aide de ses guerriers mais est finalement défait par un chef rival, mandaté par la cour, Minamoto no Tsunemoto. La cour elle-même ne disposant pas de troupes permanentes, ces groupements constituent la seule force armée disponible, souvent placée au service d’un patron à la cour, le plus souvent les Fujiwara. Ces groupements assuraient ainsi la sécurité dans les domaines et autour de Kyôto même face aux bandes armées. La révolte de Masakado fut considérée comme la principale menace pour la stabilité de la cour durant le Xe siècle, bien que réprimée elle n’en montre pas moins l’émergence progressive du groupe des guerriers qui allaient devenir les samurais. Le régime des Fujiwara reste globalement stable grâce à la mainmise sur leur clientèle et leurs liens de sang renouvelés à chaque génération avec l’empereur. Ils doivent cependant gérer une fin de Xe siècle compliquée : le conditions climatiques et la pression excessive des domaines entraînent un phénomène de desertion des terres qui alimente un fort banditisme, ce qui amène la noblesse à faire de plus en plus appel aux guerriers, souvent les Minamoto. Les temples eux-mêmes commencent à s’armer pour se défendre et les moines-guerriers, sôhei, n’hésitent pas à lutter entre eux ou à descendre à Heian-kyô même pour imposer leurs demandes (ce fut le cas en 993). Les Fujiwara sont eux-mêmes paralysés dans des luttes familiales durant la longue rivalité entre Fujiwara no Kanemichi et Fujiwara no Kaneie. Déclin économique, insécurité grandissante, luttes de factions, dans cette atmosphère troublée Fujiwara no Michinaga va apporter un répit.

L’apogée de Fujiwara no Michinaga

Scène illustrée du Genji no Monogatari, le récit élaboré à l’époque de Fujiwara no Michinaga qui symbolisa pour la postérité la culture de cour de la période Heian.

Michinaga représente le point de repère des deux siècles et demi de régence Fujiwara. C’est en tout le membre de la dynastie le plus connu et le plus influent. Paradoxalement, il n’a jamais lui-même porté le titre de régent même s’il fut brièvement Daijô-Daijin (premier ministre), il fut cependant surnommé le Mido kampaku (le régent de Mido, lieu de sa résidence), illustrant son pouvoir réel. C’est là que l’on constate les effets de la régence aristocratique des Fujiwara sur la hiérarchie bien ordonnée de la cour impériale. Michinaga n’a pas gouverné dans le cadre de fonctions de cour ou en respectant les codes, il a gouverné en étendant son influence et sa clientèle jusqu’à être en mesure de contrôler non seulement les clients des Fujiwara mais aussi les différentes branches de la famille impériale et les différentes factions au sein du clan Fujiwara. Michinaga n’était d’ailleurs pas le chef du lignage Fujiwara à ses débuts, fils de Kaneie, il s’est imposé par une lutte d’influence contre d’autres membres de la famille Fujiwara. A partir du moment où son autorité sur les Fujiwara ne fut plus contestée en 996 il entreprit de marier ses nombreuses filles à tous les princes pouvant prétendre au trône. Michinaga a ainsi gouverné par un réseau couvrant toute la cour lui permettant d’excercer son influence sur tous les acteurs et toutes les factions, une hégémonie discrète mais sans rivale. Cette autorité fut renforcée par le long (986-1011) règne de l’empereur Ichijô qui n’intervint pas dans les affaires. Michinaga n’est cependant un grand réformateur et n’a pas mené de grande politique pour résoudre les problèmes déjà existant. Il a surtout été capable de maintenir la cohésion et l’entente au sein de la cour impériale. Cette entente fut renforcée par la capacité de Michinaga à s’assurer les services exclusifs du clan guerrier des Minamoto, pour la première fois les Minamoto étaient utilisés comme auxiliaires capables d’influencer les luttes de la cour par l’usage de l’intimidation. Cette alliance avec les Minamoto fut aussi en mesure de restaurer la sécurité autour de Kyôto et dans les provinces, ou tout du moins d’en calmer les effets les plus visibles tout en consolidant la mainmise des domaines privés.

