L’époque Edo représente pour nous le Japon ancien de notre imaginaire avec ses samurais sévères et ses quartiers de plaisir ornés par les geishas. C’est une image d’Epinal statique d’un Japon qui ne changeait pas et qui correpond en partie à ce qui fut une période de grande stabilité et de fermeture sur l’étranger. Si on y regarde de plus près quels repères chronologiques pourraient nous aider à en distinguer les évolutions et les ruptures? Mis en parallèle avec l’histoire française nous pouvons aussi replacer ces évolutions dans un contexte plus général qui nous est familier et établir quelques points de comparaison.
C’est par choix personnel que la comparaison entre les chronologies françaises et japonaises se fait sur la base des dates de règnes des rois et shôguns. Ce choix n’est pas forcément le plus justifié, surtout si on garde en tête l’éffacement des derniers shôguns dont la succession a peu influé sur le cours de évènements, il permet cependant de découper l’époque en périodes ayant leur cohérence (l’esprit du règne pour ainsi dire). Attention : les dates des shôguns Tokugawa ne sont que leurs dates de règne. Plusieurs d’entre eux ont abdiqué et continué ensuite à diriger les affaires en imposant une tutelle à leur successeur. Ce fut le cas pour Tokugawa Ieyasu, le fondateur de la lignée, qui a abdiqué en 1605 mais est resté le vrai maître du pays au travers de son fils jusqu’à sa mort en 1615. La majorité des Tokugawa ont suivi cet exemple.
Instauration du régime des Tokugawa (1600-1615)
Tokugawa Ieyasu a été appointé shôgun par l’empereur Go-Yôzei en 1603 mais il est convenu de faire débuter l’époque Edo dès 1600 avec sa victoire à Sekigahara contre les forces loyalistes de la famille Toyotomi dirigées par Ishida Mitsunari. Sa victoire militaire et son élévation n’éliminèrent cependant pas tous les rivaux de Ieyasu et la période des guerres civiles pouvait laisser espérer que le nouveau shôgunat ne survivrait pas à son fondateur. Il faut donc attendre 1614, après une période de pause tendue, pour voir la puissance militaire des Tokugawa réussir à éliminer son principal rival, Toyotomi Hideyori, et disperser ses partisans. Les deux sièges du château d’Ôsaka sont considérés comme la véritable conclusion de la bataille de Sekigahara. L’année suivante Ieyasu s’éteint pacifiquement et laisse finalement son fils, Tokugawa Hidetada, gouverner par lui-même (même s’il était shôgun en titre depuis 1605). Pendant les deux règnes la confédération de principautés qui forme le nouveau Bakufu (gouvernement shogunal) a tenu et aucun rival sérieux, comme auraient pu l’être Date Masamune par exemple, ne remets en question le droit des Tokugawa à gouverner. Les Tokugawa gouvernent directement des terres correspondant à 7 millions de koku (l’unité basée sur le riz permettant de calculer la richesse), 12 millions en comptant les Fudai Daimyôs (seigneurs vassaux), c’est plus du double de ce que peuvent aligner tous les Tozama daimyôs (seigneurs ralliés mais non vaincus), faisant des Tokugawa les seigneurs les plus riches et donc les plus puissants militairement. Contrairement aux époques précédentes le nouveau shôgunat ne gouverne par un délicat équilibre féodal mais impose concrètement sa dictature sur les autres, expliquant sa stabilité. En 1615, Tokugawa Hidetada instaure les premières règles du Buke Shohatto qui donnent une forme officielle aux relations de subordination du shôgun sur les quelques 350 daimyôs que compte le pays. Ces derniers conservent cependant une grande autonomie sur leurs terres en mantière de gestion de leurs sujets, de lois locales, de fiscalité. Ils sont cependant contraints de limiter leurs capacités militaires et de n’avoir qu’un seul château par fief. Dans les faits le Japon est devenu une confédération féodale. Les 15 premières années du Bakufu sont des années de transition qui mettent fin non seulement aux guerres civiles du Sengoku Jidai mais aussi à son esprit de rébellion.
En France : Par coïncidence la France connaît une atmosphère un peu similaire avec le règne des premiers Bourbons. Henri IV règne depuis 1589 mais ne contrôle le pays complètement qu’à partir de 1598. Il est assassiné en 1610 et laisse son fils Louis XIII sous la régence de Marie de Médicis. Les feux des guerres de religion n’étaient alors pas éteints et nombreux étaient ceux qui ne souhaitaient pas voir les Bourbons durer. La fin du règne d’Henri IV et le début de celui de son fils a cependant permis de ramener une autorité centrale forte et un début de stabilité. Les « Grands » du royaume, pas encore totalement soumis, doivent cependant accepter la nouvelle autorité. Que ce soit en France ou au Japon, le début du XVIIe siècle voit deux nouveaux régimes nés de la conquête imposer un nouvel ordre.
Affirmation du Bakufu Tokugawa (1615-1657)
Le règne du second shôgun Hidetada a été la continuation de celui de son père avec pour but ultime de pérenniser la position des Tokugawa et imposer l’ordre au Japon mais surtout à la remuante classe samuraï. Hidetada lui-même était né durant les guerres civiles et resta par bien des côtés un homme du Sengoku Jidai. Ce n’est pas le cas avec son successeur, Tokugawa Iemistu, né en 1604 alors que son grand-père est déjà maître du Japon. Ce troisième shôgun a été éduqué dans l’idée de diriger le pays et apparaît comme un prince porphyrogénète (né dans la pourpre, c’est à dire né pour régner) qui considère sa légitimité comme allant de soi. Sous son règne l’autorité du shôgun depuis Edo se fait plus impérative, ainsi les daimyôs sont mis au pas entre autre par l’obligation de résidence alternée à Edo (Sankin Kôtai). Le Bakufu cherche aussi à empêcher la propagation du christianisme car la fidélité religieuse pouvait être perçue comme une double allégeance affaiblissant la fidélité envers seigneur (sans parler de donner une source pour se procurer des armes au travers des marchands étrangers). Il faut alors aussi régler le problème des nombreux rônins (samurais sans emploi), ces rônins étaient souvent d’anciens vassaux des familles vaincues et dispersées à la find es guerres civiles, d’autres furent tout simplement renvoyés lorsque le daimyôs furent contraints de réduire leurs armées. Ces rônins représentaient alors la menace d’être des vagabonds armés désireux d’utiliser la violence pour se placer auprès d’un maître ou s’adonner au brigandage. Les deux problèmes convergèrent dans la révolte chrétienne de Shimabara en 1635 où de nombreux rônins cherchèrent à se faire un nom, dans un camp comme dans l’autres (le célèbre Miyamoto Musashi s’y essaya sans succès). La rébellion écrasée par les vassaux du shôgun fut accompagnée par plusieurs édits instaurant le Sakoku, la fermeture du pays, qui allait devenir la pierre d’angle de la politique des Tokugawa. A la mort d’Iemistu le Bakufu est renforcé, légitimé et règne sur un pays aux ordres. Tokugawa Ietsuna, son successeur, verra les derniers soubresauts des mécontents avec la conjuration menée par le rônin Yui Shôsetsu en 1651. Le grand incendie d’Edo en 1657 (Incendie de Meireki) illustre ce renforcement : Edo reconstruite avec l’aide des daimyôs obéissants est agrandie, s’urbanise (elle ressemblait jusque là à un assemblage de gros villages éparpillés) et prend l’aspect d’une véritable métropole.