Ce qui fit surtout la postérité de Michinaga dans les siècles suivants fut surtout la littérature et les arts. Sous son « règne » la littérature se développa au travers des femmes de la cour au premier rang desquelles se trouvait Murasaki Shikibu, probablement elle-même un Fujiwara. C’est sans doute sous la protection de Michinaga qu’elle rédigea et rendit public ses récits du prince Genji (Genji Monogatari), réceptacle de tous les talents qui a pu être vu comme une référence à Michinaga lui-même. L’image qui a survécu de la culture de cour de l’époque Heian, la délicatesse de ses arts et la subtilité de ses rapports sociaux, ses pratiques et ses jeux, proviennent entièrement de cette littérature et fit de l’époque de Michinaga le symbole même de toute la période Heian. Il faut cependant comprendre que cette littérature de cour, malgré toutes ses qualités artistiques, ne représente que le petit monde fermé de la cour impériale à Heian-kyô, c’est à dire quelques milliers d’individus de la plus haute noblesse, et n’apporte aucune indication sur la vie du peuple, sur la vie dans les provinces et les difficultés grandissantes en dehors des murs du palais. Le temps de Fujiwara no Michinaga illustra dans les siècles suivants l’ensemble de l’époque Heian, perçu à partir de l’époque Meiji comme un âge d’or irrémédiablement lié au nom du régent de Mido.

A sa mort en 1028, le pouvoir à la cour resta cependant entre les mains des Fujiwara sans perturbation, alors que dans les provinces les guerriers se renforçaient. Depuis l’époque de Masakado ces guerriers disposaient dans les provinces du Kantô d’une grande autonomie sur leurs terres et étaient organisés en groupements de guerriers, bushidan, un réseau centré autour d’un clan au chef charismatique avec lequel ils entretenaient des relations de fidélité et de récompense personnels. En 1050, le principal de ces bushidan, le clan Minamoto, fut envoyé par la cour pour intervenir dans le Nord face aux chefs locaux de la famille Abe. Minamoto no Yoriyoshi, le chef du bushidan, exerçant sa violence en tant que Chinfuju shôgun, un titre délimitant son action guerrière au Nord. Durant ce qui devint la difficile guerre de Zenkunen, les Minamoto virent se renforcer l’esprit de corps dans un conflit éloigné de leurs bases du Kantô. Les guerriers ressérèrent aussi els rang autour de leurs chefs charismatiques, en particulier Minamoto no Yoshiie, le fils de Yoriyoshi, qui fut perçu comme une incarnation du dieu de la guerre pour ses prouesses. Bien qu’encore considéré comme les chiens de garde » de la noblesse et en particulier des Fujiwara, les samurais étaient désormais devenus un groupe social à part spécialisé dans l’usage de la force qui allait prendre de l’importance dans les luttes politiques à venir.

Minamoto no Yoshiie fut célébré jusqu’au XIXe siècle comme un modèle du samurai parfait par ses prouesses et sa vaillance.

En France : La période couverte par la régence des Fujiwara couvre près de deux siècles qui correspondent en France à la fin du Haut Moyen-âge. A partir des règnes des fils de Louis I, marqués par les guerres civiles, l’empire carolingien sombre et voit la naissance d’un royaume séparé en Francie occidentale. Ce royaume restera entre les mains de la dynastie carolingienne jusqu’en 987 avec des interruptions. L’élection d’Hughes Capet et le règne de son successeur Robert II correspondent chronologiquement au « règne » de Fujiwara no Michinaga. Les samurais japonais ont souvent été comparés aux chevaliers européens, les deux ont cependant leurs particularités et leurs ressemblances sont superficielles. On peut noter quand même que la féodalité européenne s’est développée parallèlement à la même époque que les bushidan japonais. Dans un premier cas elle naît de la déliquescence de l’empire carolingien alors que dans l’autre cas le bushidan se développe de la perte de contrôle de la cour impériale dans les provinces du Kantô.