En France : La même période, que l’on pousserait jusqu’en 1661 voit sur un mode comparable le renforcement du pouvoir royal absolu par Louis XIII (assisté de Richelieu) et Louis XIV (assisté de Mazarin). Louis XIII et Richelieu affrontèrent les derniers feux des guerres de religion ainsi que les révoltes de la haute noblesse jusqu’à la Fronde. La décision de Louis XIV de gouverner seul à partir de 1661 est la victoire finale d’une monarchie absolue. La mise en place d’un pouvoir central fort, d’une stabilité imposée et d’un apaisement religieux forcé sont des points communs que l’on peut dresser entre le règne de Tokugawa Iemitsu et celui de Louis XIV. Le rassemblement de la noblesse à Versailles n’est-elle pas sans rappeler la résidence alternée obligatoire à Edo?
Un apogée dans la deuxième moitié du XVIIe siècle ? (1657-1709)
L’ensemble du règne de Tokugawa Ietsuna après 1657 est une période d’apaisement, le sang bouillonnant des samurais semble s’apaiser à mesure qu’ils entrent dans leur rôle de fonctionnaires et d’élite de la nouvelle société. Les guerriers au service des Tokugawa et d’autres daimyôs voient la définition de leur service modifiée, l’accent est donné sur le service de garde en temps de paix dont une grande partie passe à la gestion des ressources du han, le fief. La hiérarchie s’affirme aussi entre les simples fantassins ashigaru et les grandes familles de vassaux du seigneur, cette hiérarchie d’exprime alors dans les villes sous le château, les Jokamachi, où règne une ségrégation sociale. On met aussi désormais l’accent sur la fidélité à la famille seigneuriale et non plus seulement au seigneur lui-même, avec pour effet de mener les guerriers à s’orienter vers la stabilité du fief et un service permanent plutôt qu’aux relations entre personnes qui étaient le prorpe de la féodalité japonaise jusque là avec des risques d’instabilité et de trahison. Le symbôle de ce changement se vit avec l’interdiction du junshi, le suicide des vassaux à la mort de leur seigneur. Pour le shôgunat, dans l’ensemble, les rônins ne sont plus un problème et aucune remise en question notable n’a lieu durant cette période. Le règne du frère et successeur de Itsuna, Tokugawa Tsunayoshi, ajoute à cet apaisement avec une personnalité portée sur le néo-confucianisme et le bouddhisme. Cela porte à affirmer encore plus la stabilité de l’ordre social fondé sur les 4 classes : Shinokôshô, c’est à dire guerriers-paysans-artisans et marchands. Le règne de Tsunayoshi voit le fleurissement de la culture urbaine d’Edo fondée sur une classe marchande prospère et une société des loisirs incarnée par le théâtre kabuki, les quartiers de divertissement, les quartiers des plaisirs (Yoshiwara) et l’augmentation des publications. Les samurais eux-mêmes se laissent prendre à l’éclat de cette nouvelle société qui commence alors à éclipser la société urbaine d’Ôsaka, jusqu’alors plus riche. On parle de période Genroku, un nom qui pour les Japonais laisse miroiter une image de beauté et de sensualité, c’est la naissance du « Monde flottant » peint par les estampes. Le règne de Tsunayoshi s’achève cependant sur une crise. Le tout début du XVIIIe siècle est marqué par plusieurs catastrophes naturelles et mauvaises récoltes, dont notamment la dernière grande éruption du Mont Fuji (éruption de l’ère Hoei) en 1707, qui affaiblissent la prospérité et l’éclat d’Edo. Le shôgun Tsunayoshi a aussi fortement écorné l’image du Bakufu par ses politiques impopulaires la loi de 1687 protégeant les chiens qui évolua vers des excès qui donnèrent au shôgun son surnom d’Inu Kubo (le seigneur chien). Plus grave fut l’affaire des 47 rônins d’Ako en 1703 marque aussi la naissance d’un mythe littéraire japonais qui fut aussi une critique durable du shogunat réputé à cette occasion injuste. Le décès de Tsunayoshi fut globalement accueilli avec soulagement.