Le régime des empereurs retirés (1068-1160)

Le Byôdo-in d’Uji est l’un des très rares bâtiments cosntruits à l’époque Heian encore existant. Il date de la fin de la régence des Fujiwara au milieu du XIe siècle, peu avant la prise du pouvoir par les empereurs retirés.

La régence des Fujiwara ne reposait pas un système formel mais des liens de sang avec l’empereur renouvelés à chaque génération. Hors en 1068 monte sur le trône l’empereur Go-Sanjô qui n’est pas lui-même lié aux Fujiwara. C’est l’occasion pour ce souverain de limiter l’influence des Fujiwara, non pas en restaurant l’autorité du trône mais en abdiquant pour se constituer son propre réseau d’influence. Le rôle de l’empereur sous les Fujiwara avait évolué pour devenir entièrement cérémoniel et religieux, le bon gouvernement de l’empereur se définissant par sa capacité à accomplir les rites qui apaiseraient les divinités. L’abdication de Go-Sanjô lui permet de se débarasser de ce rôle et, en tant que parent le plus proche de l’empereur régnant, contrôler les nominations qui était la base de l’influence des Fujiwara sur la cour. Très vite l’empereur retiré, jôkô, récupère à son compte la clientèle des Fujiwara. Autour du palais de l’empereur retiré se développe une administration parallèle pour gérer et mettre en valeur les terres de la maison impériale comme des propriétés privées similaires aux domaines de la noblesse. Ce système, l’Insei, centré autour du palais de l’empereur retiré, l’In-no-chô, assure à Go-Sanjô la liberté d’action et l’indépendance financière. S’y ajoute aussi la capacité à intimider et contraindre quand Go-Sanjô confie aux Minamoto la charge de garder l’In-no-chô, détachant ainsi le clan guerrier de ses patrons Fujiwara. Cette restauration apparente est en fait la consécration de la subversion des institutions des Codes. L’empereur retiré ne restaure pas le pouvoir impérial mais imite à son profit, de manière privée, le réseau d’influence des Fujiwara. Les Fujiwara eux-mêmes ne sont pas éliminés, ils conservent leurs titres officiels de régents mais ne sont plus en mesure d’attirer les clients et les fidélités et se retrouvent subordonnés à l’empereur retiré même s’ils restent par ailleurs influents (les Fujiwara et leurs descendants conseveront leur rang de régents jusqu’au XIXe siècle).

La prise de pouvoir de Go-Sanjô se transforme en véritable système sur la durée quand son successeur, l’empereur Shirakawa, réédite l’idée en abdiquant pour se mettre à la tête de l’In-no-chô. L’empereur retiré Shirakawa va ainsi exercer une autorité sans partage sur la cour durant le règne des trois empereurs officiels suivants de 1087 à 1129. Il impose sur la longue durée un système qu’il complète par l’adjonction du clan guerrier des Taira en comme gardes de la porte Nord du palais, il s’agissait de réduire la puissance exclusive des Minamoto en leur opposant un rival. Les Minamoto apparaissaient alors comme trop indépendants après être intervenus de leur propre aurorité dans la guerre de Gosannen en 1083 pour venir en aide à leurs alliés Kiyohara dans la province de Mutsu. L’Insei supposait cependant qu’il n’y aurait qu’un seul empereur retiré pour exercer l’influence sur la cour, à la mort de Shirakawa ce rôle passe à l’empereur retiré Toba mais en 1142 l’abdication de l’empereur Sutoku met en rivalité les deux empereurs retirés qui se disputent la nomination du nouvel empereur (et donc leur capacité à attribuer les fonctions en tant que plus proche parent de l’empereur).