En France : Les règnes de Ietsuna et Tsunayoshi correspondent au reste du règne de Louis XIV et la description de la belle époque Genroku n’est évidemment pas sans évoquer les fastes de Versailles même si la différence est nette : L’ère Genroku s’inscrivait dans la croissance d’une société urbaine alors que Versailles s’éloignait de celle de Paris. Dans les deux cas cependant les arts florissent et enluminent les pages d’histoire de cette période. La grande différence tient aussi à l’absence de guerres pour le Japon de Tsunayoshi alors que la France de Louis XIV a multiplié les conflits européens jusqu’à l’épuisement. Le règne de Louis XIV s’achève en 1717 lui aussi dans le moralisme, le discrédit populaire et les catastrophes naturelles (comme le Grand Hiver de 1709). Au Japon comme en France les premières années du XVIIIe siècle furent moroses.
Immobilisme et évolutions au XVIIIe siècle (1709-1786)
On fait difficilement l’histoire évènementielle du Japon du XVIIIe siècle. Les grands repères chronologiques pertinents manquent pour marquer les évolutions sociales du siècle. Il faut distinguer l’évolution du Bakufu lui-même et celle de la société japonaise. Le Bakufu, malgré le règne efficace mais court de Tokugawa Ienobu et celui énergique de Tokugawa Yoshimune, est entré dans une phase d’immobilisme et de repli sur des bases plus conservatrices. Le shogunat est alors souvent entre les mains de conseillers favoris de shôguns tels Arai Hakuseki ou plus tard Tanuma Okitsugu. Le régime des samurais s’accommode mal du développement de la bourgeoisie urbaine riche et d’une culture qu’il ne contrôle plus, il tente alors de reprendre la main par des réformes visant à lutter contre le luxe, les loisirs, les attitudes contraires aux principes austères du néo-confucianisme. Peine perdue, l’action du Bakufu au XVIIIe siècle reste limitée à maintenir ce qui est sans savoir innover. Le XVIIIe siècle voit parallèlement le renforcement de la culture urbaine née dans la période précédente et consacre la domination d’Edo face à Ôsaka. La culture urbaine sensible et riche marginalise et ringardise l’image du samurai porte-sabre dont on voit de moins en moins ce qui en fait l’élite du pays. La puissance économique des marchands est notable mais ne se traduisit jamais par une revendication politique ou une envie de participer aux affaires tant était profondément implantée l’idée de la société en des 4 ordres imposée par Tokugawa Ieyasu.
En France : Le règne de Louis XV voit lui aussi se développer une culture qui se démarque de la culture contrôlée par la monarchie et la noblesse, elle voit aussi la montée de la bourgoisie. La différence entre le Japon et la France tient cependant à ce qu’en France et en Europe cette nouvelle culture s’est construite sur la critique de l’ordre religieux et politique qui imposait une pensée juste. A l’exception de quelques occasions (comme l’interdiction du Chûshingura, la pièce racontant l’histoire des 47 rônins d’Ako) les autorités du shogunat n’ont jamais réellement sévi contre la nouvelle culture qui n’essayait pas s’opposer à l’ordre établi mais plutôt de s’en échapper par le loisir. La culture d’Edo ne s’est jamais imaginée en contre-culture pouvant remettre en cause l’ordre établi comme cela a été le cas des Lumières et des philosophes. On voit cependant qu’à l’instar des samurais, la noblesse française, enfermée dans son rôle à Versailles, se marginalisa aussi, dans une certaine mesure, du reste de la société, perdant de son autorité morale. La France se dirigeait alors vers la révolution alors que le Japon se contentait de sa stagnation sociale.
Crise et déclin du Bakufu (1786-1853)
La fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle sont réunis sous le règne de Tokugawa Ienari dont la mémoire dans l’historiographie japonaise est restée peu glorieuse. Ce shôgun est passé à la postérité, à travers la littérature populaire, pour ses excès sexuels mais il a surtout été à la tête du Japon durant une période charnière où le Bakufu s’est efforcé d’empêcher tout évolution. Les hommes du shôgun, réputés corrompus et incompétents sont restés fidèles à une doctrine rigide inspirée du néo-confucianisme et n’ont pas été en mesure de répondre efficacement aux crises de subsistances et aux famines qui marquent la période : émeutes du riz en 1788, famine de Tenpô entre 1833 et 1837. Les réformes projetées de l’ère Kansei (menée par Matsudaira Sadanobu) et Tenpô n’allaient que dans le sens d’un retour à la pensée confucéenne, agrarienne et hostile aux marchands. L’agitation populaire redevient un sujet d’inquiétude qui peut être illustré par la révolte d’Ôshio Heihachirô à Ôsaka en 1837, rapidement réprimée mais qui n’en fut pas moins une insurrection, la chance du shogunat fut que ces troubles n’ont jamais débouché sur une contestation et des revendications politiques organisées. Cette agitation des esprits se trouve non seulement dans les villes mais aussi dans les fiefs des daimyôs les plus importants où toute une classe de samurais de rang moindre, bien éduqués mais bloqués dans leurs perspectives d’avancement par un système surtout héréditaire, s’impatient de pouvoir s’élever. Une bonne partie des samurais de bas rang descendants des ashigaru voient aussi leur statut décliner, leurs revenus n’évoluent pas au même rythme que le coût de la vie, nombreux sont ceux qui doivent compléter leurs revenus et se trouvent dans des situations économiques inférieures à celles de beaucoup de marchands. Le Japon commence aussi à voir poindre le problème des étrangers, en 1808 le navire britannique Phaéton va jusqu’à bombarder Dejima (Nagasaki) et s’en repartir sans être inquiété, les Russes sont aussi aux aguets au Nord et à plusieurs reprises des navires étrangers tentent d’aborder l’archipel, sans succès jusque-là. L’influence étrangère est pourtant perceptible avec l’arrivée au Japon, par l’entremise des Hollandais, de nouvelles idées et techniques rassemblées sous le terme de Rangaku (Etudes hollandaises, surtout spécialisées sur la médecine) vues comme un danger par le pouvoir qui s’est rigidifié sur la doctrine de la fermeture du pays. Par opposition se développe parallèlement le Kokugaku, les études nationales, qui commencent alors à essayer de définir la nature du Japon au travers de l’étude de son folklore et sa religion traditionnelle (ce qui allait alors être défini comme le shintô) et ont contribué à faire de l’empereur la figure légitime de l’autorité, opposée à celle d’un shôgun peu compétent.
En France : la période voit des évènements diamétralement opposés au Japon et en France. La France secouée par la Révolution et l’Empire n’a rien à voir avec l’immobilisme forcé du Japon de Tokugawa Ineari même si les premières traces d’un bouillonnement intellectuel apparaissent aussi au Japon. Les idées font leur chemin et le Japon apprend assez rapidement, par l’entremise des Hollandais, les évènements européens. La figure de Napoléon en particulier fut évocatrice pour l’élite guerrière et des biographies de l’empereur (traduites de l’hollandais) arrivèrenr jusqu’au Japon. Des lettrés comme Sakuma Shôzan furent assez clairvoyants dans la décennie 1840 pour voir dans quelle direction poussaient ces évolutions et réclamer une ouverture du pays et son renforcement militaire et économique face aux puissances européennes.