Cette rivalité conduit à la formation de deux factions opposées à la cour qui dégénèrent en guerre civile, la première depuis le VIIIe siècle, à la mort de Toba en 1156. Le « désordre » d’Hôgen, Hôgen no Ran,voit s’opposer l’empereur retiré Sutoku et ses partisans au nouvel empereur Go-Shirakawa qui lui conteste le contrôle de l’In-no-chô. Chaque camp dispose de membres des clans Taira et Minamoto ralliés, transformant une lutte politique en affrontement armé dans les rues de Kyôto. Les combats furent brefs mais sanglants et virent la victoire de Minamoto no Yoshitomo et Taira no Kiyomori pour le compte de Go-Shirakawa, qui allait contrôler l’In-no-chô jusqu’en 1192. A la conclusion de ce conflit les deux clans guerriers Taira et Minamoto n’étaient plus désormais seulement des auxiliaires dans les luttes de cour mais de véritables arbitres de ces conflits grâce à leur monopole de la force armée. Ce rôle d’arbitre se confirma 4 ans plus tard durant le « désordre » d’Heiji, Heiji no Ran. Cette fois-ci Minamoto no Yoshitomo, insatisfait de ses récompenses, assiste Fujiwara no Nobuyori pour prendre le contrôle de la cour des mains de l’empereur retiré Go-Shirakawa assisté par Taira no Kiyomori. Encore une fois le conflit est bref et sanglant, il voit l’enlèvement puis la libération de Go-Shirakawa, l’incendie de son palais et une féroce bataille de rue autour de la base Taira à Rokuhara. En conclusion de ce conflit les Minamoto et leurs alliés Fujiwara furent éliminés et l’empereur retiré Go-Shirakawa resta seul maître de l’In-no-chô, il est cependant désormais l’otage de la puissance militaire sans rival de Taira no Kiyomori, plaçant pour la première la réalité du pouvoir dans les mains d’un guerrier.

Représentation de l’incendie du palais de l’empereur retité Go-Shirakawa par les Minamoto durant la rébellion d’Heiji, 1160.

En France : le siècle de gouvernement par les empereurs retirés correspond en France aux règnes des premiers Capétiens depuis Philippe I jusqu’à Louis VII. La comparaison souvent mise en avant entre les féodalités japonaises et européennes avait ses limites. En Europe la féodalité était basée sur la relation entre le suzerain et le vassale où le service était récompensé par le fief. Au Japon, dans les premiers bushidan, le guerrier devait la fidélité au chef, le tôryô. Son service, selon ses exploits, était récompensé par du butin ou des terres prises aux ennemis. La qualité de vassal n’était pas liée à l’attribution d’un fief pris sur les terres du suzerain. La pyramide féodale qui se mettait en place alors en Europe remontait jusqu’au roi tandis qu’au Japon le lien vassalique n’existe qu’au sein du bushidan. La cour impériale et l’empereur ne sont pas concernés par ces liens entre guerriers, le monde de la cour et celui des guerriers sont alors totalement étrangers.

D’une époque à l’autre, la naissance du régime des guerriers (1160-1192)

L’ageha-cho était le Mon (blason) du clan Taira

Toute la période débutant avec la guerre de Hôgen en 1156 jusqu’à l’établissement du premier shogunat en 1192 peut être considérée comme un seul et même conflit en différentes phases. La première phase entre 1156 et 1160 avait vu le pouvoir glisser des mains de la noblesse et de l’empereur retiré vers celles d’un seul clan guerrier qui allait exercer son hégémonie sur la cour. Taira no Kiyomori se retrouva durant 20 ans jusqu’à sa mort en 1180 dans une position où il put imposer sa dictature sur la cour impériale. La différence avec le premier shogunat de Kamakura qui viendra ensuite réside dans le fait que Kiyomori ne créa pas un régime des guerriers. Taira no Kiyomori s’inscrit dans la continuité de l’époque Heian en cherchant à s’insérer dans la hiérarchie des fonctions de cour pour légitimer son pouvoir. Dans les faits il exerça avec ses guerriers un pouvoir de nature militaire avec la capacité exclusive de recourir à l’intimidation et la violence contre ses opposants. Sous couvert de la protection de l’empereur retiré Go-Shirakawa contre les factions rivales, Kiyomori fut capable d’exercer une menace permanente, de s’élever lui-même dans la hiérachie et distribuer des fonctions à ses hommes et ses clients.