La chute du Bakufu (1853-1868)
Le hasard fait que l’arrivée des Américains du commodore Perry coïncidèrent avec le décès du shôgun Tokugawa Ieyoshi, bref successeur d’Ienari, mais cela n’eut pas d’influence sur l’immobilisme du régime guerrier. La période de la chute du shogunat, le Bakumatsu, fut extrêmement riche en évènements alors que l’histoire accélèrait. Si nous devions subdiviser cette période il faudrait probablement distinguer la période 1853-1864, qui voient l’arrivée des Kurofune (navires noirs) de Perry, la signature des traités inégaux en 1858 et la fondation du port international de Yokohama en 1861. Durant cette décennie, malgré l’augmentation des tensions et des conflits avec les daimyôs tozama de l’Ouest, le shôgunat conserve son autorité et reste le seul interlocuteur des étrangers au Japon. C’est cependant durant cette période que le Japon reçoit l’essentiel du choc culturel avec l’Occident. Choc provoqué par l’incapacité du shôgunat à maintenir les frontières fermées alors que la protection du pays était à la base même de la légitimité du shôgun, fondées sur sa force. Ces choc entraîne la formation des premiers mouvements contestataires, qualifiés de Sonnô Joi (Révérer l’empereur, expulser les étrangers) encore dispersés lcoalement dans les fiefs mais tous portés par des jeunes samurais de rang moindre bloqués dans leur avancement. A partir de 1864, l’ordre d’expulsion des étrangers prononcé par l’empereur Kômei et l’opposition militaire du fief de Chôshû (bombardements des navires étrangers, 1863-1864, tentative de s’emparer de l’empereur lors de rébellion des ports Hamaguri en 1864) ont démontré aux puissances étrangères que le shôgunat n’est pas le seul interlocuteur disponible et qu’il n’était pas forcément le plus légitime. Les interventions navales étrangères (bombardement de Kagoshima par les Britanniques en 1863, bombardement français en 1863 et international en 1864 de Shimonoseki) ainsi que le départ des premiers étudiants japonais vers l’Europe marquent aussi le début d’échanges avec les seigneurs des fiefs de l’Ouest où les groupes de jeunes samurais ambitieux et ouverts aux changements prennent de l’influence sur leurs aînés. Ces derniers prennent le chemin de la modernisation pour pouvoir résister aux étrangers et commencent à envisager de réunir au delà de leur petit fief pour renverser le shôgunat (ce sera l’alliance Sat-Chô entre les fiefs de Satsuma et Chôshû, à l’avant-garde de l’opposition au shôgun). De 1864 à 1868 le shôgunat perd rapidement le contrôle de la situation tandis qu’il tente lui-même, mais un peu tard, de se moderniser pour conserver son hégémonie militaire (par l’entremise principalement de la France). En 1868, l’abdication du dernier shôgun Tokugawa Yoshinobu et la courte guerre civile du Bôshin marquent la fin du régime traditionnel des guerriers et l’avènement de la restauration-révolution de l’ère Meiji.
En France : Le Bakumatsu recouvre entièrement la période du Second Empire, ce qui a permis à la France d’avoir son rôle à jouer dans l’ouverture du Japon au travers de ses représentants : le baron Gros et Léon Roches. Les premières relations diplomatiques sont ouvertes avec le traité de l’ère Ansei en 1858. Comme mentionné plus haut le Japon connaissait déjà la France au travers de l’épopée napoléonienne, la France de Napoléon III hérita d’un à priori favorable du shôgunat envers ce qui était perçu comme la principale puissance militaire terrestre de l’Europe. C’est donc vers la France que le Bakufu se tourna dans ses dernières années pour moderniser ses capacités militaires. Des ingénieurs français ont mené la fondation du premier arsenal militaire japonais à Yokosuka en 1865. La mission militaire française de 1867 a vu des officiers français coopérer avec les samuraïs des Tokugawa allant pour certains, comme Jules Brunet, jusqu’à soutenir leur cause longtemps après que tout espoir de victoire se soit dissipé en 1869. La collaboration française avec les Tokugawa ainsi que la défaite de 1870 face aux Allemands vont durablement endommager l’image de la France auprès du gouvernement Meiji.
Etablir des comparaisons entre l’histoire européenne et l’histoire japonaise est une pratique très ancienne, établir des parallèles entres chevaliers et samurais en étant le plus connu. Ces comparaisons n’ont pas toujours été pertinentes et souvent limitées. Dans le cas de l’époque Edo nous avons cependant affaire à une société japonaise entrée dans une forme de modernité propre à elle qui facilite les comparaisons et rend certaines évolutions familières. C’est grâce à cette première modernité que le Japon fut en mesure d’emboiter le pas des puissances occidentales au XIXe siècle. Mettre côté à côte la France et le Japon permet de placer la période Edo dans un contexte qui peut nous appraître comme familier.