En 1167, Kiyomori fut nommé Daijô-Daijin, l’équivalent de premier ministre, une fonction normalement réservée aux familles les plus nobles des rangs des kabane (dont les Fujiwara). Les Taira étaient à la base des descendants de la famille Kanmu Taira, descendants de l’empereur Kanmu sortis de la famille impériale pour devenir simples sujets, ils avait quitté Heian-kyô par manque de soutiens pour s’implanter en provinces comme petits fonctionnaires. Une famille de ce rang n’était pas sensée avoir accès aux charges les plus prestigieuses de la cour et la nomination de Kiyomori apparaissait comme une corruption des valeurs aristocratiques de la cour au profit des guerriers, considérés avec mépris. Les Taira monopolisèrent chaque rang des fonctions de cour en s’aliénant la noblesse, en 1178 une véritable purge des éléments opposés aux Taira fut accomplie, mais ne remirent pas en question le pouvoir de celle-ci. La noblesse continuait à disposer de ses domaines intacts et l’empereur retiré Go-Shirakawa restait le seul maître de la l’In-no-chô, il avait cependant perdu l’autonomie dans les nomination. Un pas fut franchi dans cette servitude avec le projet de Taira no Kiyomori en 1171 de marier l’empereur Takakura à sa fille Tokuko. Go-Shirakawa perdait ainsi le contrôle de la nomination du prochain empereur et Kiyomori pouvait espérer voir son petit-fils, Antoku, monter sur le trône, ce qui fut en forçant Takakura à abdiquer en 1180. Ce projet mettait ainsi les Taira à la tête d’un nouveau régime de régence similaire à celui des Fujiwara. C’est cette nomination qui provoqua l’appel aux armes du prince Mochihito qui allait conduire à la guerre du Gempei et la chute des Taira, peu avant le décès de Kiyomori en 1181.

Taira no Kiyomori passa à la postérité japonaise avec l’image d’un tyran aux nombreux crimes, à rapprochée de celle du plus tardif Oda Nobunaga.

Epilogue : la guerre de Gempei et la fin de la période Heian (1180-1192)

Le conflit entre les Taira et leurs ennemis traditionnels Minamoto se fit officiellement pour libérer la cour impériale et l’empereur retiré du joug des Taira. Signe des temps, la cour ne pouvait plus, pour se défendre, que faire appel au bushidan rival des Minamoto, opposant des guerriers aux guerriers. L’empereur retié Go-Shirakawa et le reste de la cour furent proprement marginalisés durant ce conflit qui fut une affaire entièrement militaire opposant les guerriers du Kantô gagnés aux Minamoto contre le clan Taira et son ancrage dans le Japon central (Kinki). Go-Shirakawa joua cependant un rôle important dans la légitimisation du camp qu’il avait choisi, dès 1183 il reconnaît Minamoto no Yoritomo, le chef du bushidan Minamoto, le droit de lever les impôts pour le compte de la cour et ensuite le droit exclusif de porter les armes, faisant des Minamoto l’équivalent d’une armée officielle. En 1185, la guerre du Gempei s’acheva avec la bataille navale de Dan-no-Ura qui vit la mort par noyade du jeune empereur Antoku et le suicide d’un grand nombre de chefs du clan Taira. La menace bien consciente pour Go-Shirakawa était alors d’échanger le joug des Taira contre celui des Minamoto et il tenta de s’appuyer dans un premier temps sur le lignage de Minamoto no Yoshinaka contre celui Minamoto no Yoritomo, puis essaya de faire jouer un rôle au demi-frère de ce dernier, Minamoto no Yoshitsune. C’était cependant mal connaître la fidélité des guerriers au lignage légitime des Minamoto et Yoritomo lui-même ne fut pas dupe.

La grande différence entre Kiyomori et Yoritomo est que ce dernier avait conscience de ne pas avoir besoin de s’inscrire dans la hiérarchie de la cour. Yoritomo ne reçut pas de fonction de cour autre que celle de shôgun, qui n’impliquait pas un pouvoir politique alors. Il installa un gouvernement des guerriers très loin d’Heian-kyô, à Kamakura, l’autorité du nouveau shôgun s’exerçait alors sur les provinces (avec des usurpations sur les domaines des nobles par les gouverneurs nommés par Yoritomo) et les guerriers mais ne touchait, pas tout de suite, Heian-kyô et la cour. La mise en place de ce régime des guerriers parallèle à l’ancienne cour releva d’un compromis entre Go-Shirakawa et Yoritomo au terme duquel le pouvoir du shôgun était reconnu par l’empereur tant que la sécurité et les rentrées des taxes étaient assurées par les guerriers Minamoto. Avec ce compromis fit naître un système dual entre la cour de Heian-kyô et les guerriers de Kamakura au sein duquel la cour impériale, les empereurs retirés et les régents Fujiwara allaient progressivement perdre leur pouvoir et leur influence au profit des guerriers. La période Heian, celle de la cour impériale était finie, le Moyen-âge japonais commençait.

Représentation du XIXe siècle de la bataille de Dan no Ura avec dans le fond à gauche la figure de l’empereur Antoku dans les bras de sa mère. Au centre Minamoto no Yoshitsune.

En France : La période de la dictature de Taira no Kiyomori puis la guerre du Gempei correspond en France à la deuxième partie du règne de Louis VII (après son divorce d’Aliénor d’Aquitaine) et le début du règne de Philippe II Auguste. Le Japon passe à son tour dans un société régie par les guerriers et les relations féodales mais voit tout de suite cette féodalité s’organiser autour du pouvoir fort des shôguns de Kamakura. Ceux-ci vont centraliser le gouvernement des guerriers autour d’eux et créer des institutions pour les contrôler de la même manière que Philippe II tentera de construire une monarchie centralisée forte autour de la personne du roi de France.

En conclusion la période Heian apparaît le plus souvent comme une période figée dans l’image classique issue du récit de Genji au XIe siècle, centrée sur une cour impériale obéissant à des règles et des hiérarchies bien établies depuis l’institution des codes. Cette image empêche de distinguer les évolutions sur le long terme et les luttes de pouvoirs. Dans la réalité le régime des codes et de la hiérarchie des fonction de cour a bien vite laissé place à un fonctionnement aristocratique où les familles les plus puissantes, entendez les Fujiwara, disposaient d’une vaste clientèle par leur capacité à assurer les nominations. Cette cour aristocratique et élégante était à l’opposé du fonctionnement prévu initialement par les Codes et laissait la porte ouverte aux luttes d’influences entre factions capables de s’assurer de la mainmise sur l’empereur. les Fujiwara laissèrent ainsi la place aux empereurs retirés dont les pratiques ne différaient pas. Ce petit monde de la cour ne fut pas en mesure de maîtriser les évolutions dans les provinces et dans ses périphéries où la classe en formation des guerriers finit par prendre de l’importance, d’abord comme auxiliaires dans les luttes de pouvoir puis comme arbitres de ces luttes et finalement seuls bénéficiaires, menant à la création d’une féodalité japonaise qui neutralisa la cour d’Heian.

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